N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2024,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 17
Investir pour la France de 2030

Rapporteurs spéciaux : MM. Laurent SOMON et Thomas DOSSUS

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson,
rapporteur général ;
MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient,
Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138

Sénat : 718 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

MISSION « INVESTIR POUR LA FRANCE DE 2030 »

1. La mission « Investir pour la France de 2030 » a été exécutée à hauteur de 6 271 millions d'euros en crédits de paiement (CP) en 2024, soit un taux d'exécution de 81 %. Cette exécution correspond principalement au déploiement des aides du plan France 2030, les aides du troisième volet du Programme d'investissement d'avenir (PIA 3) ne représentant que 4 % des CP exécutés.

2. Parallèlement à l'exécution des crédits en AE et en CP, conformément au circuit budgétaire classique, l'exercice 2024 a correspondu à l'entrée du plan France 2030 dans une phase de maturité du point de vue du circuit extrabudgétaire des crédits du plan dont la gestion pluriannuelle est déléguée à des opérateurs spécifiques. Le montant des aides attribuées au cours de l'exercice 2024 a ainsi atteint 7 256 millions d'euros soit un montant proche du rythme d'attribution observé en 2022, et une décrue de 60 % par rapport à 2023, année d'accélération de l'attribution des aides du plan.

3. La méthode de calibrage des crédits de paiements ouverts en loi de finances initiale pour rapprocher le montant de ces crédits du montant des aides effectivement décaissées aux bénéficiaires finaux au cours de l'exercice s'est nettement améliorée en 2024, le taux de couverture des décaissements par les crédits votés passant de 51 % en 2023 à 90 % en 2024.

4. Enfin, si le redéploiement des crédits entre les programmes de la mission est une possibilité prévue par le cadre spécifique des investissements d'avenir, le rejet par le Parlement de certains redéploiements à hauteur de 90 millions d'euros en 2024 marque la nécessité pour le Gouvernement d'améliorer la motivation de ces redéploiements et l'association du Parlement à ces prises de décision dans les années à venir.

La mission « Investir pour la France de 2030 » a été créée par la loi de finances initiale pour 2017 sous le nom « Investissements d'avenir » pour porter les investissements du troisième volet du programme d'investissements d'avenir (PIA 3) à hauteur de 10 milliards d'euros. Elle a également servi de support au quatrième volet du programme d'investissements d'avenir (PIA 4) dans la loi de finances initiale pour 2021 à hauteur de 16,5 milliards d'euros.

La mission a été profondément transformée par la loi de finances initiale pour 2022 qui, pour tenir compte du lancement du plan « France 2030 », a procédé aux modifications suivantes :

- la mission a été renommée « Investir pour la France de 2030 » et elle regroupe à la fois les investissements du PIA 3 et ceux du plan France 2030, qui intègre les investissements du PIA 41(*) ;

- le lancement du plan France 2030 s'est traduit par l'ouverture de 34 milliards d'euros d'autorisations d'engagement (AE) supplémentaires2(*).

Depuis la loi de finances initiale pour 2021, la mission est structurée en cinq programmes dont trois concernent la mise en oeuvre du PIA 3 et deux concernent la mise en oeuvre du plan France 2030 qui intègre les crédits du PIA 4.

Les trois programmes de mise en oeuvre du PIA 3, échelonnés selon le niveau de maturité des technologies soutenues, sont les suivants :

- le programme 421 « Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche » qui finance les actions dédiées aux innovations ayant un niveau de maturité encore proche de la recherche fondamentale ;

- le programme 422 « Valorisation de la recherche » qui finance les actions dédiées aux innovations ayant un niveau de maturité intermédiaire permettant leur valorisation économique ;

- le programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises » qui finance les actions dédiées aux innovations les plus matures.

Les deux programmes de mise en oeuvre du plan France 2030, auquel les crédits du PIA 4 sont intégrés, sont les suivants :

- le programme 424 « Financement des investissements stratégiques » qui correspond au volet dirigé du plan France 2030, c'est-à-dire aux actions de soutien aux secteurs prioritaires identifiés dans le cadre de la construction des vingt-quatre stratégies nationales d'accélération du PIA 4 ;

- le programme 425 « Financement structurel des écosystèmes d'innovation » qui correspond au volet transversal du plan France 2030, c'est-à-dire aux actions de soutien à l'innovation au bénéfice de l'ensemble des secteurs économiques.

Évolution des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » en 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après la documentation budgétaire

I. L'EXÉCUTION EN 2024 DES CRÉDITS DE LA MISSION « INVESTIR POUR LA FRANCE DE 2030 »

A. LES 6,3 MILLIARDS D'EUROS DE CRÉDITS EXÉCUTÉS SUR LA MISSION EN 2023 CORRESPONDENT À LA POURSUITE DU DÉPLOIEMENT DU PLAN FRANCE 2030 QUI ENTRE DANS UNE PHASE DE MATURITÉ

1. L'exercice 2024 a été marqué par l'entrée du plan France 2030 dans une phase de maturité caractérisée par une poursuite de la hausse des décaissements aux bénéficiaires finaux et par un ralentissement du volume de nouvelles aides attribuées

L'évolution de l'exécution des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » doit être interprétée au regard du circuit budgétaire non-conventionnel des investissements du PIA 3 et du plan France 2030.

En effet, en application de l'article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 20103(*), les aides financées par les quatre volets successifs du programme d'investissements d'avenir (PIA 1 à 4) et du plan France 2030 bénéficient d'un cadre de gestion extra-budgétaire qui prévoit de déléguer aux opérateurs du plan le déploiement pluriannuel des crédits du programme d'investissements d'avenir et du plan France 2030.

Ce cadre de gestion extrabudgétaire prévoit en particulier que, pour chaque action, les autorisations d'engagement (AE) du PIA et du plan France 2030 sont consommés intégralement par décision du Premier ministre au moment de la publication de la convention entre l'État et les opérateurs fixant les conditions d'attribution des aides relatives à cette action. À la fin de l'année 2024, les autorisations d'engagement du plan France 2030 ont été consommées à hauteur de 48 350 millions d'euros, soit 96 % du volume total d'autorisations d'engagement prévu à l'échelle du plan.

Cependant, si le suivi de la consommation des autorisations d'engagement permet de suivre la délégation des crédits aux opérateurs du plan, il ne suffit pas à déterminer le volume des aides pour lequel l'État s'est effectivement engagé auprès d'un bénéficiaire final.

Parallèlement au cycle budgétaire, le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), service interministériel chargé du suivi de la mise en oeuvre du plan France 2030, suit ainsi des indicateurs relatifs au cycle opérationnel d'utilisation des crédits du plan.

En particulier, le suivi du volume des crédits attribués permet de retracer le rythme de déploiement du plan en mesurant le volume des aides nouvelles attribuées, au cours de l'exercice budgétaire, à un bénéficiaire final par décision du Premier ministre.

L'exécution des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » pour l'exercice 2024 fait apparaître un ralentissement sensible du rythme d'attribution des aides à de nouveaux projets. Ce ralentissement, qui représente 10 744 millions d'euros d'aides attribuées soit 60 % du volume d'aides nouvelles attribuées en 2024, correspond à l'arrivée du plan France 2030 dans une phase de maturité.

Après avoir connu trois exercices de montée en puissance puis d'accélération qui correspondait à la nécessité d'engager les chantiers prioritaires identifiés lors du lancement du plan, le rythme d'attribution au cours de l'exercice 2024, de 7,3 milliards d'euros, permet à la fois d'étaler dans le temps l'attribution des aides pour garantir leur ciblage sur les projets de transformation et de maintenir un rythme soutenu. Il est à relever à cet égard que le maintien d'un rythme d'attribution annuel d'un ordre de grandeur de 6 milliards d'euros entre 2025 et 2027 permettrait d'attribuer l'intégralité des aides avant la fin de l'exercice 2027, ce qui permettrait d'observer les effets du plan à l'horizon de référence de 2030, eu égard à la nécessité de prévoir plusieurs années de mises en oeuvre des projets avant qu'ils ne produisent leurs effets.

Volume annuel d'attribution des aides du plan France 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

Comme les rapporteurs spéciaux l'avaient indiqué à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023, l'exercice 2023 a marqué un tournant dans le déploiement du plan dans la mesure où à l'issue de cet exercice le montant total des aides distribuées atteignait 29,9 milliards d'euros, soit 58 % de l'enveloppe globale du plan.

L'exercice 2024 a donc correspondu à l'entrée du plan France 2030 dans une phase de maturité dans laquelle deux phénomènes sont simultanément observés : d'une part le rythme d'attribution des aides nouvelles s'est stabilisé à hauteur de 7,3 milliards d'euros, d'autre part le rythme de décaissement des aides a continué à être dynamique dans la mesure où ces décaissements ont vocation à couvrir non seulement des aides nouvelles attribuées en 2024 mais également des aides attribuées avant le début de l'exercice 2024 qui continuent à mobiliser des fonds sur plusieurs années au regard de la nature pluriannuelle des projets soutenus, dont la durée varie entre trois et dix ans.

Le dynamisme des décaissements s'est donc logiquement traduit par le maintien d'une exécution dynamique des crédits de paiement (CP) en 2024 à l'échelle de la mission, avec 6 023 millions d'euros de CP exécutés en 2024, soit 398 millions d'euros de plus qu'au cours de l'exercice 2023. Les rapporteurs spéciaux relèvent toutefois que cette hausse a largement été contenue par le ralentissement du rythme d'attribution des aides du plan.

Évolution de l'exécution des crédits de paiement du plan France 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après la documentation budgétaire

L'entrée du plan France 2030 dans une phase de maturité pendant l'exercice 2024 se traduit également par une réduction de la marge d'intervention des opérateurs du plan et du Secrétariat général pour l'investissement pour les années restant à venir pour le plan. En effet, à la fin de l'exercice 2024, les aides restant à attribuer atteignent 37,2 milliards d'euros au total, soit 72 % de l'enveloppe.

L'exercice 2025, et à plus forte raison les exercices suivants, correspondront à l'achèvement de la phase d'attribution des aides du plan, ce qui ne manquera pas de soulever la question de la mise en place ou non d'un plan successeur de soutien aux investissements stratégiques.

Attribution des aides du plan France 2030 à la fin de l'exercice 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données du SGPI

2. La fin de l'exemption de mise en réserve pour les programmes de la mission « Investir pour la France de 2030 »

Depuis le lancement du plan France 2030 en octobre 2021, l'exécution des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » pour les exercices 2022 et 2023 avait été marqué par le choix du Gouvernement d'exempter cette mission de la procédure de mise en réserve initiale, ou « gel », qui consiste à rendre indisponible une fraction des crédits en début d'exercice pour faire face à d'éventuels aléas intervenant en cours de gestion.

Cette procédure de gel initial des crédits n'est pas adaptée au fonctionnement extra-budgétaire du plan France 2030 dans lequel l'ouverture des crédits a pour objectif de permettre au Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) de verser aux opérateurs des sommes couvrant les décaissements réalisés par ces opérateurs au profit des bénéficiaires finaux.

L'exemption de mise en réserve initiale était dès lors justifiée par la nature particulière du circuit budgétaire des aides du plan et par la volonté du Gouvernement de « permettre une mobilisation immédiate des crédits pour poursuivre l'objectif stratégique de soutien à l'activité et à la croissance », selon les termes retenus dans le projet de loi de finances initiale pour 2024.

L'exercice 2024 a marqué une rupture dans la doctrine de mise en réserve des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ». En effet, conformément aux termes du projet de loi de finances, les crédits de la mission n'ont pas fait l'objet d'une mise en réserve initiale.

La principale conséquence de cette absence de mise en réserve initiale a été que la mission « Investir pour la France de 2030 » n'a fait l'objet d'aucune annulation de crédits dans le cadre du décret d'annulation de grande ampleur à hauteur de 10,2 milliards d'euros pris le 21 février 20244(*).

Toutefois, la rupture est intervenue par la décision d'appliquer, en dépit des principes susmentionnés et de la position prise par le Gouvernement lors des débats budgétaires, une mise en réserve en cours d'exercice, ou « surgel », qui consiste à rendre indisponible des crédits en cours d'exercice.

Le montant total des surgels appliqués à l'échelle de la mission atteint 1,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) pour 2024, soit 15 % de l'enveloppe totale des CP adoptés par le Parlement pour cet exercice.

Cette pratique, au-delà du manque de cohérence qu'elle soulève au regard de la nature particulière des crédits de la mission qui n'ont pas vocation à être mobilisés pour répondre à des aléas en cours de gestion5(*), soulève également la question de la fidélité de l'exécution du budget tel qu'il a été présenté à la représentation nationale et adopté par elle.

Surgels de crédits sur les programmes de la mission
« Investir pour la France de 2030 » en 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après la documentation budgétaire

B. LE RYTHME D'ATTRIBUTION SOUTENU DES AIDES DU PLAN FRANCE 2030 AU COURS DES EXERCICES 2023 ET 2024 INDUIT UNE TRAJECTOIRE DE DÉPENSES DYNAMIQUES À MOYEN TERME

En application de son architecture budgétaire non-conventionnelle qui repose sur la délégation d'une enveloppe de crédits pluriannuels à des opérateurs, les dépenses du plan France 2030 sont caractérisées par un phénomène d'inertie lié à la nécessité de décaisser les aides auprès des bénéficiaires finaux plusieurs années après que ces aides ont été attribuées. Après l'attribution d'une aide par une décision du Premier ministre (DPM) puis sa contractualisation entre l'opérateur compétent et le bénéficiaire final, le porteur de projet reçoit des versements réguliers pendant la durée de vie du projet, comprise entre trois et dix ans, ces versements étant subordonné à l'atteinte des jalons précisés par la convention signée entre l'opérateur et le porteur de projet.

Par conséquent, l'entrée du plan France 2030 dans une phase de maturité en 2024 aura des conséquences sur le rythme des décaissements dans les années à venir et ainsi que sur le montant des crédits de paiement (CP) inscrit chaque année en loi de finances sur les programmes de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

Exécution budgétaire des aides du plan France 2030 à la fin de l'exercice 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des comptes

À la fin de l'année 2024, sur les 50 410 millions d'euros d'aides du plan financées par la mission « Investir pour la France de 2030 », les autorisations d'engagement (AE) ont été consommées à hauteur de 48 350 millions d'euros, soit 96 % de l'enveloppe totale. En revanche, les crédits de paiement ont été consommés à hauteur de seulement 19 220 millions d'euros ce qui implique l'ouverture à venir de 29 130 millions d'euros de crédits de paiement pour couvrir les autorisations d'engagement déjà consommées sur le plan.

Cet important « reste à payer » de plusieurs dizaines de milliards d'euros à la fin de l'exercice 2024 se traduit par une trajectoire prévisionnelle très dynamique pour les montants de crédits de paiement de la mission pour les exercices 2027 et 2028 qui sont systématiquement supérieurs à 6 milliards d'euros.

Dans un contexte de dégradation des finances publiques, les rapporteurs spéciaux seront attentifs à la compatibilité de cette trajectoire avec l'objectif de consolidation des comptes publics et le maintien de la soutenabilité de la dette publique.

À ce titre, les rapporteurs relèvent que le montant des crédits de paiement (CP) votés dans la loi de finances initiale pour l'exercice 2025, à hauteur de 5 265 millions d'euros, s'écarte substantiellement de la trajectoire prévisionnelle fixée par le SGPI dans les documents budgétaires de l'automne 2023, l'écart total à l'échelle de la mission représentant 3 245 millions d'euros soit 62 % des crédits ouverts en 2025.

II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

A. LA NOUVELLE MÉTHODE DE PILOTAGE DE LA TRÉSORERIE DES OPÉRATEURS DU PLAN FRANCE 2030 NE PERMET PAS DE TRANSMETTRE AU PARLEMENT EN TEMPS UTILE LES INFORMATIONS RELATIVES AU DÉPLOIEMENT OPÉRATIONNEL DES INVESTISSEMENTS

Depuis 2022, le Gouvernement a modifié sa méthode de calibrage du montant des crédits de paiement (CP) ouverts par les lois de finances annuelles dans l'objectif de rapprocher leur montant des décaissements ayant effectivement lieu dans le courant de l'exercice concerné.

Par suite, à partir de l'exercice 2023, après deux années au cours desquelles les opérateurs du plan France 2030 ont accumulé un niveau important de trésorerie, le montant des crédits de paiement inscrits en loi de finances initiale s'est rapproché du montant des décaissements effectifs associés.

Pour l'exercice 2023, la méthode de calibrage, qui repose sur une prévision des besoins de décaissement construite à partir de clés d'engagement et de décaissement forfaitaires à partir des tendance constatées sur les premières années de déploiement du plan, n'a permis que de rapprocher partiellement le montant des crédits exécutés de celui des aides décaissées, avec un taux de couverture des décaissements par les crédits votés de 51 %, résultant de 2 890 millions d'euros d'aides décaissées pour 5 620 millions de CP exécutés.

Pour l'exercice 2024, la méthode de calibrage a été affinée par trois mesures principales : un ajustement des clés d'engagement et de décaissement forfaitaires ; la prise en compte d'un délai de contractualisation qui repousse la date effective des premiers décaissements ; l'adoption d'une nouvelle méthode pour les projets de grande ampleur, en privilégiant une prévision effective selon les données disponibles plutôt que l'application d'une clé forfaitaire pour ces projets.

Cette nouvelle méthode a permis une amélioration substantielle du taux de couverture de décaissement par les crédits votés qui atteint 90 % pour l'exercice 2024, résultant de 5 430 millions d'euros d'aides décaissées pour 6 020 millions d'euros de CP exécutés.

Taux de couverture de décaissement par les crédits votés du plan France 2030

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des comptes

En parallèle, pour tenir compte de l'importante accumulation de trésorerie fléchée dans les comptes budgétaires des opérateurs du plan, le Gouvernement a choisi de procéder à un surgel massif des crédits de la mission dans le but d'annuler ces crédits dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion. À l'échelle du plan France 2030, le Gouvernement a ainsi procédé au surgel de 1 195 millions d'euros dans le courant de l'exercice. Les crédits ainsi soumis à un surgel explique les annulations opérées par la loi de finances de fin de gestion pour 20246(*) à hauteur de 1 195 millions d'euros à l'échelle du plan France 2030.

Les rapporteurs spéciaux relèvent que l'apurement de la trésorerie des opérateurs constitue le corolaire légitime de la nouvelle méthode de calibrage qui vise à rapprocher le montant des crédits votés chaque année du montant des aides effectivement décaissées au bénéfice des porteurs de projets.

Pour autant, les conditions dans lesquels la trésorerie des opérateurs du plan a été mobilisée au cours de l'exercice 2024 n'a pas permis de donner au Parlement une image précise des conséquences des annulations opérées par la loi de finances de fin de gestion pour 2024 d'une part sur la trésorerie des opérateurs et d'autre part sur la programmation de déploiement du plan en 2025.

En effet, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024, le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) a indiqué aux rapporteurs spéciaux qu'il n'était pas en mesure de transmettre une version mise à jour de la trésorerie des opérateurs et de la programmation de déploiement des aides en 2025 tenant compte du projet de loi de finances de fin de gestion présenté par le Gouvernement.

L'incapacité du Gouvernement de transmettre au Parlement des informations précises et claires sur les conséquences des annulations de crédits qu'il propose interroge sur sa maîtrise du processus d'apurement des trésoreries des opérateurs et elle doit être corrigée à l'occasion de l'examen des prochains textes financiers.

B. LA DOCTRINE DE REDÉPLOIEMENT DES RELIQUATS DE CRÉDITS DES TROIS PREMIERS VOLETS DU PIA VERS LE PLAN FRANCE 2030 DOIT ÊTRE PRÉCISÉE PAR LE GOUVERNEMENT

Depuis le lancement du premier volet du Programme d'investissement d'avenir (PIA) en 2010, les gouvernements successifs ont procédé à des redéploiements de crédits, en application de la possibilité ouverte par le III de l'article 8 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 20107(*) qui fixe un cadre de gestion budgétaire dérogatoire pour les crédits de la mission.

Pour autant, si le cadre extra-budgétaire fixé par la loi du 9 mars 2010 rend possible de tels redéploiements, ces redéploiements vont au-delà de l'autorisation initiale donnée par le Parlement lors du vote des autorisations d'engagement d'une génération d'investissements d'avenir, dans la mesure où, lorsque le redéploiement s'effectue d'une génération vers une autre, il a pour effet de réduire l'enveloppe globale d'une des générations d'investissements de rehausser une autre.

Au regard de la situation critique des finances publiques et de la motivation insuffisante du Gouvernement, le Sénat a rejeté la proposition de redéploiement proposée par le Gouvernement par amendement au projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024.

Si le compromis trouvé en commission mixte paritaire sur la loi de finances de fin de gestion pour 2024 a prévu qu'une partie de ces redéploiements seraient opérés à hauteur de 210 millions d'euros contre 300 millions d'euros proposés initialement par le Gouvernement, les rapporteurs spéciaux relèvent que ces mouvements engagent le Parlement et doivent par conséquent faire l'objet d'une motivation sérieuse et d'un débat réel à l'occasion de l'examen de la loi de finances de fin de gestion.

Ils soulignent à cet égard que la doctrine de redéploiement du Gouvernement, qui n'a pas été actualisée depuis 2012, doit être rapidement précisée et présentée au Parlement en vue de l'examen des prochains amendements de redéploiement proposés par le Gouvernement.


* 1 Amendement n° II-2390 du Gouvernement adopté lors de la première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi de finances initiale pour 2022.

* 2 Amendement n° II-2389 du Gouvernement adopté lors de la première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi de finances initiale pour 2022.

* 3 Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificatives pour 2010.

* 4 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 5 La motivation principale de la création du Programme d'investissement d'avenir (PIA) était de pouvoir garantir une exécution des investissements en étant protégé des aléas conjoncturels de court terme.

* 6 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.

* 7 Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificatives pour 2010.

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