- L'ESSENTIEL
- EXAMEN DES ARTICLES
- Article 1er
Exigence de motivation des contrôles d'identité
et caractère non discriminatoire
- Article 2
Mesures de restriction du cadre juridique régissant les contrôles d'identité
- Article 3
Remise d'une attestation aux personnes ayant fait l'objet d'un contrôle d'identité
- Article 4
Activation systématique du dispositif de caméras piétons lors des contrôles d'identité
- Article 1er
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU
RÈGLEMENT DU SÉNAT
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 587
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 mai 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population,
Par M. François BONHOMME,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
Mme Muriel Jourda, présidente ;
M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La
Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain,
Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman,
MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset,
vice-présidents ; M. André Reichardt,
Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier
Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine
Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie
Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer,
MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco,
Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende,
MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier,
Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte,
Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul
Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia,
M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva
Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis
Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel,
Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
54 et 588 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La proposition de loi n° 54 (2024-2025) tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population a été déposée le 17 octobre 2024 par Corine Narassiguin et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain et inscrite à l'ordre du jour réservé de ce dernier. Elle vise à renforcer l'encadrement des contrôles d'identité, dans un souci de prévention des risques de discriminations. Ses quatre articles tendent ainsi à réaffirmer l'exigence de motivation des contrôles d'identité ainsi que leur caractère non discriminatoire, à restreindre les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre peuvent y procéder - en particulier dans un cadre de police administrative -, à créer un dispositif de récépissé permettant d'en assurer la traçabilité ainsi qu'à prévoir l'activation systématique des caméras piétons des agents y procédant.
La commission des lois n'a pas adopté cette proposition de loi, considérant qu'elle n'était ni nécessaire, ni opportune.
Elle n'est tout d'abord pas nécessaire, dans la mesure où le droit existant apporte déjà de solides garanties pour prévenir le risque de contrôles discrétionnaires, discriminatoires ou dont les conditions de réalisation seraient contraires au principe de dignité des personnes. La réaffirmation proposée de l'exigence de motivation des contrôles d'identité ainsi que de leur caractère non discriminatoire est donc redondante (article 1er).
Cette proposition de loi n'est pas non plus opportune, en ce qu'elle restreindrait excessivement le recours à un procédé indéniablement utile aux forces de l'ordre pour l'exercice de leurs missions, aussi bien au titre des enquêtes pénales que de la prévention des troubles à l'ordre public. La commission ne partage en effet pas la philosophie sous-jacente de la proposition de loi remettant en cause l'efficacité des contrôles d'identité, voire les présumant discriminatoires. Si le volume de contrôles d'identité réalisés en France est certes important, les signalements recueillis en la matière demeurent en effet particulièrement modestes. Le Conseil d'État a du reste écarté le raisonnement attribuant un caractère « systémique » à ces contrôles discriminatoires qui, sans nier leur existence, demeurent heureusement l'exception0F1(*). Dans ce contexte, la réduction du nombre de contrôle d'identité ne saurait être une fin en soi et la commission s'est opposée à la limitation de leurs fondements légaux (article 2).
La création d'un dispositif de récépissé ne présente pas non plus de plus-value évidente, y compris pour les personnes contrôlées (article 3). Elle se traduirait a contrario par une charge administrative nouvelle pour les agents, au risque de les détourner du bon exercice de leurs missions, et ce dans des contextes souvent marqués par l'urgence. Si la commission ne remet pas en cause l'objectif d'une meilleure traçabilité des contrôles d'identité, elle invite néanmoins à privilégier les pistes d'aménagements techniques existant aujourd'hui, lesquelles ne requièrent pas l'intervention du législateur et seraient potentiellement plus efficaces.
L'activation systématique des caméras piétons des agents procédant à un contrôle d'identité n'apparaît enfin pas plus pertinente (article 4). D'une part, la jurisprudence constitutionnelle tend davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser. D'autre part, elle se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant des capacités de stockage requises.
I. LE CONTRÔLE D'IDENTITÉ : UN OUTIL INDÉNIABLEMENT UTILE AUX FORCES DE L'ORDRE
Juridiquement, les contrôles d'identité trouvent leur fondement dans les articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, celui-ci disposant que « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police » habilitées par la loi. Ces contrôles peuvent être réalisés soit dans un cadre judiciaire, pour la recherche de l'auteur d'une infraction, soit dans un cadre administratif, aux fins de prévenir une atteinte à l'ordre public.
Les contrôles d'identité sont des outils indéniablement utiles aux forces de l'ordre dans l'exercice de leurs missions, comme cela a été rappelé avec force par les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales lors de leurs auditions. La Cour des comptes a également souligné, dans un rapport de décembre 2023 commandé par la Défenseure des droits1F2(*), que cette pratique occupe une « place centrale dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique ». En termes de volume, la Cour a dénombré, pour l'année 2021, près de 47 millions de contrôles d'identité, soit en moyenne neuf contrôles par patrouille et par jour. Dans le détail, 27 millions d'entre eux ont été menés par la police nationale - dont 6,6 millions de contrôles routiers - et 20 millions par la gendarmerie nationale - dont 8,3 millions de contrôles routiers.
Des critiques récurrentes sont néanmoins émises dans le débat public sur le caractère supposément « généralisé » des contrôles d'identité, mettant en doute l'efficacité d'une telle pratique. En réalité, les termes de ce débat sont mal posés. En effet, le contrôle d'identité ne constitue pas une fin en soi, mais simplement un moyen d'action qui s'inscrit dans le cadre plus large de l'exercice de missions de police judiciaire ou administrative.
Dès lors, interroger l'efficacité
des contrôles d'identité en tant que pratique isolée n'est
pas pertinent, car c'est l'efficacité de l'opération dans son
ensemble qu'il convient d'évaluer. Or, celle-ci ne repose
jamais sur la mesure du seul volume de contrôles d'identité
réalisés, mais s'apprécie à l'aune de ses
résultats (volume de stupéfiants saisis, nombre de
délinquants interpellés etc.). À titre d'exemple,
les données communiquées au rapporteur
par la gendarmerie
nationale indiquent qu'en 2024 les 25,8 millions de consultations du
fichier des personnes recherchées réalisées2F3(*) ont permis la découverte
de 34 408 personnes.
II. LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS LIÉES AUX CONTRÔLES D'IDENTITÉ : LA NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE NUANCÉE
Comme la présente proposition de loi en témoigne, la pratique des contrôles d'identité, et en particulier les risques de discriminations qui leur sont associées (« contrôle au faciès »), cristallisent des tensions importantes dans le débat public. Les travaux du rapporteur ont mis en évidence la nécessité d'adopter une approche nuancée en ce domaine.
S'il est indéniable que les contrôles d'identité peuvent être l'occasion de pratiques discriminatoires, il convient tout d'abord de ne pas exagérer l'ampleur du phénomène en pratique. D'après les données communiquées au rapporteur, sur les 4 856 signalements reçus par l'inspection générale de la police nationale en 2024, seuls 29 dénonçaient des propos discriminatoires tenus au cours de contrôles d'identité ou routiers. De même, sur les 4 000 signalements reçus par l'inspection générale de la gendarmerie nationale, seuls 8 allèguent une discrimination et 72 un manquement lié aux conditions d'interpellation ou de contrôle. Dans son rapport annuel d'activité pour l'année 2024, la Défenseure des droits ne cite quant à elle qu'une seule décision concluant au caractère discriminatoire de contrôles d'identité3F4(*). Ces données rapportées au total de contrôles réalisés tendent ainsi à démontrer que la part des contrôles problématiques demeure infime, quand bien même il est probable qu'un phénomène de non-recours existe. Du reste, le Conseil d'État a explicitement écarté en 2023 le raisonnement attribuant aux contrôles d'identité discriminatoires, dont il admet l'existence, un caractère « généralisé » ou « systémique »4F5(*).
Ces dérives ne sauraient ensuite être imputées au cadre juridique, qui apporte toutes les garanties nécessaires en la matière. En particulier, les réserves d'interprétation posées par le Conseil constitutionnel prohibent toute pratique de contrôles d'identité « généralisés et discrétionnaires »5F6(*) ou discriminatoires6F7(*). De surcroît, le code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationale prévoit expressément que, « lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s'il dispose d'un signalement précis motivant le contrôle », et que « le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet »7F8(*).
Ainsi, la lutte contre les discriminations liées aux contrôles d'identité suppose un changement des pratiques plutôt que de la loi. La Cour des comptes a formulé à cet égard plusieurs recommandations pratiques tendant notamment à préciser la doctrine d'emploi des contrôles et les conditions de leur mise oeuvre opérationnelle ainsi qu'à renforcer la formation des agents - qui intègre déjà fortement ces enjeux, avec le concours d'associations spécialisées (Licra, Dilcrah, Flag ! etc.). Dans le cadre de leurs auditions, les services de police et de gendarmerie nationales ont également indiqué souscrire pleinement à ces propositions et avoir amorcé leur mise en oeuvre. La commission, qui n'a pas établi de nécessité ni d'opportunité de légiférer en l'espèce, soutient donc cette approche pragmatique et opérationnelle.
III. UNE PROPOSITION DE LOI EXCESSIVEMENT CONTRAIGNANTE POUR L'ACTION DES FORCES DE L'ORDRE
La proposition de loi comporte quatre articles qui visent à encadrer davantage la pratique des contrôles d'identité et conduisent, selon la commission, à lui apporter des contraintes excessives eu égard aux nécessités opérationnelles des forces de l'ordre.
· L'article 1er tend à réaffirmer, à l'article 78-1 du code de procédure pénale, l'exigence de motivation des contrôles d'identité, leur caractère non discriminatoire, l'impératif du respect de la dignité des personnes contrôlées, ainsi que leur droit au recours.
Ces exigences étant déjà garanties en l'état du droit, la portée du dispositif est exclusivement symbolique. La commission a donc considéré que la nécessité de légiférer n'était pas établie.
· L'article 2 prévoit plusieurs mesures destinées à rendre plus restrictif le cadre juridique régissant les contrôles d'identité.
En premier lieu, il vise à conditionner la
mise en oeuvre des contrôles d'identité
« judiciaires » sur réquisition du procureur de la
République à une demande préalable du représentant
de l'État. Il prévoit également
l'établissement d'un rapport annuel sur ces réquisitions, devant
être rendu public. En second lieu, il tend à restreindre
significativement le champ des contrôles
d'identité « administratifs », en
autorisant les forces de l'ordre à les mener aux seules fins d'assurer
la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou
d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave
à l'ordre public à raison de sa nature et de l'ampleur
de sa fréquentation.
Cet article pose des
difficultés importantes, tant juridiques
qu'opérationnelles : d'une part, il crée une
confusion entre les cadres judiciaires et administratifs ; d'autre part,
induit une restriction excessive de l'action des forces de l'ordre.
· Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d'identité, l'article 3 prévoit la remise systématique d'une attestation à la personne ayant fait l'objet d'un tel contrôle
La commission a relevé que l'article 3 se heurtait à d'importantes difficultés juridiques et opérationnelles, qui avaient par ailleurs déjà conduit le gouvernement à s'opposer à un tel dispositif en 2016. Opérationnellement, la délivrance systématique d'un récépissé alourdirait la procédure de contrôle, sans que la plus-value de ce document pour la personne contrôlée apparaisse de manière évidente. La possession d'un tel récépissé n'exonérerait de fait en rien son détenteur de contrôles postérieurs, ne serait-ce que parce qu'il faudrait alors vérifier la concordance entre son identité et celle figurant sur l'attestation. Techniquement, le dispositif supposerait nécessairement la création d'un fichier de masse, dont la proportionnalité au regard de l'objectif recherché peut être interrogée. Tout en partageant l'objectif d'éliminer toute pratique discriminatoire en matière de contrôles d'identité, la commission a donc considéré que la délivrance de « récépissés » ne constituait pas une solution pertinente et a invité à privilégier les pistes d'aménagements techniques existantes, au premier rang desquelles une modification de l'architecture du fichier des personnes recherchées.
· L'article 4 prévoit une activation systématique du dispositif de caméras piétons lors des contrôles d'identité.
La commission n'a pas davantage adopté cet article, considérant, d'une part, que la jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser et, d'autre part, qu'il se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant du nombre de caméras nécessaires et des capacités de stockage requises.
*
* *
Réunie le mercredi 6 mai 2025, la commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi n° 54 (2024-2025) tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population.
En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Exigence de motivation des contrôles
d'identité
et caractère non discriminatoire
L'article 1er vise à affirmer, à l'article 78-1 du code de procédure pénale qui pose le fondement juridique des contrôles d'identité réalisés par les forces de sécurité intérieure, l'exigence de motivation de ces contrôles ainsi que leur caractère non discriminatoire. Il affirme également l'impératif du respect de la dignité des personnes concernées, ainsi que leur droit au recours.
L'ensemble de ces exigences étant déjà garanties en l'état du droit, la portée du dispositif est d'ordre symbolique. La nécessité de légiférer n'étant pas établie, la commission n'a pas adopté cet article.
1. Les contrôles d'identité mis en oeuvre par les forces de sécurité intérieure sont régis par un cadre juridique précis
La pratique des contrôles d'identité trouve son fondement dans l'article 78-1 du code de procédure pénale, qui dispose que « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police » habilitées par la loi.
Cette pratique, comme l'a souligné la Cour des comptes dans un rapport de décembre 20238F9(*), occupe une « place centrale dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique ». Pour l'année 2021, la Cour a ainsi dénombré 47 millions de contrôles d'identité, soit en moyenne neuf contrôles par patrouille et par jour. Dans le détail, 27 millions d'entre eux ont été menés par la police nationale (dont 6,6 millions de contrôles routiers) et 20 millions par la gendarmerie nationale (dont 8,3 millions de contrôles routiers).
Le cadre juridique régissant les contrôles d'identité est défini par les articles suivants du code de procédure pénale. En synthèse, les contrôles d'identité peuvent être réalisés soit dans un cadre judiciaire soit dans un cadre administratif.
Les contrôles d'identité « judiciaires » peuvent être réalisés à l'initiative d'un officier de police judiciaire (ou d'un agent de police judiciaire agissant sous sa responsabilité), à l'égard de toute personne pour laquelle il existe une raison plausible de soupçonner qu'elle :
- a commis ou tenté de commettre une infraction ;
- se prépare à commettre un crime ou un délit ;
- est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit ;
- a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'une mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique, d'une peine ou d'une mesure suivie par le juge de l'application des peines ;
- fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire9F10(*).
Toujours dans un cadre judiciaire, des contrôles d'identité peuvent être réalisés sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise10F11(*).
Les contrôles d'identité « administratifs » peuvent être réalisés selon les mêmes modalités, hors réquisition d'un magistrat et quel que soit le comportement de la personne concernée, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens11F12(*).
La loi autorise également la conduite de contrôles d'identité administratifs dits « frontaliers ». Ceux-ci peuvent être réalisés dans des zones définies par la loi aux abords des frontières ainsi que dans les ports, les aéroports et les gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international sous certaines conditions. Il est précisé que ces contrôles ne peuvent pas être pratiqués pour une durée supérieure à 12 heures consécutives dans un même lieu et ne doivent pas consister en un contrôle systématique de toutes les personnes circulant dans ces zones12F13(*).
2. Le dispositif proposé : affirmer la nécessaire motivation des contrôles d'identité, leur caractère non discriminatoire, l'absence d'atteinte à la dignité des personnes et le droit au recours
Le présent article tend à modifier l'article 78-1 du code de procédure pénale pour préciser que les contrôles d'identité :
- doivent être motivés ;
- excluent toute discrimination telles que définies aux articles 225-1 à 225-4 du code pénal ;
- doivent être mis en oeuvre dans le respect de la dignité des personnes ;
- sont susceptibles de recours.
3. La position de la commission : un dispositif symbolique, relatif à des exigences déjà garanties par le droit en vigueur
L'ensemble des exigences que le présent article entend poser sont déjà garanties par le droit en vigueur.
En premier lieu, l'exigence de motivation des contrôles d'identité découle nécessairement du cadre présenté supra, dans la mesure où tout contrôle qui ne trouverait pas son fondement dans l'un des régimes prévus serait illégal. En particulier, les dispositions régissant les contrôles d'identité « administratifs » doivent être appliquées en tenant compte de la réserve d'appréciation émise par le Conseil constitutionnel prohibant les contrôles d'identité « généralisés et discrétionnaires » et imposant à l'autorité judiciaire de « justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle »13F14(*).
En deuxième lieu, l'exigence d'absence de discrimination des contrôles d'identité est également garantie au niveau constitutionnel. Saisi par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a clairement énoncé que « la mise en oeuvre des contrôles ainsi confiés par la loi aux autorités compétentes ne saurait s'opérer qu'en se fondant sur des critères excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes »14F15(*). Aussi, le code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationale, de portée réglementaire, et spécifiquement l'article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure prévoit-il expressément que : « lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s'il dispose d'un signalement précis motivant le contrôle »15F16(*).
Le juge judiciaire a d'ailleurs considéré qu'un contrôle d'identité discriminatoire, « réalisé selon des critères liés à des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable », constitue une faute lourde du service public de la justice engageant la responsabilité de l'État16F17(*).
En troisième lieu, l'exigence de respect de la dignité des personnes est également garantie par le code de déontologie précité, qui prévoit que « le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet »17F18(*).
Enfin, dans l'hypothèse d'un contrôle d'identité méconnaissant ces exigences, le droit à un recours juridictionnel est pleinement garanti. Dans la mesure où les contrôles d'identité sont soumis au contrôle de l'autorité judiciaire18F19(*), toute personne peut former une action en réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice19F20(*).
En outre, comme l'a indiqué le Conseil d'État, « la responsabilité de l'État peut également être recherchée devant le juge administratif s'il est soutenu que, par un manquement à ses obligations dans le cadre de ses missions d'organisation du service public judiciaire, il peut être regardé comme ayant contribué directement à la commission de contrôles d'identité irréguliers, notamment en raison de leur caractère discriminatoire »20F21(*).
En dehors des recours juridictionnels, des signalements peuvent également être effectués auprès de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale, qui ont chacune mis en en place une plateforme dédiée aisément accessible. Les personnes concernées ont également la possibilité de saisir la Défenseure des droits. Ces procédures sont susceptibles de donner lieu, le cas échéant, à une action disciplinaire ou pénale contre les agents en cause.
S'il est indéniable que les contrôles d'identité peuvent être l'occasion de pratiques discriminatoires, il convient tout d'abord de ne pas exagérer l'ampleur du phénomène en pratique.
D'après les données communiquées au rapporteur, sur les 4 856 signalements reçus par l'inspection générale de la police nationale en 2024, seuls 29 dénonçaient des propos discriminatoires tenus au cours de contrôles d'identité ou routiers. De même, sur les 4 000 signalements reçus par l'inspection générale de la gendarmerie nationale, seuls 8 alléguaient une discrimination et 72 un manquement lié aux conditions d'interpellation ou de contrôle. Dans son rapport annuel d'activité pour l'année 2024, la Défenseure des droits ne cite quant à elle qu'une seule décision concluant au caractère discriminatoire de contrôles d'identité21F22(*).
Ces données rapportées au total de contrôles réalisés tendent ainsi à démontrer que la part des contrôles problématiques demeure infime, quand bien même il est probable qu'un phénomène de non-recours existe. Du reste le Conseil d'État a explicitement écarté en 2023 le raisonnement attribuant aux contrôles d'identité discriminatoires, dont il admet l'existence, un caractère « généralisé » ou « systémique »22F23(*).
Si de telles atteintes à la légalité appellent une action résolue des autorités compétentes, la lutte contre les discriminations liées aux contrôles d'identités suppose un changement des pratiques plutôt que de la loi. La Cour des comptes a formulé à cet égard plusieurs recommandations pratiques tendant notamment à préciser la doctrine d'emploi des contrôles et les conditions de leur mise oeuvre opérationnelle ainsi qu'à renforcer la formation des agents - qui intègre déjà fortement ces enjeux, avec le concours d'associations spécialisées (Licra, Dilcrah, Flag ! etc.). Dans le cadre de leurs auditions, les services de police et de gendarmerie nationales ont également indiqué souscrire pleinement à ces propositions et avoir amorcé leur mise en oeuvre. La commission, qui n'a pas établi de nécessité ni d'opportunité de légiférer en l'espèce, soutient donc cette approche pragmatique et opérationnelle.
En l'espèce, dans la mesure où il n'apporte aucune garantie juridique supplémentaire concernant la pratique des contrôles d'identité par rapport à celles déjà existantes en l'état du droit, le présent article revêt une dimension uniquement symbolique. L'absence de nécessité de légiférer étant établie, la commission des lois a décidé de ne pas adopter cet article.
La commission n'a pas adopté l'article 1er.
Article 2
Mesures de restriction du cadre juridique régissant
les contrôles d'identité
L'article 2 prévoit plusieurs mesures destinées à rendre plus restrictif le cadre juridique régissant les contrôles d'identité.
En premier lieu, il vise à conditionner la mise en oeuvre des contrôles d'identité « judiciaires » sur réquisition du procureur de la République à une demande préalable du représentant de l'État. Il prévoit également l'établissement d'un rapport annuel sur ces réquisitions, devant être rendu public.
En second lieu, il tend à restreindre significativement le champ des contrôles d'identité « administratifs », en n'autorisant les forces de l'ordre à les mener qu'aux seules fins d'assurer la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation.
La commission a considéré que le dispositif proposé, d'une part, crée une confusion entre les cadres judiciaire et administratif et, d'autre part, induit une restriction excessive de l'action des forces de l'ordre. Par conséquent, elle n'a pas adopté cet article.
1. Une conditionnalité de la mise en oeuvre des contrôles d'identité « judiciaires » sur réquisition du procureur de la République, source de confusion avec le régime « administratif »
En l'état du droit, le septième alinéa de l'article 78-2 du code de procédure pénale dispose que « sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être (...) contrôlée (...) dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat » 23F24(*).
Le a) du 1° du présent article tend à modifier cette disposition de façon à prévoir que cette réquisition du procureur de la République puisse être prise sur demande motivée du représentant de l'État dans le département ou, à Paris, du préfet de police. Le procureur de la République conserverait la faculté de prendre une telle réquisition de sa propre initiative.
Une telle évolution ne semble pas opportune, dans la mesure où elle créerait une confusion entre les régimes « judiciaire » et « administratif » de contrôle d'identité.
Le régime visé concerne la recherche et la poursuite d'infractions, missions relevant exclusivement de l'autorité judiciaire et sur lesquelles l'autorité administrative n'a aucune compétence. Une telle mesure paraît même constitutive d'un empiètement du pouvoir exécutif sur les prérogatives de l'autorité judiciaire, susceptible de porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
Par ailleurs, le b) du même 1° prévoit l'établissement d'un rapport annuel sur ces réquisitions, devant être rendu public. Un tel dispositif ne trouve aucun équivalent dans la procédure pénale. Outre qu'une telle obligation aurait pour effet d'alourdir fortement la charge administrative des parquets, le fait d'imposer la publication de détails relatifs aux réquisitions (périmètres, durée, infractions concernées...) reviendrait en outre à livrer aux délinquants de précieuses informations sur les méthodes des enquêteurs.
Si l'objectif d'une meilleure traçabilité des contrôles menés, aux fins d'une meilleure connaissance de cette pratique, peut être partagé - il s'agit d'une recommandation formulée par la Cour des comptes24F25(*) -, celui-ci peut être atteint par des moyens techniques et opérationnels, qui n'impliquent pas d'intervention législative.
2. Une limitation du champ des contrôles d'identités « administratifs » aux grands évènements et manifestations, apportant une restriction excessive à l'action des forces de l'ordre
Le second volet du dispositif proposé vise à restreindre fortement le champ des contrôles d'identité « administratifs ».
Le 2° du présent article tend ainsi à modifier le huitième alinéa de l'article 78-2 précité du code de procédure pénale de façon à n'autoriser les forces de l'ordre à mener de tels contrôles qu'aux seules fins d'assurer la sécurité d'un événement, d'une manifestation ou d'un rassemblement exposé à un risque d'atteinte grave à l'ordre public à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation. Ces contrôles ne pourraient s'opérer dans le périmètre du lieu exposé à ce risque et à ses abords, tandis que l'étendue et la durée des contrôles devraient être adaptées et proportionnées aux nécessités que feraient apparaître les circonstances.
Une telle restriction paraît largement excessive eu égard aux nécessités opérationnelles des forces de l'ordre. Les auditions, conduites par le rapporteur, de la direction générale de la police nationale et de la direction générale de la gendarmerie nationale ont pleinement appuyé ce constat. Le contrôle d'identité constitue en effet le premier levier d'action des forces face à une personne à l'égard de laquelle des éléments objectifs indiquent qu'elle pourrait causer un trouble à l'ordre public.
Les circonstances mentionnées ne permettent en aucun cas d'épuiser les risques de troubles à l'ordre public et notamment d'atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, dont la prévention, selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle. En effet, en dehors des évènements, manifestations et rassemblements visés, d'autres circonstances peuvent être sources de risques importants pour la préservation de l'ordre public : zones de forte affluence (touristiques par exemple), transports, abords d'institutions...
En outre, la définition des circonstances prévues par le dispositif manque de précision - à titre d'exemple, à partir de combien de personnes peut-on parler de « rassemblement » ? Où commence le risque d'une atteinte « grave » à l'ordre public ? Son application placerait ainsi les agents des forces de l'ordre dans une situation de forte insécurité juridique.
Il convient enfin de rappeler que les dispositions régissant les contrôles d'identité « administratifs » doivent être appliquées en tenant compte de la réserve d'appréciation émise par le Conseil constitutionnel prohibant toute pratique de contrôles d'identité « généralisés et discrétionnaires » et imposant à l'autorité judiciaire de « justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle »25F26(*).
Pour conclure, le rapporteur relève que le présent article s'inscrit dans le cadre de critiques récurrentes émises dans le débat public sur le caractère supposément « généralisé » des contrôles d'identité, mettant en doute l'efficacité d'une telle pratique.
En réalité, les termes de ce débat sont mal posés. En effet, le contrôle d'identité ne constitue pas une fin en soi, mais simplement un moyen d'action qui s'inscrit dans le cadre plus large de l'exercice de missions de police judiciaire ou administrative.
Dès lors, interroger l'efficacité des contrôles d'identité en tant que pratique isolée n'est pas pertinent, car c'est l'efficacité de l'opération dans son ensemble qu'il convient d'évaluer. Or, celle-ci ne repose jamais sur la mesure du seul volume de contrôles d'identité réalisés, mais s'apprécie à l'aune de ses résultats (volume de stupéfiants saisis, nombre de délinquants interpellés etc.). À titre d'exemple, les données communiquées au rapporteur par la gendarmerie nationale indiquent que, en 2024, les 25,8 millions de consultations du fichier des personnes recherchées réalisées26F27(*) ont permis la découverte de 34 408 personnes.
Ainsi, la réduction du nombre de contrôles d'identité ne saurait constituer une fin en soi et la commission s'est opposée à la limitation de leurs fondements légaux.
La commission n'a pas adopté l'article 2.
Article 3
Remise d'une attestation aux personnes ayant fait l'objet
d'un contrôle d'identité
Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d'identité, l'article 3 prévoit, à l'issue de l'opération, la remise systématique aux personnes contrôlées d'une attestation. Si la commission n'a pas remis en cause cet objectif de traçabilité, elle a néanmoins considéré que le dispositif proposé ne permettait pas d'y répondre de manière satisfaisante. Opérationnellement, la délivrance d'un récépissé alourdirait considérablement la procédure de contrôle, sans que la plus-value de ce document pour la personne contrôlée apparaisse en parallèle de manière évidente. Techniquement, le dispositif supposerait nécessairement la création d'un fichier de masse dont la proportionnalité peut être interrogée.
La commission n'a en conséquence pas adopté l'article 3, invitant plutôt à privilégier les pistes d'aménagements techniques existantes, lesquelles ne requièrent pas l'intervention du législateur et apparaissent potentiellement plus efficaces.
1. L'article 3 : prévoir la remise systématique d'une attestation aux personnes ayant fait l'objet d'un contrôle d'identité
L'article 3 entend insérer deux nouveaux articles 78-2-2-1 et 78-2-2-2 au sein du chapitre III du titre II du livre Ier du code de procédure pénale.
Le nouvel article 78-2-2-1 prévoit la remise systématique d'une attestation aux personnes dont l'identité est contrôlée en application des articles 78-2 et 78-2-2 précités du code de procédure pénale. Ce document mentionnerait quatre éléments : le fondement juridique et les motifs justifiant le contrôle d'identité, ainsi que, le cas échéant, les suites qui lui sont données (1°) ; l'identité de la personne contrôlée (2°) ; la date, l'heure et le lieu du contrôle (3°) ; le matricule, le grade et le service de l'officier ou de l'agent de police judiciaire ayant procédé au contrôle (4°). L'objectif poursuivi par les auteurs du dispositif est double. Il s'agirait, d'une part, de prévenir la survenance comme la répétition de contrôles d'identité perçus par les intéressés comme arbitraires ou discriminatoires. Il viserait, d'autre part, à garantir une meilleure traçabilité desdits contrôles.
Le nouvel article 78-2-2-2 autorise quant à lui une mise à disposition du public des données ainsi collectées, après avoir procédé à leur anonymisation mais « dans un format ouvert et librement réutilisable ».
Il est enfin prévu que les modalités d'application de l'article 3 soient déterminées par un décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
2. La position de la commission : un dispositif qui présente des limites opérationnelles et juridiques rédhibitoires
Le débat sur la délivrance d'un « récépissé » à l'issue des contrôles d'identité est loin d'être nouveau. Un tel projet a un temps été porté par le Gouvernement de François Hollande, sans trouver de traduction législative par la suite. Si des amendements en ce sens ont notamment été déposés à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, le Gouvernement s'y était opposé pour des motifs autant juridiques qu'opérationnels et ils n'ont pas été adoptés.
Débats en première lecture à l'Assemblée nationale sur loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté
Avis du ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, sur les amendements prévoyant la remise d'un récépissé à l'issue d'un contrôle d'identité27F28(*)
« [...] Je voudrais insister sur le fait que ce qui préoccupe le Gouvernement, et ce qui me préoccupe personnellement, dans la proposition qui est faite, c'est la question de l'adéquation entre l'objectif qu'elle poursuit et le résultat qu'elle pourrait atteindre. Pour ma part, je suis évidemment très désireux d'apaiser les choses, et très désireux que le respect des principes de droit et les conditions d'exercice des contrôles d'identité favorisent cet apaisement. Mais je ne crois pas, et je voudrais expliquer pourquoi, que le récépissé soit, d'un point de vue technique, la bonne solution.
« Cet amendement, qui avait la sagesse de proposer une expérimentation, visait deux objectifs : éviter les contrôles au faciès, d'une part, et les contrôles répétitifs, d'autre part. Je voudrais prendre un exemple concret pour voir si le dispositif que vous proposez permettrait d'atteindre cet objectif - car telle est ma préoccupation. Vous le voyez, je n'ai pas une position dogmatique, mais une approche concrète.
« Prenons le cas d'une personne qui ferait l'objet d'un contrôle d'identité et qui opposerait à l'agent des forces de l'ordre un récépissé qu'il aurait reçu auparavant.
« L'agent des forces de l'ordre aurait bien l'obligation de vérifier la concordance entre l'identité du bénéficiaire du récépissé et la personne contrôlée. Dans un contexte de menaces comme celui auquel nous sommes confrontés, il serait problématique que cette vérification ne soit pas opérée. Elle doit donc avoir lieu. C'est pour cette raison très concrète que l'amendement n'atteint pas son objectif.
« Ensuite, si l'on veut démontrer le caractère abusif du contrôle, il faut que chaque policier ou gendarme puisse signaler la délivrance d'un récépissé, sans quoi celui-ci peut donner lieu, surtout dans le contexte particulier de menaces auquel nous sommes confrontés, à toutes les falsifications possibles. Nous sommes confrontés à des individus qui utilisent tous les faux documents pour échapper aux contrôles. Dans ce contexte de menaces très élevées, la seule solution possible serait de créer un fichier des personnes contrôlées. Or un très grand nombre de ceux qui sont favorables à votre proposition s'opposerait à un tel fichier pour des raisons très compréhensibles de préservation des libertés publiques.
« Enfin, et c'est un point tout aussi important, certains des amendements présentés prévoient que ce récépissé mentionne le numéro de matricule de l'agent qui a procédé au contrôle ou à la fouille. Je partage l'objectif de protection de l'anonymat des agents et une expertise est en cours au sein de mon ministère pour examiner les conditions d'un élargissement du recours au matricule. Mais au-delà de ces enjeux, qui ont été soulignés par le Président de la République après l'attentat de Magnanville, l'utilisation du matricule dans un acte relevant de la procédure pénale, aujourd'hui limitée, n'est pas un geste neutre. Pour toutes ces raisons, votre proposition me semble de nature à n'atteindre aucun de vos objectifs [...] ».
Tout d'abord, la commission ne partage pas le présupposé sous-jacent de la proposition de loi établissant une présomption de discrimination à l'égard de tout contrôle d'identité. Comme évoqué précédemment, le volume de signalements adressés aux inspections générales compétentes ou au Défenseur des droits demeure infime en comparaison avec le volume total de contrôles réalisés. Pour rappel, seuls 29 signalements ont été adressés pour ce motif à l'inspection générale de la police nationale en 2024, contre 80 pour l'inspection générale de la gendarmerie nationale. Pour cette même année, seule une décision de la Défenseure des droits au caractère discriminatoire de contrôles d'identité réalisés par des policiers sur des personnes considérées comme migrantes à l'entrée d'un supermarché. Du reste, le Conseil d'État, tout en reconnaissant l'existence ponctuelle de contrôles discriminatoires, a écarté en 2023 le raisonnement consistant à attribuer un caractère « systémique » ou « généralisé » à ces derniers28F29(*).
Au-delà de ce constat, force est de constater que les réserves opérationnelles et juridiques exprimées en 2016 par le Gouvernement conservent toute leur pertinence aujourd'hui.
Sur le plan opérationnel, la délivrance systématique d'un récépissé à l'issue d'un contrôle d'identité se traduirait premièrement par une charge administrative nouvelle pour les agents chargés de sa réalisation, au risque de les détourner du bon exercice de leurs missions, et ce dans des contextes souvent marqués par l'urgence.
La plus-value de tels récépissés pour les personnes contrôlées semble deuxièmement relativement limitée. En pratique, la possession de ce document, en effet, ne pourrait valablement exonérer les intéressés de contrôles postérieurs, fussent-ils opérés au même endroit ou sur la même période. D'une part, l'agent en charge de ce second contrôle devrait nécessairement vérifier la concordance entre l'identité mentionnée sur l'attestation et celle de son détenteur. Le risque de falsification ne peut de surcroît être écartée en l'espèce. D'autre part, la multiplication des contrôles sur un temps et un lieu donnés, loin d'être automatiquement synonyme de discrimination, peut être dictée par les nécessités d'une enquête judiciaire ou de la préservation de l'ordre public.
Sur un plan juridique, la mise oeuvre du dispositif proposé à l'article 3 supposerait nécessairement la création d'un fichier correspondant. Eu égard au volume de contrôles d'identité réalisés annuellement, il s'agirait de facto d'un fichier de masse potentiellement problématique au regard de la nécessaire préservation des libertés publiques.
L'article 3 ne prévoyant aucune exception à la délivrance du récépissé, le risque de fragilisation des procédures judiciaires ne peut enfin être écarté, ne serait-ce que pour les cas où des circonstances exogènes auraient empêché d'y procéder immédiatement.
Ces arguments, qui recoupent pour l'essentiel ceux avancés par le ministre de l'intérieur à l'Assemblée nationale en 2016, ont été unanimement confirmés par les services auditionnés par le rapporteur. Pour rappel, le ministère de l'intérieur mentionnait les éléments suivants dans sa réponse du 15 septembre 2023 au relevé d'observations provisoires relatif aux contrôles d'identité de la Cour des comptes : « le ministère de l'intérieur et des outre-mer s'est constamment opposé [au récépissé]. Le motif de cette opposition tient notamment à ce que cette mesure ne présente pas de garantie en matière de lutte contre les discriminations ; de plus, cette mesure conduirait à allonger substantiellement la durée des contrôles tout en alourdissant la charge de travail pour les fonctionnaires de la police nationale ».
Tout en partageant l'objectif d'éliminer toute pratique discriminatoire en matière de contrôles d'identité, la commission a donc considéré que la délivrance de « récépissés » ne constituait pas une solution pertinente. De fait, le changement attendu des pratiques semble moins devoir passer par une intervention du législateur que des actions pragmatiques et en prise avec les réalités du terrain. De fait, des pistes d'aménagements techniques potentiellement plus efficaces et ne requérant pas l'intervention du législateur existent.
À cet égard, la commission ne peut qu'inviter à ce que les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son récent rapport relatif aux contrôles d'identité29F30(*) puissent être mises en oeuvre. Dans le cadre de leur audition par le rapporteur, les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales ont indiqué souscrire pleinement à ces propositions relatives, notamment, à la formalisation d'une doctrine d'emploi des contrôles d'identité ainsi qu'à l'enrichissement des formations initiales et continues des agents, et avoir amorcé leur mise en oeuvre.
S'agissant du renforcement de la traçabilité des contrôles d'identité stricto sensu, la commission soutient par ailleurs pleinement la proposition évoquée par le ministère de l'intérieur dans sa réponse du 15 septembre 2023 au relevé d'observations provisoires relatif aux contrôles d'identité de la Cour des comptes d'une « modification de l'architecture du fichier des personnes recherchées qui permettrait, lors de chaque consultation effectuée en mobilité, de préciser si celle-ci est opérée dans le cadre d'un contrôle d'identité ou non ; cette voie présente [de fait] l'avantage, en ajoutant un simple bouton ou case à cocher au moment de la recherche, d'assurer de manière très simple la mesure statistique des contrôles d'identité ».
Dans ce contexte, la commission n'a pas adopté l'article 3.
La commission n'a pas adopté l'article 3.
Article 4
Activation systématique du dispositif de
caméras piétons lors des contrôles d'identité
L'article 4 prévoit une activation systématique du dispositif de caméras piétons lors des contrôles d'identité.
La commission n'a pas adopté cet article, considérant, d'une part, que la jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser et, d'autre part, qu'il se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant du nombre de caméras nécessaires et des capacités de stockage requises.
1. L'article 4 : prévoir l'activation systématique du dispositif de caméras piétons lors des contrôles d'identité
Les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale ont initialement été autorisés à s'équiper de « caméras piétons » à titre expérimental partir de 2013. Ce régime a ensuite été pérennisé par l'article 112 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Il figure aujourd'hui à l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure. Concrètement, les agents équipés peuvent « procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées ». Au titre des garanties, il est notamment précisé que l'enregistrement n'est pas permanent, que les caméras sont portées de manière apparente et qu'un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. La durée de conservation des enregistrements individuels ne peut par ailleurs, sauf exceptions, excéder un mois.
Article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure
Dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens ainsi que de leurs missions de police judiciaire, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées.
L'enregistrement n'est pas permanent.
Les enregistrements ont pour finalités la prévention des incidents au cours des interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale, le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ainsi que la formation et la pédagogie des agents.
Les caméras sont fournies par le service et portées de façon apparente par les agents et les militaires. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l'enregistrement fait l'objet d'une information des personnes filmées, sauf si les circonstances l'interdisent. Une information générale du public sur l'emploi de ces caméras est organisée par le ministre de l'intérieur.
Lorsque la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée, les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné et aux personnels impliqués dans la conduite et l'exécution de l'intervention.
Lorsque cette consultation est nécessaire pour faciliter la recherche d'auteurs d'infractions, la prévention d'atteintes imminentes à l'ordre public, le secours aux personnes ou l'établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d'interventions, les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent dans le cadre d'une procédure judiciaire ou d'une intervention. Les caméras sont équipées de dispositifs techniques permettant de garantir l'intégrité des enregistrements jusqu'à leur effacement et la traçabilité des consultations lorsqu'il y est procédé dans le cadre de l'intervention.
Les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout d'un mois.
Les modalités d'application du présent article et d'utilisation des données collectées sont précisées par un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Dans ce contexte, l'article 4 de la proposition de loi modifie l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure afin de prévoir l'obligation pour les policiers et gendarmes procédant à des contrôles d'identité, qu'ils soient administratifs ou judiciaires, d'enregistrer leurs interventions. Aux termes de l'exposé de motifs, il s'agit de « rétablir une confiance de la population dans la police et ses actions de contrôle afin d'assurer la sécurité partout et pour tous, mais aussi permettre aux policiers d'exercer leurs fonctions en toute transparence, afin de les sécuriser eux-mêmes dans la pratique de leur métier et de redonner du sens à leur mission ».
2. La position de la commission : une disposition qui se heurte à d'importants obstacles juridiques, opérationnels et matériels
La commission a relevé que l'enregistrement audiovisuel systématique des contrôles d'identité proposé par l'article 4 se heurtait à d'importants obstacles juridiques, opérationnels et matériels.
Sur le plan juridique tout d'abord, la jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les cas d'enregistrement qu'à les systématiser. Si l'article 211 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté avait certes prévu une expérimentation de ce dispositif, le Conseil constitutionnel ne s'était pas prononcé sur ce point. Statuant postérieurement sur la constitutionnalité du dispositif de « caméras piétons » dans son ensemble, il s'était en revanche expressément appuyé sur les éléments suivants pour le valider: « [...] les premier et deuxième alinéas des [articles L. 241-1 et L. 242-2 du code de la sécurité intérieure] prévoient que l'enregistrement par les caméras individuelles ne peut être permanent et qu'il peut être déclenché uniquement lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées. En subordonnant à de tels motifs le recours à ces caméras individuelles, le législateur a exclu leur usage généralisé et discrétionnaire »30F31(*). Outre le fait que la systématicité de l'enregistrement des contrôles d'identité n'aurait aucun équivalent, sa constitutionnalité ne semble donc pas nécessairement acquise.
L'argument retenu pour écarter le dispositif de récépissé de contrôle d'identité à l'article 3 est par ailleurs également valable en l'espèce. L'obligation d'enregistrer ces interventions pourrait créer de nouvelles fragilités procédurales dans les suites judiciaires données le cas échéant à ces contrôles, notamment lorsque des circonstances exogènes ou des dysfonctionnements techniques auraient rendu impossible le déclenchement de la captation.
D'un point de vue opérationnel ensuite, les services du ministère de l'intérieur ont insisté au cours de leurs auditions sur le fait que l'activation des caméras individuelles, loin d'être toujours synonyme de désescalade, pouvait parfois au contraire conduire à envenimer les tensions entourant une intervention. Il apparaît donc essentiel que les agents conservent leur faculté d'apprécier la nécessité, ou non, d'activer leurs caméras individuelles en fonction des circonstances particulières de chacune de leurs interventions.
Le dernier obstacle est enfin d'ordre matériel. D'une part, la systématisation des enregistrements supposerait que la quasi-intégralité des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales soit équipée de caméras individuelles, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. D'autre part, la conservation des enregistrements nécessiterait des capacités de stockage autrement supérieures à celles qui sont actuellement disponibles.
Dans ce contexte, la commission n'a pas adopté l'article 4.
La commission n'a pas adopté l'article 4.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population, présentée par Corinne Narassiguin, Jérôme Durain et plusieurs de leurs collègues.
M. François Bonhomme, rapporteur. - La proposition de loi déposée par Corinne Narassiguin et le groupe SER tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population comprend quatre articles, qui visent à renforcer l'encadrement des contrôles d'identité.
Je ne ferai pas durer le suspens, je vous proposerai de rejeter cette proposition de loi, qui me semble problématique à plusieurs égards.
Tout d'abord, je ne partage pas certains des postulats qui ont présidé à la rédaction de cette proposition de loi. Je ne crois pas, comme le suggère son intitulé, qu'un quelconque « lien de confiance » ait besoin d'être « rétabli » entre les forces de l'ordre et la population en France. Dans leur grande majorité, nos concitoyens soutiennent l'action de nos policiers et gendarmes, au service de leur sécurité.
De nombreuses études le corroborent. Selon une étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) de septembre 2024, 71 % des Français ont confiance ou éprouvent de la sympathie pour les forces de l'ordre ; 79 % d'entre eux ont une bonne opinion des policiers et 85 % ont une bonne opinion des gendarmes. C'est moins que pour les soignants, mais légèrement plus que pour les enseignants !
En tout état de cause, il me paraît particulièrement réducteur de subordonner l'enjeu complexe du lien de confiance entre les forces de l'ordre et la population, qui est si essentiel en démocratie, à la seule question des contrôles d'identité.
Sur le fond, je ne partage pas non plus la philosophie sous-jacente de cette proposition de loi : d'une part, elle remet en cause l'efficacité des contrôles d'identité ; d'autre part, elle établit une forme de présomption de discrimination à leur encontre. Je considère au contraire que les contrôles d'identité sont un instrument utile aux forces de l'ordre, que ce soit dans un cadre judiciaire, pour rechercher l'auteur d'une infraction, ou dans un cadre administratif, aux fins de prévenir une atteinte à l'ordre public.
La Cour des comptes a elle-même conclu, dans un rapport commandé par la Défenseure des droits, à la « place centrale des contrôles d'identité dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique ».
De plus, cela n'a pas grand sens d'interroger de manière isolée l'efficacité de chaque contrôle. Il convient plutôt d'évaluer l'efficacité des opérations dans leur ensemble. Celle-ci ne repose pas sur le seul volume de contrôles réalisés ; elle doit s'apprécier à l'aune des résultats obtenus, par exemple en matière de saisies de stupéfiants ou d'interpellations de délinquants.
Autrement dit, la réduction du nombre de contrôles d'identité qui semble souhaitée par les auteurs de la proposition de loi ne me semble pas constituer, en elle-même, un objectif pertinent.
En ce qui concerne le caractère discriminatoire des contrôles d'identité, il me semble très exagéré de considérer que cette pratique, évidemment illégale, serait « généralisée » ou « systémique », comme le sous-entend cette proposition de loi. Les chiffres sont sans appel : rapporté aux 47 millions de contrôles d'identité recensés par la Cour des comptes en 2021, le nombre de signalements transmis aux inspections générales de la police nationale (IGPN) ou de la gendarmerie nationale (IGGN) ainsi qu'à la Défenseure des droits est tout à fait infime.
En effet, en 2024, vingt-neuf signalements ont été transmis l'IGPN, tandis que quatre-vingts l'ont été à l'IGGN. En outre, seuls huit de ces signalements alléguaient une discrimination, les autres portant sur les conditions de l'interpellation. Quant au rapport annuel d'activité de la Défenseure des droits pour 2024, il ne mentionne qu'un seul cas...
J'ajoute que le Conseil d'État, après avoir été saisi par un groupement d'associations, dont Amnesty International, a explicitement écarté, en 2023 le raisonnement constituant à attribuer un caractère généralisé ou systémique aux contrôles d'identité discriminatoires, dont il admet par ailleurs l'existence.
Je ne peux donc aucunement souscrire à la philosophie de cette proposition de loi. Il ne s'agit évidemment pas de nier le fait que des contrôles discriminatoires peuvent ponctuellement intervenir. Chacun en convient et ils doivent alors être sanctionnés avec la plus grande sévérité, sur le plan disciplinaire comme sur le plan pénal. En revanche, il me semble à la fois problématique et quelque peu indélicat à l'égard de nos forces de l'ordre de considérer les contrôles discriminatoires comme systémiques. C'est d'autant plus vrai que la police comme la gendarmerie sont d'ores et déjà pleinement engagées dans la lutte contre ces dérives. Le sujet fait l'objet d'une attention particulière dans la formation initiale et continue des agents, avec le concours d'associations spécialisées, mais également des services de la Défenseure des droits.
Plutôt que de rétablir un lien de confiance supposément brisé entre la police et la population, nous risquerions donc plutôt d'alimenter encore une fois un regrettable climat de suspicion et de défiance.
Au-delà de cette divergence d'approche, le contenu même de la proposition de loi me semble a minima sujet à caution. Certaines dispositions sont déjà satisfaites par le droit, tandis que d'autres restreindraient de manière préjudiciable la faculté des forces de l'ordre de procéder à des contrôles d'identité. Si je ne remets évidemment pas en cause la nécessité de lutter contre les quelques contrôles discriminatoires qui peuvent survenir, la solution réside, selon moi, dans une modification des pratiques bien plus que de la législation.
À cet égard, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations concrètes que nous gagnerions à mettre rapidement en oeuvre. Je note que le ministère de l'intérieur s'y est montré tout à fait favorable au cours des auditions.
J'en viens au détail des quatre articles que comprend cette proposition de loi.
L'article 1er réaffirme, à l'article 78-1 du code de procédure pénale, l'exigence de motivation des contrôles d'identité, leur caractère non discriminatoire, l'impératif du respect de la dignité des personnes contrôlées, ainsi que leur droit au recours. Ces exigences étant déjà garanties en l'état du droit, cette mesure serait purement symbolique.
L'article 2 conditionne la conduite de contrôles d'identité judiciaires, c'est-à-dire réalisés sur réquisition du procureur de la République, à une demande préalable du préfet. Dans le même temps, il restreint significativement le champ des contrôles d'identité dits administratifs, en autorisant les forces de l'ordre à les mener aux seules fins d'assurer la sécurité de grands événements particulièrement exposés à des risques de sécurité.
Cet article pose des difficultés juridiques et opérationnelles importantes : d'une part, il crée une confusion entre les cadres judiciaire et administratif ; d'autre part, il induit une restriction excessive de l'action des forces de l'ordre.
Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d'identité, l'article 3 prévoit la remise systématique d'une attestation à la personne ayant fait l'objet d'un tel contrôle. Il s'agit là du fameux récépissé, qui fut, à une époque, défendu par le gouvernement de François Hollande, avant que celui-ci n'abandonne cette idée. Je reprendrai à mon compte les arguments avancés à l'époque par Bernard Cazeneuve pour justifier cette décision, car ils sont toujours valables.
D'un point de vue opérationnel, la délivrance systématique d'un récépissé alourdirait la procédure de contrôle, alors que la plus-value de ce document pour la personne contrôlée n'est pas évidente. De fait, la possession d'un tel récépissé n'exonérerait en rien son détenteur de contrôles postérieurs, ne serait-ce que parce qu'il faudrait alors vérifier la concordance entre son identité et celle figurant sur l'attestation.
Par ailleurs, la multiplication des contrôles dans un temps et un lieu donnés n'est pas nécessairement illégitime. Elle peut tout à fait être dictée par les nécessités d'une enquête judiciaire ou par des impératifs en matière de maintien de l'ordre public.
De surcroît, d'un point de vue technique, l'instauration d'un récépissé supposerait nécessairement la création d'un fichier de masse, dont la proportionnalité interroge au regard de l'objectif recherché.
Compte tenu de ces éléments, il me semble plus pertinent de privilégier les pistes d'aménagements techniques existantes, notamment la modification de l'architecture du fichier des personnes recherchées. Il s'agirait d'introduire une fonctionnalité pour préciser, lors de chaque consultation effectuée en mobilité, si celle-ci est opérée dans le cadre d'un contrôle d'identité ou non. Cela permettrait de systématiser la traçabilité des contrôles et de fiabiliser les remontées statistiques.
Enfin, l'article 4, qui prévoit une activation systématique du dispositif de caméras-piétons lors des contrôles d'identité, ne me semble pas pertinent pour deux raisons. Premièrement, la jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser. Deuxièmement, il se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant du nombre de caméras nécessaires et des capacités de stockage requises.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je ne partage ni l'esprit ni les mesures de cette proposition de loi. Je vous propose donc de ne pas l'adopter. Conformément au gentlemen's agreement qui prévaut pour les espaces réservés, si vous suivez ma position, c'est donc le texte initial qui sera soumis à la discussion en séance.
M. Jérôme Durain. - Ce texte important pose de nombreuses questions et je remercie Corinne Narassiguin de l'avoir déposé.
Y a-t-il du « gras » dans les effectifs policiers ? Chacun sait que non. Pouvons-nous nous permettre que des actions policières ne contribuant pas à l'amélioration de la sécurité de nos concitoyens soient menées ? Nous répondons que non. Savons-nous à quoi servent les contrôles d'identité ? La réponse est non. Existe-t-il des discriminations lors de ces contrôles ? La réponse est oui.
Les réflexions que nous formulons ne se fondent
pas sur une opinion. Nous avons trouvé dans la littérature du
ministère de l'intérieur des éléments justifiant
tout l'intérêt de notre démarche. Je pense notamment
à la mission qu'Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin ont
confié à Christian Vigouroux sur la lutte contre les
discriminations dans l'action des forces de sécurité. Vous
reconnaîtrez qu'il ne s'agit pas de radicaux qui considéreraient
que la police est discriminante par nature. De même, une instance du
ministère de
l'intérieur, le Comité
d'évaluation de la déontologie policière (CEDPN), s'est
interrogé sur l'efficacité, les réalités, les
usages et la traçabilité des contrôles d'identité.
Nous posons les mêmes questions.
Monsieur le rapporteur, je respecte votre travail, mais de notre point de vue, dans un contexte de défiance vis-à-vis de l'autorité de l'État, le fait d'engager une réflexion sur les contrôles d'identité grandit la police nationale et renforce la transparence et la légitimité de son action. Cela répond à des questions qui sont posées au coeur du ministère de l'intérieur et de la police nationale : ce que nous faisons est-il utile ? Notre action contribue-t-elle à apaiser la relation entre la police et la population ? Est-elle porteuse de discriminations ? Les réponses à cette dernière question sont toujours positives.
Si nous nous en tenons aux faits, les questions que nous posons sont bel et bien légitimes.
Le rapporteur se dit défavorable aux diverses mesures de ce texte. Pourtant, le rapport du CEDPN, qui dépend de l'IGPN, comporte plusieurs recommandations.
Tout d'abord, il nous invite à réfléchir à un dispositif d'évaluation de l'efficacité des contrôles d'identité ; c'est ce que nous proposons.
Ensuite, il recommande d'instaurer un dispositif de traçabilité des contrôles d'identité, car si nous savons à quoi servent les 15 millions de contrôles routiers, ce n'est pas le cas des 32 millions d'autres contrôles. Nous adoptons simplement une posture d'évaluation de l'action de nos fonctionnaires. L'institution policière le demande elle-même.
Enfin, il préconise de rendre systématique l'activation d'une caméra-piéton lorsqu'est réalisé un contrôle d'identité.
Comme vous le voyez, nous tenons compte des réflexions les plus récentes de ceux qui, au sein de l'institution policière et du ministère de l'intérieur, réfléchissent à l'efficacité de l'action policière et aux questions de déontologie. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est nécessaire et accompagne de manière utile ces réflexions.
La commission des lois du Sénat est bien placée pour savoir que certaines formes de criminalité nécessitent beaucoup de temps policier. Nous n'avons pas de temps à perdre avec des actions qui ne contribuent pas à la sécurité de nos concitoyens !
Mme Corinne Narassiguin, auteure de la proposition de loi. - Je vous remercie de votre analyse, monsieur le rapporteur. Dans la continuité de l'intervention de Jérôme Durain, permettez-moi d'expliquer pourquoi j'ai choisi de lier le contrôle d'identité et la relation entre la police et la population.
J'ai participé activement aux travaux de la mission d'information qui a été conduite par François-Noël Buffet sur les émeutes de juin 2023. Celle-ci a établi la nouveauté que constituait à la fois le caractère contagieux de la violence qui s'est répandue sur tout le territoire et le fait que celle-ci soit à ce point et explicitement dirigée contre les forces de l'ordre. Nous avons tous été choqués par le niveau de violence qui a été atteint. En Seine-Saint-Denis, les commissariats de police ont été systématiquement attaqués.
Les catalyseurs des émeutes de 2005 et de 2023 ne sont pas les mêmes : les premières sont parties de la peur d'un contrôle d'identité, tandis que les secondes ont été déclenchées par un refus d'obtempérer. Toutefois, ces questions sont liées et la comparaison me semble utile.
En effet, il est apparu au cours des auditions qu'entre ces deux vagues d'émeutes, la relation entre la police et une partie de la population s'était fortement détériorée et que le contrôle d'identité cristallisait une grande partie des tensions. La partie de la population dont il est question, ce sont de jeunes hommes qui ont l'air étrangers, c'est-à-dire noirs ou d'origine nord-africaine et, par extension, leurs proches, leurs voisins, ceux avec qui ils partagent une vie sociale.
J'aurais aimé élaborer une proposition de loi plus complète sur les liens entre police et population, mais, comme vous le savez, le cadre des niches parlementaires est contraint. Voilà pourquoi j'ai choisi de me concentrer sur la question du contrôle d'identité.
Il est vrai que les gendarmes réalisent également des contrôles d'identité, mais la méfiance et la défiance portent avant tout sur les policiers. Un engrenage vicieux s'est enclenché : les citoyens contrôlés étant plus agressifs, les policiers le sont parfois également. Nous devons donc le remplacer par un cercle vertueux en nous assurant que tous les contrôles d'identité soient dûment motivés et traçables.
Les personnes contrôlées auraient ainsi la preuve qu'elles ont été contrôlées. Cela limiterait le nombre de contrôles, puisque certaines personnes sont contrôlées plusieurs fois dans la même semaine, voire dans la même journée par des policiers qui connaissent très bien leur identité. De plus, cela leur donnerait les moyens de porter plainte s'ils le jugent nécessaire. En effet, l'absence de plaintes ne signifie pas qu'il n'y a pas de problèmes.
Par ailleurs, il convient de démontrer l'efficacité des contrôles d'identité qui sont effectués. Le code de procédure pénale prévoit la possibilité de procéder à un contrôle, quel que soit le comportement de la personne. C'est une porte ouverte à l'arbitraire, et donc à la discrimination.
Je ne remets absolument pas en cause la
nécessité de réaliser des contrôles
d'identité, mais j'estime qu'ils doivent être dûment
motivés. Des contrôles peuvent être effectués par
réquisition, à condition d'être mieux encadrés. Il
est nécessaire de réaliser des rapports pour évaluer
l'efficacité de
ces contrôles par rapport aux objectifs.
Quant aux contrôles administratifs, ils devraient se limiter aux
nécessités afférentes au maintien de l'ordre et à
la prévention de troubles graves à l'ordre public lors de grands
événements.
En ce qui concerne les caméras-piétons, la preuve qu'elles confèrent protège à la fois la population et les policiers. Lorsque ces derniers ont bien fait leur travail, ils doivent pouvoir le démontrer.
Pour que notre police soit utile à nos concitoyens et assure effectivement leur sécurité, elle doit pouvoir se rendre partout dans nos quartiers et faire son travail dans de bonnes conditions. Cela suppose un lien positif avec la population : si elle est mieux reçue, elle pourra effectuer un meilleur travail de proximité et de renseignement, que ce soit pour prévenir les prochaines émeutes ou lutter, par exemple, contre le narcotrafic.
De nombreux policiers et gendarmes s'interrogent sur le sens de leur mission. Près de 40 % d'entre eux se posent des questions sur l'utilité des contrôles d'identité. Une ancienne directrice de l'IGPN estime nécessaire de clarifier le droit relatif aux contrôles d'identité, car le droit en vigueur met en danger les policiers - nous ne pouvons y rester insensibles.
Les habitants eux-mêmes sont demandeurs d'une police efficace, qui réalise des opérations utiles dans leur quartier, plutôt que de voir des policiers passer leurs journées à contrôler des jeunes qui n'ont rien à se reprocher. Voilà pourquoi j'estime nécessaire de réformer les contrôles d'identité.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Cela n'étonnera personne, je ne suis absolument pas en accord avec les deux orateurs précédents.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de vos propos. Comme vous, le titre de cette proposition de loi me gêne. Personnellement, je ne perçois aucun problème de confiance entre la police et la population ; il ne faut pas généraliser ! Précisons les choses : de qui est-il question ? Des délinquants, de ceux qui ne respectent pas la loi, qui polluent et font souffrir les quartiers populaires au quotidien !
La France de 2023 n'est plus celle de 2005. Les policiers sont confrontés à une violence terrible. Ils sont attaqués parce qu'ils dérangent. Et ils ne dérangent pas la majorité des jeunes, qui respectent la limite, la règle et l'autorité - une expression qu'il faudrait peut-être répéter tous les jours -, avec qui le lien de confiance n'a jamais été rompu. Ceux qu'ils dérangent sont ceux que les contrôles gênent.
Corinne Narassiguin nous a expliqué que les personnes contrôlées n'allaient pas porter plainte : évidemment ! Ils n'ont probablement pas envie d'expliquer ce qu'ils faisaient et qui a justifié le contrôle... Ne perdons pas de vue le principe de réalité. Je suis moi aussi élue de banlieue et, à mon sens, ce texte conforte une forme de suspicion envers la police, la gendarmerie et la police municipale, dont il est également question. Il est donc malvenu.
Je m'étonne qu'après avoir unanimement adopté la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, défendue de manière exceptionnelle par Jérôme Durain, qui confère des outils à la police et à la justice, on nous soumette un texte remettant en cause la place et le rôle de la police dans notre pays. Cela me semble quelque peu contradictoire.
Je partage donc l'analyse de notre rapporteur : il convient de rejeter cette proposition de loi.
M. Guy Benarroche. - La loi sur le narcotrafic accroît les capacités des forces de l'ordre, du renseignement et de la justice pour lutter contre une délinquance organisée qui pollue notre pays. A l'inverse, les contrôles d'identité touchent l'ensemble de la population et non les seuls délinquants. Ceux qui vivent dans des endroits où les contrôles d'identité « au faciès » sont quotidiens savent très bien que ceux-ci visent en majorité des personnes qui n'ont rien à voir avec la délinquance.
Les contrôles d'identité ne sont pas un outil essentiel pour lutter contre la délinquance. Le fait de refuser de voir qu'il y a un problème de lien entre une partie de la population et la police conduit à affaiblir cette dernière. La police doit être au service de la totalité de la population française, et pas seulement au vôtre ou au mien. Cette proposition de loi a vocation à réparer des liens qui ont été abîmés et dont la qualité est une garantie de notre République, tant pour la police que pour la population.
Le rôle de l'IGPN est important. Aussi avons-nous demandé moult fois que le fonctionnement et la composition de l'organisme qui surveille la police soient réformés. Comme nous n'avons pas été entendus, nous déposerons de nouveau une proposition de loi en ce sens.
Par ailleurs, les contrôles abusifs ne sont pas la seule cause de l'érosion des liens entre la police et la population. De nombreux autres sujets mériteraient d'être traités pour que, demain, la confiance soit restaurée de part et d'autre.
M. Henri Leroy. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie de cette présentation remarquable. Heureusement qu'il n'y a pas de policiers ou de gendarmes dans cette salle, car leur relation avec les élus en serait sortie abîmée...
Les sondages montrent que la population soutient à une large majorité les forces de sécurité. Si le climat se dégrade, c'est uniquement avec les délinquants, qui ne cessent d'agresser la population et les forces de sécurité, en utilisant parfois du matériel de guerre. Nous devons, en tant qu'élus, dénoncer ces comportements de voyous !
Je ne peux en aucun cas défendre une telle proposition de loi, qui me semble peu respectueuse de l'uniforme de la République. Nous devons la rejeter avec perte et fracas !
Il est impensable d'entendre de tels raisonnements. J'ai l'impression d'être dans un monde où l'on défend les délinquants contre les forces de sécurité, où l'on crache sur l'uniforme de la République et où l'on dénigre les lois de la République, que nous faisons !
Mme Isabelle Florennes. - J'apporte également tout mon soutien au rapporteur pour quatre raisons.
Premièrement, j'ai moi aussi suivi les travaux de la mission d'information sur les émeutes de juin 2023. Les sondages publiés après les émeutes ont montré que 77 % des Français ont une bonne image de la police. C'est un chiffre susceptible de faire rêver de nombreux hommes et femmes politiques ! Le lien de confiance ne me semble donc pas rompu.
Deuxièmement, les éventuels abus doivent évidemment être sanctionnés. Le contrôle « au faciès » est illégal, et c'est le rôle des inspections générales que de prendre les mesures nécessaires dans ce cas, y compris des sanctions. Notre système et notre État de droit garantissent que ces abus ne restent pas sans conséquence.
Troisièmement, plusieurs mesures législatives sur le contrôle des policiers ont été prises par les deux chambres à la demande de ces derniers, pour les protéger. Nous savons qu'ils ont été soumis ces dernières années à de rudes épreuves.
Quatrièmement, mes chers collègues socialistes, je préférerais que nous en restions à la belle unanimité que nous avons partagée en adoptant le texte sur le narcotrafic. Nous avons alors fait oeuvre commune et je trouve dommage d'examiner une telle proposition de loi aujourd'hui.
M. Éric Kerrouche. - Manifestement, ce sujet est épidermique. Sur le fond, je ne vois pas en quoi il serait contradictoire de défendre ce texte et la police.
Nous avons tous voté le texte sur le narcotrafic, défendu notamment par Jérôme Durain, parce qu'il était nécessaire et concernait tout le territoire national. Cela n'enlève rien au fait qu'il existe un problème de confiance entre la police et une partie de la population. Peut-être que certains refusent de voir la réalité des faits, mais l'ensemble des études menées depuis plus de vingt ans en la matière montre qu'il existe des discriminations.
Pour renouer le lien entre les forces de l'ordre et la population, il faut veiller aux bonnes pratiques de la police pour éviter qu'une défiance ne s'installe de manière systémique. Cette proposition de loi ne dit rien de plus.
Les études montrent qu'une personne noire ou d'origine maghrébine a quatorze fois plus de chances d'être contrôlée qu'une personne blanche : cela montre bien le biais qui existe, qu'on le veuille ou non ! La partie de la population qui est davantage contrôlée que le reste n'est pas délinquante dans son ensemble. Il convient de faire attention à la façon dont nous interprétons les choses.
Il ne s'agit ni d'excuser la délinquance ni de remettre en cause la lutte contre celle-ci. Il s'agit de se rendre compte que certaines pratiques policières éloignent une partie non négligeable des jeunes de ce pays des rapports de confiance qu'ils pourraient entretenir avec la police. Il n'est pas question de défendre les uns au détriment des autres. Nous souhaitons simplement pacifier des rapports qui se sont détériorés au fil du temps. C'est un fait objectif et ce n'est pas faire injure à la police et à la gendarmerie, qui font leur travail au quotidien, que de le dire.
M. Jérôme Durain. - Permettez-moi de formuler un petit point d'ordre : nous défendons la police ! Dire que nous crachons sur la police parce que nous nous interrogeons sur le fonctionnement de l'administration est quelque peu grossier. On ne manque pas de respect aux médecins lorsque l'on s'interroge sur le régime de l'installation, et on ne manque pas de respect aux élus lorsque que l'on s'interroge sur le degré de contrôle de leur activité !
Je regrette les propos qui viennent d'être tenus. J'aurais aimé que ceux qui les ont formulés aient été à mes côtés lorsque j'accompagnais la brigade anticriminalité (BAC) dans les rues de Paris et que nous prenions des pavés sur le coin de la figure... Nous ne visitons pas moins souvent les commissariats et les gendarmeries que les élus d'autres groupes politiques et nous ne contribuons pas moins qu'eux à l'intérêt des policiers et des gendarmes : nous avons pris une part active à la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et nous travaillons au sein de missions d'information sur la police.
Nous aimons la police, nous aimons la République et nous aimons la police de la République ! Nous posons des questions légitimes pour des parlementaires qui s'intéressent au fonctionnement de nos institutions.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Monsieur Durain, je ne doute pas de votre volonté de défendre la police. Je regrette simplement que cette proposition de loi ne soit pas fondée sur une analyse plus approfondie des moyens de contrôle et d'encadrement du contrôle d'identité existants.
Je rappelle que, sur le territoire national, toute personne qui y est sommée doit se soumettre à un contrôle d'identité. Ce contrôle ne peut être effectué que par des agents des forces de l'ordre, dûment formés. Au-delà de leur formation initiale, les forces de l'ordre suivent une formation continue et bénéficient d'interventions extérieures permanentes au sujet de la lutte contre les discriminations.
De plus, il existe des contrôles internes et externes, y compris le contrôle hiérarchique, et, en bout de chaîne, le procureur peut décider de poursuivre un agent en cas de plainte.
L'encadrement est déjà très strict et je trouve préjudiciable que cette proposition de loi n'en tienne pas suffisamment compte.
Les chiffres que nous ont communiqués la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la direction générale de la police nationale (DGPN) sont éloquents. L'IGPN a reçu 4 856 signalements, dont seuls 29 portaient sur les conditions dans lesquelles a été réalisé un contrôle d'identité. Je rappelle que 47 millions de contrôles d'identités sont réalisés chaque année. L'IGGN a reçu 4 000 signalements, dont 72 sont liés à des contrôles d'identité. Et encore, il conviendrait d'analyser de manière fine la nature des signalements effectués au sujet de ces contrôles d'identité.
Surtout, cette proposition de loi, et en particulier son article 3, affaiblirait les capacités opérationnelles des forces de police. Monsieur Benarroche, les contrôles d'identité sont un moyen majeur de maintien de l'ordre et de prévention de la délinquance !
Contrairement à ce qui a été dit, le CDPEN s'oppose officiellement au récépissé.
Concernant le contexte de défiance qui prévaudrait, j'estime que nous avons déjà fait d'énormes efforts pour le prévenir. La Défenseure des droits dispose de 630 délégués territoriaux, auprès desquels quarante à cinquante personnes se sont plaintes en un an de leurs relations avec la police. Une seule plainte relative à un contrôle « au faciès » a donné lieu à une décision de cette autorité indépendante établissant un manquement au devoir de déontologie.
Par la fragilisation des capacités opérationnelles qu'elles induisent, les mesures que vous proposez sont donc disproportionnées par rapport à la réalité de la situation.
Madame Narassiguin, l'exposé des motifs de cette proposition de loi mentionne un « poison » qui « met à mal notre vivre-ensemble ». Or le vivre-ensemble implique de se soumettre, dans les conditions requises et de manière encadrée, à des contrôles d'identité qui oeuvrent à la sécurité publique. C'est d'autant plus vrai que la formation sur la façon de procéder ne cesse de s'améliorer.
Par ailleurs, l'article 2 prévoit que le ministère de la justice établit un rapport annuel indiquant notamment « le nombre de réquisitions prononcées et refusées, les périmètres retenus, les périodes de temps déterminées ». Non seulement ce serait source de lourdeur administrative, mais cela nous exposerait à livrer des informations sensibles à des personnes qui pourraient les utiliser à des fins répréhensibles.
Monsieur Benarroche, le contrôle d'identité permet de lever des doutes dans le cadre de la prévention ou de la lutte contre la délinquance. Nous devons faire confiance à l'appréciation et au discernement des forces de l'ordre. Les réponses figurant dans cette proposition de loi seraient contreproductives et le fait de jeter la suspicion sur les actions de la police détériore le lien entre la police et la population davantage qu'il ne le répare.
Je suis d'accord avec Jacqueline Eustache-Brinio et Henri Leroy sur le caractère indispensable du dispositif encadrant le contrôle d'identité.
Madame Florennes, je partage l'idée que les sondages attestent de l'appréciation générale favorable qu'ont les Français vis-à-vis du travail des forces de sécurité. S'il existait une réelle difficulté, elle transparaîtrait dans les sondages. Il appartient aux écoles de formation de traiter le sujet de la reconnaissance du vécu des personnes contrôlées.
Quant aux émeutes de 2005, qui ont été déclenchées par l'histoire tragique de Zyed Benna et Bouna Traoré, il faut déterminer pourquoi ces jeunes avaient une telle crainte des forces de police. En tout état de cause, le fait d'appuyer un discours mettant en cause de manière systémique les forces de sécurité alimente cette crainte, me semble-t-il infondée, de manière irrationnelle et purement émotionnelle.
Monsieur Kerrouche, je ne doute pas de vos intentions, mais nous ne partageons pas la même analyse sur le postulat de départ. Vous ne remettez pas en cause le contrôle d'identité - tant mieux ! -, mais vous dites vouloir en modifier les pratiques. Nous reprenons des recommandations de la Cour des comptes sur les bonnes pratiques policières dans le cadre de ce rapport et j'espère que vous soutiendrez cette démarche. Nous partageons la même volonté que vous.
Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives au régime juridique et aux conditions de mise en oeuvre des contrôles d'identité.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles 1er, 2, 3 et 4
Les articles 1er, 2, 3 et 4 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 31F32(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie32F33(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte33F34(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial34F35(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 7 mai 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 54 (2024-2025) visant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population.
Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives au régime juridique et aux conditions de mise en oeuvre des contrôles d'identité.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
AUTEURE DE LA PROPOSITION DE LOI
Mme Corinne Narassiguin, sénatrice de la Seine-Saint-Denis
DIRECTION GÉNÉRALE DE LA POLICE NATIONALE (DGPN)
M. Louis Laugier, préfet, directeur général de la police nationale
M. Vincent Le Beguec, directeur de cabinet
M. Fabien Sésé, conseiller juridique
DIRECTION GÉNÉRALE DE LA GENDARMERIE NATIONALE (DGGN)
Général de corps d'armée André Pétillot, Major général de la Gendarmerie Nationale
Général de division Jude Vinot, adjoint au chef du Pôle stratégie générale
Colonel Ronan Lelong, chef du Bureau de la synthèse budgétaire
DIRECTION DES LIBERTÉS PUBLIQUES ET DES AFFAIRES JURIDIQUES (DLPAJ)
Mme Pascale Léglise, directrice
DÉFENSEURE DES DROITS
Mme Claire Hédon, défenseure des droits
Mme Céline Roux, adjointe en charge du respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité
M. Benoît Narbey, chef du pôle « déontologie de la sécurité »
M. Antoine Touron, conseiller parlementaire
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-054.html
* 1 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023.
* 2 Voir la rubrique « Pour en savoir + ».
* 3 Qui résultent principalement mais pas exclusivement de contrôles d'identité.
* 4 Défenseur des droits, décision n° 2024-019 du 15 février 2024.
* 5 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023, cons. 24 : « l'ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l'existence d'une pratique de contrôles d'identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés » ; cette pratique « ne [revêt] pas de caractère “systémique” ou “généralisé”».
* 6 Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9.
* 7 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, cons. 20.
* 8 Article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure.
* 9 Cour des comptes, « Les contrôles d'identité : une pratique généralisée aux finalités à préciser », décembre 2023.
* 10 Article 78-2 du code de procédure pénale, premier au sixième alinéa.
* 11 Article 78-2 du code de procédure pénale, septième alinéa.
* 12 Article 78-2 du code de procédure pénale, huitième alinéa.
* 13 Article 78-2 du code de procédure pénale, neuvième alinéa et suivants.
* 14 Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9.
* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, cons. 20.
* 16 Article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure.
* 17 Cour de cassation, civile, 1ère chambre civile, n° 15-24.210, 9 novembre 2016
* 18 Article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure.
* 19 Article 78-1 du code de procédure pénale, premier alinéa.
* 20 Article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.
* 21 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023, cons. 15.
* 22 Défenseur des droits, décision n° 2024-019 du 15 février 2024.
* 23 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023, cons. 24.
* 24 Voir commentaire de l'article 1er pour plus de détails sur le cadre juridique des contrôles d'identité.
* 25 Cour des comptes, « Les contrôles d'identité : une pratique généralisée aux finalités à préciser », décembre 2023.
* 26 Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9.
* 27 Qui résultent principalement mais pas exclusivement de contrôles d'identité.
* 28 Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2015-2016, Compte rendu intégral de la deuxième séance du mercredi 29 juin 2016.
* 29 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023.
* 30 Cour des comptes, rapport public thématique, « Les contrôles d'identité », décembre 2023.
* 31 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés, cons. 110.
* 32 Voir le commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 33 Voir par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 34 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 35 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.