EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 14 mai 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Cédric Perrin sur le projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti.

M. Cédric Perrin, président, rapporteur. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du rapport sur le projet de loi de ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, dont j'ai été désigné rapporteur.

Ce traité, signé entre la France et Djibouti le 24 juillet dernier, revêt pour notre pays une importance toute particulière.

D'abord, il s'inscrit dans un contexte de diminution de la présence et de l'influence françaises en Afrique depuis quelques années.

Après la fin de l'opération Barkhane, les militaires français se sont successivement retirés, entre 2022 et 2024, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et enfin du Tchad. Ensuite, après les pays du Sahel, la présence des bases militaires françaises dans les pays du golfe de Guinée a été remise en cause, bien que ce retrait ait été en partie décidé en concertation avec ceux-ci. Ainsi, les effectifs de nos soldats ont drastiquement diminué en Côte d'Ivoire, au Gabon ainsi qu'au Sénégal.

Ce mouvement global a certes eu lieu sous la pression des opinions publiques des pays concernés, qui avaient un certain nombre de griefs à l'égard de notre pays, mais cette pression a été alimentée et accentuée par la Russie, via ses opérations de désinformation et le soutien qu'elle a apporté à des influenceurs anti-français dans le cadre de sa guerre hybride.

Ainsi, il sera désormais impossible pour la France de déclencher quasi instantanément une opération antiterroriste ou une évacuation de ressortissants de grande ampleur en Afrique de l'Ouest, comme c'était le cas auparavant.

En revanche, tout ceci reste et restera possible depuis Djibouti, comme le montre le rôle essentiel que la base a joué dans l'opération Sagittaire d'évacuation des ressortissants français et européens au Soudan en avril 2023.

L'importance particulière de la base de Djibouti justifie qu'elle ait été d'emblée exclue des projets de « réduction d'empreinte » pilotés par l'Élysée et le ministère des armées.

Cette importance découle bien sûr d'abord de sa situation géographique exceptionnelle, en face du détroit de Bab-el-Mandeb. Environ 12 % du commerce mondial y transite, dont plus de 6 millions de barils de pétrole chaque jour.

En outre, cette région est en crise. Depuis l'attaque du 7 octobre 2023, les Houthis ont lancé une offensive par drones et missiles balistiques contre le territoire israélien et les navires passant par le détroit. Le trafic a baissé de 40 %. En réponse, les États-Unis, à la tête d'une coalition de dix pays, ont commencé à mener des frappes sur le territoire du Yémen à partir de janvier 2024. Parallèlement, l'Union européenne a lancé l'opération Aspides.

En raison de sa situation géographique privilégiée, Djibouti est ainsi devenu un hub pour les opérations militaires et humanitaires dans la Corne de l'Afrique, la péninsule arabique et l'océan Indien. De ce fait, Djibouti est le seul pays au monde à accueillir simultanément des bases militaires permanentes de plusieurs grandes puissances : la France, les États-Unis, le Japon, l'Arabie Saoudite et la Chine.

J'en viens maintenant à la relation franco-djiboutienne, qui forme le contexte dans laquelle s'inscrit ce traité.

Djibouti est devenu indépendant de la France le 27 juin 1977. Son gouvernement manifestait alors fortement sa volonté d'entretenir un partenariat privilégié avec la France. Jusqu'au milieu des années 2010, les relations bilatérales se sont toutefois refroidies, notamment en raison de la réduction du nombre de militaires français et de la participation moindre de la France aux grands projets de développement de Djibouti.

Face à la montée en puissance de la Chine, pourvoyeuse d'infrastructures et premier détenteur d'une dette qui devient difficilement soutenable, les autorités cherchent toutefois désormais à rééquilibrer les forces en présence et manifestent une volonté renouvelée de rapprochement avec notre pays. De nombreuses visites présidentielles et ministérielles ont permis de réaffirmer la solidité du partenariat bilatéral. Au-delà de la dimension politique, les relations franco-djiboutiennes sont également denses dans le domaine de l'économie et du commerce, de l'investissement solidaire et de la culture. Nous avons même récemment développé une coopération spatiale : deux satellites djiboutiens développés par des ingénieurs formés en France ont été lancés en 2023 et 2024.

Concernant le format de la base française, les effectifs présents sur place ont progressivement baissé, passant d'environ 5 600 personnes en 1977 à environ 1 500 aujourd'hui.

Le dispositif a notamment été fortement réduit en 2011 avec le départ de la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) de Djibouti vers Abu Dhabi, puis le Larzac, et le retrait des bâtiments de la marine nationale, ainsi que la réduction du plot chasse de 10 à 4 Mirage 2000 en 2016.

Les équipements de l'armée française actuellement déployés à Djibouti restent assez importants, avec notamment une cinquantaine de VAB, 9 AMX10 RC, 4 canons CAESAR, 6 hélicoptères PUMA, 4 Mirage 2000-5, 3 chalands de transport de matériels, etc. Des évolutions sont par ailleurs prévues dans les années à venir pour améliorer cette dotation. Par ailleurs, une légère remontée des effectifs devrait accompagner la future mise en place de ces nouveaux moyens.

J'en viens à présent au contenu du nouveau traité de coopération en matière de défense, qui remplace celui de 2011, entré en vigueur en 2014 pour dix ans. Il y a une grande continuité entre ces deux traités, avec seulement des évolutions mineures.

Ainsi, la clause de sécurité non automatique de l'article 4 du traité est maintenue. Cet article revêt une importance particulière, car il détaille les engagements de la République française à l'égard de Djibouti en matière de défense de l'intégrité territoriale de ce dernier : il s'agit d'une spécificité parmi les accords de défense signés par la France en Afrique.

La présence militaire française à Djibouti a une double finalité : fournir un point d'appui aux forces françaises projetées vers la zone indopacifique et contribuer à la sécurité de Djibouti. Les autorités craignent notamment des incursions érythréennes, comme celle qui a eu lieu en 2008, ainsi que des attentats planifiés et menés par des djihadistes infiltrés depuis la Somalie ou le Yémen, les Shebabs ayant appelé à frapper les intérêts français et américains. L'instabilité de l'Éthiopie, où les risques de guerre civile restent majeurs, constitue également une menace forte pour le pays.

Dans ce contexte, la clause de sécurité est, pour Djibouti, un élément essentiel de notre partenariat. C'est aussi pour pouvoir l'honorer que la France maintient un volume de personnels et d'équipements importants sur la base.

L'un des aspects importants de cette clause de sécurité est la mention selon laquelle « la Partie française participe avec la Partie djiboutienne à la police de l'espace aérien djiboutien et à la coordination du trafic aérien militaire ». Avec l'ajout de la notion de « coordination du trafic aérien militaire », qui ne figurait pas dans le précédent traité, cela constitue une prérogative importante pour les forces françaises, qui témoigne de l'entente approfondie entre les deux pays.

Enfin, toujours dans le cadre de cette clause de sécurité, l'article 9 prévoit la création d'un nouveau dispositif d'alerte permanent sur les menaces à l'encontre de Djibouti.

Le nouveau traité prévoit par ailleurs une coopération fluidifiée. Il est en effet désormais prévu que « les Forces françaises stationnées organisent les exercices et manoeuvres nécessaires à leur entraînement après notification auprès des autorités djiboutiennes compétentes ». Il s'agit là d'une évolution qui facilitera les activités menées par les forces françaises, puisque le précédent traité prévoyait l'« accord préalable » des autorités djiboutiennes.

L'article 8 du traité prévoit en outre la création d'un nouveau « comité militaire de dialogue stratégique ». L'objectif est d'accompagner de manière plus suivie la transformation, à l'horizon 2030, des forces armées djiboutiennes en armée d'emploi apte à s'engager dans la lutte contre les groupes terroristes et les menaces maritimes.

Enfin, et c'était là un enjeu important de la négociation, le nouveau traité prévoit la restitution de 40 % de la superficie de l'îlot du Héron par la partie française.

Au plan symbolique, cette restitution permet de répondre à une demande forte des autorités djiboutiennes. Cette façade maritime située dans un quartier convoité de Djibouti-ville pourra en effet être exploitée dans le cadre d'une activité commerciale. Cette restitution n'aura pas d'impact opérationnel majeur, car la partie restituée accueille principalement des logements qui seront relocalisés et en partie remplacés par des prises à bail. Il conviendra toutefois de bien préserver les ateliers de la base et les cales de mise à l'eau. Il sera également nécessaire de réaliser des travaux de réorganisation de l'enceinte.

Concernant, pour finir, la contribution financière, il est prévu que la France versera 85 millions d'euros par an à Djibouti, au lieu de 30 millions auparavant. En début de négociation, une demande de rehaussement très substantiel a été formulée par Djibouti - demande formulée auprès des autres partenaires également -, notamment en arguant des contraintes que font peser les installations militaires sur la vie civile. Au demeurant, cette contribution n'avait pas été réévaluée depuis 2003. La concurrence s'est cependant accrue depuis lors à Djibouti, avec l'installation des autres bases.

En tout état de cause, il faut se féliciter que le principe d'une contribution forfaitaire libératoire de tout impôt, taxe, droit de douane ou autre prélèvement ait été préservé.

Au total, le nouveau traité présente l'ensemble des garanties requises pour la pérennité de la présence de la base française à Djibouti au cours des vingt prochaines années.

Je vous propose donc de vous prononcer en faveur de l'approbation de ce traité, qui sera examiné en séance la semaine prochaine, à la suite de la demande par un des groupes politiques du Sénat de retour à la procédure normale.

Mme Mireille Jouve. - Monsieur le président, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier le groupe CRCE-K d'avoir demandé le retour à la procédure normale pour la ratification de ce traité de coopération, pilier de la relation bilatérale de défense avec la République de Djibouti.

Djibouti, chacun le sait, accueille cinq bases militaires étrangères : la nôtre depuis 1977, celles des États-Unis depuis 2003, du Japon depuis 2011, de l'Italie depuis 2012 et, enfin, de la Chine depuis 2017.

Cependant, la France y joue un rôle, à part, si je puis m'exprimer ainsi, puisqu'elle est, parmi les puissances militaires présentes, la seule à avoir signé une clause de sécurité avec le pays d'accueil, en vertu de laquelle elle contribue à la défense de ses espaces aériens, terrestre et maritime.

Aujourd'hui, la position géographique de Djibouti et l'instabilité environnante lui confèrent une image d'îlot de stabilité indispensable au déploiement de notre stratégie régionale, tant géopolitique que géo-économique.

Djibouti est un important noeud de câbles de données sous-marins, plus de 90 % de la capacité Europe-Asie étant acheminée par la mer Rouge. Djibouti, face au Yémen, voit passer une part non négligeable du trafic maritime mondial : 12 % du volume total, 40 % des échanges Asie-Europe et, par exemple, 90% des exportations japonaises, ces chiffres évoluant naturellement du fait de la crise actuelle avec les Houthis, consécutive au conflit entre le Hamas et Israël.

Djibouti est aussi au coeur de notre stratégie indopacifique.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera en faveur de ce projet de loi de ratification.

M. Robert Wienie Xowie. - Le traité qu'il nous est proposé de ratifier confirme l'engagement de notre pays dans une impasse que le groupe CRCE-K dénonce depuis bien des années. L'impasse de nos interventions militaires, aujourd'hui largement éprouvée, justifierait un tournant concernant la gestion de nos bases militaires permanentes à l'étranger.

Soyons lucides, soyons honnêtes : l'exercice par la France de ce pan important de la souveraineté des pays africains a globalement produit des résultats très médiocres. Dire cela n'est pas renoncer à toute coopération militaire avec les pays africains, mais c'est accepter le refus de ces pays de se placer dans une relation exclusive de dépendance, en matière militaire comme dans tous les autres domaines.

En outre, en janvier, lors de l'examen du projet de loi de finances, le Gouvernement, avec le soutien de la majorité sénatoriale, a sabré le budget de l'aide publique au développement de près de 1,3 milliard d'euros, et ce alors même que les dix premiers pays bénéficiaires des subventions de l'Agence française de développement (AFD) se trouvent majoritairement en Afrique. Or, aujourd'hui, vous nous proposez de valider un accord de défense avec un pays africain qui coûterait aux contribuables 1,2 milliard d'euros chaque année !

C'est dans cette asymétrie - une courbe toujours ascendante en matière de défense et une réduction drastique en matière de solidarité et de développement - que se trouvent, entre autres raisons, les racines profondes du rejet de la politique française sur le continent africain.

Dans notre revue nationale stratégique, révisée en commission voilà peu, ou encore dans le Livre blanc de la Commission européenne, on se targue d'établir des coopérations militaires avec des États tiers sur un socle de valeurs communes. Et aujourd'hui, nous nous apprêtons à signer un accord de défense de dix ans, à 10,2 milliards d'euros, en renforçant de fait le régime dictatorial d'Ismaïl Guelleh, qui pratique les exécutions arbitraires, applique la charia et se refuse à ratifier la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le protocole facultatif à la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et le protocole facultatif à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Une vraie politique de coopération mutuellement avantageuse pour notre peuple et les peuples africains reste à écrire. C'est la raison pour laquelle le groupe CRCE-K a demandé le retour à une procédure normale pour l'examen de ce texte. Nous exprimerons notre position à l'occasion de la discussion de ce texte la semaine prochaine en séance publique.

M. Rachid Temal. - Le groupe SER se prononcera en faveur de la ratification de ce traité. Nous ne signerions pas beaucoup d'accords de coopération si nous les subordonnions exclusivement au respect de valeurs démocratiques, que nous défendons par ailleurs.

Djibouti reste un point d'appui indispensable pour notre stratégie indopacifique. Il s'agit par ailleurs de contrebalancer l'influence grandissante de la Chine auprès de cet État.

M. Olivier Cigolotti. - Ce traité est la réaffirmation du partenariat historique avec Djibouti. Nous nous félicitons de cette confiance renouvelée.

C'est également un outil concret au service de la stabilité régionale, de la sécurité internationale, ainsi que du développement de ce pays. C'est pourquoi le groupe UC votera ce projet de loi de ratification. En tant que président délégué pour Djibouti du groupe d'amitié France-Pays de la Corne de l'Afrique du Sénat, je ne peux que m'en réjouir.

M. Cédric Perrin, président. - La situation actuelle de Djibouti est marquée par l'omniprésence de la Chine et l'activité des Houthis au Yémen.

Construction d'une ligne de chemin de fer, base militaire impressionnante : la présence chinoise est de plus en plus massive. Il ne faut pas que la France s'efface, d'autant que Djibouti reste un point d'appui indispensable pour l'évacuation de nos ressortissants en cas de crise politique ou militaire majeure dans la région, ainsi que pour notre stratégie indopacifique.

J'entends les réserves sur la nature du régime, mais ce genre de prévention nous empêcherait de conclure des accords de coopération avec 70 % des États du monde. Nous devons regarder le monde tel qu'il est et non pas tel que nous aimerions qu'il soit. Depuis dix ans que je suis au Sénat, pas un budget n'a omis de conforter nos liens avec ce pays. Je rappelle en outre l'intéressante mission d'information de nos collègues Philippe Paul, Hugues Saury et Gilbert-Luc Devinaz dans ce pays stratégique, en 2018

Chacun se retrouve dans cet accord, renégocié, je le rappelle, à la demande des autorités de Djibouti.

Le projet de loi est adopté sans modification.

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