II. L'ANNÉE 2024 CORRESPOND AU PREMIER EXERCICE BUDGÉTAIRE PLEIN D'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA RÉFORME DES RETRAITES DE 2023
1. La mise en oeuvre du nouveau schéma de financement des régimes spéciaux n'a pas réduit l'information du Parlement
L'article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a consacré un nouveau schéma financier global pour l'ensemble des régimes spéciaux fermés. Au lieu d'un schéma tripartite spécifique à chaque régime, comme celui adopté pour la SNCF, ce nouveau schéma commun prévoit que le régime général est substitué à l'État dans le rôle de financeur en dernier ressort pour équilibrer ces régimes.
Les régimes spéciaux, depuis le 1er janvier 2024, sont ainsi financés, dans l'ordre, par :
- les cotisations et contributions sociales, ainsi que les taxes affectées - comme la contribution tarifaire d'acheminement pour la Caisse nationale de retraite des industries électriques et gazières (CNIEG) - aux régimes spéciaux ;
- les réserves éventuelles des régimes, lorsque ces derniers n'ont pas de recettes propres suffisantes ;
- une dotation d'équilibre du régime général, lorsque les réserves sont épuisées et que les recettes propres ne permettent pas d'atteindre l'équilibre.
Le remplacement de l'État par le régime général de la sécurité sociale pouvait faire craindre une disparition de la ligne budgétaire consacrée à la subvention d'équilibre versée par l'État, auparavant aux régimes déficitaires et, désormais, au régime général.
Néanmoins, comme le note la Cour des comptes et suivant les recommandations de la rapporteure, la mission « Régimes sociaux et de retraite » a maintenu la trace de la subvention des crédits que l'État verse au régime général.
Il convient que le principe de ce financement à partir de crédits budgétaires soit maintenu pour les exercices à venir, afin de garantir la bonne information du Parlement. La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes indique que la direction du budget est favorable à ce fonctionnement, notamment pour vérifier la neutralité de l'opération pour le régime général.
Ces crédits budgétaires étant désormais partie intégrante des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, la rapporteure estime nécessaire de renforcer le contrôle des besoins de financement des régimes et de mesurer leur exécution.
S'associant à la recommandation de la Cour des comptes, la rapporteure demande la remise au Parlement du rapport prévu au VII de l'article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, qui doit « présent[er] les modalités de compensation intégrale par l'État, chaque année, des conséquences financières pour la Caisse nationale d'assurance vieillesse ».
La publication devait avoir lieu avant le 1er juillet 2024. Il convient donc qu'il le soit dans le courant de l'année 2025, afin de permettre une analyse sincère des crédits du projet de loi de finances.
2. Les effets peu marqués de la dernière réforme des retraites sur les régimes spéciaux
Dans la mesure où la mission « Régimes sociaux et de retraites » regroupe principalement des régimes « fermés » ou des régimes « ouverts » en déclin démographique, les réformes successives des retraites sont peu susceptibles d'avoir un impact important sur les régimes suivis au sein de la mission.
En effet, seuls les régimes avec des nouveaux retraités peuvent être concernés par des réformes impliquant des évolutions des paramètres (notamment durée de cotisation) déterminant les pensions. En l'occurrence, le régime des marins a été exclu de la réforme de 20235(*) et seuls les régimes des transports et les régimes ouverts de la culture ont été concernés.
Effets de la réforme des retraites de
2023 sur les régimes spéciaux
suivis par la
mission
Régime spécial |
Effet de la réforme 2023 |
RATP |
Fermeture du régime à partir du 1er septembre 2023. Accélération du vieillissement de la population du régime. Décalage de deux ans de l'âge d'ouverture des droits à partir du 1er janvier 2025. |
SNCF |
Décalage de deux ans de l'âge d'ouverture des droits à partir du 1er janvier 2025. |
Opéra national de Paris |
Ouverture de la possibilité du cumul emploi-retraite et de la retraite progressive à toutes les catégories d'emploi. Seuls les danseurs avaient auparavant accès au cumul emploi-retraite. |
Comédie-Française |
Ouverture de la possibilité du cumul emploi retraite et de la retraite progressive. |
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
La rapporteure note que les quelques évolutions des régimes spéciaux prévus dans la réforme des retraites de 2023 permettent un accroissement de la durée en emploi des personnels. Ceci rejoint les recommandations qu'elle a formulées dans son rapport6(*) récent : la hausse du taux d'emploi des personnes proches de la retraite et le maintien en emploi des seniors est la condition du maintien du système de retraite par répartition.
3. L'inclusion des régimes spéciaux de la culture constitue une évolution bienvenue de la mission
L'année 2024 a permis, pour la première fois, d'intégrer les régimes de la culture dans le périmètre de la mission. En effet, avant cette date, les régimes de l'Opéra national de Paris et de la Comédie-Française étaient financés par des crédits retracés au sein du programme 131 « Création », rattaché à la mission « Culture ».
La rapporteure indique sa satisfaction vis-à-vis de cette évolution de la maquette budgétaire qui permet d'approcher une vision complète des régimes spéciaux financés par l'État et qui répond aux recommandations de son rapport relatif aux résultats de la gestion 2022.
Ces régimes sont certes d'une taille relativement réduite, mais il était nécessaire de les faire entrer dans la mission afin de permettre une vision plus exhaustive de l'effort de l'État pour équilibrer les régimes spéciaux.
Principales caractéristiques des régimes spéciaux « culturels » en 2023
Caisse |
Nombre de cotisants |
Nombre de bénéficiaires (droits directs et indirects) |
Dépenses du régime |
Subvention de l'État |
Part du financement de l'État |
Caisse de l'Opéra national de Paris |
1 817 |
1 909 |
35 |
19 |
54,3 % |
Caisse de la Comédie-Française |
347 |
445 |
7 |
4 |
57,1 % |
Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Pensions » annexé au projet de loi de finances pour 2025
Toutefois, la mission « Régimes sociaux et de retraites » ne couvre pas encore l'ensemble du financement des régimes spéciaux de retraite auxquels l'État contribue financièrement.
D'une part, le régime du Conseil économique, social et environnemental (CESE), fermé par la réforme de 2023, est depuis lors équilibré comme les autres régimes fermés et pourrait être intégré à la mission. Il serait intéressant, dès le projet de loi de finances pour 2026, de faire apparaître le coût de la subvention versée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) pour équilibrer ce régime.
Comme pour les autres régimes fermés, les crédits budgétaires affectés au régime de retraite du CESE devraient être retracés dans la mission « Régimes sociaux et de retraite ».
D'autre part, certains régimes sont financés au moyen de taxes affectées :
- le régime de retraite de la branche des industries électriques et gazières (IEG) ;
- le régime des non-salariés agricoles ;
- le régime de retraite des avocats (CNBF) ;
- le régime des clercs et des employés de notaire.
Ces dépenses fiscales, par nature, n'apparaissent pas dans la maquette budgétaire et ne sont pas recensées au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraite ».
Au total, en dehors des régimes de pensions des fonctionnaires civils et militaires et des ouvriers de l'État ciblés spécifiquement par le compte d'affectation spéciale « Pensions », le budget de l'État a financé 12 régimes à hauteur de 11,26 milliards d'euros, via des taxes affectées ou des subventions d'équilibre. Ce montant n'intègre pas les sommes résiduelles affectées à des régimes en voie d'extinction comme les pensions des anciens agents des chemins de fer d'Afrique du Nord et d'outre-mer et les pensions de certains agents des chemins de fer secondaires (Caisse autonome mutuelle de retraite - CAMR), financés par la mission « Régimes sociaux et de retraite ».
Financement de l'État
en 2023 vers les régimes spéciaux
et autres
régimes, hors CAS Pensions
(en millions d'euros)
Source : document de politique transversale « Pensions » annexé au projet de loi de finances pour 2025
Ce montant total du financement par l'État des régimes spéciaux est en baisse de 61 millions d'euros par rapport à 2022. Cette réduction provient de la baisse des taxes affectées au régime de base et au régime complémentaire des non-salariés agricoles qui passent de 3 305 millions d'euros en 2022 à 3 200 millions d'euros en 2023. À l'inverse, les subventions et taxes affectées aux autres régimes spéciaux augmentent légèrement, passant respectivement de 5 923 millions d'euros à 5 927 millions d'euros et de 2 092 millions d'euros à 2 132 millions d'euros.
4. La dégradation du solde du compte d'affection spéciale s'ancre dans le temps et pose la question de son équilibre à long-terme
Les dépenses du CAS « Pensions » ont augmenté de 3,2 % entre 2022 et 2023 et de 5,6 % entre 2023 et 2024, soit un rythme supérieur à celui des années précédentes. La hausse était en effet comprise entre 0,6 % et 1,4 % entre 2014 et 2021.
Comparaison entre les recettes et les
dépenses du CAS Pensions
et des taux d'évolution
entre 2014 et 2024
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
L'écart croissant entre le taux d'évolution des dépenses et des recettes en 2024 résulte principalement de la revalorisation importante des pensions cette année-là. En effet, l'indexation sur l'inflation prévue dans le code de la sécurité sociale a mené à une réévaluation de 5,3 % du montant des pensions versées, à la suite d'une année particulièrement marquée par une crise inflationniste importante. Le reste de la hausse a été provoqué par des dépenses accrues en lien avec le développement de la retraite progressive et un accroissement du transfert de l'État vers la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Les dépenses du CAS Pensions ont ainsi augmenté de 3,58 milliards d'euros en 2024, contre 2,02 milliards d'euros en 2023.
À plus long terme, il convient de constater que les évolutions de recettes et de dépenses prévues pour le CAS Pensions mènent, à politique inchangée, à ce que le solde cumulé devienne négatif en 2027.
Prévision de l'évolution des
dépenses, des recettes et du solde annuel
du CAS
« Pensions » entre 2025 et 2027
(en euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires.
Il en résulte que malgré la réforme des retraites d'avril 2023 et le relèvement du taux de contribution, le solde cumulé du CAS Pensions deviendrait négatif en 2027, soit deux ans plus tard que sans ces évolutions.
Par convention, ces prévisions pluriannuelles reposent sur une hypothèse de stabilité des taux de contribution employeur et de la politique salariale. Dans les faits toutefois, toute réduction du solde cumulé du CAS Pensions à un niveau ne respectant pas l'obligation organique d'équilibre du compte pour l'année n+ 1 rendra nécessaire une hausse des taux de contribution employeur à un niveau permettant d'assurer le respect de cette obligation.
Cette évolution de long terme est liée à deux aspects structurels.
D'abord, le ratio démographique entre les cotisants et les pensionnés dans les régimes de la fonction publique civile et des militaires est en diminution, du fait notamment d'une gestion stricte des embauches dans la fonction publique d'État depuis plusieurs années.
Évolution du nombre de cotisants et de
pensionnés et du ratio démographique
du régime des
pensions civiles et militaires
Source : commission des finances, données issues du document de politique transversale Pensions annexé au projet de loi de finances pour 2025
Ainsi, entre 2016 et 2023, le nombre de cotisants pour ces deux régimes a diminué de 6,7 % tandis que celui des pensionnés a augmenté de 4,7 %. Il en résulte que le ratio démographique corrigé7(*) pour les pensions des fonctionnaires civils était de 1,15 en 2010, de 1,06 en 2016 et de 0,91 en 2022. Celui des pensions des militaires reste stable mais inférieur à 1.
Ensuite, les évolutions permises par la réforme des retraites de 2023, qui prévoit une hausse progressive de l'âge d'ouverture des droits (AOD) à la retraite et une accélération de la hausse de la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein, n'a eu que des effets limités en 2024 et ne compense pas la trajectoire baissière du solde d'ici 2027.
La réforme aura néanmoins un effet à la baisse sur les dépenses du CAS Pensions de plus en plus important, avec la poursuite de la hausse de l'âge d'ouverture des droits et de la durée d'assurance requise pour bénéficier du taux plein. Le gouvernement estimait, lors de l'adoption de la réforme, qu'une amélioration du solde technique du CAS Pensions serait observable à compter de 2027, avec une estimation de + 0,7 milliard d'euros. Dans ce contexte, la rapporteure spéciale sera attentive à l'évolution des dépenses du CAS dans les années à venir.
La réforme devrait atteindre son effet maximal en 2034, avec un écart entre les dépenses avec et sans réforme évalué à - 1 234 millions d'euros. Dans un second temps, le maintien en emploi plus longtemps induira une hausse du montant des pensions à la liquidation. Aussi, le service des retraites de l'État (SRE) anticipe, à partir de 2045, des dépenses supérieures à ce qu'elles auraient été dans le système antérieur.
Il n'en demeure pas moins qu'à taux de contribution inchangé, l'effet ciseaux constaté à partir de 2023, avec une inversion de la courbe des recettes et des dépenses du CAS Pensions, est amené à se poursuivre pour les années à venir.
Progression des dépenses du CAS
« Pensions » entre 2013 et 2024
et
prévisions de ces dépenses entre 2025 et
2027
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Aussi, la dégradation annoncée du solde cumulé du CAS Pensions doit inciter à repenser le financement des retraites servies par l'État.
La rapporteure spéciale réitère donc son observation de l'année dernière et insiste sur le fait que le solde cumulé ne permet pas de faire face aux aléas auxquels peut être confronté le régime des retraites de la fonction publique d'État et que dans ce contexte, il serait souhaitable que cette fiction comptable soit abandonnée et débouche sur la création de véritables réserves, appelées à être gérées par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR).
* 5 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
* 6 « L'emploi des seniors : une clé pour sauver la répartition ? », rapport d'information n° 616 (2024-2025), déposé le 14 mai 2025.
* 7 Rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de pensionnés, en comptant les pensionnés de droits directs et ceux de droits dérivés. Les pensionnés de droit dérivé sont pris en compte pour moitié seulement et hors pensions temporaires d'orphelins. Cette méthodologie est conforme à celle utilisée par le Conseil d'orientation des retraites (COR) pour ses comparaisons inter-régimes.