III. METTRE EN LUMIÈRE LA SUBORDINATION DES TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES

A. L'ABSENCE DE RÉPONSE SATISFAISANTE À L' « UBERISATION »

Bien qu'elles se présentent comme de simples intermédiaires, mettant en relation des travailleurs indépendants avec des clients, certaines plateformes jouent un rôle essentiel dans l'organisation des prestations qu'elles proposent. C'est notamment le cas des plateformes exerçant dans les secteurs de la mobilité. Les travailleurs recourant à ces plateformes ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de leur prestation ni de définir les conditions de sa réalisation : ceux-ci sont déterminés par un algorithme dont ils ne connaissent pas les paramètres.

L'ambiguïté de la qualification des travailleurs des plateformes donne lieu à un contentieux abondant, auquel la réponse des juridictions n'est pas univoque. Plusieurs décisions de la Cour de cassation ont penché dans le sens de la requalification en salariés de livreurs à vélo ou de chauffeurs de VTC (Take Eat Easy, 28 novembre 2018 ; Uber, 4 mars 2020). Toutefois, les plateformes modifiant régulièrement leurs algorithmes et leurs conditions d'utilisation, ces décisions n'apportent pas de réponse définitive à la question du statut de ces travailleurs, ce qui permet à ces acteurs d'échapper à un plus large mouvement de requalification.

À défaut de leur reconnaître le statut de salarié, le législateur a progressivement octroyé, depuis 2016, des droits spécifiques aux travailleurs de plateformes en prévoyant que, lorsqu'une plateforme détermine les caractéristiques de la prestation de service et fixe son prix, elle a une « responsabilité sociale » à l'égard des travailleurs indépendants recourant à ses services.

En particulier, la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et les ordonnances du 21 avril 2021 et du 6 avril 2022 ont posé le cadre d'un dialogue social entre travailleurs indépendants et plateformes dans les secteurs de la mobilité.

 
 
 

Nombre de travailleurs des plateformes de VTC et de livraison appelés à élire leurs représentants en 2022

Revenu minimum par course négocié par les chauffeurs de VTC4(*)

des travailleurs de plateformes de l'UE gagnent moins que le salaire horaire net du pays dans lequel ils travaillent5(*)

Les sujets négociés dans ce cadre, qu'il s'agisse de la rémunération des travailleurs ou du contrôle des algorithmes, sont essentiels. Toutefois, les droits spécifiques qui ont été progressivement accordés à ces travailleurs ont avant tout eu pour effet de les enfermer dans un statut d'indépendant « amélioré » et de conforter le modèle des plateformes, lequel repose sur le contournement du droit du travail et le dumping social. Or, le statut d'indépendant n'est pas adapté à la situation des travailleurs précaires, qu'ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, et ne correspond pas à la réalité des relations entre ces travailleurs et les plateformes.


* 4 Accord du 18 janvier 2023 créant un revenu minimal par course dans le secteur des plateformes VTC.

* 5 Source : Commission européenne.

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