II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LES PROGRAMMES 112 ET 162, LES DEUX PROGRAMMES TERRITORIALISÉS DE LA MISSION

A. LE PROGRAMME 112 : UNE MISSION D'ACCOMPAGNEMENT DES TERRITOIRES MARQUÉE EN 2024 PAR UNE EXÉCUTION DES CRÉDITS EN HAUSSE

1. Un champ d'intervention particulièrement éclectique sous l'appellation « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire »

L'intervention de l'État en matière d'aménagement du territoire se traduit davantage, depuis quelques années, par un accompagnement des collectivités et de leurs groupements que par des politiques conduites directement : il s'agit d'intervenir de manière ciblée selon que sont visés les territoires ruraux, les territoires périurbains ou les centres de villes moyennes.

Ces politiques publiques incluent en premier lieu le programme France Services, lancé début 2020 pour 101,7 millions d'euros de crédits de paiement exécutés en 2024 (dont 56,8 millions portés par l'État à travers le programme 112, le reste étant porté par les opérateurs comme expliqué infra) contre 77,71 millions d'euros consommés en 2023 et 61,62 millions d'euros en 2022. Il s'agit d'un réseau de services publics mutualisés devant permettre aux usagers d'effectuer différentes démarches administratives dans un lieu unique vers lequel ils se rendent, ou qui vient à eux via les maisons France services mobiles, et au sein duquel ils bénéficient de l'aide de conseillers « France services » polyvalents.

La hausse importante des crédits pour 2024 s'agissant de ce dispositif s'explique par un double effet « volume et coût ».

En volume, le nombre de structures France services poursuit son augmentation avec de nouvelles vagues de labellisation en 2024 qui ont porté le total à un peu plus de 2 800 structures France services.

S'agissant du coût, le montant alloué à chaque structure a progressivement été revalorisé. En effet, le financement du réseau France Services suit différents canaux : des crédits sont alloués à l'animation du réseau départemental, tandis que depuis 2019, un financement forfaitaire, par structure, a été acté.

Initialement de 30 000 euros3(*), ce financement forfaitaire, répondant à l'une des préconisations formulées depuis longtemps par le rapporteur spécial4(*), sera progressivement porté à 50 000 euros, forfait qui s'appliquera à compter de 2026, en maintenant le principe d'un co-financement entre l'État et les opérateurs. En 2023, l'État avait donc majoré sa participation de 5 000 euros, portant ainsi à 35 000 euros le forfait par structure, à travers une revalorisation du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT). Les opérateurs ont ensuite majoré leur participation en 2024 pour financer les 5 000 euros supplémentaires par structure, en parallèle de l'arrivée des deux nouveaux opérateurs dans le dispositif au 1er janvier 2024. Cette arrivée a d'ailleurs conduit à une nouvelle répartition du financement du fonds national France services (FNFS) entre les opérateurs comme l'illustre le tableau ci-après.

Alimentation du FNFS par les opérateurs

(en euros)

Opérateur

2023

2024

Ministère de l'Intérieur

13,75 %

5 051 750

13,92 %

7 038 029

DGFIP

13,75 %

5 051 750

10,21 %

5 161 221

CNAV

6,50 %

2 388 100

9,28 %

4 692 020

MSA

6,50 %

2 388 100

4,33 %

2 189 609

CNAF

11,75 %

4 316 950

11,86 %

5 995 358

CNAM

13,75 %

5 051 750

12,69 %

6 412 427

France Travail

13,75 %

5 051 750

8,97 %

4 535 619

La Poste

13,75 %

5 051 750

7,32 %

3 701 482

Ministère de la Justice

6,50 %

2 388 100

3,92 %

1 981 075

DGEC

   

6,71 %

3 390 800

Anah

   

10,78 %

5 451 170

TOTAL

100,00 %

36 740 000

100,00 %

50 548 810

NB : DGFIP : direction générale des finances publiques ; CNAV : Caisse nationale d'assurance vieillesse ; MSA : Mutualité sociale agricole, CNAF : Caisse nationale des allocations familiales ; CNAM : caisse nationale de l'assurance maladie ; DGEC : direction générale de l'énergie et du climat ; Anah : Agence nationale de l'habitat.

Source : Commission des finances du Sénat

Alternativement, jusqu'en 2026, l'État et les opérateurs majoreront donc de nouveau leur participation de 5 000 euros pour atteindre le montant forfaitaire de 50 000 euros par structure. Pour l'instant, la trajectoire telle qu'elle résulte de la loi de programmation des finances publiques5(*) (LPFP) est donc respectée.

Origine du financement par structure France services

(en euros)

 

Part du FNADT

Part du FNFS

Total par structure France services*

2023

20 000

15 000

35 000

2024

20 000

20 000

40 000

2025

25 000

20 000

45 000

2026 (prévisionnel)

25 000

25 000

50 000

Note : total hors bonification pour les France services portées par les collectivités territoriales en zone FRR (la loi de finances pour 2024, comme la loi de finances pour 2025, prévoyait 7,5 millions d'euros de crédits pour financer cette bonification).

Source : Commission des finances du Sénat

Outre les France services, ces dispositifs ciblés se manifestent principalement par le rattachement au programme 112 des crédits destinés :

- au programme « Petites Villes de demain » qui cible un peu plus de 1 600 communes ou intercommunalités de moins de 20 000 habitants qui exercent des fonctions de centralité et qui présentent des signes de fragilité (24,1 millions d'euros en CP consommés pour ce dispositif en 2024, contre 25,55 millions d'euros 2023 et 23,26 millions d'euros en 2022) ;

- au dispositif « Nouveaux lieux, nouveaux liens », lequel comprend deux volets. Le premier volet intitulé « Fabriques de territoires » met à disposition 80 tiers lieux dans des territoires qui en étaient totalement dépourvus et le second volet « Manufactures de proximité » porte 16 tiers-lieux dédiés à la production, qui animent et apportent des services à une communauté en priorité à destination d'artisans ou de « petits » entrepreneurs (le dispositif était initialement financé par le plan de relance et se poursuit désormais dans le cadre du programme 112 avec un total de 10 millions d'euros en 2024 contre 11,78 millions d'euros d'autorisations d'engagement en 2023) ;

au programme « Territoires d'industrie » par lequel des postes de chefs de projet, à hauteur de 80 000 euros par emploi, sont financés ;

- ou encore, plus marginalement en 2024, le plan « France ruralités » qui a pris depuis 2023 le relai de « l'agenda rural » lancé en 2019, sous le pilotage de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (3,2 millions d'euros consommés en AE comme en CP en 2024 contre 1,4 million d'euros en 2023, ce qui comprend notamment le financement des volontaires territoriaux en administration - les VTA).

Par ailleurs, le programme porte les subventions pour charges de service public allouée aux deux opérateurs rattachés (l'Agence nationale de cohésion des territoires et Business France) et comprend le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT)6(*) qui finance une part des crédits destinés à la contractualisation entre l'État et les territoires : sans prétendre à l'exhaustivité compte tenu des nombreux mécanismes contractuels concernés, on citera les contrats de plan État-régions (CPER), les contrats de plan interrégionaux (CPIER) de fleuves et de massifs, ainsi que des contrats territoriaux infra-régionaux, principalement axés autour de la transition écologique et de l'accès au numérique.

2. Des dépenses d'exécution en augmentation

Contrairement à ce qui avait été constaté l'an passé, le total des crédits de paiement exécutés sur le programme 112 pour l'année 2024 est en hausse de 11,6 % (en AE, le total exécuté en 2024 est le même qu'en 2023). Cette augmentation de 38 millions d'euros des crédits de paiement consommés (passés de 340,1 millions d'euros à 379,6 millions d'euros) malgré les annulations de crédits intervenues en février puis en loi de finances de fin de gestion, est due à :

- un niveau de CP votés en loi de finances initiale pour 2024 supérieur de 86 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 ;

- un niveau plus important de fonds de concours attribués au programme en 2024 (49,06 millions d'euros soit 17 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2023) ;

- des reports de la gestion précédente (2,94 millions d'euros) ;

- des mouvements règlementaires importants (33,58 millions d'euros environ).

Si l'on observe l'évolution des crédits effectivement consommés sous le prisme des différentes actions, cette tendance à la hausse sur le programme s'explique en grande partie par le financement du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) par lequel transitent les trois-quarts des crédits du programme en 2024, comme lors des exercices précédents, même si les sections locale et générale dudit fonds connaissent cette année des évolutions distinctes.

Comme chaque année, le montant des crédits est en effet très variable selon les actions, en raison du caractère spécifique de certaines d'entre elles.

Évolution des crédits par action du programme 112 entre 2023 et 2024

(en euros)

 

Exécution 2023

LFI 2024

Exécution 2024

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Action 11 - FNADT section locale

188 302 416,90

130 857 087,49

190 525 726,00

130 812 235,00

152 114 878,21

127 769 838,07

Action 12 - FNADT section générale

132 106 050,72

126 318 923,05

114 344 299,00

117 349 540,00

151 912 532,80

154 097 452,84

Action 13 - Soutien aux Opérateurs

78 502 068,69

78 036 412,47

93 061 442,00

93 061 442,00

93 502 148,73

94 046 925,73

Action 14 - Prime d'aménagement du territoire, contrats de ruralité et pacte État -métropoles

- 2 062 345,63

4 921 492,00

-

7 297 312,00

- 774 139,96

3 716 284,56

Total programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire »

396 848 190,68

340 133 915,01

397 931 467,00

348 520 529,00

396 755 419,78

379 630 501,20

Source : commission des finances du Sénat à partir du rapport annuel de performance

Le montant total des crédits exécutés sur l'action 11, qui porte la section locale du FNADT, c'est-à-dire essentiellement des crédits contractualisés entre l'État et les collectivités territoriales, est en baisse contrairement à ce qui avait été constaté lors des années précédentes. Cette action assure le financement des CPER et des CPIER. Le désengagement contractuel progressif de l'État, principalement pour des raisons budgétaires, se traduit par cette diminution constatée en 2024 qui devrait être beaucoup plus marquée encore pour l'année 2025 en cours. C'est la raison pour laquelle, alors qu'il était prévu en LFI 2024 que l'action 11 soit dotée de 190,53 millions d'euros en AE et de 130,81 millions d'euros en CP, l'exécution constatée en fin de gestion a été de seulement 152,11 millions en AE et de 127,77 millions d'euros en CP.

À l'inverse, l'action 12 qui correspond à la section générale du FNADT, c'est-à-dire au financement des engagements non pris dans le cadre d'une contractualisation, est caractérisée par une hausse significative des montants exécutés qui sont passés, entre 2023 et 2024, de 132,1 millions d'euros à 151,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 126,3 millions d'euros à 154,1 millions d'euros en crédits de paiement.

Elles correspondent notamment à la mise en oeuvre des dispositifs de soutien aux territoires sur la base de dispositifs plus ou moins pérennes dans le temps (France services, petites villes de demain, action coeur de ville, nouveaux lieux nouveaux liens, territoires d'industries, avenir montagne, villages d'avenir, etc.). Cette augmentation importante est principalement liée à la montée en puissance du dispositif France Services (cf. supra).

Comme l'an dernier, l'action 13 « Soutien aux opérateurs » ressort, en hausse, ce qui bénéficie à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) dont la subvention pour charges de service public a été augmentée de quasiment 20 millions d'euros en 2024. Le rapporteur spécial regrette toutefois la baisse des moyens en loi de finances initiale pour 2025, en particulier au regard des besoins de la ruralité qu'il a eu l'occasion de souligner à plusieurs occasions7(*).

L'action 14, quant à elle, porte des dispositifs qui sont soit en extinction, soit rattachés aujourd'hui à d'autres programmes. La prime d'aménagement du territoire (PAT), qui constituait l'essentiel de l'action, a pris fin au 31 décembre 20208(*). De surcroît, la loi de finances pour 2018 a acté l'arrêt du financement de nouveaux engagements concernant les contrats de ruralité et des pactes État-métropoles sur le programme 112, transférés vers le programme 119 « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT). En conséquence, plus aucun crédit ne figure en AE depuis 2021. Il faut même souligner que les autorisations d'engagement constatées ressortent pour 2024, comme ce fut le cas l'an passé, en écriture négative dans Chorus à - 774 139,96 euros après retraitement, ce que le rapport annuel de performances pour 2024 justifie ainsi :

« Les clôtures d'engagement juridiques sur des années antérieures à 2024 qui n'ont pas fait l'objet d'une opération autorisée de recyclage doivent être écartées. Ces clôtures ont conduit à un ajustement à la baisse du montant des engagements, en générant une écriture négative dans Chorus. ».


* 3 Ce montant est financé différemment selon qu'il s'agit de structures postales (26 000 euros venant du fonds postal national de péréquation territoriale et 4 000 euros provenant du fonds national France Services) ou de structures non postales (15 000 euros provenant des crédits du fonds national d'aménagement et de développement du territoire et 15 000 euros du fonds national France Services).

* 4 Rapport d'information n° 778 (2021-2022) sur le premier bilan du financement des maisons France services fait par M. Bernard Delcros au nom de la commission des finances, déposé le 13 juillet 2022.

* 5 Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

* 6 Le rapporteur spécial consacrera prochainement un rapport au FNADT, dans le cadre d'un contrôle budgétaire.

* 7 Rapport d'information n° 337 (2023-2024), déposé le 14 février 2024, de M. Bernard Delcros, fait au nom de la commission des finances, « L'ANCT, une agence à consolider au service des territoires ».

* 8 Conformément aux dispositions du décret n° 2014-1056 du 16 septembre 2014 relatif à la prime d'aménagement du territoire pour l'industrie et les services.

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