EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique
Mise en oeuvre d'un plan national et de plans départementaux
de lutte contre le frelon asiatique

Cet article vise en premier lieu à doter la France d'un plan national de lutte contre le frelon asiatique, décliné au niveau départemental par le préfet. Il institue par ailleurs, pour tout propriétaire, une obligation de signalement d'un nid de frelons asiatiques et la prise en charge de sa destruction par la préfecture. Il introduit enfin le principe d'une indemnisation proportionnée au préjudice causé par le frelon asiatique pour les apiculteurs exploitant un rucher à des fins commerciales.

La commission a adopté l'article 1er modifié par 6 amendements tendant à préciser le contenu et la portée du plan national de lutte et de ses déclinaisons départementales, favoriser la recherche de systèmes de lutte plus efficaces et sécuriser les mesures proposées, tout en cherchant à réduire l'impact budgétaire du dispositif législatif instauré par ce texte.

I. Une prise de conscience trop tardive des dégâts causés par le frelon asiatique et des outils de lutte qui n'ont pas permis d'enrayer sa progression

A. Le frelon asiatique, une espèce exotique envahissante à très forte capacité d'adaptation et de dispersion

Le frelon asiatique à pattes jaunes, de son nom scientifique Vespa velutina nigrithorax, est un prédateur avéré d'hyménoptères sociaux. L'aire d'origine de l'espèce s'étend au nord de l'Inde (Darjeeling, Sikkim), à l'est du Népal, au Bhoutan et en Chine. Ce frelon est un prédateur généraliste et opportuniste, qui chasse très préférentiellement des espèces qui vivent groupées, essentiellement des abeilles domestiques, des guêpes sociales et des mouches nécrophages et coprophages, mais également d'autres espèces en fonction de leur abondance relative (papillons, araignées, etc.).

Le frelon asiatique capture des insectes pour nourrir ses larves : il en confectionne une boulette riche en protéines qu'il emporte jusqu'au nid. Les adultes ne se nourrissent que de liquides sucrés - miellat, nectar, miel - et mangent à l'automne la chair des fruits mûrs - pommes, prunes et raisins. Pour les arboriculteurs et les viticulteurs, le régime alimentaire du frelon conduit à des préjudices économiques, car les fruits consommés sont impropres à la vente. Dans les territoires fortement infestés, cet impact peut conduire à des baisses de récolte et des manques à gagner.

Depuis son apparition sur le territoire métropolitain, probablement un peu avant 2004 dans le Lot-et-Garonne, le frelon asiatique exerce une pression et une prédation croissantes sur les ruchers, spécialement durant l'été et l'automne. À ces périodes, les colonies d'abeilles sont en effet en régression alors que celles du frelon sont à leur apogée. Le frelon asiatique cible ainsi de manière privilégiée l'abeille domestique, proie facile, vivant en colonies, abondante et ne disposant pas de mécanismes de défense adaptés.

Par son vol stationnaire et insistant à la sortie de la ruche, parfois en grand nombre, le frelon asiatique stresse les abeilles, ce qui conduit ces dernières à assurer moins efficacement les apports de pollen et de nectar nécessaires au développement des générations d'abeilles devant assurer la transition hivernale.

Les dégâts sur les ruches se mesurent ainsi non seulement par le prélèvement direct d'abeilles, par prédation, mais également par l'affaiblissement progressif que leur présence en sortie de ruche induit sur les abeilles, par perturbation du comportement des butineuses qui ne sortent quasiment plus sous l'effet du stress.

Pour les apiculteurs, les impacts de ces prédations sont multiples : disparition de colonies entières, pertes ponctuelles de récolte - c'est-à-dire de revenu principal ou secondaire pour les exploitants concernés -, complexification de l'exercice de l'activité apicole, augmentation du coût de la protection des ruches dans certains territoires, déplacement de ruches pour limiter la pression de prédation, voire cessation d'exploitation de certains apiculteurs amateurs. GDS France estime que 20 % de la mortalité totale des abeilles est liée à la présence du frelon asiatique.

Dans l'exposé des motifs, l'auteur de la proposition de loi estime le préjudice annuel cumulé pour la filière apicole à près de 12 millions d'euros, sans compter les préjudices indirects induits par la destruction des pollinisateurs, qui rendent des services écosystémiques pour l'agriculture et en particulier l'arboriculture.

1) Une espèce exotique envahissante qui s'est établie en un temps record sur l'ensemble du territoire hexagonal

Depuis son introduction en France, l'expansion du frelon asiatique a été très rapide : la carte des départements envahis montre que le front d'invasion progresse en moyenne de 78 km par an, la caractérisant comme une espèce exotique envahissante. Pour mémoire, une espèce exotique envahissante (EEE) est une espèce introduite par l'homme, volontairement ou involontairement, sur un territoire hors de son aire de répartition naturelle, et qui menace les écosystèmes, les habitats naturels ou les espèces locales.

Les hyménoptères sociaux présentent des caractéristiques qui renforcent leurs capacités invasives : ils font preuve d'une grande plasticité phénotypique, qu'il s'agisse de leur taille ou de leur poids, et adaptent leurs stratégies en fonction de la disponibilité des ressources et des variations climatiques. En outre, les colonies de frelons asiatiques sont très résilientes à la prédation et au parasitisme.

Selon l'IPBES3(*), les EEE constituent un des cinq facteurs majeurs du déclin de la biodiversité : en l'espèce, le frelon asiatique contribue à des pertes significatives de population d'abeilles là où il établit ses nids. L'abeille européenne, apis mellifera, n'a développé aucun système de défense face à ce prédateur avec lequel elle n'a pas co-évolué et contre lequel elle n'a, par conséquent, élaboré aucune stratégie de défense.

Le frelon asiatique représente également une menace sérieuse pour les pollinisateurs et les insectes sauvages, qui constituent en moyenne les deux tiers de son bol alimentaire en zones agricoles et naturelles. On estime ainsi qu'un nid de frelons consomme en moyenne 11,32 kg d'insectes en une saison, de mars à octobre. La progression du frelon asiatique constitue une menace sur l'entomofaune dans son ensemble. Le comportement de prédation du frelon plaide, selon la littérature scientifique, pour un impact plutôt limité sur les espèces rares et solitaires, puisqu'il marque une nette préférence pour les insectes sociaux vivant en colonies à forte densité (abeilles, guêpes, mouches, etc.).

Progression du frelon asiatique à pattes jaunes en France et en Europe

Source : Muséum national d'histoire naturelle

Le frelon asiatique, introduit par les échanges qu'implique le commerce international, a désormais colonisé de vastes territoires européens. Cette espèce se caractérise par des capacités d'expansion exceptionnelles : en une dizaine d'années, elle a colonisé la quasi-totalité du territoire métropolitain et en 15 ans, elle a été répertoriée dans neuf autres États européens.

Selon les résultats d'un modèle mathématique de dispersion élaboré en 20184(*), « le frelon asiatique aurait colonisé une grande partie du territoire français, ainsi qu'une partie de l'Espagne, de la Belgique et de l'Allemagne par ses propres capacités de vol et de dispersion, alors que c'est grâce à l'homme, via des transports accidentels, qu'il aurait si rapidement atteint le Portugal, l'Italie, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne ». La plupart des pays d'Europe présentent un risque non négligeable de voir le frelon s'acclimater. Il en est de même de nombreuses autres régions du monde où l'espèce pourrait se maintenir en cas d'introduction accidentelle. Les modélisations indiquent qu'en l'absence de tout traitement « offensif », le frelon asiatique aura colonisé en 2100 l'ensemble du continent européen et pourrait faire la jonction avec l'aire de répartition initiale de l'espèce.

Le suivi de l'espèce est assuré à travers une quête dédiée sur le programme de sciences participatives INPN Espèces5(*), et en régions par des organismes locaux, en général par les organismes à vocation sanitaire. À cette fin, un portail de signalement des nids de frelons asiatiques6(*) a été développé par le Muséum national d'histoire naturelle, avec des fiches signalétiques de l'espèce pour réduire les risques de mauvaise identification.

Les densités de population du frelon asiatique à pattes jaunes fluctuent fortement d'une année sur l'autre, en fonction notamment des conditions climatiques printanières. Selon les organismes à vocation sanitaire entendus par le rapporteur, on estime à plusieurs milliers le nombre de nids par département. À ce jour, certaines régions sont encore faiblement infestées, principalement dans l'Est de la France.

Les modélisations de réchauffement climatique les plus récentes font cependant craindre une densité territoriale plus forte que celle constatée ces dix dernières années. Son aire de répartition continuera de s'étendre et seules les barrières climatiques et topographiques sont actuellement en mesure d'interrompre sa progression.

Dans le cas d'un « scénario pessimiste », si la densité en colonies de frelons était maximale sur l'ensemble du territoire, le Muséum national d'histoire naturelle7(*) estime que la mortalité des ruches pourrait approcher les 30 %, générant des pertes de colonies dont le coût est estimé à environ 30 M€ - étant précisé que cette estimation ne tient compte que de la perte des colonies, pas des produits de la ruche (miel, pollen, gelée royale, etc.).

2) Des réponses insuffisamment coordonnées qui n'ont pas permis d'endiguer la prolifération du frelon asiatique

Pour tenter d'endiguer ce phénomène, le piégeage des spécimens et la destruction de nids de frelons et la gestion des ruchers constituent les réponses locales les plus fréquentes. Nombre d'apiculteurs, réunis dans le cadre de groupements de défense sanitaires apicoles (GDSA), tentent de mettre en place un plan national de piégeage au printemps sur l'ensemble du territoire, avec un succès toutefois limité au regard de la progression continue de l'espèce.

En ce qui concerne les campagnes de piégeage, leur effet sur la réduction du nombre de nids est insuffisamment significatif : seuls 30 à 40 % des nids sont détectés et détruits avant la période de reproduction par les femelles fondatrices. Or, d'après un modèle développé par l'INRA d'Orléans en 2016, il faudrait en détruire plus de 95 % chaque année pendant 7 ans pour espérer diminuer la densité en nids de 50 % seulement... Ces résultats conduisent à être prudent quant aux affirmations selon lesquelles l'intervention humaine pourrait avoir un impact sur les populations.

Depuis 2004, les moyens de lutte et de protection ont été mis en oeuvre en ordre dispersé, sans concertation organisée par l'État. Si l'action publique avait été mise en oeuvre dès la détection de l'espèce, il n'est pas déraisonnable de considérer que le frelon asiatique aurait pu être éradiqué sur le territoire national.

Un rapport conjoint du CGEDD, du CGAAER et de l'IGAS, publié en septembre 20108(*), a proposé une organisation de l'action publique pour faire face à l'arrivée de cette nouvelle espèce, recommandant notamment un pilotage interministériel par le ministre chargé de l'agriculture, l'élaboration d'un plan d'action cohérent et coordonné par l'État chargé d'organiser les relais de la puissance publique sur le territoire. Les auteurs du rapport déplorent que « le nombre important des acteurs et la variété des actions mises en oeuvre donnent un sentiment de confusion d'autant plus que la connaissance de l'État n'a été ni structurée ni cohérente dans son contenu ». Faute de moyens dédiés et malgré la forte mobilisation du monde apicole, ce plan est resté lettre morte et n'a aucunement produit les effets escomptés.

Les scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle et de l'Office français de la biodiversité entendus ont indiqué au rapporteur qu'il était désormais illusoire d'espérer éradiquer le frelon asiatique sur le territoire national : à ce jour, depuis les plus anciennes installations documentées dans les années 50 en Nouvelle-Zélande, aucune guêpe sociale invasive n'a pu être éradiquée dans le monde.

En tout état de cause, l'ancienneté de la présence du frelon asiatique en France, le périmètre colonisé et les dynamiques de propagation de l'espèce plaident pour le déploiement d'actions au long cours, avec des moyens techniques et budgétaires dédiés et une approche territorialisée. Dans la mesure où l'espèce s'est durablement installée sur le territoire national, la stratégie de lutte s'avérera difficile et coûteuse.

B. Des réponses publiques trop timides, qui n'ont pas permis d'endiguer les dégâts causés par le frelon asiatique

Depuis la découverte du frelon asiatique sur le territoire national, plusieurs textes législatifs et réglementaires ont contribué à la formation d'un corpus normatif de lutte contre cette espèce exotique envahissante, tant au niveau européen que national, dans l'objectif de limiter sa diffusion et favoriser sa lutte.

1) Première réponse normative : le classement du frelon asiatique sur la liste des dangers sanitaires

Face à sa prolifération, le frelon asiatique a tout d'abord été classé au niveau national, de 20129(*) à 202210(*), dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l'abeille apis mellifera, sur l'ensemble du territoire français. Ce classement impliquait que l'élaboration et le déploiement d'une stratégie nationale de prévention, de surveillance et de lutte vis-à-vis de ce danger sanitaire relevaient de la responsabilité de la filière apicole, l'État n'apportant son appui que sur le plan réglementaire.

L'arrêté du 3 mai 2022, en procédant au déclassement de l'espèce, a retiré le frelon asiatique de la liste des maladies réglementées, conformément à la nouvelle législation européenne dite « loi de santé animale », entrée en application le 21 avril 2021.

La filière apicole peut en revanche décider d'élaborer un programme sanitaire d'intérêt collectif (PSIC) et le faire reconnaître par l'État. Le PSIC vise à favoriser la prévention, la surveillance et la lutte et à mutualiser les moyens et les coûts correspondants. Il peut être porté par une personne morale, représentant plus de 70 % des détenteurs de la zone géographique concernée, ou par l'organisme à vocation sanitaire (OVS) reconnu. Ainsi, le financement des opérations de lutte contre le frelon est essentiellement supporté par les particuliers et les collectivités territoriales, et non par l'État. Les OVS entendus par le rapporteur lui ont indiqué qu'ils étaient engagés dans le déploiement de cet outil pertinent, en déplorant toutefois que l'élaboration d'un PSIC ne conduise pas, de droit, à des financements publics.

Parmi les acteurs venant en appui à la lutte contre le frelon asiatique, mentionnons l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation (ITSAP, aussi dénommé « Institut de l'abeille »). Il s'agit d'un institut technique agricole créé en 2010, dont l'objectif est de concourir au développement de l'apiculture à travers l'expérimentation, la recherche appliquée, l'assistance technico-économique, l'animation, la diffusion et la formation. Son action technique et scientifique participe à l'identification et à la validation des outils de lutte contre le frelon asiatique. À ce titre, il bénéficie d'un financement de l'État depuis 2016. Les actions financées comportent deux volets : une méthode concernant le piégeage des fondatrices au printemps et le développement d'un protocole pour la destruction de nids par appâts empoisonnés.

Le premier volet des travaux concernant le piégeage est arrivé à son terme et a montré que le nombre de nids du frelon asiatique décroît significativement lorsque la méthode est conduite durant plusieurs printemps successifs, avec un maillage spatial fin et régulier - plus de 200 pièges répartis de façon homogène sur environ 10 km² autour du rucher à protéger, en tenant compte du cycle biologique du frelon asiatique.

Cycle biologique du frelon asiatique à pattes jaunes en France

Source : Quentin Rome, Muséum national d'histoire naturelle

Le second volet vise à évaluer l'efficacité d'appâts empoisonnés et leurs impacts sur l'environnement. Dans le cas où la méthode se montrerait efficace, il reviendra à la filière ou à un industriel de réaliser les démarches d'obtention des autorisations « substances biocides », puis « produits ». Ce projet devrait également permettre de proposer une méthode alternative au fipronil, hautement toxique, utilisé sans autorisation pour lutter contre les frelons.

Il convient enfin de relever que le frelon asiatique n'est pas réglementé par le ministère de la santé au titre des espèces nuisibles pour la santé humaine, car il apparaît, au regard des données des centres anti-poisons, que l'espèce ne présente pas de danger supérieur par rapport à d'autres hyménoptères, tels que le frelon européen ou les guêpes.

Selon le Muséum national d'histoire naturelle, en raison de ses effets sur l'apiculture et le ressenti négatif des guêpes en général, le danger que représente le frelon asiatique pour l'homme est très souvent exagéré : il n'est pas plus agressif qu'une abeille et sa piqûre pas plus dangereuse, il n'injecte pas plus de venin, qui n'est ni plus toxique ni plus allergène.

Pour ces raisons, la lutte contre le frelon asiatique est assurée à titre principal par la filière apicole, les organismes à vocation sanitaire et les collectivités territoriales, articulée en trois outils principaux : le piégeage de printemps, la destruction des nids et la réduction du stress des colonies d'abeilles à l'automne. Les acteurs entendus par le rapporteur déplorent unanimement l'absence d'accompagnement et d'implication de l'État face aux dégâts causés par la prédation de cette espèce exotique envahissante.

2) Une stratégie de lutte fondée sur la réglementation des espèces exotiques envahissantes, dont les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux

Depuis fin avril 2021, une seule réglementation concourt ainsi à la lutte contre le frelon asiatique, celle portant sur les espèces exotiques envahissantes (EEE), pilotée par le ministère de la transition écologique. Le frelon asiatique figure en outre depuis le 13 juillet 2016 sur la liste européenne des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union européenne.

La loi du 8 août 201611(*) a complété le code de l'environnement pour intégrer des dispositions législatives permettant d'agir contre les EEE, codifiées aux articles L. 411-5 et suivants du code de l'environnement.

La stratégie nationale de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, prise sur le fondement de cette législation, offre uniquement un cadre d'action pour coordonner les différents acteurs locaux travaillant sur le sujet des EEE, mais n'est pas dotée de moyens financiers. Il existe cependant des leviers financiers, mais qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Dans le cadre de la stratégie nationale biodiversité pour 2030, la mesure relative aux espèces exotiques envahissantes n'est dotée que de 16 M€ par an, sachant qu'il existe plus de 2 000 espèces exotiques envahissantes en France, animales et végétales confondues. Les crédits alloués dans le cadre du fonds vert pour l'année 2023, qui comportait une mesure sur les EEE, ont permis de financer un total de plus de 180 dossiers, dont une dizaine concernait le frelon asiatique. Quatre collectivités ont également été financées pour des projets à grande échelle de lutte contre le frelon asiatique, à hauteur de 235 000€12(*).

D'autres mesures législatives complètent le corpus normatif de lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Au regard de l'intérêt de préservation du patrimoine biologique, des milieux naturels et des usages associés, l'article L. 411-6 du code de l'environnement interdit sur le territoire national, l'introduction, la détention, le transport, le colportage, l'utilisation, l'échange, la vente ou l'achat de tout spécimen vivant d'EEE, dont la liste est fixée par l'arrêté interministériel du 14 février 201813(*) - le frelon asiatique figurant sur cette liste.

Les opérations de lutte sont définies à l'article L. 411-8 du même code. Dès la constatation de la présence dans le milieu d'une EEE, le préfet de département peut « procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction de spécimens » d'EEE. Un arrêté préfectoral précise alors les conditions de réalisation de ces opérations. Les préfets peuvent notamment ordonner la destruction de nids sur des propriétés privées.

Le financement des opérations de lutte contre le frelon n'est cependant pas pris en charge par l'État. Le secrétariat d'État chargé de l'écologie s'en est justifié en avril 2023, dans une réponse à la question écrite posée par le sénateur Cédric Vial14(*), « au regard du degré très large d'envahissement du territoire métropolitain par l'espèce ». La destruction des nids reste donc à la charge des particuliers, même si ses coûts sont souvent pris en charge, en tout ou partie, par des financements locaux émanant de collectivités territoriales. Ainsi, en 2023, pour un département comme le Calvados, le soutien des communes et du conseil départemental s'est élevé à plus de 487 000 € pour l'aide à la destruction de nids de frelons asiatiques15(*).

Le plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation 2021-2026, élaboré conjointement par le ministère de la transition écologique et par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, porte quelques timides mesures relatives au frelon asiatique. Il vise à « valider des outils de lutte efficaces contre le frelon asiatique et [à] lutter dans un cadre collectif16(*) ». Ce plan prévoit notamment un financement de 125 000 € par an au bénéfice du Muséum national d'histoire naturelle et de l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation (ITSAP) pour identifier et valider des outils de lutte efficaces ainsi qu'un accompagnement financier à hauteur de 50 000 € pour l'homologation du dioxyde de souffre en tant que biocide pour traiter les nids de frelons, en raison de son efficacité, son faible coût, sa non-dangerosité pour la faune auxiliaire et sa non-rémanence dans l'environnement.

Plus récemment, en février 2024, les organismes à vocation sanitaire réunis au sein de l'Association française sanitaire et environnementale (AFSE)17(*) ont publié une stratégie et un plan national de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes. Les objectifs poursuivis par ce plan portent non seulement sur la protection des ruchers, afin de diminuer la pression de prédation sur les colonies d'abeilles, mais également la protection des populations et de la biodiversité.

Il est encore trop tôt pour évaluer la pertinence de cette stratégie, mais son organisation qui repose sur un comité de pilotage national et des comités régionaux et départementaux est intéressante. Elle favorise la mise en réseau des acteurs et la nécessaire concertation en matière de lutte contre le frelon asiatique. L'AFSE envisage qu'il puisse être reconnu en tant que programme sanitaire d'intérêt collectif (PSIC) par l'État, car à ce stade, ce plan n'associe pas l'État ni les collectivités territoriales et il n'est pas abondé par des financements publics, ce qui limite sa capacité à apporter les réponses adéquates dans des délais raisonnables afin de faire baisser les pressions de prédation. Le concours de l'État permettrait de démultiplier l'intérêt et l'efficacité de cette stratégie nationale.

Au vu des dynamiques de progression du frelon asiatique, force est de constater qu'à ce jour le corpus normatif et les stratégies élaborées n'ont pas permis d'obtenir les résultats espérés. Les réponses publiques aux enjeux écologiques, économiques et de santé publique que pose ce frelon invasif ne sont pas à la hauteur.

Si le frelon asiatique à pattes jaunes constitue l'archétype même d'une espèce que l'on ne sait pas réguler, il est cependant possible de mettre en oeuvre des solutions pour réduire les pressions qu'exerce cet insecte sur la filière apicole, sous réserve de respecter deux conditions : mieux fédérer la mobilisation des acteurs publics et privés et consacrer des financements dédiés.

II. Un plan de lutte contre le frelon asiatique doté de moyens propres, pour accroître l'efficacité des actions de lutte et accompagner les acteurs

L'article unique de cette proposition de loi contribue opportunément à définir un cadre législatif de lutte contre le frelon asiatique, à travers l'élaboration d'un plan national, décliné en plans départementaux, afin d'impulser des réponses locales cohérentes et coordonnées avec les objectifs définis au niveau national. Dans son exposé des motifs, l'auteur du texte indique qu'il « vise à doter la France d'un outil de lutte global, cohérent et efficace ».

Ce plan, qui serait codifié au sein d'un nouvel article L. 411-9-1 du code de l'environnement, vise à remédier aux lacunes et incohérences de l'action publique régulièrement dénoncées par la filière apicole et les élus locaux. Il met en oeuvre un principe d'organisation de l'action qui se vérifie souvent, selon lequel « l'union fait la force ».

Il tire les conséquences de l'échec des actions menées jusqu'à présent de façon isolée, à une échelle inappropriée face aux capacités de dispersion de l'espèce ou dans le cadre de plans d'actions non dotés des moyens adéquats. Les organismes à vocation sanitaire pourraient ainsi capitaliser l'expertise qu'ils ont acquise au cours de l'élaboration de leur stratégie de filière18(*) et en faire bénéficier les porteurs du plan législatif, pour l'élaboration duquel ils seront associés.

Le plan national de lutte contre le frelon asiatique déterminerait des orientations nationales et des indicateurs de suivi, afin d'améliorer le régime de surveillance et de lutte contre le frelon asiatique dans un cadre coordonné, un partage des connaissances scientifiques et une organisation cohérente du piégeage et des destructions, pour maximiser l'efficacité globale et l'impact local de ces mesures. Il prévoit en outre un classement des départements en fonction de l'importance des dégâts causés par le frelon asiatique, dans une logique de proportionnalité de l'action publique.

Il implique également des financements dédiés à la recherche et à la validation de systèmes de piégeage et de protection plus efficaces et un accompagnement des collectivités pour répondre aux enjeux locaux, dans le cadre des plans départementaux. Ce plan présente l'avantage de fédérer la réponse publique et l'action des acteurs privés face à une espèce dont les efforts menés jusqu'ici ont échoué à endiguer la progression et qui fait peser sur la filière apicole une pression croissante, contre laquelle nombre d'apiculteurs sont impuissants.

Pour compléter le dispositif sommital que constitue le plan de lutte, deux dispositifs complémentaires sont prévus :

- une obligation, pour tout propriétaire, de déclarer la présence de nids de frelons asiatiques et leur destruction prise en charge par la préfecture de département, codifiée au sein d'un nouvel article L. 411-9-2 du code de l'environnement ;

- un régime indemnitaire forfaitaire ouvert aux apiculteurs ayant subi un préjudice économique imputable au frelon asiatique (article L. 411-9-3 nouveau).

III. Sécuriser les dispositifs mis en oeuvre par le texte, tout en faisant un usage rationnel des deniers publics

Pour la commission, le dispositif proposé présente de multiples avantages pour renforcer l'efficacité de l'action publique face à une espèce qui fait peser des pressions trop fortes sur l'apiculture et l'entomofaune et face à laquelle toutes les actions mises en oeuvre jusqu'à présent ont échoué. La commission, suivant l'avis du rapporteur, a estimé qu'il était opportun d'activer une réponse publique plus cohérente, co-construite avec les collectivités et les filières concernées.

Animée du souci de réduire l'impact budgétaire des mesures proposées, dans un contexte de dégradation sévère des déficits publics, la commission a souhaité calibrer au plus juste les dispositifs et en limiter les dépenses passives, afin de viser l'efficacité de chaque euro dépensé dans le cadre de la lutte contre le frelon asiatique.

Dans cet esprit, elle a souhaité inclure des actions de piégeage sélectif dans le cadre du plan national de lutte, de classer les départements en fonction de la pression de prédation et des dommages causés également aux pollinisateurs sauvages, précieux auxiliaires des filières arboricoles et végétales ( COM-2 du rapporteur). La commission a, par ailleurs, prévu la possibilité que des actions de sensibilisation du public puissent être financées ainsi que la recherche de solutions de prévention et de lutte contre la prédation. Le piégeage de printemps, la protection des ruchers au moyen de muselières et de harpes électriques sont des solutions qui permettent de diluer la pression de prédation à l'échelle du rucher. L'intégration de ces initiatives dans le plan de lutte présente l'avantage de pouvoir coordonner la réponse publique, nationale et locale, aux enjeux et d'optimiser le maillage territorial de la lutte contre le frelon asiatique.

Par l'adoption de plusieurs amendements rédactionnels, la commission a précisé les modalités d'élaboration du plan national et de ses déclinaisons départementales ( COM-3 et COM-4) et a souhaité lever toute ambiguïté quant à l'espèce ciblée par la lutte en précisant qu'il s'agissait du frelon asiatique à pattes jaunes ( COM-1).

L'amendement COM-5 remplace l'obligation générale à laquelle serait soumis le préfet de procéder à la destruction des nids de frelons asiatiques par un régime lui laissant une marge d'appréciation, pour tenir compte du danger pour la santé publique et du cycle de vie du frelon asiatique. En effet, la destruction d'un nid de frelons à la fin de l'automne ne présente pas d'intérêt : la colonie se meurt et les femelles fondatrices ont déjà migré pour hiberner hors du nid secondaire. Il serait dès lors inutile que le préfet fasse procéder à sa destruction.

Le bénéfice du régime indemnitaire serait ouvert aux seuls chefs d'exploitation apicole, dont le revenu repose principalement sur l'exploitation des ruchers et la vente des produits de la ruche ( COM-6). L'économie générale de la proposition de loi repose sur un plan de lutte contre le frelon asiatique, qui met en oeuvre de mesures de protection des ruchers et l'aide à l'acquisition de systèmes de lutte contre la prédation. L'ensemble des apiculteurs bénéficieraient ainsi du dispositif institué par cette proposition de loi et le régime indemnitaire serait en revanche réservé aux apiculteurs dont une part substantielle du revenu découle de l'activité apicole.

La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.


* 3 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques

* 4 C. Robinet, E. Darrouzet, C. Suppo, Spread modelling: a suitable tool to explore the role of human-mediated dispersal in the range expansion of the yellow-legged hornet in Europe. International Journal of Pest Management. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09670874.2018.1484529

* 5 Inventaire national du patrimoine naturel

* 6  https://frelonasiatique.mnhn.fr/signaler-informations/

* 7 Réponses de Quentin Rome au questionnaire envoyé par le rapporteur

* 8 Frelon asiatique - Arrivée d'une nouvelle espèce, proposition d'organisation de l'action publique, rapport du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, de l'Inspection générale des Affaires sociales et du Conseil général de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Espaces ruraux, par Dominique Dodu, Olivier Gondran, Roland Moreau et Jean Lessirard https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/114000087.pdf

* 9 Arrêté du 26 décembre 2012 relatif au classement dans la liste des dangers sanitaires du frelon asiatique ( https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000026844543)

* 10 Arrêté du 3 mai 2022 listant les maladies animales réglementées d'intérêt national en application de l'article L. 221-1 du code rural et de la pêche maritime ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045753312)

* 11 Loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

* 12 Source : réponse au questionnaire envoyé par le rapporteur à la direction de l'eau et de la biodiversité.

* 13 Arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain ( https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036629851/)

* 14  https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230305618.html

* 15 Source : UNAF 14, indications fournies à l'auteur de la proposition de loi.

* 16 Action 4-4-4.

* 17 GDS France et Fredon France, fédérations nationales des organismes à vocation sanitaire respectivement dans le domaine animal et végétal.

* 18 Stratégie et plan national de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes, publié le 16 février 2024.

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