EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique
Conciliation de la prévention des risques liés aux bruits
et de la pratique des sports automobiles

Cet article vise à soumettre les sports mécaniques à un régime spécifique permettant de mieux concilier la pratique de ces activités avec la protection de la tranquillité du voisinage et de la santé humaine.

La commission a approuvé cet article qu'elle a souhaité améliorer par un amendement rédactionnel pour garantir l'effectivité du dispositif.

I. La réglementation en matière de nuisances sonores applicable aux circuits de vitesse est source de difficultés techniques et juridiques

A. La lutte contre les nuisances est une obligation constitutionnelle, qui répond à des objectifs environnementaux, sanitaires et économiques

La prévention des risques liés au bruit constitue une obligation constitutionnelle : d'une part, la lutte contre les nuisances sonores est une partie intégrante de la protection de l'environnement2(*). D'autre part, la Charte de l'environnement crée à la fois un droit constitutionnel à vivre dans un environnement sain3(*) et un devoir de prévention des atteintes susceptibles d'être portées à l'environnement4(*) qui inclut donc la lutte contre les nuisances sonores.

Au-delà de l'objectif environnemental, la prévention des risques liés au bruit répond également à un objectif de santé publique. Les effets sanitaires du bruit sont auditifs, allant de la fatigue auditive réversible à une perte auditive définitive, et extra-auditifs (gêne, perturbation du sommeil, stress chronique)5(*).

Le bruit a enfin des conséquences économiques : en 2021, le coût social du bruit en France est estimé à 147 milliards d'euros en raison de coûts sanitaires (hospitalisations, médication, absentéisme...) et non sanitaires (dépréciation immobilière, perte de productivité...)6(*).

B. Depuis 2017, les circuits de sports mécaniques sont soumis à des règles générales relatives au bruit définies par le code de la santé publique

Concernant plus spécifiquement les sports mécaniques, la réglementation en matière de nuisances sonores a été réformée par un décret du 7 août 20177(*), pris en application de l'article 56 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé8(*).

Avant la publication de ce décret, la réglementation générale des nuisances sonores ne s'appliquait que de manière subsidiaire aux activités sportives, elle ne concernait que celles « dont les conditions d'exercice relatives au bruit n'ont pas été fixées par les autorités compétentes »9(*).

Par conséquent, les sports automobiles étaient exclus du cadre de droit commun, remplacé par une « architecture à deux niveaux »10(*), avec des règles techniques et des règles spécifiques.

Les sports mécaniques en France

En France en 2023, 713 circuits de sports mécaniques permettent la pratique d'activités motocyclistes (vitesse, motocross, tout terrain...) et 500 circuits permettent la pratique d'activités automobiles (vitesse, karting...). Ils font l'objet d'une homologation préfectorale, après avis de la commission départementale de sécurité routière11(*).

Parmi ces circuits, 37 sont considérés comme des circuits de vitesse, c'est-à-dire qu'une vitesse supérieure à 200 km/h y est autorisée. Ils font également l'objet d'une homologation préfectorale, après avis de la Commission nationale d'examen des circuits de vitesse.

Les règles techniques relatives au bruit résultant des véhicules à moteur participant à des manifestations sportives sont définies par les fédérations sportives délégataires, chargées de déterminer les règles techniques propres à chaque discipline12(*), à savoir, pour l'automobile la fédération française de sport automobile (FFSA) et, pour le motocyclisme, la fédération française de motocyclisme (FFM)13(*).

Les règles spécifiques à chaque circuit de sports mécaniques ou à chaque manifestation sportive sont définies dans le cadre de la procédure d'homologation du circuit14(*), ou d'autorisation de la manifestation sportive15(*), par le préfet ou le ministre de l'intérieur selon les cas. Il incombe à l'autorité compétente de fixer, dans le cadre de l'homologation ou de l'autorisation, les prescriptions nécessaires pour assurer la tranquillité publique, notamment celle du voisinage16(*), dans le respect des règles générales fixées par les fédérations sportives et en collaboration avec les gestionnaires de sites de pratiques et les élus locaux.

Les arrêtés d'homologation sont soumis à un contrôle de proportionnalité du juge administratif, qui annule les homologations n'ayant pas suffisamment tenu compte de la tranquillité des habitations avoisinantes17(*).

Les règles générales du code de la santé publique relatives aux bruits de voisinage ne s'appliquaient ainsi que de manière subsidiaire, en l'absence de normes spécifiques fixées par les fédérations délégataires, le préfet ou le ministre de l'intérieur18(*).

Le décret du 7 août 2017 est revenu sur ce régime juridique sans consulter en amont, ou même informer, les fédérations sportives délégataires en instaurant un troisième niveau de normes.

L'objet principal du décret est la prévention des risques liés aux sons amplifiés (concert, festival, lieu de musique, cinéma). De manière incidente, il intègre les circuits de vitesse au droit commun des nuisances sonores : les normes du code de santé publique ne sont plus des normes subsidiaires, mais des règles concurrentes et complémentaires aux prescriptions fédérales et spécifiques à chaque circuit.

Comme toutes les autres activités, les sports mécaniques doivent ainsi respecter des valeurs sonores limites fixées aux articles R. 1336-6, R. 1336-7 et R. 1336-8 du code de la santé publique, exprimées en décibels pondérés A (dbA)19(*).

Le code de la santé publique fixe une limite à l'émergence globale, qui est la différence entre le bruit ambiant (bruit durant l'activité) et le bruit résiduel (bruit sans l'activité), mesurée non plus sur le lieu du circuit20(*), mais dans les logements d'habitation du voisinage.

ÉVOLUTION DU RÉGIME JURIDIQUE DES CIRCUITS
DE SPORTS MÉCANIQUES

Lorsque le bruit ambiant est supérieur à 25 dbA à l'intérieur de l'habitation ou de 30 dbA à l'extérieur, les valeurs limites de l'émergence globale sont de 5 dbA en période diurne et de 3 dbA en période nocturne.

L'application de ce régime relève du pouvoir de police du maire et du préfet, chargés du respect de la tranquillité publique.

Le non-respect de ces limites est sanctionné pénalement par une contravention de cinquième classe21(*), soit jusqu'à 1 500 euros d'amende et 3 000 euros en cas de récidive22(*).

Des sanctions administratives sont également prévues : en cas d'inobservation des prescriptions23(*), l'autorité administrative peut, après mise en demeure, fixer des obligations de consignations, faire procéder d'office aux mesures prescrites, suspendre l'activité et ordonner le paiement d'une amende administrative au plus égale à 1 500 euros et d'une astreinte journalière au plus égale à 1 500 euros.

ÉCHELLE DES DÉCIBELS PONDÉRÉS A (DBA)

Source : association Bruitparif, l'observatoire du bruit en Île-de-France

C. Un cadre réglementaire source de difficultés techniques et juridiques

L'application de cette nouvelle réglementation aux sports automobiles est contestée par les fédérations délégataires. La fédération française de motocyclisme (FFM) a effectué sans succès un recours administratif contre le décret de 2017, en soutenant notamment que les limitations de bruit ne seraient techniquement pas susceptibles d'être imposées à des véhicules et ne pourraient raisonnablement pas encadrer les compétitions motocyclistes24(*).

Ces limites seraient de plus incohérentes, puisqu'elles ne s'appliquent pas à la voie publique : certains véhicules, qui peuvent circuler sur la voie publique, sont refusés sur les circuits homologués, car leur évolution sur le circuit engendre un non-respect de la règle d'émergence.

Pour les circuits éloignés d'habitation, cette réglementation est aussi source de difficultés : en campagne, le bruit résiduel est particulièrement faible, ce qui tend mécaniquement à augmenter l'émergence globale, qui est la différence entre le bruit ambiant et le bruit résiduel.

Le cas du circuit d'Albi - Le Séquestre

Ce circuit de vitesse historique, créé en 1962, est le premier à avoir pâti des conséquences du nouveau cadre juridique : à la suite de plaintes de riverains qui considéraient que le décret du 7 août 2017 n'était pas respecté, le concessionnaire a été condamné par le tribunal de police d'Albi à des amendes inédites de 78 000 euros25(*), puis 85 000 euros26(*) tandis qu'un arrêté municipal27(*) a limité le nombre de courses à 12 jours par an.

Le concessionnaire a demandé en mars 2022 à rompre prématurément le contrat de concession. La mairie d'Albi, propriétaire du circuit, élabore actuellement un nouveau projet d'exploitation en régie orienté vers les véhicules électriques.

En réaction à ces difficultés, une réunion interministérielle, à laquelle la FFSA et la FFM ont été associées a été organisée le 7 octobre 2021. Elle a conduit à la création d'un groupe de travail juridique dirigé par le directeur des sports et associant la direction de la sécurité routière, la direction générale de la prévention des risques, la FFSA et la FFM. Cette interministérielle n'a pas permis à ce jour de faire émerger de solution : la réglementation n'a donc toujours pas évolué alors que la nécessité est bien réelle.

II. La présente proposition de loi vise à mieux concilier prévention des risques liés aux bruits et pratique des sports mécaniques

L'article unique de la présente proposition de loi propose de mieux concilier pratique du sport automobile et prévention des risques liés aux bruits en sortant le circuit automobile du régime général des nuisances sonores.

Un régime ad hoc dérogatoire serait créé, au sein d'un nouvel article L. 571-6-1 du code de l'environnement : un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale d'examen des circuits de vitesse, fixerait des valeurs sonores limites particulières pour les sports mécaniques.

La proposition de loi ne revient pas sur la situation antérieure à 2017, mais propose un nouveau régime, dans lequel les prescriptions relatives au sport automobile restent à la main de l'administration, mais concilient de manière plus équilibrée protection de la tranquillité publique et pratique de ces activités sportives.

III. Des précisions rédactionnelles pour garantir l'effectivité du dispositif

La commission approuve l'article unique de cette proposition de loi, qui permet d'adapter le régime juridique des nuisances sonores au sport automobile.

Elle propose de l'améliorer sur deux points (amendement  COM-1) :

- d'une part, pour réparer une erreur de référence ;

- d'autre part, pour lever une ambiguïté rédactionnelle de sorte que l'article créé par la proposition de loi ne soit pas considéré comme une dérogation au régime des activités bruyantes, alors que tout en s'inscrivant dans le cadre légal, il en propose une adaptation pour les sports mécaniques.

La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.


* 2 Décision du Conseil d'État n° 439 195 du 9 juillet 2021.

* 3 Article 1er de la Charte de l'environnement.

* 4 Article 5 de la Charte de l'environnement.

* 5 Conseil national du bruit, Fiche de synthèse « Les effets sanitaires du bruit », 1er novembre 2018.

* 6 Ademe, « Estimation du coût social du bruit en France et analyse de mesures d'évitement simultané du coût social du bruit et de la pollution de l'air », octobre 2021.

* 7 Décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés.

* 8 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 9 R. 1334-32 du code de santé publique ancien, en vigueur du 1er septembre 2006 au 10 août 2017.

* 10 Conclusions du rapporteur public Guillaume Odinet, décision du Conseil d'État n° 423 847 du 15 novembre 2019.

* 11 Certains circuits sont homologués pour les deux activités et sont donc doublement comptabilisés.

* 12 Article L. 131-16 du code du sport.

* 13 Limitation du bruit à la source (à 1 mètre du véhicule) à 100 décibels pondérés A (dbA) pour le sport automobile et à 102 dbA pour le motocyclisme.

* 14 Article R. 331-37 du code du sport.

* 15 Article R. 331-26 du code du sport.

* 16 Décision n° 256 998 du Conseil d'État du 1er juillet 2005.

* 17 Décision n° 98BX02 477 de la Cour d'appel administrative de Bordeaux du 15 février 1999 ; décision n° 15DA01 385 de la Cour d'appel administrative de Douai du 7 novembre 2017.

* 18 Décision n° 303 726 du Conseil d'État du 11 janvier 2008.

* 19 L'indicateur dbA pondère les fréquences selon la fragilité de l'oreille.

* 20 Les normes techniques générales des fédérations délégataires fixaient des limites sonores mesurées à la source, c'est-à-dire au niveau du véhicule, et non pas des logements d'habitation.

* 21 Article R. 1336-14 du code de santé publique.

* 22 Article 131-13 du code pénal.

* 23 Article R. 1336-11 du code de santé publique.

* 24 Décision n° 414 899 du Conseil d'État du 7 décembre 2018.

* 25 Décision du 19 janvier 2021 du tribunal de police d'Albi.

* 26 Décision du 21 juin 2022 du tribunal de police d'Albi.

* 27 Arrêté municipal de la commune du Séquestre du 21 mars 2022.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page