LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Le Gouvernement, dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, a retenu l'amendement n° II-1906 de M. Philippe Pradal et de ses collègues membres du groupe Horizons et apparentés. Avant l'engagement de la responsabilité du Gouvernement, cet amendement avait été examiné en séance publique : il avait reçu un avis personnel de sagesse du rapporteur spécial de la mission « Justice », Patrick Hetzel, ainsi qu'une demande de retrait du Gouvernement . Retiré puis repris par notre collègue député Ugo Bernalicis, il avait alors été rejeté par l'Assemblée nationale .

L'amendement majore d'1,5 million d'euros les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) de l'action 3 « Aide aux victimes » du programme « Accès au droit et à la justice » et minore en conséquence d'1,5 million d'euros les AE et les CP de l'action 6 « Soutien » du programme 166 « Justice judiciaire ».

La majoration des crédits vise à soutenir le dispositif « Téléphone Grave Danger » (TGD). Au début du mois d'août 2022, 4 318 téléphones avaient été déployés. Accordé pour une période de six mois renouvelable, ce dispositif de téléassistance est destiné aux personnes victimes de violences en cas de grave danger (violences conjugales). Sur le premier semestre 2022 37 500 appels avaient été reçus, dont 1 200 avaient entrainé une intervention des forces de police. Le renforcement des crédits permettrait d'en déployer jusqu'à 6 000 en 2023, couvrant de fait les besoins exprimés par les juridictions, de l'ordre de 5 200 appareils 56 ( * ) .

Le rapporteur spécial soutient le déploiement de ce dispositif et aurait souhaité que le Gouvernement lève le gage sur cet amendement qu'il a repris dans le cadre de l'élaboration du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS

ARTICLE 44

Prolongation et extension de l'expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales

Le présent article propose de proroger de deux ans l'expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales. Selon les informations transmises par le Gouvernement, cette prorogation s'accompagnerait d'une extension de l'expérimentation de 11 tribunaux judiciaires à 33 tribunaux supplémentaires.

Le rapporteur spécial estime qu'il s'agit de « la prorogation de la dernière chance », alors que l'expérimentation dure déjà depuis six ans et que ses résultats ne sont pas encore concluants. L'extension de l'expérimentation doit permettre de disposer des données nécessaires pour procéder à son évaluation et se prononcer sur sa pérennisation, sous réserve, le cas échéant, d'y apporter des ajustements.

La commission des finances propose d'adopter cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : L'EXPÉRIMENTATION DE LA MÉDIATION PRÉALABLE OBLIGATOIRE POUR CERTAINES AFFAIRES FAMILIALES A FAIT L'OBJET DE PLUSIEURS EXTENSIONS

L'article 7 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle 57 ( * ) a renouvelé et étendu l'expérimentation 58 ( * ) visant à rendre obligatoire la tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales , à peine d'irrecevabilité de la requête, un motif que le juge peut soulever d'office.

Sont concernées par le recours obligatoire à la médiation préalable les décisions fixant les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ainsi que les stipulations contenues dans les conventions parentales homologuées. Cette obligation ne s'applique toutefois pas :

- si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l'homologation d'une convention organisant les modalités d'exercice de l'autorité parentale et fixant la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant en application de l'article 373-2-7 du code civil ;

- si l'absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime apprécié souverainement par le juge (éloignement géographique, parent détenu, maladie, etc.) ;

- si des violences ont été commises par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant.

L'expérimentation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire devait initialement durer jusqu'au 31 décembre de la troisième année suivant celle de la promulgation de la loi, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2019 . Elle a déjà fait l'objet de deux prorogations :

- une prorogation d'un an en loi de finances pour 2020 59 ( * ) ;

- une prorogation de deux ans, soit jusqu'au 31 décembre 2022, en loi de finances pour 2021 60 ( * ) .

La liste des tribunaux de grande instance concernés par cette expérimentation est fixée par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. 11 tribunaux sont aujourd'hui concernés, il s'agit de ceux de Bayonne, Bordeaux, Cherbourg-en-Cotentin, Évry, Montpellier, Nantes, Nîmes, Pontoise, Rennes, Saint-Denis de la Réunion et Tours 61 ( * ) .

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE PROLONGATION DE L'EXPÉRIMENTATION DE MÉDIATION PRÉALABLE OBLIGATOIRE POUR CERTAINES AFFAIRES FAMILIALES

Le présent article modifie le premier alinéa de l'article 7 de la loi de modernisation de la justice du XXI e siècle afin de proroger l'expérimentation rendant obligatoire une tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales jusqu'au 31 décembre de la huitième année suivant la promulgation de la loi, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2024 .

III. LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le Gouvernement, dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, a retenu un amendement de coordination de notre collègue député Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la mission « Justice ».

Cet amendement de coordination tire les conséquences de la création des tribunaux judiciaires, issus de la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance.

IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE PROLONGATION ET UNE EXTENSION « DE LA DERNIÈRE CHANCE »

A. UNE INTERROGATION SUR LES MODALITÉS DE FINANCEMENT

D'après les informations transmises par le Gouvernement, la prorogation de l'expérimentation de tentative de médiation familiale préalable obligatoire doit s'accompagner de son extension à de nouveaux tribunaux judiciaires . La crise sanitaire aurait en effet empêché son extension en 2020 et en 2021. L'expérimentation couvrirait désormais tous les tribunaux du ressort des cours d'appel comptant déjà une ou plusieurs juridictions expérimentales, à l'exception de celles de Paris, Versailles et de Saint-Denis de la Réunion. 33 nouvelles juridictions seraient concernées, portant à 44 le nombre de tribunaux judiciaires expérimentant la tentative de médiation familiale préalable obligatoire.

L'extension et la prorogation de cette expérimentation seraient financées dans les conditions actuellement prévues pour les 11 juridictions précitées : le dispositif serait pris en charge aux deux tiers par la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et à un tiers par l'État . Avec une extension à 44 juridictions, cela représente un coût en année pleine de 2,87 millions d'euros pour l'État - au titre du versement des subventions aux associations de médiation familiale participant à l'expérimentation 62 ( * ) - et de 4,9 millions d'euros pour la CNAF . La prestation de service versée par la CNAF correspond à 75 % d'un équivalent temps plein de médiateur familial, le reste étant à la charge du ministère de la justice.

À défaut de la reconduite de ces modalités de financement, et pour maintenir un coût constant en cas de refus de la CNAF de financer l'extension de l'expérimentation, le périmètre serait ramené à 24 juridictions au total. Le Gouvernement s'est donc engagé à proroger et à étendre l'expérimentation sans véritablement savoir quel serait son périmètre et si l'ensemble des coûts seraient couverts , la CNAF n'ayant toujours pas donné son accord. L'extension aurait donc pu être davantage préparée, y compris vis-à-vis des juridictions.

B. DISPOSER, ENFIN, DE DONNÉES POUR ÉVALUER LA PERTINENCE DE LA MÉDIATION FAMILIALE PRÉALABLE OBLIGATOIRE

Plus de 178 000 nouvelles affaires relatives à l'exercice de l'autorité parentale, au droit de visite et à la fixation de la résidence habituelle de l'enfant, de la contribution à l'entretien de l'enfant ou de la pension alimentaire ont été enregistrées en 2019 par les tribunaux judiciaires. Dans les 11 juridictions participant à la première expérimentation, environ 40 % de ces requêtes entraient dans le champ de l'expérimentation.

Le nombre de dossiers concernés par la médiation familiale préalable obligatoire pourrait donc s'élever à un peu plus de 19 000 si ce total est ramené aux 44 juridictions potentiellement concernées par la deuxième phase de l'expérimentation. À noter, il revient à chaque médiateur de fixer le montant de sa prestation, de l'ordre de 150 euros en moyenne, éligible à l'aide juridictionnelle.

Ce volume nécessiterait le recrutement de 108 équivalents temps plein (ETP) de médiateurs familiaux : en effet, en moyenne, 50 % des demandeurs décident de poursuivre la médiation après le premier entretien et deux entretiens de médiation supplémentaires sont en moyenne nécessaires pour chaque médiation poursuivie 63 ( * ) . Or, le recours à la médiation familiale préalable obligatoire ne doit pas conduire à allonger à l'excès les délais pour les justiciables, mais bien à favoriser un mode alternatif de règlement. Si les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) doivent être encouragés pour alléger l'office du juge, c'est seulement à la condition que les droits des justiciables soient garantis et préservés tout au long de la procédure.

Par ailleurs, les résultats sont peu concluants sur un allégement effectif pour les juges des affaires familiales. Une étude du CNRS 64 ( * ) conclut à de « nombreuses contraintes pour un résultat peu évident » : les tribunaux judiciaires font face à une contrainte de travail supplémentaire pour gérer les irrecevabilités, les médiateurs ne sont pas encore suffisamment nombreux, les avocats cherchent encore leur place, les justiciables ont parfois l'impression de subir la tentative de médiation préalable obligatoire, sans succès (30 % des médiations mènent à un accord).

En revanche, comme le note l'étude et comme le secrétariat général du ministère de la justice l'a confirmé en audition, les retours des juridictions sont positifs sur l'apaisement global des conflits , leur permettant de se recentrer sur leur coeur de métier, ainsi que sur la diffusion d'une culture de la médiation. Pour autant, le nombre de saisines des juges aux affaires familiales n'a pas baissé avec la médiation préalable obligatoire.

Le rapporteur spécial fera donc ici siens les mots d'une personne entendue en audition : il s'agit d'une extension et d'une prolongation de la « dernière chance » , alors que l'expérimentation dure déjà depuis six ans. Elle doit permettre au ministère de réunir suffisamment de données pertinentes pour pouvoir être en mesure de se prononcer sur l'opportunité de rendre définitivement obligatoire les tentatives de médiation préalable pour certaines affaires familiales, sous réserve, le cas échéant, d'y apporter des ajustements.

Décision de la commission : la commission propose d'adopter cet article sans modification.

ARTICLE 44 bis (nouveau)

Recouvrement par l'État des sommes engagées
au titre de l'aide juridictionnelle

Le présent article vise à parachever le volet « recouvrement » de la réforme de l'aide juridictionnelle engagée en 2020. Une partie de cette réforme a consisté à autoriser les avocats commis ou désignés d'office à demander une rétribution sans avoir déposé au préalable une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide au titre de l'intervention d'un avocat dans des procédures non juridictionnelles.

Le présent article précise dans ce cadre que les bureaux d'aide juridictionnelle seront chargés de constater a posteriori l'éligibilité ou l'inéligibilité à l'une ou à l'autre de ses aides de la personne qui a bénéficié de l'intervention de l'avocat. En cas d'inéligibilité, les bureaux pourront initier une procédure de recouvrement.

Si le rapporteur spécial relève que les sommes attendues au titre de la mise en oeuvre de cet article sont relativement faibles, de l'ordre d'un million d'euros selon le Gouvernement, et que leur pleine effectivité suppose d'apporter des modifications au système d'information dédié à l'aide juridictionnelle, il considère néanmoins qu'il s'agit d'une étape essentielle dans la mise en oeuvre de la réforme de l'aide juridictionnelle.

La commission des finances propose ainsi d'adopter cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : L'AIDE JURIDICTIONNELLE A FAIT L'OBJET D'UNE IMPORTANTE RÉFORME DE SES MODALITÉS D'OCTROI ET DE VERSEMENT

A. L'AIDE JURIDICTIONNELLE, UN DISPOSITIF INSTAURÉ EN 1991 POUR GARANTIR L'ACCÈS DE TOUS AU DROIT ET À LA JUSTICE

Créé par la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique 65 ( * ) , l'aide juridictionnelle permet de garantir l'accès à la justice aux personnes disposant de faibles ressources . Aux termes de l'article 2 de cette loi, cette aide bénéficie « aux personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice ».

Aux termes de l'article 40 de la loi de 1991, l'aide juridictionnelle couvre tous les « frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée, à l'exception des droits de plaidoirie » : le bénéficiaire de cette aide est dispensé du paiement et de l'avance des frais, qui sont versés par l'État aux avocats et aux autres professionnels du droit.

Les articles 27 à 39-1 de la loi de 1991 fixent le cadre de la rétribution des avocats et professionnels de l'aide juridique . S'agissant des avocats, l'État affecte chaque année à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive aux missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau. Le montant de cette dotation repose sur, d'une part, le nombre de missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau et, d'autre part, le produit d'un coefficient variant en fonction du type de procédure traitée et d'une unité de valeur de référence (UV). Le montant de l'UV est fixé en loi de finances et s'élève, depuis la loi de finances pour 2022 66 ( * ) , à 36 euros.

B. UNE RÉVISION DES CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ ET DES MODALITÉS DE VERSEMENT DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

1. La loi de finances pour 2020 a conduit à réviser les critères et les modalités d'octroi de l'aide juridictionnelle

L'article 243 de la loi de finances pour 2020 67 ( * ) a porté la première partie de la réforme de l'aide juridictionnelle, qui devait entrer en vigueur au plus tard au 1 er janvier 2021.

a) Une réforme des conditions de ressources pour bénéficier de l'aide

S'agissant des conditions de ressources permettant de bénéficier de l'aide juridictionnelle , l'article 4 de la loi de 1991 prévoit désormais que :

- les plafonds annuels d'éligibilité des personnes physiques à l'aide juridictionnelle sont fixés par décret en Conseil d'État ;

- le caractère insuffisant des ressources des personnes physiques est apprécié en tenant compte du revenu fiscal de référence ou, à défaut, des ressources imposables dont les modalités de calcul sont définies par décret ; de la valeur en capital du patrimoine mobilier ou immobilier même non productifs de revenus 68 ( * ) et de la composition du foyer fiscal ;

- les « biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour les intéressés ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des ressources auquel s'appliquent les plafonds d'éligibilité ».

L'article 70 de la loi précitée prévoit que le décret en Conseil d'État fixe le « montant des plafonds ainsi que leurs modalités de révision, les correctifs liés à la composition du foyer fiscal, les modalités d'estimation du patrimoine et des ressources imposables à prendre en compte lorsque le revenu fiscal de référence n'est pas applicable ».

b) La réorganisation des bureaux d'aide juridictionnelle et la possibilité de demander en ligne l'aide juridictionnelle

L'article 13 de la loi de 1991, tel que modifié par l'article 243 de la loi de finances pour 2020, prévoit que le bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) est établi « au siège des juridictions dont la liste et le ressort en cette matière sont définis par décret » et précise que le demandeur peut déposer ou adresser sa demande au bureau du lieu de son domicile, auprès d'un agent de greffe d'une juridiction de l'ordre judiciaire ou par voie électronique.

Cette mesure a été décidée dans le cadre du déploiement progressif du système d'information pour l'aide juridictionnelle (SIAJ), qui devrait être achevé d'ici la fin de l'année 2023. Simultanément un nouveau modèle de formulaire de demande d'aide juridictionnelle a été diffusé afin de simplifier et de clarifier le document rempli par les demandeurs et de fondre les formulaires destinés aux justiciables et aux avocats, dans la perspective du déploiement du SIAJ.

L'article 13 de la loi de 1991 précise que s'il y a lieu, le bureau comporte, outre la section statuant sur les demandes portées devant les juridictions de première instance de l'ordre judiciaire ou la cour d'assises :

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant le tribunal administratif et les autres juridictions administratives statuant en premier ressort ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour d'appel ;

- une section chargée d'examiner les demandes relatives aux affaires portées devant la cour administrative d'appel et les autres juridictions administratives statuant à charge de recours devant le Conseil d'État.

L'article 50 de la loi régissant les conditions de retrait de l'AJ a également été réécrit en y ajoutant un cas de retrait de l'AJ, « lorsque les éléments extérieurs du train de vie du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle apparaissent manifestement incompatibles avec le montant des ressources annuelles pris en compte pour apprécier son éligibilité ».

2. La loi de finances pour 2021 a modifié les modalités de versement de l'aide juridictionnelle lorsque l'avocat est commis ou désigné d'office

L'article 234 de la loi de finances pour 2021 69 ( * ) a créé un nouvel article 19-1 au sein de la loi de 1991 relative à l'aide juridique prévoyant que, par exception, l'avocat commis ou désigné d'office a droit à une rétribution s'il intervient dans les procédures spécifiquement précisées par l'article, en première instance ou en appel, y compris si la personne assistée ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat .

L'article 19-1 de la loi de 1991 dispose également que la personne qui a bénéficié de l'intervention d'un avocat commis ou désigné d'office pour ces procédures et qui n'est pas éligible à l'aide juridictionnelle ou à l'aide à l'intervention de l'avocat est tenue de rembourser au Trésor public les sommes exposées par l'État . Le recouvrement des sommes dues à l'État a lieu comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine.

Cet article entendait répondre au constat réitéré de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale de la justice d' un contrôle a minima , voire d'une absence de contrôle du respect des conditions de ressources des dossiers d'aide juridictionnelle pour les avocats désignés d'office . Le rapport des inspections, remis au mois de mai 2018, préconisait donc de « définir, dans les textes régissant l'aide juridictionnelle, un périmètre limité de la commission d'office ouvrant droit à l'aide juridictionnelle sans examen préalable de la situation du justiciable ».

II. LE DISPOSITIF CONSIDÉRÉ COMME ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : POURSUIVRE LA RÉFORME ENTAMÉE SUR LE RECOUVREMENT DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE INDÛMENT VERSÉE

Le présent article additionnel est issu d'un amendement du Gouvernement qu'il a retenu dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49-3, alinéa 3 de la Constitution. Il procède à une nouvelle modification de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Le 1° du présent article modifie ainsi l'article 13 de la loi de 1991, relatif à l'organisation des bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ). Tout en gardant la précédente fonction des BAJ, à savoir se prononcer sur les demandes d'admission à l'aide juridictionnelle, le a) du 1° en ajoute une nouvelle, celle de « constater l'éligibilité ou l'inéligibilité à l'aide juridictionnelle ou à l'aide à l'intervention de l'avocat de la personne qui a bénéficié de l'intervention d'un avocat dans les conditions prévues à l'article 19-1 », c'est-à-dire de l'aide ou de l'assistance d'un avocat commis ou désigné d'office.

Le d) du 1° du présent article permet de préciser que chacune des sections pouvant composer le BAJ est également chargée de la même mission , à savoir « constater l'éligibilité ou l'inéligibilité des personnes ayant bénéficié de l'intervention d'un avocat dans les conditions prévues à l'article 19-1 . »

Le 2° du présent article modifie en conséquence l'article 21 de la loi de 1991 pour prévoir que le BAJ puisse recueillir tous renseignements permettant non seulement d'apprécier l'éligibilité de l'intéressé à l'aide juridictionnelle, mais également son éligibilité à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Le 3° du présent article procède à l'abrogation des articles 64, 64-1, 64-1-1, 64-1-2 et 64-3 de la loi de 1991, relatifs à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles. Cette abrogation relève d'une mesure de simplification du droit :

- les dispositions de l'article 64-1-1 sont reprises au sein de l'article 19-1 tel que modifié par le présent article ;

- les dispositions des articles 64, 64-1, 64-1-2 et 64-3 sont relatives aux procédures non juridictionnelles pour lesquelles l'avocat commis d'office peut être rétribué par l'aide à l'intervention. Or ces procédures sont listées à l'article 11-2, auquel renvoie l'article 19-1.

Enfin, le b) du 5° du présent article complète le 9° de l'article 70 de la loi de 1991 afin de renvoyer à un décret en Conseil d'État la fixation des dispositions particulières applicables au recouvrement des sommes exposées par l'État au titre de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles .

Les b) et c) du 1° ainsi que le 4° et le a) du 5° du présent article portent des mesures de coordination.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : CONCILIER L'IMPÉRATIF DE GARANTIR L'ACCÈS AU DROIT ET LA NÉCESSITÉ POUR L'ÉTAT DE RECOUVRER LES SOMMES INDÛMENT ENGAGÉES

Le dispositif proposé par le présent article vise à parachever le volet « recouvrement » de la réforme engagée en 2021 sur la rétribution des avocats commis ou désignés d'office. Ces derniers peuvent en effet demander à percevoir la contribution de l'État sans avoir déposé au préalable une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles. La rétribution est alors automatiquement versée.

Il reviendra désormais aux bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ), à qui le présent article confie une compétence nouvelle en la matière, de constater a posteriori l'éligibilité ou l'inéligibilité de la personne représentée à l'une ou à l'autre de ces aides. Sur ce fondement, les BAJ pourront ensuite initier la procédure de recouvrement des sommes engagées par l'État pour rétribuer l'avocat commis ou désigné d'office alors que le bénéficiaire est inéligible à l'aide . Le dispositif ne soulève à cet égard pas de difficulté majeure : il s'agit de concilier à la fois l'accès au droit, y compris pour les personnes accompagnées par un avocat d'office, et la nécessité pour l'État de recouvrer les sommes indûment engagées.

En 2021, ce sont 57 076 interventions d'avocat qui ont été rétribuées au titre de l'article 19-1 de la loi du 10 juillet 1991, c'est-à-dire de manière automatique. Le Gouvernement estime que les précisions apportées par le présent article sur les compétences des BAJ permettront de recouvrer environ un million d'euros chaque année . Ce montant peut de prime abord apparaître relativement limité au regard des 641 millions d'euros demandés sur le budget 2023 pour l'aide juridictionnelle.

C'est d'autant plus le cas que le montant des sommes effectivement recouvrées par l'État dépendra de la capacité des BAJ à disposer de données précises pour identifier le bénéficiaire et pour pouvoir lui adresser les titres de recouvrement . Interrogé à ce sujet par le rapporteur spécial, le ministère de la justice a indiqué que la mise en oeuvre de ce recouvrement par les BAJ, appuyée sur une vérification de l'éligibilité a posteriori, devra s'accompagner de travaux informatiques pour être pleinement efficace. Une nouvelle fonctionnalité devra ainsi être intégrée au système d'information pour l'aide juridictionnelle (SIAJ) : les BAJ pourront alors, par le biais du SIAJ, échanger plus facilement avec les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et la direction générale des finances publique (DGFiP) pour réunir les données nécessaires au recouvrement.

Décision de la commission : la commission propose d'adopter cet article sans modification.

ARTICLE 44 ter (nouveau)

Prolongement de la dérogation
au principe du placement en cellule individuelle

Le présent article prolonge jusqu'au 31 décembre 2027 la possibilité de déroger au principe d'encellulement individuel des personnes détenues en maison d'arrêt, en application de l'article L. 213-4 du code pénitentiaire. Si cette prorogation est nécessaire, elle n'en demeure pas moins un aveu des retards concédés par le Gouvernement en matière de politique pénitentiaire, cette dernière ne pouvant se résumer à la seule construction de places de détention supplémentaires.

L'article 8 de l'ordonnance du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire prévoit, en parallèle de ce moratoire, une demande de rapport du Gouvernement au Parlement sur l'encellulement individuel. Ce rapport, remis au troisième trimestre 2022, devait en particulier comprendre une information budgétaire et financière relative à l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires et à leur impact quant au respect de l'objectif de placement en cellule individuelle.

Par coordination avec le prolongement du moratoire, le rapporteur spécial propose que le Gouvernement remette au Parlement deux nouveaux rapports en 2025 et en 2027, ce qui lui permettra de prendre connaissance à intervalle régulier de la progression des programmes immobiliers pénitentiaires et de leurs effets concrets sur l'atteinte de l'objectif d'encellulement individuel.

La commission des finances propose d'adopter cet article ainsi modifié.

I. LE DROIT EXISTANT : UNE DÉROGATION AU PRINCIPE DE PLACEMENT EN CELLULE INDIVIDUELLE

Aux termes de l'article L. 213-3 du code pénitentiaire, les personnes condamnées et placées en maisons d'arrêt sont soumises à un encellulement individuel de jour et de nuit . Toutefois, l'article L. 213-4 du même code dispose qu'il peut être dérogé à ce principe de placement en cellule individuelle lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application.

L'article 8 de l'ordonnance du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire 70 ( * ) , qui a repris les dispositions de l'article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 71 ( * ) , prévoit que l'article L. 213-4, et donc la dérogation au principe d'encellulement individuel, ne sont en vigueur que jusqu'au 31 décembre 2022 . Ce moratoire, qui devait initialement prendre fin en 2014, a été une première fois prolongé jusqu'en 2019, puis jusqu'en 2022 par l'article 90 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice 72 ( * ) , qui a modifié l'article 100 de la loi du 24 novembre 2009.

L'article 8 de l'ordonnance du 30 mars 2022 prévoit également que le Gouvernement remette au Parlement, au troisième trimestre de l'année 2022, un rapport sur l'encellulement individuel , « qui comprend, en particulier, une information budgétaire et financière relative à l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires depuis la promulgation de la loi du 24 novembre 2009 et à leur impact quant au respect de l'objectif de placement en cellule individuelle . »

II. LE DISPOSITIF CONSIDÉRÉ COMME ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : PROLONGER LA DÉROGATION AU PRINCIPE DU PLACEMENT EN CELLULE INDIVIDUELLE

Le présent article additionnel est issu d'un amendement du Gouvernement qu'il a retenu dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49-3, alinéa 3 de la Constitution.

Il modifie l'article 8 de l'ordonnance du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire afin de décaler la date d'abrogation des dispositions de l'article L. 213-4 du code pénitentiaire du 31 décembre 2022 au 31 décembre 2027 .

Concrètement, lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permettront pas son application, il pourra être dérogé jusqu'en 2027 au principe de placement en cellule individuelle des personnes détenues en maisons d'arrêt.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE PROLONGATION MALHEUREUSEMENT NÉCESSAIRE AU REGARD DU MANQUE DE PLACES EN DÉTENTION

Le rapporteur spécial estime que cette prorogation de la dérogation au principe d'encellulement individuel était malheureusement attendue au regard de la très forte augmentation de la population carcérale depuis la sortie de la crise sanitaire et de la faiblesse relative, en comparaison, de la création de places nettes supplémentaires en maisons d'arrêt. Il renvoie ici à son rapport budgétaire pour les données ayant trait à la mise en oeuvre du plan de 15 000 places de prison supplémentaires d'ici 2027 et à l'évolution du nombre de personnes détenues.

Le taux d'encellulement individuel s'élevait à 20 % seulement au 1 er juillet 2022 73 ( * ) alors que, faut-il le rappeler, ce principe a été consacré dès une loi pénale de 1875, sans n'avoir jamais été respecté depuis.

Évolution du taux d'encellulement individuel depuis 2018

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

La date fixée dans le cadre de la loi pénitentiaire de 2009 puis dans l'ordonnance du 30 mars 2022 était bien trop ambitieuse au regard des retards accumulés par la France . Si la prorogation du moratoire est donc nécessaire , elle n'est bien entendu absolument pas souhaitable sur le fond. La Défenseure des droits a ainsi rappelé dans un avis adressé à l'Assemblée nationale que la persistance de la surpopulation carcérale était la « première cause des atteintes aux droits des détenus » 74 ( * ) .

Proroger la dérogation au principe de placement en cellule individuelle permet également de limiter le coût prévisible pour l'État du contentieux indemnitaire lié au non-respect du principe d'encellulement individuel 75 ( * ) . C'était d'ailleurs l'un des arguments avancés par le secrétariat général du Gouvernement 76 ( * ) en 2014 pour justifier l'inscription de la première prorogation de la dérogation en loi de finances rectificative 77 ( * ) .

En effet, même si, pour le rapporteur spécial, le lien de cet article avec le domaine des lois de finances tel que défini par l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) 78 ( * ) apparaissait relativement ténu de prime abord, le Conseil constitutionnel a par le passé admis que cette disposition pouvait figurer dans une loi de finances 79 ( * ) . Le Gouvernement avait en outre affirmé en 2014 que refuser ce moratoire aurait conduit à obliger le Gouvernement et le Parlement à modifier la programmation immobilière et à ouvrir des autorisations d'engagement supplémentaires sur la mission « Justice ». Ce raisonnement « en cascade » illustre le fait que le lien entre la disposition et le domaine des lois de finances est plutôt indirect.

Néanmoins, par coordination avec cette prorogation et pour améliorer l'information du Parlement sur la gestion des finances publiques au sens de l'article 34 de la LOLF, le rapporteur spécial propose d' adopter un amendement visant à demander au Gouvernement de remettre au Parlement en 2025 et en 2027 le rapport prévu à l'article 8 de l'ordonnance du 30 mars 2022 . Les données contenues dans ce rapport permettront au Parlement de prendre connaissance à intervalle régulier de l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires et de leur impact quant au respect de l'objectif de placement en cellule individuelle.

Il est en effet à craindre, au regard des dynamiques actuelles, que la France ne puisse pas lever le moratoire en 2027, au détriment des détenus, des personnels pénitentiaires et du service public de la justice dans son ensemble. Comme l'a rappelé le directeur de l'administration pénitentiaire en audition, on ne construit pas une politique pénitentiaire et d'insertion sur des conditions de détention impropres et humiliantes .

Décision de la commission : la commission propose d'adopter cet article ainsi modifié.


* 56 Selon les informations fournies par le garde des Sceaux lors de l'examen de cet amendement à l'Assemblée nationale ( compte-rendu ).

* 57 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

* 58 Elle était prévue par l'article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles. Deux juridictions étaient concernées : Arras et Bordeaux.

* 59 Article 242 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 60 Article 237 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 61 Arrêté du 16 mars 2017 désignant les juridictions habilitées à expérimenter la tentative de médiation préalable obligatoire à la saisine du juge en matière familiale.

* 62 Subvention portée sur l'action 4 « Médiation familiale et espaces de rencontre » du programme 101 « Accès au droit et à la justice ».

* 63 D'après les données transmises dans l'évaluation préalable du présent article.

* 64 CNRS, rapport final de recherche sous la direction de Valérie Boussard, « L'évaluation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire. Quand médier n'est pas remédier », décembre 2020.

* 65 Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

* 66 Article 188 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 67 Article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 68 Tel que modifié par l'article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 69 Article 234 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 70 Ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire

* 71 Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

* 72 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 73 Avis du Défenseur des droits n° 21-13 , 30 septembre 2021.

* 74 Ibid.

* 75 Sans que cela n'empêche bien sûr de contentieux sur le fondement de conditions indignes de détention.

* 76 Observations du Gouvernement sur la saisine du Conseil constitutionnel de recours dirigés contre la loi de finances rectificative pour 2014 par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs.

* 77 Article 106 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 78 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

* 79 Conseil constitutionnel, décision n° 2014-708 DC du 29 décembre 2014.

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