N° 612

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (procédure accélérée) et sur le projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (procédure accélérée),

Par Mme Agnès CANAYER et M. Olivier BITZ,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

544, 545, 609, 610, 611, 613 rect. et 614 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte est l'une des composantes du plan « Mayotte Debout », présenté par le Gouvernement en décembre 2024, après le passage du cyclone Chido. Constituant « l'acte III » de la réponse du Gouvernement, après les mesures immédiates prises pour faire face aux conséquences du passage du cyclone et l'adoption de la loi du 24 février 2025 d'urgence pour Mayotte, ce texte vise à répondre durablement aux défis du territoire par l'adoption de mesures structurelles.

Ses 34 articles, assortis d'un rapport annexé présentant les engagements de l'État sur la période 2025-2031, dont un programme d'investissements prioritaires dont le montant total s'élève à 3,2 milliards d'euros, portent notamment sur :

- la lutte contre l'immigration irrégulière, les reconnaissances frauduleuses de paternité et l'habitat illégal ;

- le contrôle des armes et la lutte contre le travail illégal ;

- le développement de Mayotte, qui comprend les dispositions relatives à l'aménagement, à la jeunesse et à la fonction publique ;

- la modernisation du fonctionnement institutionnel de la collectivité, renommée Département-Région de Mayotte, et la révision du mode de scrutin pour l'élection de son assemblée délibérante.

Huit articles ont été renvoyés pour examen au fond à la commission des finances (article 22), à la commission des affaires économiques (articles 10, 23 et 24) et à la commission des affaires sociales (articles 15 à 18).

La création du Département-Région rend nécessaire la modification de plusieurs dispositions de niveau organique, à laquelle procède le projet de loi organique n° 545 (2024-2025) relatif au Département-Région de Mayotte, déposé le même jour et qui comprend cinq articles.

Soucieuse de permettre à Mayotte de disposer des instruments juridiques nécessaires, la commission a adopté ces deux textes modifiés par 31 amendements qui tendent en particulier à :

- prévoir la remise d'une programmation annuelle des investissements prioritaires ;

- donner autorité au préfet de Mayotte sur l'ensemble des services de l'État jusqu'en 2031;

- renforcer les conditions de délivrance des titres de séjour pour motif familial ;

- revoir les modalités de scrutin pour l'élection de l'assemblée de Mayotte afin de garantir une représentation plus équilibrée des différents territoires de Mayotte.

I. À MAYOTTE, DES DÉFIS CONSIDÉRABLES, AGGRAVÉS PAR LE CYCLONE CHIDO, QUI APPELLENT DES MESURES STRUCTURELLES

A. UN TERRITOIRE EN CRISE AVANT MÊME LE PASSAGE DU CYCLONE CHIDO

1. Une croissance démographique exceptionnelle, alimentée par une pression migratoire sans équivalent

Mayotte se caractérise par un contexte démographique spécifique, qui constitue un défi de premier ordre pour l'archipel, car il crée une forte pression sur les services publics (écoles, soins, etc.) et se traduit également par un chômage massif, un taux de pauvreté très élevé1(*) et une prolifération de l'habitat informel.

L'INSEE estime la population de Mayotte au 1er janvier 2024 à 321 000 personnes - chiffre qui serait en deçà de la réalité d'après de nombreux élus. La moitié environ de la population mahoraise serait étrangère et, parmi celle-ci, la moitié serait en situation irrégulière.

L'immigration constitue l'un des moteurs de cette croissance démographique, qui tend à s'accélérer2(*) : en 2022, sur les plus de 10 000 naissances recensées à Mayotte, trois-quarts étaient le fait de mères de nationalité étrangère. De ce fait, la maternité de Mamoudzou est la première de France en nombre de parturientes.

Selon l'INSEE, sans action sur les flux migratoires, la population atteindrait 760 000 habitants en 2050 ; elle atteindrait 530 000 habitants en cas d'arrêt donné à l'immigration.

Évolution de la population de Mayotte à l'horizon 2050
selon trois scénarios de projections

Source : Insee3(*)

Le caractère massif de l'immigration clandestine s'explique principalement par l'écart du niveau de développement entre Mayotte et les Comores et la proximité géographique des deux archipels. À ces flux s'ajoute une immigration, croissante au cours des dernières années, en provenance d'Afrique des Grands Lacs et d'Afrique de l'Est.

2. Une situation sécuritaire très dégradée

Dans son rapport d'information d'octobre 2021 consacré à l'insécurité à Mayotte4(*), la commission des lois du Sénat faisait le constat d'une « situation sécuritaire extrêmement préoccupante (...) aux conséquences structurelles pour le territoire mahorais ».

Cette insécurité, fortement liée à l'immigration clandestine, se traduit par des niveaux de violence et de victimation sans équivalent sur le territoire national. Elle compromet fortement le développement économique de l'archipel.

Si l'État a consenti des moyens importants - avec le doublement des effectifs de police et de gendarmerie depuis 2017 - qui ont permis de conduire des opérations d'ampleur (Shikandra depuis 2019, Wuambushu en 2023, « Place Nette » en 2024), la croissance de l'insécurité n'a pas été endiguée : de 2020 à 2023, les atteintes volontaires à l'intégrité physique relevées par la préfecture ont augmenté de 39 % et les atteintes aux biens de 21 %5(*).

3. Un retard persistant de développement

L'économie mahoraise a connu une croissance forte de son produit intérieur brut (PIB) - estimé par l'Insee à 3,3 milliards d'euros en 2022 - depuis le milieu des années 2000 et qui s'est prolongée avec la départementalisation, sous l'impulsion notamment d'une politique de rattrapage ambitieuse conduite par l'État.

L'économie mahoraise a pu être décrite par la Cour des comptes comme étant « sous perfusion », la Cour relevant que les transferts publics, rapportés au PIB de Mayotte, en représentaient environ 80 %6(*). Outre l'insécurité et le poids de l'économie informelle, l'économie, comme la société mahoraise dans son ensemble, pâtit d'infrastructures insuffisantes (eau, électricité, déchets, etc.).

Mayotte demeure le département le plus pauvre de France avec un PIB par habitant plus de trois fois inférieur à la moyenne nationale - quoique bien supérieur à celui des Comores - et un taux de pauvreté de 77 % en 2017 selon l'Insee.

Produit intérieur brut en 2021 (euros)

Source : Commission des lois d'après données IEDOM7(*)

L'économie mahoraise a été durement touchée par le passage du cyclone Chido, dont les dégâts doivent encore faire l'objet d'une évaluation précise.


* 1 En 2018, 77 % de la population de Mayotte vivait sous le seuil de pauvreté national (Source : Insee).

* 2 D'après l'INSEE, la croissance de la population tend à s'accélérer sur la période récente (+ 3,8 % par an en moyenne de 2012 à 2017, contre + 2,7 % par an sur la période 2007-2012).

* 3 Insee, « La population de Mayotte à l'horizon 2050 : entre 440 000 et 760 000 habitants selon l'évolution des migrations », Insee analyses Mayotte-La Réunion, n° 26, juillet 2020.

* 4 Rapport d'information n° 114 (2021-2022) du 27 octobre 2021 de François-Noël Buffet, Stéphane Le Rudulier, Alain Marc et Thani Mohamed Soilihi, « Insécurité à Mayotte : conjurer le sentiment d'abandon des Mahorais ».

* 5 Chiffres issus des baromètres de la délinquance à Mayotte 2023 et 2021 publiés par la préfecture.

* 6 Cour des comptes, Quel développement pour Mayotte ?, rapport public thématique, juin 2022.

* 7 Institut d'émission des départements d'outre-mer, Rapport annuel économique 2023 - Mayotte, juillet 2024.

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