II. LES OBSERVATIONS SUR LES PROGRAMMES « ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR » (MME VANINA PAOLI-GAGIN, RAPPORTEUR SPÉCIAL) : UN RENFORCEMENT CONTINU DES MOYENS ACCORDÉS À L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Le périmètre « Enseignement supérieur » de la mission regroupe les programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante ». Ces derniers s'élèvent respectivement à 15,44 milliards d'euros et 3,28 milliards d'euros en AE et 15,11 milliards d'euros et 3,25 milliards d'euros en CP.
Évolution des crédits des programmes relatifs à l'enseignement supérieur
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Si les annulations de crédits intervenus en 2024 ont pu donner l'impression, dans le débat public, de « coupes budgétaires » dans les crédits accordés à l'enseignement supérieur, cette vision ne résiste pas à l'analyse des chiffres. Les programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante » ont poursuivi en 2024 la trajectoire haussière exécutée au cours des années précédentes.
Ces deux programmes représentaient au total, en 2024, 18,72 milliards d'euros en AE et 18,36 milliards d'euros de CP, soit une hausse de de 659 millions d'euros en AE et 261,7 millions d'euros en CP par rapport à 2023.
Cette progression s'ajoute à celle de 940 millions d'euros accordée l'année précédente. En cinq ans, entre 2020 et 2024, les crédits exécutés des programmes « Enseignement supérieur » ont augmenté de 2 milliards d'euros en AE et 1,7 milliard d'euros en CP.
Évolution depuis 2020 du total des
crédits des programmes relatifs
à l'enseignement
supérieur
(en millions d'euros)
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Variation 2024/2020 |
Variation 2024/2023 |
Variation 2023/2024 ( %) |
|
AE |
16 660,1 |
16 978,2 |
17 232,5 |
18 060,7 |
18 719,4 |
2 059,3 |
658,7 |
3,65 % |
CP |
16 681,0 |
17 038,4 |
17 168,0 |
18 100,8 |
18 362,5 |
1 681,5 |
261,7 |
1,45 % |
Source : commission des finances
Cette hausse bénéficie particulièrement au programme 150, dont les crédits ont augmenté de 470 millions d'euros en AE et de 90 millions d'euros en CP par rapport à 2023. En proportion, les crédits du programme 231 ont cependant augmenté plus rapidement, de 6,1 % en AE et de 5,6 % en CP.
Il est à noter que cette croissance devrait se prolonger en 2025. Selon les crédits votés en loi de finances initiale, ces deux programmes devraient augmenter de 315 millions d'euros en CP, bien que diminuant de 74 millions d'euros en AE.
Évolution des crédits des programmes relatifs à l'enseignement supérieur entre 2024 et 2025
(en millions d'euros)
Source : commission des finances
Dans l'ensemble, les programmes ont peu évolué en gestion par rapport aux crédits ouverts. Ainsi, seuls 0,5 % des crédits du programme 150 ont été annulés par le décret de février 2024, et 3,8 % des crédits du programme 231.
La loi de finances de fin de gestion a annulé 51 millions d'euros supplémentaires sur le programme 150, et a ouvert 56 millions d'euros sur le programme 231.
Exécution des crédits des programmes relatifs à l'enseignement supérieur en 2024
(en millions d'euros)
AE |
CP |
||
Programme 150 |
LFI (hors fonds de concours) |
15 277,1 |
15 180,8 |
Ouvertures/ annulations |
234,1 |
- 57,3 |
|
Exécution |
15 511,2 |
15 123,4 |
|
Programme 231 |
LFI (hors fonds de concours) |
3 357,4 |
3 326,6 |
Ouvertures/ annulations |
- 80,1 |
- 70,9 |
|
Exécution |
3 275,8 |
3 254,2 |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
A. LE PROGRAMME 150 : UNE HAUSSE CONSÉQUENTE DES CRÉDITS PAR RAPPORT À 2023
Les crédits du programme 150 s'élèvent à 15,44 milliards d'euros en AE et 15,11 milliards d'euros en CP, soit une hausse de respectivement 471 millions d'euros et 90 millions d'euros par rapport à 2023.
Exécution des crédits du programme 150
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
1. Les contrats de moyens, d'objectifs et de performance, un outil utile mais une expérience insatisfaisante
Le rapporteur spécial a consacré un rapport à l'évaluation des contrats de moyens, d'objectifs et de performance (COMP) dans l'enseignement supérieur4(*).
Si l'intention de ces contrats est positive, l'évaluation des deux premières vagues de contrats révèle dans de nombreux cas une réflexion stratégique insuffisante des établissements et l'incapacité du ministère à réellement suivre les contrats, du fait d'indicateurs trop nombreux et d'absence de cadre de suivi adapté.
En conséquence, l'annonce d'une généralisation des COMP (« COMP à 100 % ») ne peut laisser que circonspect.
Le communiqué d'annonce des nouveaux contrats se réfère explicitement aux travaux de la Cour : « comme l'a souligné la Cour des Comptes dans son audit flash de mars 2025, les COMP ont aujourd'hui une portée trop faible, limitée à 0,8 % de la SCSP ». Outre que, comme décrit plus haut, les COMP fonctionnent sur le principe d'un effet de levier qui dépasse le montant contractualisé, l'extension à l'intégralité de la SCSP fait abstraction de la seconde partie du raisonnement de la Cour des comptes : celle-ci note que l'ancrage à 0,8 % de la subvention pour charges de service public constitue « une cible peu lisible et inéquitable ». En particulier, indexer les financements sur les SCSP conduit à avantager les établissements les plus importants et les plus intensifs en recherche, d'autant plus que les SCSP « n'ont pas fait l'objet d'actualisation récente, faute d'un modèle d'allocation des moyens actualisé permettant la convergence et le rattrapage d'établissements sous-dotés ».
Par ailleurs, il est possible d'émettre des doutes sur le concept de « contractualisation sur l'ensemble de la SCSP » pour plusieurs raisons.
D'une part, la part libre d'emploi de la SCSP est le plus souvent réduite, les dépenses contraintes (fonctionnement et personnel) constituant l'essentiel des dépenses des établissements. Par conséquent, le ministère indique que les montants contractualisés ne pourront en réalité pas aller au-delà de 2 %, qui constituent le plafond de la part variable pour de nombreux établissements.
D'autre part, les COMP actuels ont déjà permis de contractualiser sur des projets financés par de la SCSP (notamment sur le volet formation), d'autant plus que les financements COMP ont été intégrés aux SCSP des établissements des vagues 1 et 2.
2. L'apprentissage dans l'enseignement supérieur, un phénomène de masse malgré les réformes en cours
Le nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur a atteint 635 900 étudiants pour l'année scolaire 2023-2024.
La trajectoire du nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur est vertigineuse. Le ministère de l'enseignement supérieur constate en septembre 2024 une hausse de 10 % en un an et de 33 % en deux ans5(*). Qui suit une croissance de 78 % entre 2020 et 2022.
Au cours des dix dernières années, le nombre d'étudiants apprentis est passé de 139 000 à 636 000, ce qui correspond à une hausse de 360 % et à près d'un demi-million d'apprentis supplémentaires. Le pic a été atteint lors de la crise sanitaire, entre 2020 et 2021 lorsqu'ont été mises en place des aides exceptionnelles accordées aux entreprises embauchant un apprenti. Elles ont été maintenues ensuite (6 000 euros d'aide annuelle sont versés aux entreprises pour l'embauche d'un apprenti majeur depuis janvier 2023).
Évolution du nombre d'apprentis
dans
l'enseignement supérieur depuis 2012
(en nombre d'apprentis)
Source : commission des finances d'après les données du ministère de l'enseignement supérieur
Les apprentis représentaient en 2025 environ un quart des étudiants de l'enseignement supérieur. S'ils sont logiquement plus nombreux dans les licences professionnelles et les filières de techniciens supérieurs, 32 % des étudiants en école de commerce et 18 % des étudiants en école d'ingénieurs étaient en apprentissage en 2023.
Part des apprentis dans les grandes
filières
de l'enseignement supérieur en 2023
(en %)
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Par ailleurs, le nombre d'apprentis croît rapidement dans les filières universitaires générales. Ainsi, le nombre d'apprentis en licence générale ou en master a augmenté de 70 points entre 2020 et 2023.
Dans leurs revues de dépenses, les inspections générales des finances et des affaires sociales6(*) relèvent que les formations des niveaux 6 et 7 (licence, master et doctorat) sont toujours plus coûteuses que les formations des niveaux inférieurs : alors qu'elles ne représentent respectivement que 18 % et 17 % des contrats, elles représentent 40 % et 32 % du nombre total de niveaux de prise en charges (NPEC).
L'article 192 de la loi de finances pour 2025, issu d'un amendement des rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi » a donc prévu une participation supplémentaire des employeurs pour les apprentis en master et doctorat. Cette participation s'élèvera à 750 euros par contrat à partir du 1er juillet 2025.
Ce recentrage paraît très positif et contribue à rééquilibrer le financement de l'enseignement supérieur.
* 4 Améliorer la performance de l'enseignement supérieur : un contrat qui reste à honorer, rapport fait par Mme Vanina Paoli-Gagin au nom de la commission des finances, juin 2025.
* 5 L'apprentissage dans l'enseignement supérieur en 2023, note du SIES, septembre 2024.
* 6 Revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle, rapport IGAS-IGF, mars 2024.