N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2024,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 28
Santé

Rapporteur spécial : M. Vincent DELAHAYE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson,
rapporteur général ;
MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient,
Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138

Sénat : 718 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La mission « Santé » est composée de trois programmes : outre programme 183 « Protection maladie » et le le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », principalement consacré au financement de l'aide médicale d'État (AME), elle comporte un programme 379 destiné au financement des dons de vaccins à des pays tiers et du volet « investissement » du Ségur de la santé. En 2024, les crédits de paiement consommés au titre de la mission « Santé » s'élevaient à 2,80 milliards d'euros, en hausse de 2,4 % par rapport à la prévision retenue en loi de finances initiale.

2. Cette surconsommation masque toutefois une budgétisation insincère des crédits d'aide médicale d'État (AME). Les dépenses au titre de l'AME de droit commun ont en réalité été plus élevées de 167,8 millions d'euros par rapport aux crédits prévus, en partie en raison de l'annulation de 50 millions d'euros par le décret du 21 février 2024. Cette mesure de régulation a conduit à l'augmentation de la dette de l'État vis-à-vis de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Or la maitrise des dépenses d'AME nécessite une réforme structurelle. Le rapporteur spécial présentera dans un rapport d'information à venir des propositions de réforme de l'AME, dans un objectif de maitrise des dépenses.

3. La hausse de l'exécution des crédits de l'aide médicale d'État (AME) se poursuit entre 2023 et 2024. Le coût total réel de l'AME est de 1 386,8 millions d'euros, en hausse de 15 % par rapport à 2023. Cette progression ne s'explique plus uniquement par la hausse du nombre de bénéficiaires, limitée entre 2023 et 2024. Une clarification des facteurs de hausse des dépenses de l'AME est souhaitable.

4. L'indemnisation des victimes de contentieux médicaux est source de risques budgétaires, notamment en raison de la dynamique des dépenses d'indemnisation des victimes de la Dépakine, l'impact financier des contentieux opposant l'État à Sanofi demeurant par ailleurs une source d'incertitude.

5. Concernant le programme 379, les crédits destinés à compenser la Sécurité sociale pour les dons de vaccins aux pays tiers et le « Ségur investissement » n'ont pas leur place dans la mission « Santé », dont ils affaiblissent la lisibilité. L'extinction du programme 379, prévue pour 2026, sera bienvenue.

I. UNE BUDGÉTISATION INSINCÈRE DES CRÉDITS DE LA MISSION

A. UNE SOUS-BUDGÉTISATION DES DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT

1. Une mission composée de trois programmes

La mission « Santé » du budget général participe à la mise en oeuvre de la politique globale de santé. Celle-ci est axée autour de trois objectifs : la prévention, la sécurité sanitaire et l'organisation d'une offre de soins de qualité.

La mission est composée de trois programmes :

le programme 183, dédié à la protection maladie, qui finance principalement l'aide médicale d'État (AME), destinée aux personnes étrangères en situation irrégulière en France depuis plus de trois mois et dont les ressources sont insuffisantes pour une prise en charge au titre de la couverture maladie complémentaire universelle. De manière plus marginale, le programme 183 contribue depuis 2015 au financement du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) ;

le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, qui a pour vocation le financement des plans et de programmes de santé pilotés au niveau national par la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Il vise ainsi à garantir la protection de la population face à des évènements sanitaires importants tout en prévenant le développement de pathologies graves ;

le programme 379 est un programme temporaire qui permet, d'une part, la compensation à la Sécurité sociale des dons de vaccins à des pays tiers et, d'autre part, le reversement des recettes de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) de l'Union européenne dédiées au volet « investissement » du Ségur de la santé. Le programme 379 n'est donc en réalité qu'un vecteur budgétaire de fonds européens, et non nationaux.

Le programme 378 était destiné à la mise en place d'une carte vitale biométrique, en complément des crédits d'assurance maladie dédiés à ce projet. Il a été créé à l'initiative du Sénat par la loi de finances rectificative du 16 août 20221(*) mais a été supprimé en loi de finances pour 2023 du 30 décembre 20222(*).

Depuis, un rapport des inspections générales des finances et des affaires sociales a recommandé de ne pas développer la Carte Vitale biométrique, jugée trop onéreuse et difficile à mettre en oeuvre. Pour autant, il apparaît nécessaire de poursuivre les efforts de lutte contre la fraude, le cas échéant en soutenant des alternatives. Il est regrettable qu'aucun programme de la mission « Santé » ne tienne véritablement compte de cette ambition.

Alors que le périmètre de la mission avait été substantiellement réduit depuis 2014, il s'est significativement élargi depuis l'exercice 2022. Le financement de la majorité des agences sanitaires que la mission comprenait, et notamment de Santé Publique France, a été transféré au budget de la sécurité sociale entre 2014 et 2020. Devenue simple vecteur budgétaire de l'aide médicale d'État, qui représentait 80 % de ses crédits, la mission avait vu son périmètre à nouveau élargi par la création du programmes 379 et de l'éphémère programme 378, déjà supprimé. Ce programme 379 est en cours d'extinction, à horizon de 2026. En loi de finances initiale pour 2025, 94 millions d'euros ont été budgétisés sur le programme 379, en baisse de 92 % par rapport à l'exécution 2024.

2. Des crédits de la mission qui dépassent les prévisions

En 2024, les dépenses de la mission « Santé » se sont élevées à 2,84 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2,80 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Ils ont été surconsommés à hauteur de 2,4 % en CP par rapport à la prévision retenue en loi de finances initiale, représentant 67 millions d'euros. En incluant les ouvertures et les annulations de crédits intervenues au cours de l'année, le taux de consommation de la mission « Santé » s'élève à 96,5 % en CP.

Exécution des crédits de la mission « Santé » en 2023 et en 2024

(en millions d'euros et en %)

Prévision : prévision en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP).

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

La sur-exécution des crédits est essentiellement due au programme 204, à hauteur de 117 millions d'euros en CP. Ces crédits sont issus des fonds3(*) de concours se rapportant aux stocks stratégiques du projet européen RescUE 1 et 2, dont le reste à charge au niveau national est porté par le programme 204. En 2024, le fonds de concours « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offre de soins », relevant du programme 204, a été mis en extinction.

La surconsommation des crédits est moins élevée qu'en 2023, quand elle représentait 7,2 % de plus que la prévision, représentant 243 millions d'euros.

Exécution des crédits de la mission « Santé » par programme en 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

En 2024, le programme 379 a été enrichi par l'ajout d'une troisième action permettant de neutraliser les conséquences pour la branche maladie de la sécurité sociale de la baisse du taux de cotisation employeur de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) sur le risque maladie. Une telle action avait été introduite par amendement à l'Assemblée nationale lors du vote du projet de loi de finances pour 20244(*), afin de neutraliser pour la CNRACL l'effet de la hausse décidée d'un point de cotisation retraite. Cette dotation a représenté 342 millions d'euros en 2024. Lors du vote de la loi de finances initiale pour 20255(*), une telle action n'a pas été reconduite, engendrant une économie de 342 millions d'euros mais aggravant le déficit de la branche maladie de la sécurité sociale d'autant.

S'agissant de la seconde action du programme dédiée au volet Ségur investissement du plan national de relance et de résilience (PNRR), les crédits disponibles ont diminué d'un milliard d'euros, passant de 1,9 milliard d'euros en 2023 à 0,9 milliard d'euros en 2024.

3. Des annulations insincères sur l'aide médicale d'État

La surconsommation constatée sur la mission « Santé » est liée aux mouvements de gestion intervenus en cours d'année. Le décret d'annulation du 21 février 20246(*) a conduit à supprimer 70 millions d'euros, dont 20 millions d'euros sur le programme 204. Le programme 204 a toutefois bénéficié parallèlement des mouvements de reports de l'année 2023 et des fonds de concours et d'attribution de produit.

Décomposition des mouvements de gestion
de la mission « Santé » en 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ce sont 50 millions d'euros qui ont été annulés sur le programme 183 « Protection maladie », portant sur l'aide médicale d'État. Comme développé infra, il s'agit d'un exemple de gestion insincère budgétaire.

B. UNE HAUSSE RÉELLE DES CRÉDITS DE LA MISSION, AU-DELÀ DE L'EXTINCTION DU PROGRAMME 379

En apparence, les crédits de la mission « Santé » sont restés stables entre l'exécution 2022 et 2024. En excluant l'inflation, les dépenses ont même diminué de 5,3 %, représentant 160 millions d'euros.

Évolution des crédits de la mission « Santé » par programme entre 2022 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Toutefois, le programme 379 a pour unique fin de servir de vecteur budgétaire aux fonds européens destinés en 2024 au volet investissement du Ségur de la santé, financé par la Facilité pour la reprise et la résilience de l'Union européenne. Les versements européens via le programme 379 se tarissent en 2025. La loi de finances initiale pour 2025 a reconduit ce programme 379 mais pour un montant de 94 millions d'euros seulement, soit une baisse de 92,5 % par rapport à 2024.

En excluant le programme 379, les dépenses de la mission « Santé » s'élèvent à 1,55 milliard d'euros en CP, et ont augmenté de 8,7 % entre 2023 et 2024.

À noter, que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 20277(*) (LPFP) plafonnait les crédits de la mission « Santé » à 2,3 milliards d'euros, dont 1,4 milliard d'euros en excluant le programme 379. La mission « Santé » dépasse donc de 154 millions d'euros le plafond prévu par la LPFP. La maitrise des dépenses de la mission « Santé » est indispensable dans un contexte de déficit public élevé.

II. UNE ANALYSE DÉTAILLÉE DES CRÉDITS DE LA MISSION : LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. ALORS QUE LES CRÉDITS ALLOUÉS À L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT NE CESSENT D'AUGMENTER, UNE ANNULATION DE CRÉDITS EN COURS D'EXERCICE

1. Des facteurs de l'augmentation des dépenses d'AME à expliciter

Entamée au sortir de la crise sanitaire, la hausse de l'exécution des crédits de l'aide médicale d'État (AME) se poursuit entre 2023 et 2024. L'exécution des crédits s'élève à 1 159 millions d'euros en 2024, soit 1,1 % de plus qu'en 2023, dont 1 088 millions d'euros pour l'AME de droit commun et 70 millions d'euros pour l'AME pour soins urgents. Les dépenses liées à l'AME avaient progressé de 13 % entre 2022 et 2023.

Évolution des montants versés au titre de l'aide médicale d'État depuis 2012

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Toutefois, en incluant le supplément de dépenses d'AME financé par la sécurité sociale en 2024, les dépenses d'AME de droit commun s'élèvent en réalité à 1,255 milliard d'euros, soit une hausse de 15 % des dépenses par rapport à 2023, représentant 181 millions d'euros.

De plus, l'État ne prend en charge qu'une partie de l'AME pour soins urgents, à hauteur d'une dotation de 70 millions d'euros, le reste du coût de l'AME pour soins urgents (61,8 millions d'euros) étant pris en charge par l'Assurance maladie.

Enfin, le coût de l'AME humanitaire et des autres dépenses, qui correspondent au remboursement des frais pharmaceutiques et des dépenses de soins infirmiers des personnes gardées à vue, ainsi qu'à la prise en charge sanitaire exceptionnelle pour les personnes françaises ou étrangères non résidentes décidée par le ministère de l'action sociale, s'est élevé à 592 940 euros.

Le coût total réel de l'AME, toutes AME incluses, est de 1 386,8 millions d'euros, en hausse de 15 % par rapport à 2023.

La hausse des dépenses de l'AME est notamment liée à la progression du nombre de bénéficiaires en 2023. Ils étaient 465 744 bénéficiaires au 30 septembre 2024 (dernière donnée transmise), soit une hausse de 2 % par rapport à 2023 et de 13,2 % par rapport à 2022. Malgré une réforme limitée en 2020, le nombre de bénéficiaires de l'AME poursuit donc sa progression, même si elle semble se ralentir. D'autres facteurs peuvent expliquer cette tendance, notamment la hausse du taux de personnes consommant des soins, qui est de 7 % entre 2023 et 2024.

Les éléments d'explication paraissent toutefois insuffisants pour expliciter la hausse tendancielle des dépenses d'AME. Les effets de rattrapage liés à la sortie de la crise sanitaire ne permettent pas de justifier à eux seuls la hausse des dépenses liées à l'AME, qui ont largement dépassé en 2023 les niveaux atteints avant la crise sanitaire.

Le rapporteur spécial relève également qu'il est particulièrement dommageable de prévoir des baisses de crédits sans y associer de réforme structurelle de l'AME, nécessaire pour maitriser le niveau réel des dépenses. Une réforme avait été annoncée par voie réglementaire par le précédent Gouvernement, conformément aux préconisations du rapport Evin-Stefanini8(*).

Les réformes menées et envisagées de l'aide médicale d'État

À l'initiative du Gouvernement, une réforme limitée de l'aide médicale de l'État a été adoptée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, avec pour objectif notamment de maîtriser les dépenses du dispositif. Trois dispositions ont été prises essentiellement : le renforcement des conditions pour bénéficier de l'aide (avec une ouverture du droit à l'AME effective après un délai de trois mois en situation irrégulière), le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations à un délai d'ancienneté de bénéfice de cette aide de 9 mois maximum et la limitation des possibilités de dépôt de demande d'AME à une comparution physique en caisse primaire d'assurance-maladie.

Une nouvelle réforme de l'aide médicale d'État avait été annoncée par le Gouvernement en 2023, à l'occasion du vote par le Sénat de la transformation de l'AME en Aide médicale d'urgence le 14 novembre 2023 au cours de l'exmen du projet de loi immigration9(*). Cette réforme devrait être réglementaire.

Le rapport Evin-Stefanini, publié le 4 décembre 2023, estime que l'Aide médicale d'État est un dispositif « utile, maîtrisé pour l'essentiel mais exposé à l'augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires ». Il recommande toutefois notamment de renforcer le suivi des pathologies qui engagent la collectivité dans des soins chroniques et lourds et de compléter les mesures prises en matière de contrôle.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial proposera donc dans un rapport d'information à venir des éléments de réforme structurelle de l'AME, dans une optique de maitrise des dépenses.

2. La création d'une dette à l'égard de la Sécurité sociale, au titre des dépenses d'aide médicale d'État

L'aide médicale d'État (AME) est une dépense de guichet. Les remboursements versés aux bénéficiaires de l'AME sont ainsi effectués quel que soit le niveau de crédits budgétaires provisionnés par le gouvernement, qui doit rembourser la Sécurité sociale des frais qu'elle a avancés aux professionnels médicaux.

En effet, comme le relève également la Cour des comptes, le décret d'annulation précité a supprimé près de 50 millions d'euros de crédits au titre de l'aide médicale d'État (AME), alors que la direction de la sécurité sociale avait déjà indiqué qu'elle prévoyait une dépense d'AME supérieure à celle qui a été budgétée en loi de finances initiale pour 2024.

En conséquence, les crédits ouverts en 2024 au titre de l'AME sont largement inférieurs aux dépenses effectives à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). L'État a ainsi contracté une dette particulièrement élevée à l'égard de la CNAM, d'un montant de total de 185,1 millions d'euros en 2024.

Montant annuel et cumulé de dette de l'État vis-à-vis de la CNAM
au titre de l'aide médicale d'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La dette de l'État vis-à-vis de la CNAM a été multipliée par presque 10 entre 2023 et 2024, soit une hausse de 167,8 millions d'euros. Une telle insincérité dans la prévision budgétaire est injustifiée et conduit à un manque inacceptable de transparence des dépenses de l'État.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que sur les 167,8 millions d'euros non financés par l'État de dépenses d'aide médicale d'État, seuls 50 millions d'euros sont liés à une annulation par voie décrétale. Ainsi, près de 117,8 millions d'euros ont été dépensés sans avoir été budgétés, en raison d'une erreur de prévision. Il serait souhaitable qu'une amélioration de la méthodologie de prévision soit mise en oeuvre, afin d'éviter de telles erreurs à l'avenir. La Cour des comptes10(*) recommande ainsi de « revoir la méthode de prévision des dépenses d'AME dans un but de transparence budgétaire et afin de faciliter le pilotage des crédits », recommandation à laquelle le rapporteur spécial s'associe.

La direction de la sécurité sociale a mis en oeuvre une nouvelle méthode de calcul fondée sur une périodicité mensuelle des dépenses d'AME. Il sera intéressant de vérifier si cette méthode fait ses preuves et permet d'éviter de trop grandes erreurs de prévisions.

B. DES DÉPENSES DE PRÉVENTION, DE SÉCURITÉ SANITAIRE ET D'OFFRE DE SOINS EN RISQUE

1. Les dépenses dues à la crise sanitaire en baisse significative

Alors que sa clôture était initialement programmée pour le 31 décembre 2021, le fond de concours11(*) « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offre de soins » a été reconduit en 2024 pour la quatrième année consécutive.

Les dépenses du fonds de concours se sont élevées à 22,84 millions d'euros en CP en 2024, dont 83 % dans le matériel médical (à hauteur de 18,9 millions d'euros). La faible efficience de ces crédits a toutefois été relevée par le rapporteur spécial lors des exercices précédents.

Si l'extinction définitive de ce fonds de concours était prévue pour le 31 mai 2024, il a toutefois été prolongé au 31 décembre 2024. Dans ce cadre, un versement de 23,85 millions d'euros à Santé publique France a été effectué en juillet 2024 et un ultime versement de 25 419 euros a eu lieu en décembre 2024.

Comme l'année dernière, le rapporteur spécial émet des réserves sérieuses sur la mise en oeuvre du fonds de concours. Il est en effet rattaché au programme 204, mais abondé par Santé publique France, qui n'est plus inclus dans la mission « Santé » mais pris en charge par la sécurité sociale, depuis la loi de finances pour 2020 du 28 décembre 201912(*). Le « retour » de Santé publique France dans la mission « Santé » via le fonds de concours, mais avec un financement issu de l'Assurance maladie, illustre de façon manifeste cette confusion des rôles entre la Sécurité sociale et les services de l'État. La mise en extinction de ce fonds est donc bienvenue.

Depuis 2021, le fonds de concours Financements européens pour des actions innovantes dans le domaine de la santé, qui finance notamment la lutte contre le tabagisme ou la surveillance des eaux usées, est rattaché au programme 204. Il a bénéficié en 2024 de versements de 150,6 millions d'euros en AE et de 168,4 millions d'euros en CP.

De plus, deux nouveaux fonds de concours ont été rattachés au programme 204 en 2023.

Le premier, Participation de l'Union européenne à la constitution d'un stock de produits médicaux et non médicaux en cas d'événement nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), doté de 118,9 millions d'euros en AE et en CP, a été créé en novembre 2022 et abondé pour la première fois en 2023 par l'Union européenne au titre de la contribution de la France à ce projet organisé dans le cadre du mécanisme européen de protection civile (RescUE). Il a bénéficié d'un report de crédits de 18,3 millions d'euros en 2024, sans nouvel abondement.

Le second, Financements européens pour la modernisation de l'offre de soins, a été doté en 2024 de 0,7 million d'euros, afin de soutenir l'intégration des réseaux européens de référence dans les systèmes nationaux de soins de santé.

2. L'ampleur et le nombre de contentieux médicaux font peser un risque sur les dépenses

Le programme 204 sert également à l'indemnisation des victimes de contentieux médicaux. Les dépenses en ce sens se sont élevées à 31 millions d'euros en AE et en CP, dont 21,9 millions d'euros pour les indemnisations liées au contentieux « Dépakine ». Ces dépenses sont en baisse de 4 % par rapport à 2023, quand elles s'élevaient à 35,51 millions d'euros, dont 22,76 millions d'euros des victimes de l'affaire dite du « Médiator ».

L'indemnisation des victimes de contentieux médicaux est source de risques budgétaires sur le programme 204. Le contrôleur budgétaire et comptable ministériel a ainsi relevé le risque budgétaire induit par la dynamique des dépenses d'indemnisation des victimes de la Dépakine, l'impact financier des contentieux opposant l'État à Sanofi demeurant une source d'incertitude. Par ailleurs, une nouvelle mission d'indemnisation des conséquences dommageables d'une vaccination contre la Covid-19 a été confiée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). L'État a été condamné dans quatre affaires en octobre 2023, faisant peser une incertitude sur le coût réel de cette nouvelle mission.

3. L'Agence de santé de Wallis-et-Futuna, une situation financière inquiétante pour les exercices futurs

Enfin, l'agence de santé de Wallis-et-Futuna constitue un risque pour les dépenses du programme 204. Elle ne bénéficie d'aucune ressource propre et son financement est intégralement pris en charge par l'État. Du fait du vieillissement de la population, il est à craindre que l'agence soit confrontée à une augmentation continue de ses surcoûts - en particulier l'évacuation vers les établissements de santé de Nouvelle-Calédonie, de métropole ou d'Australie - durant les prochaines années.

L'agence de santé de Wallis-et-Futuna a ainsi bénéficié d'un versement de 8,6 millions d'euros dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 202413(*). L'absence de ressources propres conjuguée à une structure peu favorable à la mise en oeuvre d'économies, risque d'accroître le déficit. L'agence connaît également une hausse de ses coûts en raison de l'augmentation des dépenses de fonctionnement, notamment du fait du coût des évacuations sanitaires.

La modernisation des infrastructures de l'agence va également entrainer une augmentation des dépenses. Ce contexte de dépense élevée et l'absence de ressource suscite une inquiétude pour les exercices futurs. La Cour des comptes appelle à ce titre à « un pilotage financier plus soutenu qui constitue un enjeu essentiel pour l'agence de santé afin de lui permettre à terme d'optimiser ses ressources compte tenu des investissements à venir et de développer sa capacité d'autofinancement ».

C. UNE SUPPRESSION BIENVENUE À L'HORIZON 2026 DES FONDS EUROPÉENS DÉDIÉS À LA CRISE SANITAIRE TRANSITANT PAR LA MISSION « SANTÉ »

Le rapporteur spécial s'interroge sur l'opportunité d'avoir intégré le programme 379 à la mission « Santé ». Ce programme visait la compensation à la Sécurité sociale des dons de vaccins à des pays tiers, ainsi que le financement du « Ségur investissement ». Le financement par des crédits budgétaires apparaît plus pertinent que l'affectation à la Sécurité sociale d'une fraction de TVA - option qui avait été précédemment retenue. Néanmoins, il aurait été plus adéquat d'intégrer les crédits du programme 379 à la mission « Plan de relance » pour les crédits « Ségur », et à la mission « Aide publique au développement » pour les dons de vaccins aux pays tiers, plutôt qu'à la mission « Santé ». En l'état, le programme 379, qui ne concourt pas directement à la politique de santé publique, nuit à la lisibilité de la loi de finances. En LFI pour 2025, seuls 94 millions d'euros ont été budgétés sur le programme 379, en vue d'une extinction en 2026, qui sera bienvenue. Une telle extinction permettra d'effectuer 94 millions d'euros de réduction de dépenses sur la mission entre 2025 et 2026. Cette « économie » ne correspond toutefois qu'à une baisse de versement de fonds européens, et non à une véritable réduction des dépenses de l'État.


* 1 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 2 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 3 Les fonds de concours désignent les recettes non fiscales de l'État, constituées de legs, de donations et de contributions de personnes tierces aux dépenses d'intérêt public. L'attribution de produits est la rémunération de prestations fournies par un service de l'État.

* 4 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 5 Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

* 6 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 7Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

* 8 Rapport sur l'Aide médicale d'État, 4 décembre 2023, Claude Evin et Patrick Stefanini.

* 9 Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 10 Note d'exécution budgétaire, mission « Santé » du budget général de l'État, avril 2024.

* 11 FDC 1-2-00640 « Participations diverses aux politiques de prévention, de sécurité sanitaire et d'offres de soins ».

* 12 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 13 LOI n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.

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