EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Encadrement du licenciement pour motif économique

Cet article propose d'interdire le recours au licenciement économique pour les entreprises de plus de 249 salariés qui ont, durant leur dernier exercice comptable, procédé à une distribution de dividendes, à une opération de distribution ou de rachat d'actions, réalisé un résultat positif ou bénéficié du crédit d'impôt recherche ou du dispositif des allègements généraux de cotisations patronales.

La commission n'a pas adopté cet article.

I°- Le dispositif proposé : une interdiction des licenciements économiques pour les entreprises de plus de 249 salariés dont l'activité semble démontrer une viabilité économique

A. Le droit existant : le droit du licenciement économique a été globalement assoupli ces dernières années

1. Les raisons économiques au licenciement : des extensions opérées par la jurisprudence et codifiées par le législateur 

Le licenciement économique se distingue des autres cas de licenciement en ce qu'il est effectué pour un ou plusieurs motifs « non inhérents à la personne du salarié »2(*) : la cause du licenciement du salarié provient des conséquences de « raisons économiques » sur son emploi ou son contrat de travail. C'est cette spécificité qui lui a d'abord valu de faire l'objet d'une autorisation administrative préalable3(*). La loi du 2 août 1989 relative à la prévention du licenciement économique4(*) a supprimé cette autorisation administrative, donnant dès lors au juge judiciaire la compétence d'en apprécier le caractère réel et sérieux.

Afin de sécuriser le recours au licenciement économique, le législateur est progressivement venu codifier les motifs que la jurisprudence avait dégagé5(*) afin de justifier la cause réelle et sérieuse du licenciement exigée par l'article L. 1233-2 du code du travail. L'article L. 1233-3 du code du travail énumère ainsi les critères pouvant, notamment6(*), être invoqués par l'employeur.

· Les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise. Alors que cette notion n'était jusqu'alors pas définie, la loi du 8 août 20167(*) a codifié les critères alternatifs que la jurisprudence avait retenus en précisant que les difficultés économiques étaient notamment caractérisées par une évolution significative d'au moins un indicateur économique comme une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation. Le législateur a également mentionné, selon la taille de l'entreprise, le nombre de trimestres devant être retenus pour pouvoir apprécier l'évolution significative.

· Des mutations technologiques se traduisant par une transformation de l'emploi. Il peut s'agir par exemple de l'automatisation ou de la numérisation d'une grande partie des attributions d'un salarié, ou encore d'une réorganisation de la chaîne de production consécutive à l'apparition d'un nouveau procédé technique.

· Une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. Ce critère englobe, par exemple, les cas dans lesquels la situation du marché ou des entreprises concurrentes fait ressortir l'inadaptation de l'organisation de l'entreprise.

· Une cessation d'activité de l'entreprise, qui ne justifie le licenciement que si la fermeture de l'entreprise est définitive et complète.

Il convient de noter qu'une ordonnance du 22 septembre 20178(*) a défini le périmètre d'appréciation de ces causes économiques : il s'agit du niveau de l'entreprise si celle-ci n'appartient pas à un groupe. Sinon, les difficultés économiques et les autres causes s'apprécient au niveau du secteur d'activité commun à l'entreprise et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national. Le législateur a donc exclu une appréciation sur un périmètre européen ou mondial, pour les grands groupes, comme le juge pouvait parfois le retenir afin de considérer le licenciement sans cause réelle ni sérieuse9(*).

2. Les procédures s'appliquant aux licenciements pour motifs économiques : des exigences accrues pour les entreprises de plus de 50 salariés

La procédure applicable au licenciement économique varie à la fois selon l'ampleur du licenciement et selon la taille de l'entreprise. Concernant le nombre de licenciements opérés, le code du travail distingue :

- le licenciement économique individuel, pour lequel un entretien préalable avec le salarié est obligatoire, ainsi que la notification du licenciement par une lettre comportant l'énoncé des motifs économiques10(*) ;

- le « petit licenciement collectif » concernant de deux à neuf salariés dans une même période de 30 jours, pour lequel les conditions mentionnées ci-avant s'appliquent et auxquelles s'ajoutent une obligation de consulter le comité social et économique (CSE) dans les entreprises de plus de onze salariés dotées d'une telle instance et d'en informer le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) ;

- le « grand licenciement collectif » de 10 salariés ou plus dans une même période de 30 jours, pour lequel les obligations procédurales sont beaucoup plus fournies, notamment pour les entreprises de plus de 50 salariés.

En effet, les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues de recourir à un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) pour les licenciements collectifs de dix salariés ou plus afin d'éviter les licenciements ou d'en limiter le nombre11(*). Le PSE doit ainsi comporter des actions en vue du reclassement interne des salariés sur le territoire national, des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités pour éviter la fermeture d'un établissement, des actions favorisant le reclassement externe dans le bassin d'emploi etc. Il peut également prévoir un plan de départs volontaires.

Ce PSE peut être déterminé par un accord collectif12(*) ou, à défaut, être établi par un document unilatéral de l'employeur13(*). Depuis la loi du 14 juin 201314(*), le PSE doit également recueillir la validation (pour les accords collectifs) ou l'homologation (pour les documents unilatéraux) du Dreets, qui peut dès lors proposer des modifications de ce PSE avant la dernière réunion du CSE.

B. Le droit proposé : interdire le recours au licenciement économique pour les entreprises dont l'activité et les opérations financières manifestent une absence de difficultés économiques

1. Dans un contexte de dégradation de la situation de l'emploi, les décisions prises par les entreprises en tant qu'employeurs font l'objet d'une attention renouvelée

a) La dégradation du marché du travail s'explique en partie par une multiplication des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE)

Après une évolution relativement favorable depuis 2022, l'emploi salarié a connu en 2024 une première contraction, qui se retrouve dans tous les grands secteurs. Au regard de la multiplication des procédures collectives, l'Insee anticipe une dégradation de 100 000 emplois au 1er juin 2025 par rapport à l'année dernière15(*).

Ces difficultés rencontrées par les entreprises sont particulièrement perceptibles dans l'augmentation des PSE. En 2024, le nombre de PSE initiés s'est élevé à 664, en augmentation de 30 % par rapport à l'année 2023, ce qui se rapproche de manière inquiétante du pic connu en 2020 dans le contexte de la crise du covid (860 procédures), mais demeure bien en deçà de la vague observée après la crise financière de 2008 (2 245 procédures).

Synthèse des PSE et du maximum de licenciements autorisés

Année

2020

2021

2022

2023

2024

Total

Nombre PSE

612

608

300

402

565

2 487

Ruptures max.

56 000

63 000

23 000

36 000

55 000

233 000

Source : Dares

Selon les chiffres communiqués par la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP), les secteurs d'activité les plus concernés en la matière en 2024 étaient l'industrie manufacturière (24,7 %), le commerce (21,4 %) et les activités dites de services administratifs et de soutien (20,9 %). Par ailleurs, il faut souligner que près deux tiers des PSE initiés en 2024 concernaient des entreprises de moins de 250 salariés.

b) Face à cette multiplication des PSE, la pertinence des raisons économiques alléguées par les entreprises fait l'objet d'une attention renouvelée

· Depuis septembre 2024, l'actualité médiatique16(*) et parlementaire a accordé une attention particulière aux causes des licenciements économiques rencontrés dans l'économie. Les organisations syndicales auditionnées lors de l'instruction du présent texte ont permis de souligner que le droit en vigueur permet de valider des PSE liée à une fermeture de site alors même qu'au niveau du groupe, l'entreprise demeure bénéficiaire.

Parmi les cas les plus emblématiques rencontrés depuis 2024, il faut souligner :

- la fermeture des sites de Cholet (Maine-et-Loire) et de Vannes (Morbihan), avec 1 254 emplois supprimés alors que le groupe Michelin a versé 1,4 milliard d'euros à ses actionnaires en 2024 ;

- le PSE de Thalès Alenia Space prévoyant la suppression de 980 emplois (Haute-Garonne et Alpes-Maritimes), tandis que le groupe Thalès a versé 600 millions d'euros de dividendes et procédé à 500 millions d'euros de rachat d'actions sur la même année ;

- le PSE de Sanofi (Val-de-Marne et Hérault), concernant plus de 330 personnes, alors que le groupe bénéficie pour la même année d'une masse financière importante liée au crédit d'impôt recherche (CIR), d'une somme de 100 millions d'euros grâce au crédit d'impôt, et a versé près de 4,4 milliards d'euros de dividendes en 2023 et procédé à 600 millions d'euros de rachat d'actions ;

- le sidérurgiste ArcelorMittal France envisage dans le cadre d'un PSE, la suppression de 637 emplois, après avoir distribué en moyenne 200 millions d'euros de dividendes par an durant les dix dernières années.

Face à ces situations, conformes au droit en vigueur, plusieurs initiatives parlementaires ont vu le jour afin d'interroger la pertinence des critères de « raisons économiques » retenues par le législateur pour les licenciements économiques :

- l'examen du projet de loi de finances, lors de l'automne budgétaire, a fait l'objet de nombreux débats sur certaines pratiques des grandes entreprises, souvent en lien avec l'existence de licenciements dans le même temps. Ainsi, l'article 96 de la loi de finance pour 202517(*) a introduit une taxe de 8 % sur les réductions de capital résultant de certaines opérations de rachat de leurs propres titres par certaines sociétés, parfois appelées « rachat d'actions » ;

- la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, créée au Sénat le 20 janvier 2025 à l'initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K)18(*) met en avant, dans l'exposé des motifs de sa résolution, « les suppressions d'emplois [qui] se poursuivent dans la plupart des multinationales françaises, alors que nous assistons à des records de bénéfices, de distributions de dividendes, de rachats d'actions » ;

- la commission d'enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements, créée le 19 mars 2025, à l'initiative du groupe écologiste et social de l'Assemblée nationale, entend ainsi s'interroger sur la responsabilité de l'État, mais également des grandes entreprises, dans la multiplication des PSE. La proposition de résolution qui est à son origine souligne le cas « de grandes entreprises, [qui] tout en percevant des aides publiques massives, continuent de supprimer des emplois, de délocaliser leurs productions et de faire exploser les dividendes de leurs actionnaires ».

La position de la commission des affaires sociales lors de la discussion de la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers

La proposition de loi n°790 (2010-2011) tendant à interdire les licenciements boursiers, déposée par la sénatrice Annie David le 13 septembre 2011, prévoyait que le licenciement d'un salarié, par une entreprise ayant distribué des dividendes aux actionnaires durant l'exercice comptable de l'année écoulée, ne pouvait être justifié par à un motif économique.

L'exposé des motifs de ladite proposition de loi s'appuyait particulièrement sur le cas de l'entreprise Michelin qui, le 8 septembre 1999, a annoncé simultanément, une augmentation de 20 % du bénéfice semestriel de son entreprise et la suppression, sur trois ans, de 7 500 emplois, soit 10 % des effectifs du groupe en Europe. Le volume de titres échangés sur les marchés atteint un niveau particulièrement élevé, et la valeur de l'action Michelin augmente de plus de 11% au cours de la journée, permettant par la suite une distribution de dividendes.

Lors de son examen, la commission des affaires sociales a adopté un dispositif fidèle à l'intention de son auteur, mais les débats en séance ont conduit à un rejet du texte.

Ces différents travaux ont en commun de souhaiter intégrer dans l'appréciation des « difficultés économiques rencontrées par l'entreprise », un faisceau d'indices plus large faisant entrer l'ensemble des opérations réalisées par l'entité économique concernée. Il s'agit notamment de prendre en compte :

- la distribution de dividendes par l'entreprise. Cette dernière correspond à l'attribution d'une part des bénéfices distribuables de la société aux possesseurs de son capital19(*), c'est-à-dire aux actionnaires. La décision de distribuer des dividendes, et leur montant, est actée par l'assemblée annuelle, et entraîne à court terme la diminution du cours de l'action de l'ordre du montant du dividende distribué ;

- l'attribution de stock-options20(*) ou d'actions gratuites21(*) par l'entreprise. Ces deux opérations relèvent de l'actionnariat salarié et permettent aux entreprises, et connaissent un régime socialo-fiscal incitatif. Les stock-options consistent à permettre aux salariés d'acquérir un montant d'actions de l'entreprise à un prix plus avantageux dans un certain délai, et suppose donc une participation financière de leur part, à la différence de l'attribution gratuite d'action ;

- le rachat d'actions22(*), qui consiste pour une entreprise à racheter ses propres actions sur le marché. Cette opération peut viser à alimenter le programme d'actionnariat salarié de l'entreprise, ou bien à annuler les actions afin de diminuer le capital social de l'entreprise et ainsi conforter son cours de bourse au profit de ses actionnaires existants ;

- le fait d'avoir bénéficié du crédit d'impôt recherche (CIR)23(*), avantage fiscal qui permet aux entreprises de déduire certaines dépenses de recherche-développement de l'impôt dû sur les bénéfices, qu'il s'agisse d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés.

2. Présentation du dispositif 

Le présent article propose de créer un article L. 1233-3-1 au sein du code du travail, visant à interdire à une entreprise de plus de 249 salariés d'invoquer un motif économique lors d'un licenciement si, lors du dernier exercice comptable de l'année écoulée, cette dernière a pu :

- procéder à la distribution de dividendes ;

- distribuer des stock-options ou des actions gratuites, ou bien a procédé à une opération de rachat d'action ;

- connaître un résultat net ou d'exploitation positif ;

- bénéficier du CIR, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi24(*) ou de la réduction de cotisations patronales prévue à l'article L.  241-13 du code de la sécurité sociale25(*). Pour ces dispositifs fiscaux et sociaux, le 4° du présent article confie à l'inspection du travail le soin de procéder aux vérifications nécessaires.

II - La position de la rapporteure : une mesure nécessaire afin de définir plus justement la réalité des difficultés rencontrées par les entreprises qui procèdent à des licenciements économiques

La rapporteure constate que cet article propose effectivement un meilleur encadrement des licenciements économiques, en permettant une caractérisation plus globale de la situation économique rencontrée par l'entreprise.

En codifiant les critères pouvant être invoqués à l'appui d'un licenciement économique par l'employeur, le législateur a restreint de façon trop importante le niveau des difficultés économiques permettant un tel licenciement. Il ne s'agit pas de remettre en cause la pertinence les critères des commandes, du chiffre d'affaires ou de la trésorerie de l'entreprise, mais plutôt de considérer que d'autres éléments gagneraient être pris en compte pour juger de la situation de cette dernière. Notamment, la capacité d'une entreprise à distribuer des dividendes ou à poursuivre un programme d'actionnariat salarié en faveur de ses dirigeants peuvent légitimement être considérés comme signalant une absence de difficultés économiques réelles. Dès lors, l'interdiction du recours à un licenciement économique durant une période d'un an paraît proportionnée et souhaitable.

Concernant l'interdiction du recours à un licenciement pour motif économique en cas de bénéficie d'aides publiques, telles que le CIR, le CICE ou bien les exonérations de cotisations patronales , la rapporteure considère qu'il s'agit d'une mesure utile de responsabilisation des employeurs. En effet, ayant bénéficié d'argent public pour financer leur innovation ou soutenir leur compétitivité, il paraît légitime que ces derniers s'engagent implicitement à maintenir leur niveau d'emploi durant au moins une année.

Enfin, la rapporteure considère que le dispositif du présent article répond à l'incompréhension profonde des salariés victimes de licenciements économiques, et plus largement de l'opinion publique, face à des situations où les bénéfices d'une entreprise semblent pouvoir être mobilisés au bénéfice de son actionnariat, mais pas de ses collaborateurs.

*

**

Toutefois, dans sa majorité, la commission n'a pas suivi la logique développée par la rapporteure. Elle a ainsi rejeté cet article considérant notamment qu'il était nécessaire que les entreprises puissent s'adapter aux évolutions économiques pour rester compétitives et que l'application de cet article aux employeurs bénéficiant des allègements de cotisations sociales revenait à interdire complétement le licenciement économique à la plupart des entreprises.

La commission n'a pas adopté cet article.

Article 2
Sanction des licenciements économiques sans cause réelle et sérieuse

Cet article propose de sanctionner l'employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié en le privant de certaines aides publiques.

La commission n'a pas adopté cet article.

I°- Le dispositif proposé : dissuader les employeurs de licencier pour motif économique sans cause réelle et sérieuse

A. Le droit existant : les conséquences d'un licenciement économique sans cause réelle et sérieuse

En vertu de l'article L. 1233-2 du code du travail, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Ainsi que le rappelle la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP), l'administration, y compris dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), n'opère aucun contrôle a priori du motif économique invoqué pour le licenciement. C'est au juge judiciaire d'apprécier a posteriori si cette exigence est respectée en contrôlant le caractère réel et sérieux de la cause justificative invoquée par l'employeur, ainsi que l'incidence de ce motif économique sur l'emploi du salarié licencié. Le juge vérifie également le respect de l'obligation de reclassement26(*) dont le manquement de la part de l'employeur prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Si le juge du fond vérifie que le licenciement n'a pas été provoquée par la faute ou la légèreté blâmable de l'employeur27(*), il se refuse, en revanche, à se substituer à l'employeur dans les choix de gestion de l'entreprise.

Comme pour tout licenciement28(*), en l'absence de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, que l'une ou l'autre des parties peut refuser. Dans ce cas, ou, plus souvent, d'office, le juge ordonne à l'employeur fautif de verser des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, lesquelles suivent un barème fixé par la loi depuis une ordonnance du 22 septembre 201729(*) et sont donc plafonnées.

En outre, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, le juge ordonne le remboursement des allocations chômage versées aux salariés concernés du jour de leur licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié.

B. Le droit proposé : sanctionner d'un retrait d'aides publiques les employeurs procédant à des licenciements injustifiés

Le présent article propose de créer un article L. 1233-3-1 du code du travail qui priverait du bénéfice de certains dispositifs d'aide publique, pour une durée maximale de trois ans, les employeurs ayant procédé à un licenciement économique jugé abusif30(*) au sens de l'article L. 1233-2 précité exigeant une cause réelle et sérieuse aux licenciements économiques.

Seraient ainsi sanctionnés les employeurs se rendant fautifs d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse selon les dispositions déjà prévues dans le code du travail (voir supra), ainsi que les entreprises de plus de 250 salariés ne respectant les interdictions fixées par le nouvel article L. 1233-2-1 créé par l'article 1er de la présente proposition de loi.

Le juge prononcerait cette peine après avoir constaté l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Cette peine se conjuguerait au prononcé de versement d'indemnités et de remboursement des allocations chômage.

La nature de la sanction serait la perte, pour une durée maximale de trois ans, du bénéfice du crédit d'impôt recherche31(*), du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) applicable à Mayotte32(*) et des allègements dégressifs de cotisations sociales patronales33(*). Si l'employeur fautif était déjà bénéficiaire de ces dispositifs, il devrait rembourser les sommes perçues au cours du dernier exercice comptable précédant le licenciement économique jugé fautif.

II - La position de la rapporteure : une mesure souhaitable pour renforcer l'arsenal dissuasif contre les licenciements économiques sans cause réelle et sérieuse

La rapporteure constate que ce second article apporte une garantie juridictionnelle plus importante aux interdictions de licencier pour motif économique prévues à l'article 1er. Les présentes dispositions sont donc garantes de l'efficacité du dispositif proposé par la proposition de loi.

Elles renforcent l'effet dissuasif des dispositions du code du travail à l'encontre des employeurs tentés de licencier en l'absence de cause réelle et sérieuse, alors que la protection apportée par le droit du travail a été amoindrie depuis 2016 et 2017, comme l'ont indiqué les organisations syndicales entendues en audition par la rapporteure. Non seulement le code du travail a reconnu de nouveaux motifs justificatifs du licenciement économique34(*), mais le périmètre d'appréciation des causes économiques au licenciement a également été modifié pour les entreprises appartenant à un groupe au détriment des salariés35(*). En outre, les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse sont désormais plafonnées36(*), réduisant le risque encouru par les employeurs fautifs.

La rapporteure estime donc que le présent article rééquilibrerait le droit du licenciement économique devenu trop défavorable aux salariés, en renchérissant le coût d'un licenciement injustifié pour l'employeur reconnu fautif par le conseil des prud'hommes.

Enfin, au-delà du droit du travail, cet article introduirait la conditionnalité des aides publiques à un comportement vertueux des entreprises vis-à-vis de l'emploi. Ainsi, dans un contexte plus difficile pour les finances publiques et pour le marché du travail, le bénéfice d'exonération de cotisations sociales, pensées pour soutenir l'emploi, ne peut être détachable d'une responsabilisation des moyennes et grandes entreprises. Il s'agit là d'une question de moralisation de la vie économique alors que les PSE intervenant en concomitance avec certaines mesures en faveur de l'actionnariat ou d'annonces de bénéfices importants choquent, à juste titre, l'opinion publique.

*

**

Toutefois, dans sa majorité, la commission n'a pas suivi la logique développée par la rapporteure. Elle a ainsi rejeté cet article considérant que le droit existant du licenciement économique apportait des garanties suffisantes pour les salariés.

La commission n'a pas adopté cet article.


* 2 Article L. 1233-3 du code du travail.

* 3 Ordonnance n° 45-1030 du 24 mai 1945 relative au contrôle de l'emploi.

* 4 Loi n° 89-549 du 2 août 1989 modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

* 5 Voir par exemple Cass. Soc., 5 avril 1995, Thomson Videocolor n° 93-42.690 et Cass. Soc. 16 janvier 2001, Morvant, n°98-44.647 concernant respectivement la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et sa cessation d'activité.

* 6 Le code du travail laisse donc la possibilité au juge de discerner d'autres motifs.

* 7 Loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

* 8 Ordonnance 2017-1397 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

* 9 Rapport n° 194 (2017-2018) du 20 décembre 2017 de M.Alain Milon sur le projet de loi de ratification des ordonnances du 22 septembre 2017, p. 103.

* 10 Art. L. 1233-16 du code du travail.

* 11 Art. L. 1233-61 du code du travail.

* 12 Art. L. 1233-24-1 du code du travail.

* 13 Art. L. 1233-24-4 du code du travail.

* 14 Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi.

* 15 Insee, Note de conjoncture du 18 mars 2025 « Désordre mondial, croissance en berne ».

* 16 Voir par exemple, Le Monde, 5 novembre 2024, « Plans sociaux : Michel Barnier réclame des comptes aux entreprises » et 19 avril 2025 « Les Plans sociaux se multiplient dans les enseignes du commerce ».

* 17 Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

* 18 Propositions de résolution n° 165 (2024-2025) de Mme Cécile CUKIERMAN, M. Fabien GAY et plusieurs de leurs collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête relative à l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et leurs sous-traitants.

* 19 Article L. 232-12 du code de commerce.

* 20 Article L. 225-179 du code de commerce.

* 21 Article L. 225-197-1 du code de commerce.

* 22 Article L. 225-209-2 du code de commerce.

* 23 Article L. 244 quater B du code général des impôts.

* 24 Si en 2019 le CICE a été transformé en une exonération de cotisations d'assurance maladie pérenne, parfois appelée « bandeau maladie » dans la quasi intégralité du territoire national, il a cependant été maintenu à Mayotte.

* 25 Il s'agit de la réduction générale de cotisations et contributions patronales qui s'applique aux gains et rémunérations inférieurs à 1,6 SMIC, applicable pour l'ensemble des salariés concernés.

* 26 Article L. 1233-4 du code du travail.

* 27 Cass. soc., 22 septembre 2015, n° 14-15520 ; Cass. soc. 24 mai 2018, n° 1712560.

* 28 Article L. 1235-3 du code du travail.

* 29 Ordonnance n° 2017-1387 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

* 30 Il convient de noter que, si la notion de licenciement abusif se confond souvent, dans l'usage commun, avec le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ces deux catégories juridiques doivent en principe être distinguées en droit du travail (Cf. Emmanuel Dockès, « Le retour du licenciement abusif », Dr. soc. 2018, p. 541). Un licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse peut donc par ailleurs être jugé abusif au regard notamment des circonstances brutales ou vexatoires dans lequel il est intervenu.

* 31 Article 244 quater B du code général des impôts.

* 32 Article 244 quater C du code général des impôts.

* 33 Article L. 241-13 du code de la sécurité sociale.

* 34 Article 67 de la loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

* 35 Article 15 de l'ordonnance 2017-1397 précitée.

* 36 Article 2 de l'ordonnance 2017-1397 précitée.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page