EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER : OBJECTIFS ET MOYENS DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Article 1er
Approbation du rapport annexé

L'article 1 er du projet de loi tend à approuver les orientations relatives à la modernisation du ministère de l'intérieur définies dans le rapport annexé au projet de loi.

La commission a considéré que les mesures proposées, bien que de natures très diverses, allaient globalement dans le bon sens : celui d'une modernisation du ministère de l'intérieur et des équipements à la disposition de ses agents afin de leur permettre de réaliser leurs missions dans un monde qui évolue. Elle a adopté plusieurs amendements, dont l'un visant à mentionner explicitement dans le rapport que la réforme actuellement en réflexion de l'organisation de la police nationale devra prendre en compte les spécificités de la police judiciaire, dans l'attente que la mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire créée en son sein rende ses conclusions.

Elle a adopté cet article ainsi modifié.

1. Des mesures de modernisation du ministère de l'intérieur exprimant les priorités que le ministère se donne pour les prochaines années

Le rapport annexé comporte trois parties, respectivement intitulées « une révolution numérique profonde », « plus de proximité, de transparence et d'exemplarité », et « mieux prévenir les menaces et crises futures », qui sont autant d'objectifs que se donne le ministère de l'intérieur.

1.1. Une révolution numérique profonde

La partie relative à la transformation numérique aborde en fait deux thématiques distinctes : l'utilisation des nouvelles technologies pour améliorer le service rendu au citoyen, ainsi que la lutte contre la cybercriminalité et les risques engendrés par le numérique.

S'agissant en premier lieu de la lutte contre la cybercriminalité , trois volets sont présentés par le ministère de l'intérieur. Concernant d'abord la sensibilisation et la prévention , le ministère indique que les préfectures viendront en appui de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) afin d'assurer la diffusion de messages de sensibilisation et de bonnes pratiques. Il prévoit aussi de mieux encadrer les clauses de remboursement des rançons via rançongiciel (ou ransomware ) par les assurances ( article 4 du projet de loi ). Concernant ensuite l'adaptation de la réponse opérationnelle , le ministère prévoit la mise en oeuvre d'un plan d'investissement technologique, de formation et de recrutement au sein des forces de sécurité intérieure. Pour ce faire, serait étudiée l'option d'un regroupement des capacités techniques et d'analyse du ministère de l'intérieur en matière cyber, une école de formation cyber interne au ministère de l'intérieur serait mise en place, et 300 équivalents temps plein (ETP) seraient recrutés. La saisie des avoirs crypto-actifs serait en outre rendue possible ( article 3 du projet de loi ). Concernant enfin le renforcement du service aux usagers , le ministère de l'intérieur prévoit la création d'un « équivalent numérique de l'"appel 17" » permettant à chaque citoyen de signaler une attaque cyber, ainsi que la formation et le déploiement de 1 500 nouveaux cyber-patrouilleurs.

S'agissant en second lieu de l'utilisation par le ministère de l'intérieur des nouvelles technologies , le rapport annexé évoque deux axes d'action : renforcer l'identité numérique des citoyens et mieux équiper les forces de sécurité intérieure. Ainsi, le ministère prévoit de mettre le numérique au service des citoyens , en proposant d'une part de développer l'identité numérique du citoyen (dématérialisation des procurations via le déploiement d'une identité numérique régalienne portée par le programme France Identité Numérique) et, d'autre part, de poursuivre l'effort de dématérialisation en faisant en sorte que chaque procédure administrative soit accessible en ligne tout en conservant un contact humain pour les citoyens n'ayant pas accès aux nouvelles technologies. Le rapport annexé propose également de doter les forces de sécurité d'un équipement « à la pointe du numérique » . Pour ce faire, une agence du numérique des forces de sécurité intérieure serait créée, chargée de développer des outils numériques au service des deux forces (recrutement de 100 ETP supplémentaires). Serait également favorisée l'utilisation par les agents du ministère de l'intérieur d'outils numériques permettant d'augmenter leurs capacités (sont cités notamment les caméras-piétons, les caméras embarquées, les postes mobiles, des textiles intelligents permettant de mieux résister à la chaleur et de thermoréguler, la mise en place du réseau Radio du futur, prévue par l' article 5 du projet de loi , et le déploiement de l'outil mutualisé de gestion des alertes des services d'incendie et de secours).

Le rapport annexé rappelle que « l'utilisation des nouvelles technologies dans les domaines de la sécurité ne peut faire l'économie d'une acceptation par la société civile ». Pour cela, le rapport prévoit que le numérique sera confié à un secrétaire général adjoint du ministère de l'intérieur pour favoriser une démarche proactive et harmonisée. Une activité d'audit des grands projets numériques serait également créée afin de contrôler leur exécution et d'anticiper les risques. L'ouverture des données du ministère permettrait également aux citoyens de contrôler les codes sources et algorithmes utilisés. Enfin, des partenariats avec l'industrie et le monde académique permettraient de favoriser la qualité et le bien fondé des technologies utilisées.

1.2. Plus de proximité, de transparence et d'exemplarité

Plusieurs réformes, de niveau et de portée très divers, sont annoncées afin d'améliorer la proximité des forces de sécurité intérieure. Peuvent en particulier être cités :

- le doublement de la présence des policiers et gendarmes sur le terrain d'ici à 2030, grâce à l'utilisation des outils numériques, à la gestion des effectifs et du temps de travail, à la suppression des tâches périphériques et à la simplification des procédures ;

- la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie dans les territoires ruraux et périurbains, sous fomce d'implantations nouvelles ou de brigades mobiles, la montée en charge des réserves de la gendarmerie et de la police nationales (passage de 30 000 à 50 000 réservistes dans la gendarmerie et de 6 000 à 30 000 réservistes dans la police), et la relocalisation de certains services de l'administration centrale dans les villes moyennes ou territoires ruraux (1 400 fonctionnaires devraient être concernés par ces relocalisations) ;

- la réforme de l'organisation de la police nationale. Le rapport évoque ici la controversée réforme visant à généraliser les directions départementales de la police nationale et prévoit une réforme de l'administration centrale qui devra « décloisonner son fonctionnement » ;

- une amélioration du parcours des victimes, grâce au déploiement de l'application « Ma sécurité », à la possibilité de déposer plainte en ligne ( article 6 du projet de loi ), à la généralisation de la prise de plaintes hors les murs, à la création de 19 nouvelles maisons de confiance et de protection de la famille et à la modernisation des accueils physiques des brigades et des commissariats ;

- un effort particulier sur les violences intrafamiliales et sexuelles : le rapport annexé annonce le doublement du nombre d'enquêteurs dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des unités spécialisées, un financement de 200 postes d'intervenants sociaux supplémentaires en police et gendarmerie, la possibilité pour les associations d'organiser le dépôt de plaintes dans leurs locaux, et la création d'un fichier de prévention des violences intrafamiliales. Des évolutions législatives sont également évoquées, avec une modification du cadre d'enquête permettant le recours aux techniques spéciales d'enquête ( article 8 du projet de loi ) et l'aggravation de l'infraction d'outrage sexiste ( article 7 du projet de loi ) ;

- une meilleure représentativité des agents du ministère de l'intérieur, avec la création de 100 « classes de reconquête républicaine » pour préparer les concours de la fonction publique, la mise en place d'actions ciblées de recrutement, la réforme des concours du ministère de l'intérieur, et l'amplification du plan « 10 000 jeunes ».

Afin d'améliorer la transparence et l'exemplarité des forces de l'ordre, le rapport annexé annonce la création d'un comité d'éthique placé auprès du ministre de l'intérieur ainsi qu'une amélioration du suivi des signalements réalisés auprès des inspections générales des forces de sécurité intérieure et des sanctions prononcées. Le rapport indique aussi que les policiers et les gendarmes définitivement condamnés à une peine d'emprisonnement pour des faits de violence familiale, d'infraction à la législation sur les stupéfiants ou des faits de racisme ou de discrimination se verraient exclus définitivement des cadres.

Dans cette partie du rapport annexé relative à la proximité, la transparence et l'exemplarité, est également proposée une série de mesures disparates allant de l'organisation centrale du ministère (nouvelle direction chargée du continuum de sécurité, unification du pilotage de l'action européenne et internationale du ministère, structuration de la fonction prospective et anticipation portée par l'Institut des hautes études du ministère de l'intérieur - IHEMI) au triplement en cinq ans des crédits dédiés au cofinancement des projets de vidéoprotection des collectivités territoriales, en passant par la confirmation de la création d'une académie de police chargée notamment de développer de nouveaux partenariats avec le monde de la recherche.

Le rapport évoque enfin ici l'amélioration des moyens des forces de sécurité intérieure grâce à des matériels plus performants et plus innovants ainsi qu'une amélioration de l'immobilier dans lequel ils exercent leurs missions.

1.3. Mieux prévenir les menaces et crises futures

Troisième axe du rapport annexé, la prévention des menaces et crises futures passerait par cinq axes : un renforcement de la fonction investigation, l'anticipation des crises de demain, qualifiées d'hybrides et d'interministérielles, le renforcement de la réponse à la subversion violente, la sécurisation des frontières et la formation et l'accompagnement des forces de sécurité intérieure.

S'agissant d'abord du renforcement de la fonction investigation , le rapport annexé évoque la nécessité de former davantage d'officiers de police judiciaire ( article 9 du projet de loi ) et la nécessaire simplification de la procédure pénale. Pour satisfaire ce second point, le projet de loi prévoit - et cela est rappelé dans le rapport annexé - la création d'assistants d'enquête ( article 10 ), l'extension des amendes forfaitaires délictuelles ( article 14 ), ainsi que d'autres mesures de simplification ( articles 8, 11, 12, 13 ).

S'agissant ensuite de la prévention des crises de demain , le rapport insiste sur la nécessité d'anticiper et de prévenir les risques, ce dont serait chargé un collège technique interministériel. L'anticipation serait également favorisée par le renouvellement de la flotte héliportée, la création d'un pôle européen de sécurité civile à Nîmes, le pré-positionnement de moyens de sécurité civile dans les outre-mer et le co-financement des pactes capacitaires des SDIS. L'information des citoyens serait également renforcée par la mise en place d'exercices réguliers (institution d'une journée nationale de sensibilisation). La gestion de crise pourrait enfin s'appuyer sur le déploiement du réseau FR-Alert - opérationnel fin 2022 -, la création d'un nouveau centre interministériel de crise doté d'un état-major permanent, l'utilisation de l'intelligence artificielle et des outils numériques d'aide à la décision, mais également sur des pouvoirs des préfets clarifiés et renforcés ( article 15 du projet de loi ).

S'agissant de la lutte contre la subversion violente , le rapport annexé propose la création de 11 nouvelles unités de forces mobiles (UFM) ainsi qu'un investissement dans la formation des forces de l'ordre avec la création d'un centre de formation spécialisé en maintien de l'ordre en milieu urbain et la rénovation du centre d'entrainement des forces de Saint-Astier. Dans la perspective des Jeux Olympiques de 2024, le rapport indique que quatre types d'investissements devraient être réalisés : un plan cyber sécurité, des moyens de lutte anti-drones, des moyens pour le centre de commandement de la préfecture de police et la coordination nationale pour la sécurité des Jeux Olympiques (CNSJ), et d'autres équipements de natures diverses, sans plus de précision.

Afin de mieux sécuriser nos frontières , le rapport prévoit l'intégration du corps des gardes-frontières de FRONTEX à la gestion des frontières extérieures de la France ainsi que le déploiement de matériels innovants (drones, caméras infra-rouges et thermiques, LAPI, etc .). Le rapport envisage aussi le financement d'outils basés sur la reconnaissance biométrique afin de rendre plus fluides les passages aux frontières (recours systématiques au SAS Parafe, généralisation des titres de voyage biométriques et mise en oeuvre du règlement européen instaurant le système entrée-sortie). Enfin, le rapport prévoit la création de nouvelles brigades mixtes de lutte contre l'immigration irrégulière, la mise à niveau de l'architecture des systèmes d'information français afin qu'ils soient interopérables sur le modèle européen et la création d'un centre technique pluridisciplinaire en charge de la recherche et du développement.

Le rapport revient enfin sur la formation des forces de sécurité intérieure , proposant un renforcement de la formation initiale (doublement du temps de formation et création de nouvelles écoles, souvent annoncées précédemment dans le rapport) et de la formation continue (augmentation de 50 % de la formation continue, création de 13 centres régionaux de formation, montée en puissance des compagnies-écoles existantes, recrutement de 1 500 formateurs sur cinq ans, mise en oeuvre d'un plan visant à créer de nouveaux stands de tir, ouverture vers l'international). Le rapport propose ensuite de mieux accompagner les policiers et les gendarmes par une refonte de la fonction RH dans la police nationale, un effort financier pour augmenter l'offre de logements à disposition des policiers, la réservation de 200 places supplémentaires en crèche et un renforcement d'un million d'euros des moyens dédiés à l'accompagnement à l'emploi des conjoints). Afin d'améliorer la qualité de vie au travail, le rapport envisage une indemnisation plus rapide des réservistes blessés en service, la mise en place d'un réseau de nouveaux psychologues du travail, 29 postes supplémentaires pour le service de soutien psychologique opérationnel, une amélioration de l'offre de restauration pour les policiers et des budgets dédiés à l'organisation d'actions de cohésion et de prévention ainsi qu'à la prévention des addictions.

2. La position de la commission : des mesures éparses et non hiérarchisées, qui vont malgré tout dans le bon sens

L'article 1 er , qui approuve le rapport annexé, relève de ce que l'article 34 de la Constitution qualifie de « lois de programmation » chargées, selon son antépénultième alinéa, de « [déterminer] les objectifs de l'action de l'État ». Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État rappelle que rien ne s'oppose à la coexistence, dans un même projet de loi, de dispositions programmatiques et de dispositions normatives « sous réserve que, aux fins d'assurer le respect des exigences de lisibilité et d'intelligibilité de la loi, les premières fassent l'objet d'une présentation clairement séparée des autres ». Il précise que tel est bien le cas dans le projet de loi.

Le rapport annexé comporte ainsi un ensemble de mesures de modernisation des services du ministère de l'intérieur . Ces mesures, prévues pour être mises en oeuvre entre 2023 et 2027, sont de natures très diverses puisqu'elles incluent la création de nouvelles brigades de gendarmerie, le renforcement des implantations du ministère, les orientations en matière d'équipement des forces de sécurité intérieure, de renforcement de la filière investigation, etc . Un résumé du rapport annexé selon sa structuration initiale le confirme, les mesures contenues dans le rapport manquent d'une hiérarchisation entre elles. L'organisation du rapport lui-même pose question puisque les mêmes évolutions sont abordées en différents endroits, sans être nécessairement mises en relation avec la thématique générale qu'elles sont censées appuyer.

Les mesures proposées vont toutefois globalement dans le bon sens, celui d'une modernisation du ministère de l'intérieur et des équipements à la disposition de ses agents afin de leur permettre de réaliser leurs missions dans un monde qui évolue .

De manière surprenante, le rapport annonce parfois des évolutions nécessitant une modification législative qui ne sont pas comprises dans le projet de loi. Peuvent par exemple être citées certaines évolutions en matière d'utilisation de l'intelligence artificielle ou d'immigration. Le Gouvernement compte sans doute porter ces évolutions dans de futurs textes mais ce faisant, il empêche le Parlement d'harmoniser le rapport annexé avec ce qu'il décidera effectivement au niveau législatif.

La commission a adopté quatorze amendements venant préciser certains points du rapport. Il s'agit :

- de l' amendement COM-1 de Nadine Bellurot et de Jérôme Durain, visant à titre conservatoire à mentionner explicitement dans le rapport que la réforme actuellement en réflexion de l'organisation de la police nationale devra prendre en compte les spécificités de la police judiciaire, dans l'attente que la mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire créée par la commission rende ses conclusions ;

- des amendements identiques COM-26 et COM-68 rectifié , de Patrick Kanner et de Maryse Carrère, COM-28, COM-29, COM-30 et COM-33 de Patrick Kanner qui visent à garantir l'accessibilité des personnes en situation de handicap. Ces amendements prévoient également que les agents devront être formés à l'accueil et à l'accompagnement de ces publics vulnérables ;

- des amendements COM-57 rectifié et COM-58 de Philippe Paul et Gisèle Jourda, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, visant à adapter la répartition territoriale entre la police et la gendarmerie et à prévoir la signature dans tous les départements de protocoles de coopération opérationnelle entre les deux forces ;

- s'agissant de la création des 200 nouvelles brigades de gendarmerie prévues par le rapport annexées, de la précision que le choix des territoires d'implantation devra se faire selon des critères objectifs ( amendement COM-59 rectifié de Philippe Paul et Gisèle Jourda, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères) ;

- s'agissant des réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie nationale, de l'instauration d'une cible d'emploi des réservistes de 25 jours par an et par réservistes, afin de préserver l'engagement de ces personnes ( amendement COM-56 de Philippe Paul et Gisèle Jourda, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères) ;

- de prévoir un montant annuel de 200 millions d'euros dédié à la reconstruction de casernes et un montant annuel de 100 millions d'euros aux travaux de maintenance, reprenant ainsi des recommandations maintes fois exprimées ( amendement COM-55 de Philippe Paul et Gisèle Jourda, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères) ;

- de prévoir qu'il serait possible de financer un audit des failles de sécurité éventuelles présentes dans les caméras déjà installées grâce aux crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation ( amendement COM-31 rectifié de Jérôme Durain) ;

- de prévoir que les pactes capacitaires des services d'incendie et de secours devraient conduire à une répartition des moyens proportionnés aux risques ( amendement COM-39 de Laurence Harribey) ;

Elle a également adopté un amendement COM-84 des rapporteurs visant à harmoniser le rapport avec les dispositions législatives finalement votées par la commission dans l'article 14 du projet de loi .

La commission a enfin adopté les amendements de clarifications et d'améliorations rédactionnelles COM-85 des rapporteurs et COM-53, COM-20, COM-21 et COM-27 de Jérôme Durain.

La commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 2
Programmation financière

L'article 2 du projet de loi vise à définir dans la loi la programmation budgétaire du ministère de l'intérieur pour les années 2023 à 2027. Les crédits dont bénéficie ce ministère passeraient ainsi de 20 784 millions en 2022 à 25 294 millions en 2027, représentant une hausse cumulée de 15 milliards d'euros sur cinq ans. Ces crédits supplémentaires ne sont toutefois pas répartis entre les différentes missions portées par le ministère de l'intérieur et, au sein de ces missions, entre les différents programmes, rendant ainsi plus difficile la vérification année après année de l'atteinte de ces objectifs. La portée de cet article peut par ailleurs être interrogée puisque les augmentations envisagées ne trouveront une traduction qu'à l'occasion du vote annuel des lois de finances initiales et rectificatives.

Au surplus, cette programmation devra être cohérente avec celle qui sera arrêtée dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques dont le Sénat est parallèlement saisi.

Saluant l'effort budgétaire prévu pour les prochaines années, la commission a adopté l'article 2 sans modification tout en soulignant que la trajectoire envisagée présentait des incertitudes dans un contexte de crises multiples et en enjoignant le Gouvernement de s'y tenir dans les années à venir.

1. Une loi de programmation pour le ministère de l'intérieur volontariste mais dont la portée devra être confirmée

1.1. Une augmentation programmée des moyens du ministère de l'intérieur de 15 milliards d'euros

La précédente loi de programmation intéressant le ministère de l'intérieur est la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure . Elle programmait les moyens pour la police et la gendarmerie nationales pour les années 2011 à 2013. Depuis 2013, les moyens des forces de sécurité intérieure - comme ceux des autres programmes portés par le ministère de l'intérieur - sont définis annuellement par les lois de finances sans avoir fait l'objet d'une loi de programmation spécifique.

À la suite du Beauvau de la sécurité, le Président de la République a annoncé que les objectifs et les moyens affectés pour répondre aux enjeux auxquels sont confrontés les services du ministère de l'intérieur devaient être définis avec davantage de visibilité et a annoncé sa volonté qu'une loi de programmation et d'orientation soit votée.

C'est l'objet des articles 1 er et 2 du projet de loi. L'article 1 er , qui approuve le rapport annexé au projet de loi, permet de définir les objectifs que se fixe le ministère de l'intérieur pour les années 2023 à 2027. L'article 2 vise quant à lui à définir les moyens nécessaires pour les atteindre, et prévoit une augmentation des moyens du ministère de l'intérieur de 15 milliards d'euros cumulés sur cinq ans.

Augmentation programmée des moyens du ministère de l'intérieur
(2023-2027) - En millions d'euros

CRÉDITS DE PAIEMENT ET PLAFONDS DES TAXES AFFECTÉES

hors compte d'affectation spéciale « Pensions »

2022 (pour mémoire)

2023

2024

2025

2026

2027

Budget du ministère
de l'intérieur,
en millions d'euros
(hors programme 232)

20 784

22 034

22 914

24 014

24 664

25 294

Évolution N/2022

-

+ 1 250

+ 2 130

+ 3 230

+ 3 880

+ 4 510

Total crédits supplémentaires

-

15 000

Évolution N/N-1

-

+ 1 250

+ 880

+ 1 100

+ 650

+ 650

Taux d'évolution N/N-1

-

+ 6 %

+ 4 %

+ 5 %

+ 3 %

+ 3 %

Taux d'évolution 2027/2022

-

+ 21,7 %

Source : commission des lois, à partir du projet de loi et de son étude d'impact.

Le budget présenté regroupe en fait l'ensemble du périmètre budgétaire ministériel actuel, hors charges et pensions, à l'exception du programme « Vie politique », soit :

- la mission « Sécurités » - 22,7 milliards d'euros en 2022 (programmes « Sécurité civile » - 0,7 milliard d'euros en 2022, « Police nationale » - 12,0 milliards d'euros en 2022, « Gendarmerie nationale » - 9,9 milliards d'euros en 2022, et « Sécurité et éducation routière - 0,05 milliard d'euros en 2022) ;

- au sein de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », les programmes « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » - 0,5 milliard d'euros en 2022, et « Administration territoriale de l'État » - 1,5 milliard d'euros en 2022 ;

- la mission « Immigration, asile et intégration » - 2,0 milliards d'euros en 2022 (programmes « Intégration et accès à la nationalité française » - 0,4 milliard d'euros en 2022 et « Immigration et asile » - 1,6 milliard d'euros en 2022) ;

- au sein du compte d'affectation spéciale « contrôle de la circulation et du stationnement routier », les programmes « Structures et dispositifs de la sécurité routière » - 0,3 milliard d'euros en 2022 et « Contrôle et modernisation de la politique de la circulation et du stationnement routiers » - 0,03 milliard d'euros en 2022 ;

- les taxes affectées à l'Agence nationale des titres sécurisés - plafonnées à 11 250 000 euros en 2022.

1.2. Une loi de programmation dont la portée ne doit pas être surestimée

• Des orientations devant être confirmées par les lois de finances annuelles

Comme l'indique l'article 34 de la Constitution, les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. Pour autant, et comme le souligne le Conseil constitutionnel : « Les orientations pluriannuelles ainsi définies par la loi de programmation des finances publiques n'ont pas pour effet de porter atteinte à la liberté d'appréciation et d'adaptation que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution dans la détermination et la conduite de la politique de la Nation ; elles n'ont pas davantage pour effet de porter atteinte aux prérogatives du Parlement lors de l'examen et du vote des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale ou de tout autre projet ou proposition de loi » 2 ( * ) .

Ce sont seulement les lois de finances initiales et rectificatives qui emportent un engagement de dépense . Ainsi, il reviendra chaque année au législateur de « confirmer » la programmation budgétaire envisagée par l'article 2 du projet de loi.

• Des orientations devant être également confirmées par la loi de programmation pour les finances publiques

Les lois de programmation sectorielles, comme cela est le cas en l'espèce, doivent se conformer à la trajectoire des finances publiques telle qu'elle figure dans la loi de programmation des finances publiques en vigueur.

Le calendrier d'examen des différents projets de loi est ici original puisque le Parlement va être amené à commencer la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et notamment de son article 2, portant programmation financière, avant que ne soit discuté le projet de loi de programmation des finances publiques, qui a été adopté en conseil des ministres le 26 septembre 2022. La discussion du premier projet de loi sera toutefois terminée après celle du second ce qui permettra, certes, une mise en cohérence du premier par rapport au second en temps voulu, mais ôte toute portée à la discussion de la programmation budgétaire sur le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur . L'étude d'impact indique ainsi très clairement que l'article 2 sera mis « en cohérence avec la prochaine loi de programmation des finances publiques lorsque celle-ci sera adoptée » 3 ( * ) .

2. Une trajectoire incertaine qu'il conviendra de confirmer et d'affiner

L'article 2 du projet de loi ambitionne de définir la trajectoire des crédits du ministère de l'intérieur pour les années 2023 à 2027 et propose une augmentation des moyens bienvenue et nécessaire .

Cette trajectoire fait suite à deux années d'augmentation importante des crédits alloués aux missions portées par le ministère de l'intérieur. Elle témoigne de la prise de conscience par le Gouvernement de l'urgence d'agir en faveur de nos forces de sécurité intérieure et répond ce faisant à la recommandation ancienne du Sénat d'inscrire ces crédits dans la durée, par le vote d'une loi de programmation. Elle permet également de répondre aux inquiétudes exprimées par le rapporteur pour avis de la commission des lois sur la mission budgétaire « Sécurités », Henri Leroy, qui rappelle régulièrement la nécessité d'une revalorisation pérenne des crédits alloués à cette mission . Dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2022, il engageait le Gouvernement à ce que « le budget défini pour l'année 2022 [serve] de base à l'élaboration du budget des années suivantes pour la mission, et [ne soit pas] considéré comme un effort ponctuel répondant à une situation d'urgence ». Il appelait à « inscrire cette nouvelle budgétisation dans la durée » afin « d'apporter une réponse durable à la situation matérielle dégradée des policiers et des gendarmes » 4 ( * ) .

La programmation budgétaire permet donc de confirmer le soutien du Gouvernement aux forces de l'ordre et de consolider les améliorations précédentes . Plus encore, elle a pour ambition d'accorder les moyens financiers nécessaires aux évolutions décrites par le rapport annexé , approuvé par l'article 1 er du projet de loi. Dans cette optique cependant, la commission questionne le périmètre et la présentation des évolutions financières retenues par l'article 2 :

- d'une part, comme le souligne le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'intérieur déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale le 16 mars 2022, le périmètre couvert par la trajectoire des crédits définis à l'article 2 ne correspond pas au périmètre du rapport annexé . Plus encore, « aucune corrélation n'est établie entre la programmation budgétaire et les moyens qui pourraient, sur la période considérée, être affectés au financement des nombreuses mesures de transformation du ministère annoncées dans le rapport annexé ». Malgré la demande du Conseil d'État d'apporter des compléments et les mois écoulés entre le dépôt de ce premier projet de loi et celui du présent projet de loi, ni l'étude d'impact ni le rapport annexé n'apportent de précisions sur ce point ;

- d'autre part, le périmètre retenu par l'article 2 - celui du ministère de l'intérieur - inclut plusieurs politiques publiques différentes et recouvre ainsi plusieurs missions et programmes . Les crédits présentés ne sont cependant pas répartis entre ces missions et programmes, ce qui ne permet pas d'apprécier ces augmentations en fonction des politiques publiques auxquelles elles se rapportent. Cette répartition, qui serait cohérente avec le fait que, depuis la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances , les crédits ne sont plus votés par ministère mais par politique publique, n'est même pas présentée de manière indicative dans l'étude d'impact, et ce malgré les invitations du Conseil d'État en ce sens. La présentation retenue ne permet ainsi pas de fixer « les objectifs de l'action de l'État » , comme le requiert l'article 34 de la Constitution.

Il a cependant été indiqué par les représentants des ministères de l'intérieur et du budget aux rapporteurs, lors de leurs auditions, que le fait de ne pas décliner les crédits par missions et programmes permettait de conserver une souplesse dans la répartition et de prendre en compte, tout au long de la période couverte par la loi de programmation, les inflexions qui pourraient être nécessaires en raison, d'une part, des priorités politiques qui pourraient être amenées à évoluer et, d'autre part, des imprévus qui constituent le lot habituel des politiques publiques dont le ministère de l'intérieur est en charge. Une répartition leur a été transmise à titre indicatif pour les cinq prochaines années, ci-après reproduite :

Répartition crédits T2/HT2 2023-2027 - Périmètre Lopmi

En M€ ou ETP

Budgétisation 2023-2027

LFI 2022 (hors CAS) + PDR

2023

2024

2025

2026

2027

Mission "AGTE" (hors VP)

T2

1 860

2 026

2 061

2 088

2 110

2 136

HT2

1 473

1 597

1 810

2 361

2 456

2 752

TOTAL

3 333

3 623

3 872

4 449

4 566

4 888

Mission "sécurités" et CAS (P.751 et P.753)

T2

11 490

12 165

12 563

12 773

12 869

12 982

HT2

3 789

3 974

4 135

4 420

4 751

4 973

TOTAL

15 279

15 767

16 295

16 789

17 222

17 555

Mission IAI

HT2

1 931

2 009

2 058

2 074

2 163

2 163

TOTAL

1 931

2 009

2 058

2 074

2 163

2 163

ANTS (TA)

Plafond TA

241

263

286

298

314

287

TOTAL

241

263

286

298

314

287

TOTAL

T2

13 350

14 191

14 625

14 862

14 980

15 118

HT2

7 434

7 843

8 289

9 152

9 684

10 176

TOTAL

20 784

22 034

22 914

24 014

24 664

25 294

Marches annuelles

-

+1 250

+2 130

+3 230

+3 880

+4 510

Source : direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).

Le renouveau de la gouvernance des investissements annoncé par le rapport annexé visant à la création de deux nouvelles instances sur le modèle du ministère des armées - comité ministériel des investissements et comité financier interministériel - permettra une anticipation pluriannuelle des investissements à l'échelle du ministère afin d'en assurer la soutenabilité.

Enfin, si l'augmentation des crédits ne peut qu'être saluée, l'effort budgétaire significatif qu'elle présente dans un contexte de crises comporte des incertitudes . Il reviendra au Gouvernement de tenir ses engagements et au Parlement d'y être particulièrement attentif, s'agissant notamment des effets sur cette programmation budgétaire de la forte inflation actuelle.

La commission a adopté l'article 2 sans modification .


* 2 Conseil constitutionnel, décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012 sur la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques .

* 3 p. 24 de l'étude d'impact.

* 4 Rapport d'information n° 199 (2021-2022) sur les crédits de la mission « Sécurités » inscrits au projet de loi de finances pour 2022 de M. Henri Leroy, fait au nom de la commission des lois et publié le 24 novembre 2021. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-199-notice.html .

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