EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Ouverture de la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux
aux cabinets médicaux et aux maisons de santé

Cet article propose d'ajouter à la liste des entités susceptibles de recevoir des fonctionnaires territoriaux mis à disposition les cabinets médicaux et les maisons de santé situés dans des déserts médicaux.

I. - Le dispositif proposé

A. La mise à disposition de fonctionnaires, une possibilité encadrée jusqu'ici réservée à des entités de droit public ou exerçant une mission de service public

La mise à disposition consiste, pour un agent public (fonctionnaire ou en CDI) volontaire et réputé occuper son emploi, en l'exercice de ses fonctions hors de l'administration où il a vocation à servir pour tout ou partie du temps de service.

L'agent public mis à disposition continue à percevoir la rémunération correspondant à son corps ou cadre d'emploi d'origine, versée par l'administration d'origine, et continue de bénéficier de ses droits à l'avancement et à la retraite. Toutefois, la mise à disposition suppose, sauf dérogation, un remboursement de l'entité d'accueil à l'administration d'origine des traitements et cotisations versés pour le fonctionnaire mis à disposition.

La mise à disposition suppose l'établissement d'une convention de mise à disposition entre l'administration d'origine du fonctionnaire et l'entité d'accueil. Celle-ci fixe notamment les conditions du remboursement des traitements et cotisations ainsi que la durée de la mise à disposition, pour une durée maximale de 3 ans, renouvelable par périodes d'au plus 3 ans.

La mise à disposition se distingue ainsi :

- du détachement, dans lequel l'agent est rémunéré par sa structure d'accueil, mais conserve ses droits à l'avancement et à la retraite dans son administration d'origine ;

- de la disponibilité, dans laquelle l'agent est rémunéré par sa structure d'accueil et ne conserve ni droits à l'avancement, ni à la retraite dans sa structure d'origine.

Les entités pouvant aujourd'hui bénéficier de la mise à disposition sont limitativement encadrées par la loi :

- pour les fonctionnaires territoriaux :

o par l'article L. 512-13 du code général de la fonction publique :

§ les administrations de l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics y compris les établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux, et les groupements dont ils sont membres ;

§ les groupements d'intérêt public ;

§ les organismes contribuant à la mise en oeuvre d'une politique de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics administratifs, pour l'exercice des seules missions de service public confiées à ces organismes ;

§ les organisations internationales intergouvernementales ;

§ une institution ou un organe de l'Union européenne ;

§ les États étrangers, l'administration d'une collectivité publique ou un organisme public relevant de ces États ou des États fédérés, à la condition que l'intéressé conserve, par ses missions, un lien fonctionnel avec son administration d'origine ;

§ le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, pour l'exercice de ses missions ;

o par l'article 209 de la loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, à titre expérimental pour 5 ans et à l'exclusion des fonctionnaires des communes de moins de 3 500 habitants :

§ les personnes morales relevant des catégories mentionnées au a du 1 de l'article 238 bis du code général des impôts, ainsi que de fondations ou d'associations reconnues d'utilité publique, pour la conduite ou la mise en oeuvre d'un projet répondant aux missions statutaires de la personne morale, de la fondation ou de l'association et pour lequel leurs compétences et leur expérience professionnelles sont utiles ;

- pour les agents contractuels employés par une collectivité territoriale en CDI, par l'article L. 516-1 du code général de la fonction publique :

o ses établissements publics ;

o les EPCI auxquels elle est rattachée ;

o les administrations de l'État, ses établissements publics ou les établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux.

L'ensemble des entités pouvant bénéficier d'une mise à disposition d'un agent territorial sont donc soit des personnes morales de droit public, soit des entités chargées d'une mission de service public, soit, à titre expérimental et sur un champ circonscrit, des entités sans but lucratif.

Dans le cadre de la mise à disposition, le fonctionnaire est en effet réputé occuper son emploi, ce qui implique un lien nécessaire entre son activité dans l'entité d'accueil et des missions de service public.

B. Le dispositif propose d'élargir la liste des entités éligibles à la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux aux cabinets médicaux et aux maisons de santé en zones sous-denses

La proposition de loi, déposée par M. Dany Wattebled et plusieurs de ses collègues du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est composée d'un article unique.

Celui-ci élargit la liste des entités éligibles à la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux en y ajoutant les cabinets médicaux et les maisons de santé situés dans des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l'accès aux soins.

À cette fin, il modifie l'article L. 512-13 du code général de la fonction publique (CGFP), qui liste les entités susceptibles d'accueillir un fonctionnaire territorial mis à disposition.

S'il était voté, le texte présenté constituerait donc une rupture en ouvrant la mise à disposition de fonctionnaires à des structures lucratives et de droit privé, certes de manière encadrée.

C. Un dispositif visant à alléger les contraintes administratives et financières pesant sur les médecins souhaitant exercer en zones sous-denses

L'intérêt de la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux auprès de cabinets médicaux ou de maisons de santé serait double, selon l'exposé des motifs. Le dispositif vise en effet à alléger les contraintes financières et administratives pesant sur l'installation des médecins en zones sous-denses.

En ce qui concerne l'aspect financier, la mise à disposition pourrait libérer temporairement le bénéficiaire de la charge des salaires et des cotisations du personnel. Selon les termes de la convention de mise à disposition, les entités d'accueil pourraient donc bénéficier d'une avance de trésorerie contribuant à lever certains obstacles financiers associés à l'installation dans un nouveau cabinet ou à la création d'une maison de santé.

En permettant aux médecins de recevoir l'appui d'un fonctionnaire territorial pendant les premiers mois d'installation avant de pouvoir, le cas échéant, recruter son propre personnel, le dispositif entend répondre à la préoccupation de certains médecins prêts à s'installer en zones sous-denses, mais inquiets de la charge administrative à supporter en leur permettant de la partager, voire de la déléguer. Dans une même logique de libération de temps médical, le personnel mis à disposition pourrait également être chargé de l'accueil de la patientèle.

Le dispositif vise également à dispenser temporairement le bénéficiaire de la charge liée au recrutement du personnel. Cette dimension de la mise à disposition pourrait constituer un levier d'attractivité particulier pour des jeunes médecins qui n'auraient jamais encore effectué de recrutement ou sur des territoires où les médecins rencontreraient des difficultés à recruter des secrétaires médicales.

Enfin, la proposition de loi aspire à contribuer à une meilleure compréhension de la demande de soins ainsi qu'à une coordination accrue dans l'offre de soins. D'une part, les fonctionnaires territoriaux bénéficient d'une connaissance du terrain et des populations qu'ils pourraient transmettre aux nouveaux arrivants auprès desquels ils seraient mis à disposition. D'autre part, ils pourraient constituer un appui pour accélérer la mise en relation des nouveaux arrivants avec les professionnels de santé déjà installés sur le territoire au service d'une meilleure coordination interprofessionnelle.

Il convient de signaler que la proposition de loi ne modifie :

- ni l'article L. 512-15 du CGFP : par conséquent la mise à disposition donne lieu à remboursement obligatoire des traitements du fonctionnaire par l'entité d'accueil, ainsi que des cotisations associées ;

- ni l'article L. 512-13 du CGFP : par conséquent la mise à disposition auprès de cabinets médicaux et de maisons de santé ne serait pas ouverte aux agents territoriaux contractuels en CDI.

II. - La position de la commission

A. Convaincu par le dispositif, le rapporteur a souhaité répondre à certaines réserves exprimées lors de ses travaux

1. Des réserves sur le dispositif, émanant notamment des associations d'élus locaux, ont été identifiées lors des auditions

Les syndicats de médecins auditionnés ont accueilli favorablement le dispositif, notamment pour accompagner les médecins lors de leurs premiers mois d'installation.

Bien que le texte prévoie un dispositif facultatif et se limite à ouvrir de nouveaux droits aux collectivités volontaires, les associations d'élus auditionnées ont exprimé des réserves sur le dispositif. Celles-ci concernent notamment :

l'opérationnalité du dispositif :

o risque d'un faible recours au dispositif, lié aux marges de manoeuvre humaines et financières restreintes des collectivités ainsi qu'aux difficultés de recrutement rencontrées par les collectivités sur les corps de métier susceptibles d'être concernés par la mise à disposition ;

o risque de doublon avec d'autres dispositifs existants, notamment les assistants médicaux ;

o risque d'inadéquation entre la formation des personnels mis à disposition et les besoins des cabinets médicaux et des maisons de santé. À cet égard, il convient de rappeler que le secrétariat médical n'est pas une profession réglementée.

d'éventuels effets pervers du dispositif, qui porterait le risque d'une concurrence accrue entre collectivités pour l'attractivité médicale.

Enfin, les administrations centrales ont défendu des positions nuancées sur le texte. Si la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la santé accueille favorablement le dispositif qui « semble de nature localement à aider à trouver des solutions », elle estime que sa portée est restreinte par la non-inclusion des centres de santé et par l'absence de dérogation au remboursement des traitements.

La direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur a quant à elle noté que la mise à disposition exigeait, en principe, que le fonctionnaire soit chargé d'une mission de service public dès lors qu'il est réputé occuper son emploi. Si elle considère que « favoriser l'accès aux soins pour tous, en tout point du territoire de la République, est assurément d'intérêt général », elle note aussi que les bénéficiaires du dispositif « n'exercent pas, au sens de la loi, des missions de service public ».

Dès lors, « si la proposition de loi ne heurte frontalement aucun principe du droit de la fonction publique, elle remet toutefois en cause le principe qui sous-tend les différentes hypothèses de mise à disposition d'agents publics telles que prévues par les dispositions légales encadrant le recours à la mise à disposition ».

2. Tout en restant fidèle à l'esprit du dispositif initial, un amendement déposé par le rapporteur vise à préciser les conditions de recours

Le rapporteur souscrit pleinement à l'esprit de la proposition de loi, et estime nécessaire de doter les collectivités territoriales de nouvelles compétences afin d'accompagner les médecins dans leur installation en zones sous-denses.

Si, aux termes de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique, « la politique de santé relève de la responsabilité de l'État », le rapporteur observe que les collectivités territoriales se sont pleinement saisies des possibilités ouvertes jusqu'ici par la loi en matière d'accès aux soins, démontrant ainsi un engagement et un volontarisme qui justifient l'extension de leurs compétences en la matière proposée par le texte.

En vertu de l'article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales1(*), de nombreuses collectivités attribuent ainsi des aides afin de pallier la désertification médicale. Par exemple, le département du Loir-et-Cher propose une aide à l'achat de 50 % sur les dépenses de matériel professionnel pour tout médecin primo-installé qui s'engagerait à y exercer 3 ans. La région Île-de-France propose une aide similaire à la primo-installation. D'autres collectivités proposent une mise à disposition de locaux ou d'un logement.

De plus, les départements, les communes et leurs groupements sont à l'initiative de la création de nombreux centres de santé2(*) ou maisons de santé pluri-professionnelles : selon un chiffrage de la fédération nationale des centres de santé, 23 % des centres de santé à activité médicale seraient gérés par des collectivités territoriales, essentiellement par des communes.

Sur le fond du dispositif, le rapporteur défend que le soutien d'un fonctionnaire territorial mis à disposition pourrait être de nature à fluidifier et à accélérer la mise en relation du médecin avec les autres professionnels de santé exerçant sur le territoire. Il estime qu'un accompagnement accru des médecins dans les quelques mois suivant leur installation en zones sous-denses peut stimuler les nouvelles arrivées potentielles.

Comme l'ont mis en lumière les auditions, les fonctionnaires territoriaux mis à disposition de cabinets médicaux ou de maisons de santé pourraient certes occuper un rôle de secrétaire médical et venir en appui au médecin dans l'accueil des patients et les démarches administratives qu'il a à assurer, mais le rapporteur estime qu'ils pourraient également exercer des missions de coordination de l'offre de soins.

Le rapporteur partage l'idée, défendue par les syndicats de médecins ainsi que par les élus locaux, que les professionnels en exercice libéral doivent, à terme, recruter leur propre personnel pour la conduite de leur activité.

Dès lors, il perçoit le dispositif proposé comme un dispositif d'amorçage qui - loin de constituer un doublon avec les accompagnements proposés par la Cnam et les ARS comme le craignaient les associations d'élus locaux auditionnées - s'articule pleinement avec eux pour proposer un accompagnement au médecin sur toute la durée de son installation. À son arrivée, le médecin pourrait demander la mise à disposition d'un fonctionnaire territorial, qui l'accompagnerait pour une durée de quelques mois, le temps qu'il puisse bénéficier d'un assistant médical ou d'un recrutement pérenne.

Le rapporteur a donc déposé un amendement COM-1 visant à clarifier le caractère transitoire et temporaire du dispositif. L'amendement déposé limite ainsi la durée de la mise à disposition à une durée maximale fixée par décret dans la limite de trois mois, s'éloignant ainsi des trois ans fixées dans le droit commun. Il prévoit que la mise à disposition puisse être renouvelable afin d'éviter les sorties trop brutales de dispositif, mais seulement dans la limite de deux reconductions.

Pour mieux cibler les professionnels bénéficiaires, le même amendement COM-1 conditionne l'éligibilité des médecins libéraux au dispositif à une arrivée récente, de moins de trois mois.

Enfin, le rapporteur a souhaité maintenir le lien consubstantiel unissant la mise à disposition et le service public, et ainsi répondre aux observations de la direction générale des collectivités locales. En ce sens, l'amendement COM-1 déposé par le rapporteur conditionne également l'éligibilité au dispositif à la participation au service public de permanence des soins ambulatoires, selon des conditions variables selon que le bénéficiaire est un cabinet libéral ou une maison de santé.

B. Position de la commission

Lors de sa réunion, la commission est revenue sur certaines observations entendues lors des auditions, notamment concernant les effets du texte sur les collectivités, le risque que le texte crée un précédent et la formation du personnel mis à disposition - notamment vis-à-vis du secret médical.

Toutefois, suivant les observations du rapporteur et approuvant les modifications portées par l'amendement COM-1, la commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 1 Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer des aides destinées à favoriser l'installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones définies en application du 1° de l'article L. 1434-4 du code de la santé publique. À cette fin, des conventions sont passées entre les collectivités et groupements qui attribuent l'aide et les professionnels de santé intéressés.

* 2 Article L. 6323-1-3 du code de la santé publique.