N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2024,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 20
Outre-mer

Rapporteurs spéciaux : MM. Georges PATIENT et Stéphane FOUASSIN

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson,
rapporteur général ;
MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient,
Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138

Sénat : 718 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Les crédits exécutés sur la mission « Outre-mer » se sont élevés en 2024 à 3,16 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2,92 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 0,8 % en AE et de 2,1 % en CP par rapport à l'exécution des crédits de la mission en 2023.

2. Le décret d'annulation du 24 février 20241(*) a entrainé la suppression de 78,2 millions d'euros en AE et en CP, dont 74,9 millions d'euros sur le programme 123 « conditions de vie outre-mer » et 3,3 millions d'euros sur le programme 138 « emploi outre-mer ». Si les reports de l'année précédente en particulier ont permis finalement d'augmenter les crédits de paiements ouverts de 6,6 %, une telle imprévisibilité ne permet pas une gestion budgétaire saine.

3. Malgré des opérations de retraits d'engagements d'années antérieures pour 65 millions d'euros, la mission compte 2,4 milliards d'euros de restes à payer, en hausse de 9 %, qui constituent donc un risque important pour la mission. Les rapporteurs spéciaux préconisent d'accélérer ces opérations de retraitement.

4. Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui rassemble la majeure partie des dépenses pilotables de la mission, est marqué, en 2024, par une sous-exécution de 12,7 % en AE. Les rapporteurs spéciaux regrettent notamment la sous-consommation de la ligne budgétaire unique (LBU).

5. Les contrats de convergence et de transformation, dont une nouvelle génération a été signée en 2024 dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer, a représenté en exécution 114,5 millions d'euros en AE et 117,6 millions d'euros en CP, soit 70 % des montants prévus en LFI. Les rapporteurs spéciaux prêteront une attention particulière aux montants engagés et dépensés pour cette nouvelle génération de contrats, alors que l'intégralité des montants contractualisés entre 2019 et 2023 n'a pu être utilisée.

6. Concernant le FEI, des crédits ouverts ont été redéployés sur d'autres dépenses d'investissements structurants et surtout 13,4 millions d'euros ont été annulés. Dans ce contexte, les rapporteurs spéciaux affirment que le FEI ne doit pas être considéré comme une variable d'ajustement lors des arbitrages ministériels.

7. Le programme 138 « Emploi outre-mer », constitué principalement de dépenses non-manoeuvrables dites « de guichet », enregistre une sur-exécution de 5 %. Cette évolution s'explique par une hausse des dépenses d'exonérations de cotisations sociales, en raison d'une activité économique plus importante que prévu. Une amélioration de la prévision du coût des exonérations sociales est indispensable pour fiabiliser la budgétisation du programme.

I. UNE EXÉCUTION EN AMÉLIORATION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2024

La mission « Outre-mer » regroupe une partie des moyens budgétaires alloués aux territoires ultramarins :

le programme 138 « Emploi outre-mer » porte les crédits relatifs au développement économique local et à la création d'emplois en outre-mer, à travers notamment des exonérations spécifiques de cotisations sociales patronales, des aides directes et des actions en faveur de l'insertion, de l'amélioration de l'employabilité et de la qualification professionnelle des jeunes ultramarins ;

le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » porte les crédits destinés à réduire les écarts de niveaux de vie et d'équipements constatés entre les territoires d'outre-mer et la métropole à travers notamment des aides en faveur du logement social et un soutien aux collectivités dans leur politique d'investissements structurants.

La mission « Outre-mer » ne permet toutefois pas d'appréhender globalement la politique de l'État en faveur des outre-mer.

En effet, selon le document de politique transversale « Outre-mer »2(*), le montant total des contributions budgétaires de l'État en faveur des outre-mer s'élève à 21,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 23,04 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en projet de loi de finances initiale (LFI) pour 20243(*) (contre 21 milliards d'euros en AE et 22,2 milliards d'euros en CP en LFI 20234(*)).

La mission « Outre-mer » concentre ainsi, en 2024, 14,6 % de l'effort budgétaire de l'État en faveur de ces territoires en AE et 12,1% en CP.

De surcroit, des dépenses fiscales rattachées aux deux programmes de la mission viennent compléter les crédits budgétaires afin de dynamiser l'économie et l'attractivité des territoires d'outre-mer d'une part, et de contribuer à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole d'autre part. Ces dépenses fiscales sont chiffrées en LFI 2024 à 4,927 milliards d'euros pour celles rattachées au programme 123 et à 386 millions d'euros pour celles rattachées au programme 138, soit un total de 5,313 milliards d'euros, ce qui représente 3,1 % de plus qu'en 2023.

A. UNE EXÉCUTION PRESQUE TOTALE DES CRÉDITS

1. Une amélioration confirmée depuis trois ans de l'exécution des crédits

Les crédits exécutés sur la mission « Outre-mer » se sont élevés en 2024 à 3,16 milliards d'euros en AE et à 2,92 milliards d'euros en CP, soit une baisse de 0,8 % en AE et de 2,1 % en CP par rapport à l'exécution des crédits de la mission en 2023.

Les crédits de la mission « Outre-mer » ont été correctement exécutés par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale (LFI)5(*). Ainsi, les crédits ont été sous-consommés à hauteur de 64,4 millions d'euros en AE et ont été sur-exécutés de 112,5 millions d'euros en CP, soit une exécution de 98 % en AE et de 104 % en CP.

Ce niveau d'exécution est salué par les rapporteurs spéciaux qui relèvent pour la seconde année consécutive des progrès notables au niveau de la mission concernant l'utilisation des crédits alloués, en sous-exécution jusqu'en 2021.

Évolution de l'exécution des crédits de la mission « Outre-mer »
entre 2023 et 2024

(en millions d'euros et en pourcentage)

AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. LFI : données issues des lois de finances initiales, hors fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans les projets de loi de règlement.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En effet, jusqu'en 2021, la mission « Outre-mer » enregistrait des consommations très inférieures aux crédits ouverts en LFI, posant ainsi la question du respect du vote des parlementaires lors des projets de loi de finances successifs.

Cette situation avait d'ailleurs amené la commission des finances à demander un rapport à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances sur « l'exécution et la présentation des crédits de la mission Outre-mer » qui a fait l'objet d'un rapport d'information6(*). Les causes récurrentes de cette sous-consommation y sont mises en exergue :

- des opérations d'apurement importantes sur des engagements au titre d'années antérieures ;

- un manque structurel d'ingénierie ;

- un suivi des contrats parfois lacunaire.

La tendance observée jusqu'en 2021 s'est toutefois inversée depuis maintenant trois ans. Les crédits de paiement de la mission « Outre-mer » ont ainsi été sur-exécutés de 10 % en 2022, de 16 % en 2023 et de 4 % en 2024.

Évolution de la prévision et de l'exécution des crédits entre 2021 et 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Dans le détail, le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui rassemble la majeure partie des dépenses pilotables de la mission, est marqué, en 2024, par une sous-exécution à hauteur 162,4 millions d'euros en AE, mais par une sur-exécution de 17,8 millions d'euros en CP par rapport à la LFI, représentant 2 % des CP.

Ce programme avait déjà enregistré une sur-exécution en 2023 à hauteur de 1,1 % en AE et de 5,8 % en CP.

Le programme 138 « Emploi outre-mer », constitué principalement de dépenses non-manoeuvrables dites « de guichet » enregistre une surconsommation de 98 millions d'euros en AE et de 94,7 millions d'euros en CP, soit une sur-exécution de 5,2 % en AE et de 5 % en CP. La prévision budgétaire du programme 138 s'est améliorée par rapport à 2023, quand le taux de consommation s'élevait à 122 % des crédits du programme.

La consommation des crédits de la mission dépend également de la nature de la dépense. La mission « Outre-mer » est ainsi composée à 88 % de dépenses d'intervention (titre 6), difficilement pilotables et à 6,9 % de dépenses de personnels, composés exclusivement des volontaires et cadres civils et militaires du plan SMA (Service militaire adapté) 2025 +. Les dépenses de fonctionnement ne représentent que 4,3 % des crédits de paiement de la mission « Outre-mer ».

Les dépenses de fonctionnement sont cependant largement sur-exécutées par rapport aux prévisions de la LFI 2024, à hauteur de 31,1 % en AE et de 42,5 % en CP. Cette hausse s'explique essentiellement par la gestion de la crise de l'eau à Mayotte, selon la Cour des comptes7(*).

2. D'importants mouvements de gestion en 2024

D'importants mouvements de gestion ont été opérés sur la mission « Outre-mer » pendant l'année 2024. En particulier, le décret d'annulation du 24 février 20248(*) a entrainé la suppression de 78,2 millions d'euros en AE et en CP, dont 74,9 millions d'euros sur le programme 123 et 3,3 millions d'euros sur le programme 138.

Concernant le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », les annulations ont porté essentiellement :

- sur l'action 6 « Collectivités territoriales » à hauteur de 22,1 millions d'euros, soit 6 % des crédits de l'action. Ces crédits correspondent partiellement à la réserve de précaution et à une annulation des crédits du COROM du syndicat des eaux de Mayotte, pour un montant de 18,7 millions d'euros en AE et de 2 millions d'euros en CP ;

- sur l'action 2 « Aménagement du territoire », pour un montant de 16,9 millions d'euros, soit 8,3 % des crédits de l'action. Ces crédits correspondent à une moindre consommation des montants inscrits dans les contrats de convergence et de transformation, dont la seconde génération a été signée en 2024 ;

- sur l'action 8 « Fonds exceptionnel d'investissement » (FEI), pour un montant de 13,4 millions d'euros, correspondant à 13,6 % des crédits de l'action, en raison d'une faible demande anticipée des collectivités pour bénéficier des subventions du FEI ;

- sur l'action 1 « Logement », pour un montant de 13,6 millions d'euros, représentant 5,7 % des crédits de l'action. Toutefois, cette annulation permettait de laisser une enveloppe supérieure de 3 millions d'euros à la consommation de 2023.

Annulations du décret du 21 février 2024 sur le programme 123
« conditions de vie outre-mer »

(en millions d'euros, en pourcentage et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Sur le programme 123, la loi de finances de fin de gestion pour 20249(*) a annulé 89,5 millions d'euros d'AE, correspondant à la réserve de précaution, mais a ouvert 7 millions d'euros de CP, au titre du contrat de développement entre l'État et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

Toutefois, les reports de l'année 2023 et les fonds de concours et attributions de produits ont permis de compenser partiellement les annulations sur le programme 123. Si 74,2 millions d'euros en AE ont été annulées sur le programme 123, 38 millions d'euros en CP ont pu être ouverts.

Sur le programme 138, la loi de finances de fin de gestion a permis d'ouvrir 54,4 millions d'euros en AE et 25 millions d'euros en CP. Au total, ce sont 145 millions d'euros en AE et 136 millions d'euros en CP qui ont été ouverts sur le programme 138.

Ainsi, si près de 78 millions d'euros ont été annulés sur la mission « Outre-mer », mais les crédits de paiement ouverts ont été supérieurs de 6,6 %, représentant 184 millions d'euros, par rapport à la prévision en LFI 2024.

Mouvements de crédits en gestion sur la mission « Outre-mer » en 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Il est toutefois regrettable que plus de 74 millions d'euros d'AE aient été annulés sur le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui bénéficie directement aux populations ultramarines. En particulier, une consommation décalée des contrats de convergence et de transformation parait à la fois peu réalisable et peu souhaitable. Les rapporteurs spéciaux soulignent également l'importance des contrats de redressement outre-mer (COROM) pour le soutien aux communes ultramarines, au vu des effets positifs avérés de ce dispositif, comme en témoignait un rapport10(*) d'information des rapporteurs spéciaux de juin 2023.

B. UNE STABILISATION DES MOYENS DE LA MISSION

Les crédits exécutés sur la mission « outre-mer » en 2024 diminuent de 2 %, représentant 63 millions d'euros, par rapport à 2023. Il s'agit d'une stabilisation des moyens de la mission, qui ont autrement augmenté significativement depuis 2021, à hauteur de 23 %.

Évolution des crédits exécutés sur la mission « outre-mer » entre 2021 et 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

À noter toutefois, que nette de l'inflation, la hausse des crédits entre 2021 et 2024 n'est que de 9,3 %, représentant 253 millions d'euros.

Hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions », d'un montant de 60,9 millions d'euros, les dépenses de la mission « Outre-mer » s'élèvent à 2,86 milliards d'euros, soit un montant supérieur à celui prévu par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 202711(*). En effet, les dépenses de la mission « Outre-mer » devaient être de 2,6 milliards d'euros en 2024.

Les rapporteurs spéciaux rappellent toutefois l'importance des crédits de la mission « Outre-mer » pour permettre un rattrapage économique véritable des populations ultramarines par rapport à l'hexagone. Les territoires d'outre-mer continuent de subir un retard de développement, qui ne pourra être comblé que grâce à une politique volontariste du Gouvernement dans ces territoires. Les crises récentes, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, à La Réunion ou encore en Guadeloupe ont illustré la nécessité d'un engagement fort.

C. DES RESTES À PAYER TRÈS ÉLEVÉS ET EN HAUSSE

La mission « Outre-mer » est marquée par l'importance des restes à payer, qui correspondent souvent à des dispositifs ayant vocation à être consommés pendant plusieurs années. Ils s'élèvent en 2024 à 2,4 milliards d'euros, en hausse de 9 %, représentant 200 millions d'euros, par rapport à 2023. En effet, si près de 482 millions d'euros des restes à payer des années précédentes ont été exécutés, ce sont 681 millions d'euros de nouveaux restes à payer qui ont été générés cette année.

Évolution des restes à payer entre 2023 et 2024 sur la mission « Outre-mer »

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ils sont essentiellement le fait du programme 123, pour lequel ils s'élèvent à 2,36 milliards d'euros en 2024, contre 2,17 milliards d'euros au 31 décembre 2023, soit une hausse de 8 % en un an. Entre 2018 et 2024, les restes à payer ont augmenté de 46 % sur les crédits du programme 123, malgré les opérations d'apurement mises en oeuvre par la direction générale des outre-mer (DGOM) depuis 2019.

Comparaison entre les consommations de CP et les restes à payer
entre 2018 et 2024 sur le programme 123 « Conditions de vie outre-mer »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 2024, la DGOM a poursuivi les opérations d'apurement des restes à payer initiées en 2019. Ainsi, les campagnes de finalisation d'engagements juridiques réalisées auprès des comptables budgétaires régionaux (CBR), avec l'appui des services du contrôle budgétaire et comptable ministériel (CBCM) et de la direction du budget, ont permis d'enregistrer des opérations de retraits d'engagements d'années antérieures pour 64,5 millions d'euros, soit une baisse de 32 % par rapport à celles réalisées en 2023.

Ainsi, si la consommation extraite de Chorus12(*) s'élève à 3,12 milliards d'euros en AE pour la mission « Outre-mer », la consommation retraitée s'établit à 3,18 milliards d'euros en AE.

Ces restes à payer représentent un risque important pesant sur l'exécution de la mission, au vu de leurs niveaux très élevés. Les opérations d'apurement doivent donc être poursuivies à un rythme accéléré. Les caractéristiques du programme 123, avec de nombreuses opérations pluriannuelles (logements, contrats, fonds exceptionnel d'investissement) ne peuvent justifier à elles seules un tel niveau de restes à payer.

II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

A. UNE HAUSSE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 123 « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER »

L'exécution du programme 123 par rapport aux crédits ouverts en LFI s'établit à 1 119 millions d'euros en AE (soit 87,3 % des crédits ouverts en LFI 2024) et à 937,6 millions d'euros en CP (soit 101,9 % des crédits ouverts). Le taux de consommation du programme 123 s'élevait déjà en 2023 à 101,1 % en AE et à 105,8 % en CP. Une telle dynamique de consommation des crédits doit être confirmée en 2025. Il serait souhaitable que l'exécution des AE s'améliore.

Les rapporteurs spéciaux notent que l'exécution des crédits du programme 123 est en hausse de 13 % par rapport à 2023, essentiellement en raison de l'action 6 « Collectivités territoriales », dont l'exécution a augmenté de 59 millions d'euros.

Décomposition par actions de la hausse de l'exécution du programme 123

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

1. Des subventions en hausse au profit des collectivités territoriales

L'action 6 du programme 123 recouvre 3 types de crédits :

- les dotations aux collectivités territoriales et financements adaptés à leurs spécificités afin de favoriser l'égal accès aux services publics locaux des populations ultramarines, notamment en termes d'éducation, en prenant en compte les particularités de ces collectivités et en répondant, par des crédits spécifiques, aux handicaps structurels des outre-mer. Il s'agit donc de maintenir la capacité financière des collectivités d'outre-mer par le versement de dotations ;

- les secours d'urgence et de solidarité nationale liés aux calamités ;

- les actions de défense et de sécurité civile.

En 2024, l'action 6 a été dotée de 328,4 millions d'euros en CP en LFI. La consommation s'est établie à 351,7 millions d'euros en CP, soit un taux d'exécution de 107 % et une hausse de la consommation de 20 % entre 2023 et 2024.

L'augmentation des crédits de cette action est liée à une subvention versée à la collectivité départementale de Mayotte, pour un montant de 100 millions d'euros, au lieu de 60 millions d'euros en LFI 2024 et de 50 millions d'euros versés en 2023.

Par ailleurs, les crédits liés à la crise de l'eau à Mayotte, débutée en 2023, ont été portés par ce programme, à hauteur de 100 millions d'euros ouverts en loi de fin de gestion pour 202313(*). Au-delà, près de 210 millions d'euros sont prévus pour le plan eau-Mayotte sur toute la période 2024-2027. En 2024, 38,8 millions d'euros en AE et 32,2 millions d'euros en CP ont été portés par l'action 6 « Collectivités territoriales » pour le plan eau-Mayotte. Les rapporteurs spéciaux14(*), dans leur rapport pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes15(*) sur le sujet, insistent sur l'importance d'investir dans la gestion de l'eau et de l'assainissement dans l'ensemble des territoires ultramarins, et à Mayotte en particulier, où près de 30 % de la population n'a pas accès à l'eau potable.

Les rapporteurs spéciaux saluent également la prolongation des contrats de redressement outre-mer (COROM), qui permettent de soutenir les communes ultramarines en situation financière dégradée. Une nouvelle génération de contrats porte sur la période 2023 à 2026, et concerne près de 19 communes. En 2024, 31,6 millions d'euros en AE et 13,9 millions d'euros en CP ont été débloquée.

Toutefois, si les crédits de l'action 6 « Collectivités territoriales » ont augmenté, il est regrettable que ceux dédiés à l'action 2 « Aménagement du territoire » aient diminué de 9 millions d'euros entre 2023 et 2024. L'action 2 cofinance les projets d'investissements structurants portés par les collectivités territoriales d'outre-mer via, notamment, les contrats de convergence et de transformation (CCT)16(*) qui succèdent aux contrats de plan État-Région (CPER) et qui ont pour objectif d'investir en faveur du développement des territoires, tout en prenant en compte les spécificités et les besoins des territoires d'outre-mer.

La première génération de CCT est arrivée à expiration en 2023. Une seconde génération de contrats a été signée en 2024 dans tous les territoires ultramarins concernés.

Le Comité interministériel des outre-mer, organisé en juillet 2023, a annoncé la mobilisation de 2,2 milliards d'euros pour la nouvelle génération des CCT et des CDEV de 2024-2027. Le programme 123 en portera au total 822,2 millions d'euros sur la période, dont 157,3 millions d'euros ont été inscrits en LFI 202417(*).

Au total, ce sont 114,5 millions d'euros en AE et 117,6 millions d'euros en CP qui ont été exécutés pour les CCT et les contrats de développement en 2024, représentant près de 70 % des montants prévus en LFI. À noter, que l'exécution de ces crédits concerne dans une large mesure les contrats conclus pour la période 2019-2023, et non la nouvelle génération de contrats de la période 2024-2027.

Au titre des contrats de développement (CDEV), tous achevés en 2020 à l'exception de celui de la Nouvelle-Calédonie18(*) qui courait jusqu'à fin 2023, des CP ont été consommés en 2024 à hauteur de 55,5 millions d'euros en CP.

En effet, l'intégralité des montants contractualisés entre 2019 et 2023 n'ont pu être intégralement engagés. Ainsi, au total, le taux d'engagement sur les montants contractualisés fin 2024 est de 87 %. Le taux de couverture des engagements sur les montants contractualisés n'est même que de 57 % en 2024. Qu'ils s'agissent des CDEV ou des CCT, la sous-exécution globale des engagements pris lors de la première génération de contrats de convergence témoigne notamment de moyens d'ingénierie insuffisants pour mobiliser l'intégralité des fonds prévus. Une nouvelle méthodologie serait souhaitable à cette fin.

2. Une baisse des crédits consacrés au logement

Les rapporteurs spéciaux regrettent également la sous-consommation de l'action 1 « Logement », qui comprend la Ligne budgétaire unique, à hauteur de 11 %. Après une hausse des crédits en 2022, dans une tentative de rattrapage suivant la forte diminution des subventions entamée en 2013 et ce jusqu'en 2021, les dépenses consacrées à cette action semblent stagner entre 2022 et 2024.

Évolution des crédits ouverts et consommés de la ligne budgétaire unique
entre 2011 et 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les rapporteurs spéciaux regrettent que le rattrapage du niveau de dépenses sur le logement jusqu'au niveau de 2012 ne soit pas plus marqué, alors que les populations ultramarines n'ont pas accès à un nombre suffisant de logements. Il serait par ailleurs souhaitable d'exécuter totalement les crédits de l'action, en livrant un nombre de logements plus élevés.

3. Une diminution du fonds exceptionnel d'investissement (FEI)

Les dépenses du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) s'élèvent à 56,1 millions d'euros en CP en 2024, soit une baisse de 20 % des crédits exécutés depuis 2023. Par ailleurs, l'exécution des crédits demeure trop faible : près de 61,2 millions d'euros en AE et de 31,1 millions d'euros en CP n'ont pas été consommés, alors qu'ils étaient prévus en LFI. Une telle sous-exécution est regrettable, et témoigne probablement à la fois d'un manque d'ingénierie dans les collectivités et d'une maturité insuffisante des projets présentés.

Près de 13,4 millions d'euros ont été annulés sur le FEI via le décret précité, la direction générale des outre-mer anticipant une faible demande de mobilisation de ce fonds.

De plus, dans le rapport sur le FEI19(*), il avait été souligné que « le choix était régulièrement fait de redéployer des crédits ouverts au titre du FEI sur d'autres dépenses d'investissements structurants. Ainsi, 7 millions d'euros ont été mobilisés chaque année depuis 2019, pour le financement du volet « sport » des CCT ». Ce constat est toujours vérifié aujourd'hui. De même, 18,3 millions d'euros en provenance du FEI ont été mobilisés au titre du plan eau-Mayotte.

Dans ce contexte, les rapporteurs spéciaux réaffirment que le FEI ne peut être considéré comme une variable d'ajustement lors des arbitrages ministériels et recommandent de mettre fin aux redéploiements récurrents en cours de gestion.

Ainsi sur les 7 dernières années, 730 millions d'euros d'AE ont été ouvertes et seuls 513,5 millions d'euros ont été engagés.

Évolution de la consommation des crédits FEI ouverts en LFI
entre 2018 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

B. UNE PRÉVISION DES DÉPENSES DU PROGRAMME 138 « EMPLOI OUTRE-MER » À AMÉLIORER

L'exécution du programme 138 par rapport aux crédits ouverts en LFI s'établit à 1,997 milliards d'euros en AE et à 1,98 milliards d'euros en CP (soit 105 % des crédits ouverts).

Une meilleure anticipation des crédits nécessaires en LFI permettrait de faciliter la gestion du responsable de programme, en tenant davantage compte de l'aléa des prévisions de l'Urssaf sur les exonérations nécessaires de cotisations sociales pour les entreprises, spécifiques aux outre-mer et financées via l'action 1 « Soutien aux entreprises » du programme 138. L'action 1 couvre notamment le renforcement des exonérations de charges patronales visant à compenser la suppression du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi) depuis le 1er janvier 2019.

Les crédits de l'action 2 « Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle » du programme 138 financent, à titre principal, le service militaire adapté (SMA) mais également la subvention pour charges de service public de l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) ainsi que des actions de formations en mobilité à destination des ressortissants des départements et collectivités outre-mer de 18 à 30 ans notamment via le passeport mobilité formation professionnelle (PMFP) et enfin la subvention versée à l'institut de formation aux carrières administratives, sanitaires et sociales (IFCASS).

La hausse des crédits, de 18 millions d'euros, correspond à la hausse des effectifs du SMA de 6 % entre 2023 et 2024. Le plafond d'emplois demeure toutefois sous-exécuté de 6,2 %.

Plafond d'emplois et effectifs réalisés au titre du SMA

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires


* 1 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 2 Document de politique transversale « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 3 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 4 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 5 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 6 Rapport d'information n° 637 (2021-2022) de MM. Georges Patient et Teva Rohfritsch, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 mai 2022.

* 7 Note d'exécution budgétaire, « mission Outre-mer », Cour des comptes, avril 2025.

* 8 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 9 LOI n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.

* 10 Rapport d'information n° 756 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances par les rapporteurs Georges Patient et Teva Rohfritsch sur « Les contrats de redressement outre-mer (COROM) : pour des moyens à la hauteur des enjeux », 21 juin 2023.

* 11Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

* 12 Chorus est le logiciel utilisé par l'État pour le pilotage des dépenses dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

* 13 Loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023.

* 14 Rapport d'information n°440 (2024-2025) fait au nom de la commission des finances pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la gestion de l'eau potable et de l'assainissement en outre-mer, par MM. Georges Patient et Stéphane Fouassin.

* 15La gestion de l'eau potable et de l'assainissement en outre-mer, Cour des comptes, 12 mars 2025.

* 16 Ces contrats ont été signés le 8 juillet 2019 pour les collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, les Régions Guadeloupe et La Réunion, le Département de Mayotte et les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, le 22 juin 2020 pour Saint-Martin. Le contrat de développement et de transformation 2021-2023 a été signé le 14 avril 2021 pour la Polynésie. La Nouvelle-Calédonie utilise un contrat de développement (CDEV) jusqu'en 2023.

* 17 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 18 Un nouveau contrat de développement a par ailleurs été signé avec la Nouvelle Calédonie.

* 19 20Rapport d'information n° 727 (2021-2022) du 22 juin 2022 des sénateurs Georges Patient et Teva Rohfritsch : « Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) : un outil souple et utile dont la gouvernance doit être améliorée ».

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