N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2024,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 18
Justice

Rapporteur spécial : M. Antoine LEFÈVRE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson,
rapporteur général ;
MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient,
Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138

Sénat : 718 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. En 2024, les autorisations d'engagement (AE) de la mission « Justice » se sont élevées à 12,9 milliards d'euros, tandis que 11,8 milliards d'euros de crédits de paiement (CP) ont été consommés. Par rapport à l'exercice 2023, les moyens consacrés à la justice ont ainsi augmenté de 4,6 % en CP. Les AE restent inférieures au niveau record de 14,2 milliards d'euros atteint en 2022, lié à une phase de rattrapage des retards constatés sur la mise en oeuvre des programmes immobiliers pénitentiaires et au renouvellement des marchés de gestion déléguée.

2. Une nouvelle fois, les dépenses d'investissement sont nettement inférieures à la prévision, à un niveau de 662,2 millions d'euros en AE (à peine la moitié de la prévision) et de 735,3 millions d'euros en CP (soit plus d'un quart de moins que la prévision). L'investissement a ainsi décru en 2024 par rapport à 2023, alors que les besoins n'ont jamais été aussi criants.

3. L'exécution budgétaire a été particulièrement heurtée. Le décret d'annulation du 21 février 2024 a annulé 327,9 millions d'euros de crédits sur la mission « Justice » et a été suivi, en juillet, d'un surgel complémentaire. L'exécution de certaines actions a subi les effets de ces à-coups budgétaires. La direction de la protection judiciaire de de la jeunesse a dû faire face à un mouvement social après avoir renoncé à renouveler 480 contrats infra-annuels en milieu d'année.

4. Au total, la mise en oeuvre de la loi de programmation est ralentie, voire remise en cause. Les effectifs n'augmentent pas aussi vite que prévu et les projets immobiliers sont impactés par des retards.

5. Les frais de justice poursuivent leur augmentation, qui est supérieure de 33 % à l'inflation sur les dix dernières années. S'agissant d'une quasi-dépense de guichet, les décaissements systématiquement supérieurs à la prévision exercent une pression sur les autres postes de dépenses du ministère, qui doivent être ajustées en conséquence.

6. Ces éléments combinés doivent pousser à mettre en place, dans le prochain budget, une nouvelle programmation triennale réaliste des différents postes de dépenses, fondée sur les éléments d'exécution budgétaire et sur une évaluation réelle de l'efficacité des politiques publiques mises en place par le ministère de la justice.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2024

La mission « Justice » comprend l'ensemble des moyens budgétaires du ministère de la justice0F1(*).

Trois des six programmes de la mission concernent les directions « métiers » du ministère et concentrent la majeure partie des crédits (88,0 %) :

- le programme 166 « Justice judiciaire » regroupe les crédits relatifs aux juridictions ;

- le programme 107 « Administration pénitentiaire » porte les crédits alloués au service public pénitentiaire ;

- le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » couvre l'ensemble des moyens dédiés à la justice des mineurs.

Deux programmes transversaux concernent les fonctions support et les crédits d'intervention du ministère :

- le programme 101 « Accès au droit et à la justice » porte notamment sur les crédits relatifs à l'aide juridictionnelle ;

- le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » est placé sous la responsabilité du secrétariat général du ministère et regroupe les moyens du secrétariat général, de l'inspection générale de la justice ainsi que les crédits des opérateurs de la mission et ceux dédiés aux politiques transversales telles que l'informatique et la gestion des ressources humaines.

Enfin, le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » répond à la volonté d'assurer l'autonomie de cette institution, conformément aux dispositions de l'article 65 de la Constitution.

A. LES CRÉDITS CONSOMMÉS SONT EN NET RETRAIT PAR RAPPORT AUX AUTORISATIONS BUDGÉTAIRES EN LOI DE FINANCES INITIALE

Exécution des crédits de la mission par programme en 2024

(en millions d'euros et en %)

 

Exécution
2023

Prévision
LFI 2024

Exécution
2024

Évolution 2024 / 2023

Exécution 2024 / prévision

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

166 - Justice judiciaire

4 245,1

4 124,6

4 758,7

4 548,8

4 558,7

4 374,9

+ 7,4 %

+ 6,1 %

95,8 %

96,2 %

107 - Administration pénitentiaire

5 130,1

4 748,3

6 816,4

5 005,4

5 832,9

4 944,8

+ 13,7 %

+ 4,1 %

85,6 %

98,8 %

182 - Protection judiciaire de la jeunesse

1 091,7

1 071,7

1 161,7

1 126,8

1 086,1

1 087,4

- 0,5 %

+ 1,5 %

93,5 %

96,5 %

101 - Accès au droit et à la justice

703,9

704,0

736,3

736,3

726,8

727,0

+ 3,3 %

+ 3,3 %

98,7 %

98,7 %

310 - Conduite et pilotage de la politique de la justice

650,6

658,6

770,0

748,8

666,9

687,5

+ 2,5 %

+ 4,4 %

86,6 %

91,8 %

335 - Conseil supérieur de la magistrature

3,7

4,6

4,6

5,7

4,4

5,3

+ 17,5 %

+ 14,3 %

94,1 %

92,2 %

Total de la mission

11 825,1

11 311,9

14 247,6

12 171,8

12 875,8

11 826,8

+ 8,9%

+ 4,6 %

90,4 %

97,2 %

Prévision LFI 2024 : y compris fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP)

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances

Le taux d'exécution des crédits autorisés en loi de finances initiale pour 2024 s'élève à 90,4 % pour les autorisations d'engagement (AE) et à 97,2 % pour les crédits de paiement (CP).

Les autorisations d'engagement sont certes supérieures de 8,9 % à celles consommées pendant l'exercice 2023, mais restent inférieures au niveau de 14,2 milliards d'euros atteint en 2022, alors lié à une phase de rattrapage des retards constatés sur la mise en oeuvre des programmes immobiliers pénitentiaires et au renouvellement des marchés de gestion déléguée.

L'exécution 2024 souffre de retards sur l'engagement, tout particulièrement pour les projets immobiliers et informatiques portés par le ministère de la justice. Le rapporteur spécial souligne et regrette une nouvelle fois la très forte sous-exécution des dépenses d'investissement, qui s'établissent à 662,2 millions d'euros en AE (contre 1 304,4 millions d'euros prévus, soit 50,8 %) et 735,3 millions d'euros en CP (contre 1 001,3 millions d'euros prévus, soit 73,4 %).

Il est paradoxal que l'investissement ait décru en 2024 par rapport à 2023, de 6,0 % en crédits de paiement et de 39,4 % en autorisations d'engagements, alors que les besoins n'ont jamais été aussi criants (voir infra).

B. LIÉE À UNE FORTE RÉGULATION EN COURS D'ANNÉE, CETTE SOUS-EXÉCUTION S'ÉLOIGNE DE LA PROGRAMMATION PLURIANNUELLE

L'exercice 2024 a été marqué par un important décret d'annulation de crédits, pris le 21 février afin de pallier la dégradation des prévisions de finances publiques et notamment de recettes2(*).

La mission « Justice » n'a pas été épargnée avec une annulation de crédits de 327,9 millions d'euros, en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, dont 23,6 millions d'euros de titre 2, portant sur l'ensemble des programmes à l'exception du programme 101 « Accès au droit et à la justice ».

Répartition des annulations de crédits par le décret du 21 février 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir du décret précité du 21 février 2024. N'apparaît pas le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » (annulation de crédits de 0,2 million d'euros).

Après cette annulation, les crédits restants ont fait l'objet d'un gel supplémentaire le 11 juillet 2024 à hauteur de 46,7 millions d'euros. Tous les programmes ont été concernés, à l'exception des programmes 101 « Accès au droit et à la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».

L'exécution de certaines actions a subi les effets de ces à-coups budgétaires. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse a ainsi renoncé en milieu d'année à renouveler 480 contrats infra-annuels, suscitant un mouvement social. La Cour des comptes indique toutefois que cette décision ne découlait pas seulement des mesures de régulation budgétaire, mais également d'une politique de recrutement trop volontariste au premier semestre, qui aurait limité la capacité de pilotage des crédits. Un plan d'action est actuellement en cours d'élaboration afin d'éviter qu'une telle situation survienne de nouveau.

Enfin, la loi de finances de fin de gestion a annulé 697,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 61,0 millions d'euros en crédits de paiement.

Mouvements intervenus en cours de gestion 2024
sur la mission « Justice »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Ces mesures ont contribué à ralentir les projets immobiliers et informatiques et, de fait, la mission Justice ne respecte plus la progression des crédits prévue par la loi de programmation3(*).

Cette évolution montre que, contrairement aux années précédant 2023, où l'exécution avait même été supérieure à la trajectoire prévue par la loi de programmation antérieure4(*), l'existence d'une loi de programmation, pourtant promulguée quelques semaines à peine avant le début de l'exercice 2024, ne constitue pas une garantie pour le maintien des crédits, dans une situation où le Gouvernement cherche à réduire la dépense face à l'urgence budgétaire.

Crédits exécutés et prévus par la loi de programmation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires. Crédits de paiement hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait des crédits de 12 459 millions d'euros, dont 10 242 millions d'euros hors CAS Pensions. Les crédits ayant été rehaussés de 223,8 millions d'euros au cours des débats, le montant des crédits résultants, hors CAS Pensions, est de l'ordre de 10 466 millions d'euros. Si la loi de finances pour 2025 était respectée, l'écart avec la loi de programmation serait dont partiellement résorbé en rythme annuel, à condition de maintenir un haut niveau de dépenses pendant les années ultérieures pour combler le manque d'investissement résultant de la sous-exécution en 2023 et 2024.

Toutefois, la contrainte budgétaire étant plus forte que jamais, le Gouvernement a pris un nouveau décret, le 25 avril dernier, qui a annulé 116,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 139,1 millions d'euros en crédits de paiement sur la mission « Justice ». Il est donc permis de prévoir que le décalage ne sera pas rattrapé alors que la « marche » 2025 était la plus importante de la loi de programmation.

Il n'en reste pas moins que, depuis 2018, la justice a connu une augmentation notable de ses moyens de + 41,8 %, soit + 22,8 % hors inflation (dont + 16,1 %, hors inflation, par rapport à 2020).

Tout en comprenant la contrainte budgétaire qui s'impose à l'État, le rapporteur spécial souligne que les besoins en investissement et en personnel, pour une politique de la justice historiquement sous-dotée et touchée de plein fouet par l'inflation, peuvent conduire à décaler quelque peu, mais non à annuler la réalisation des objectifs d'investissement (revalorisation des personnels, finalisation des grands programmes immobiliers, déploiement de la seconde phase du plan de transformation numérique de la justice) comme de recrutements (10 000 équivalents temps plein supplémentaires entre 2023 et 2027).

Il est nécessaire, à cet égard, que le Gouvernement remette dès que possible le rapport annuel d'avancement de la loi de programmation, qui était prévu pour le 30 avril5(*).

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, le rapporteur spécial s'était concentré, au-delà de la mise en oeuvre de la loi de programmation, d'une part sur les problématiques communes aux directions métier du ministère de la justice (ressources humaines, immobilier et informatique), d'autre part sur la mesure et l'évaluation des moyens budgétaires octroyés à la mise en oeuvre des réformes de la justice.

L'examen du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024 permet d'apprécier les résultats obtenus par le ministère sur chacun de ces aspects, érigés en priorité par le Gouvernement.

A. LES EFFECTIFS AUGMENTENT, MAIS PAS AU RYTHME PRÉVU

Les dépenses de personnel (titre 2) ont progressé de 6,8 % en 2024 pour atteindre 7 025,7 millions d'euros, un montant de dépenses inférieur de 1,5% seulement aux crédits autorisés en loi de finances initiale. Un dégel des crédits bloqués a été nécessaire au début du mois de décembre 2024 afin de sécuriser le versement des rémunérations en fin d'année.

Cette augmentation correspond à la mise en oeuvre du programme de revalorisation des métiers concernant plusieurs branches de l'administration du ministère de la justice. Des mesures catégorielles d'une montant total de 192 millions d'euros ont concerné notamment la revalorisation indemnitaire des magistrats (81,3 millions d'euros), la réforme de la filière surveillance de l'administration pénitentiaire (36 millions d'euros), l'augmentation des cinq points d'indice supplémentaires accordée aux personnels de cette administration (18,3 millions d'euros) et la revalorisation du corps d'encadrement et d'application (15,8 millions d'euros).

La loi de finances initiale prévoyait des recrutements de 1 925 équivalents temps plein (ETP) correspondant au respect de la loi de programmation, dont les deux tiers, soit 1 274 ETP, pour la direction des services judiciaires, et 447 ETP pour la direction de l'administration pénitentiaire. À ces objectifs s'ajoutait une mesure de rattrapage de 149 ETP afin de rattraper des recrutements non réalisés en 2022.

Ce schéma d'emploi, mesure de rattrapage comprise, a été globalement respecté en 2024 avec des recrutements nets de 2 068,8 équivalents temps plein (ETP).

En revanche, le plafond d'emplois n'a pas été atteint. Alors que la loi de finances initiale avait fixé un plafond de 94 698 équivalents temps plein travaillés (ETPT), l'exécution n'a été que de 93 126 ETPT. Cette sous-exécution est fréquente. L'écart de - 1 572 ETPT révèle des renforcements en personnel moins importants que prévu principalement sur le programme 107 « Administration pénitentiaire » (- 921 ETPT), mais aussi 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » (- 336 ETPT) et 166 « Justice judiciaire » (- 214 ETPT).

Écart entre le plafond d'emplois en loi de finances initiale et l'exécution

(en équivalents temps plein travaillés ou ETPT)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

B. LES INVESTISSEMENTS DIMINUENT MALGRÉ LA PERSISTANCE DE BESOINS CRIANTS

L'année 2024 a été marquée par des dépenses d'investissement inférieures de 266,0 millions d'euros, soit plus d'un quart, à celles qui étaient prévues en loi de finances initiale, et même inférieures de 47,1 millions d'euros, soit 6,0 %, à celles qui ont été réalisées en 2023. Dans le même temps les dépenses de fonctionnement (hors salaires) ont poursuivi leur progression.

Or la même sous-exécution des dépenses d'investissement avait eu lieu en 2023, ce qui montre les difficultés rencontrées par le ministère pour atteindre les objectifs de la loi de programmation.

Dépenses de fonctionnement et d'investissement
du ministère de la justice en 2023 et en 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La sous-exécution concerne surtout le programme 166 « Justice judiciaire », qui a consacré 190,5 millions d'euros aux investissements, contre 363,9 millions d'euros prévus en loi de finances initiale (- 47,7 %). Cet écart de 173,4 millions d'euros ne peut être que partiellement expliqué par l'annulation de crédits de 124,4 millions d'euros, hors titre 2, réalisée par le décret du 21 février 2024.

Par ailleurs, ces moindres dépenses ne constituent pas des économies proprement dites, car elles correspondent plutôt à des retards de programmes, qui devront être menés à bien ultérieurement : le montant des restes à payer augmente sur le programme 166 de 2 298,7 millions d'euros fin 2023 à 2 482,5 millions d'euros fin 2024 (+ 183,8 millions d'euros), contraignant d'autant les dépenses futures. Ces restes à payer concernent tout particulièrement certains projets importants : restructuration du palais de justice historique de l'île de la Cité, à Paris, construction du tribunal de Paris et du palais de justice de Caen. Le palais de justice de Paris, à lui seul, correspond à une dette de 590 millions d'euros, soit 18,4 % de la dette liée à l'ensemble des contrats de partenariat public-privé (PPP) immobiliers6(*).

Une partie des autorisations d'engagement, de l'ordre de 200 millions d'euros, correspond toutefois, dans le cadre des marchés de partenariat, à une indemnité de dédit qui diminue au fur et à mesure de l'exécution du contrat, de sorte qu'il ne serait pas nécessaire de les couvrir par des crédits de paiement.

Sur le programme 107 « Administration pénitentiaire », les investissements ont été de 480,8 millions d'euros pour une prévision de 520,7 millions d'euros, soit un écart de - 39,9 milliards d'euros (- 7,7 %). En conséquence, l'annulation de crédits par le décret du 21 février 2024, qui s'est élevée à 103,0 millions d'euros sur ce programme, hors titre 2, n'a que partiellement porté sur les dépenses d'investissement. Le programme 107 représente ainsi les deux tiers des investissements du ministère en exécution, contre 52 % en prévision.

Le rapporteur spécial souligne l'importance de réserver une priorité aux dépenses d'investissement de l'administration pénitentiaire, qui constituent l'un des besoins les plus criants du ministère. La situation de surpopulation dans les prisons ne cesse en effet de s'aggraver, avec une densité carcérale de 133,0 % au 1er avril 2025 (contre 125,8 % un an plus tôt), et même 161,8 % dans les maisons d'arrêt ou quartiers de maison d'arrêt (hors mineurs)7(*).

À cet égard, la très forte sous-exécution des autorisations d'engagement, qui n'ont été que de 192,9 millions d'euros, contre une prévision de 715,0 millions d'euros sur ce programme, ne peut qu'inquiéter sur la capacité à mener à bien le plan de construction de 15 000 places. À la fin 2024, plus de la moitié des places programmées en étaient toujours au stade des études. Il est donc urgent de définir une nouvelle programmation crédible, car les retards entraînent un surcoût des programmes immobiliers, estimé à 73 millions d'euros pour l'année 20258(*).

S'agissant des dépenses de fonctionnement de la mission « Justice », la hausse par rapport à 2023 porte sur de nombreux postes.

En particulier, la gestion déléguée des établissements de l'administration pénitentiaire représente un coût en augmentation de 72,5 millions d'euros avec l'ouverture de nouvelles structures et l'effet d'une clause d'indexation des prix9(*). Or les dépenses à venir du programme 107 seront impactées par le poids des crédits destinés au renouvellement des marchés de gestion déléguée des établissements pénitentiaires passés fin 2024, qui constituent la majeure part des engagements budgétaires en cours, d'un montant total de 7,6 milliards d'euros.

Les dépenses d'immobilier occupant du programme 166, en revanche, sont stables en crédits de paiement (245,1 millions d'euros) en raison de la baisse du prix des fluides, qui compense une hausse des dépenses de nettoyage et des loyers. La hausse du coût des loyers résulte du renouvellement de certains baux, mais aussi à de nouvelles prises à bail liées à l'augmentation des effectifs. La majeure partie des dépenses de fonctionnement de ce programme correspondent toutefois à des frais de justice (voir infra).

C. LA DÉPENSE CONTRAINTE DES FRAIS DE JUSTICE EXERCE UNE PRESSION TOUJOURS PLUS FORTE SUR L'ACTION DU MINISTÈRE

L'année 2024 n'a pas permis d'engager une réelle maîtrise de la progression des frais de justice : malgré les observations du rapport annuel de performances, qui voit un élément rassurant dans une augmentation du flux de mémoires un peu moins importante que les années précédentes, on constate que le montant absolu des frais de justice, déjà très élevé, continue à augmenter.

La hausse sur 10 ans, entre 2014 et 2024, a ainsi été de 52,3 %, alors que l'inflation était de 18,8 % seulement sur la même période. Or le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une nouvelle progression de 10,1 %, laquelle pourrait être plus importante encore en exécution si, comme chaque année, les dépenses effectives sont supérieures à la prévision.

Évolution des frais de justice depuis 2014

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et la note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes

Ce poste est en effet, presque chaque année, budgété de manière insuffisante en loi de finances initiale, ce qui non seulement correspond à une information insuffisante du Parlement mais entraîne des difficultés en gestion.

Dès le mois de mars 2024, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) a fait en effet état de l'insuffisance des crédits prévus en début d'année. Si les frais de justice ont été exonérés de la mise en réserve initiale et n'ont pas subi d'annulation en application du décret du 21 février 2025, ces mesures de régulation se sont nécessairement répercutées sur les autres dépenses du programme 166.

La dépense de frais de justice constitue en effet une quasi-dépense de guichet, très difficile à piloter en raison de la liberté de prescription des magistrats et officiers de police judiciaire. En conséquence, toute augmentation de ce poste de dépense par rapport à la prévision implique une réduction des autres dépenses. La sous-budgétisation chronique des frais de justice a donc un impact sur la capacité du ministère à faire face à ses autres dépenses de fonctionnement, qu'il s'agisse des dépenses liées à l'immobilier ou du fonctionnement courant.

Le ministère a pourtant engagé en 2022 un plan de maîtrise des frais de justice, qui depuis février 2024 implique, au-delà de la direction des services judiciaires (DSJ), les autres directions concernées, aussi bien au ministère de la justice10(*) qu'au ministère de l'intérieur11(*), ainsi que, à compter de 2025, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

Cette participation de plusieurs ministères est indispensable car le ministère de la justice supporte les coûts de prestations ordonnées non seulement par des magistrats instructeurs et des procureurs qui dépendent de ce ministère, mais aussi par des officiers de police judiciaire relevant du ministère de l'intérieur. La prévision d'augmentation des frais de justice actée par le projet de loi de finances pour 2025 montre toutefois que ce plan tarde à produire des résultats.

En raison du caractère structurel de l'inflation des frais de justice et de son impact sur la capacité du ministère à faire face à ses engagements, le rapporteur spécial a décidé de consacrer en 2025 un travail de contrôle budgétaire aux frais de justice, inclus dans le programme annuel de contrôle de la commission des finances.

D. IL EST NÉCESSAIRE DE METTRE EN PLACE UNE VÉRITABLE PROGRAMMATION DE LA DÉPENSE FONDÉE SUR L'ÉVALUATION DE SON EFFICACITÉ

Les crédits de la mission « Justice » sont intégrés dans le « périmètre des dépenses de l'État », qui selon la loi de programmation des finances publiques constitue la norme de pilotage de ces dépenses12(*), et tous font l'objet d'une mise en réserve en début d'année selon les règles de droit commun, c'est-à-dire, en 2025, à hauteur de 0,5 % des crédits de titre 2 et 5,5 % des crédits hors titre 2.

Or toutes les lignes de la mission ne sont pas réellement pilotables.

L'aide juridictionnelle et les frais de justice du programme 166 constituent une quasi dépense de guichet et les dépenses du programme 107 découlant des obligations contractuelles des partenariats publics privés ne peuvent être évitées.

S'agissant des dépenses informatiques, un effort du ministère pour internaliser les compétences permet de réduire les dépenses auprès des prestataires extérieurs. De manière générale, un référentiel budgétaire mis en oeuvre en 2024 devrait permettre d'améliorer le pilotage de ces dépenses afin de mieux distinguer les dépenses nécessaires au maintien en condition opérationnelle des systèmes existants de celles qui permettent de préparer les nouveaux applicatifs, bien souvent indispensables face à l'obsolescence des logiciels actuellement utilisés dans le ministère.

Le rapporteur spécial reprend et complète donc la recommandation qu'il fait régulièrement de conduire une évaluation de l'efficacité de la dépense du ministère de la justice.

Face au risque de non-réalisation, ou en tout cas de fort retard de mise en oeuvre de la loi de programmation actuelle, il est nécessaire que, dans le cadre du prochain projet de loi de finances et conformément au principe de « chaînage vertueux » entre l'exécution de l'année N - 1 et la préparation du budget N + 1, une programmation triennale soit mise en place de la manière la plus réaliste et documentée possible, conformément aux orientations introduites par la dernière révision de la loi organique relative aux lois de finances13(*) et en tenant compte de l'objectif général de réduction du déficit public.

Faute d'un tel exercice, le ministère risque d'être dans l'incapacité de répondre aux nombreuses attentes dont il fait l'objet : celles des usagers, qui sont en droit de bénéficier d'un service public de la justice plus efficace et plus rapide, comme celles des personnels en nombre encore insuffisant et dépourvus de moyens face à l'accroissement de la charge de travail.

Il convient d'approuver à cet égard les efforts de mise en place d'une comptabilité analytique par le ministère de la justice, par exemple pour l'évaluation des coûts des prestations pénitentiaires (direction de l'administration pénitentiaire), des mesures éducatives dans les différents établissements de placement (direction de la protection judiciaire de la jeunesse) ou encore des coûts informatiques (programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice »). Ces efforts doivent être poursuivis et mis au service d'une meilleure allocation de crédits désormais plus contraints.


* 1 Les crédits dédiés aux juridictions administratives sont portés par le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

* 2 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 3 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 4 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 5 Article 1er de la loi précitée du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice.

* 6 Compte général de l'État 2024, p. 63.

* 7 Ministère de la justice, Statistiques mensuelles de la population détenue et écrouée.

* 8 Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) et direction de l'administration pénitentiaire, citées par la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire relative à l'exécution des crédits de la mission « Justice » en 2024.

* 9 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire relative à l'exécution des crédits de la mission « Justice » en 2024, p. 27.

* 10 Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), direction des affaires civiles et du sceau (DACS), Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ).

* 11 Directions générales de la police nationale (DGPN) et de la gendarmerie nationale (DGGN).

* 12 Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, article 10 et rapport annexé.

* 13 La révision de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 28 décembre 2021 a introduit, dans les projets annuels de performance, une « présentation des crédits alloués à titre prévisionnel pour les deux années suivant l'année considérée » (5°a bis de l' article 51 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances).

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