- L'ESSENTIEL
- I. APPROCHE CONTEXTUELLE : LE SURINAME,
FRAGILITÉS ET PROMESSES
- A. UNE ÉCONOMIE REPOSANT SUR LE SECTEUR
PRIMAIRE ET LES RICHESSES MINIÈRES
- B. LES ESPOIRS FONDÉS SUR LA PERSPECTIVE
D'UNE MANNE PÉTROLIÈRE OFFSHORE
- C. LE FLÉAU DES CARTELS
- D. LE DÉFI DE LA CRISE FINANCIÈRE
- E. LE SYSTÈME JURIDIQUE SURINAMAIS ET SES
ENJEUX
- F. LE CHEMIN VERS L'OUVERTURE :
AVANCÉES ET INCERTITUDES
- A. UNE ÉCONOMIE REPOSANT SUR LE SECTEUR
PRIMAIRE ET LES RICHESSES MINIÈRES
- II. FRANCE-SURINAME : UN PARTENARIAT EN
CONSTRUCTION
- III. GENÈSE ET ENJEUX DE LA
CONVENTION
- IV. LE CONTENU DE LA CONVENTION
- I. APPROCHE CONTEXTUELLE : LE SURINAME,
FRAGILITÉS ET PROMESSES
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
N° 750
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur le projet de loi autorisant l'approbation de la
convention d'entraide
judiciaire
en matière
pénale entre le Gouvernement de
la République française
et le
Gouvernement de la
République du
Suriname
(procédure
accélérée),
Par M. Ludovic HAYE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
553 et 751 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le présent projet de loi a pour objet, dans le contexte d'une relation bilatérale en construction, l'approbation d'une Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname.
Longtemps considéré comme un narco-État, le Suriname, à la faveur des élections générales de 2020, a entrepris un retour sur la scène internationale qui a permis notamment d'importantes avancées dans les relations unissant nos deux pays. C'est ainsi que le différend frontalier, qui constituait un « irritant » depuis plus d'un siècle, est en passe de résolution ; qu'une coopération a pu être développée sur le fleuve Maroni pour lutter contre l'orpaillage illégal grâce à des patrouilles armées conjointes ; que TotalEnergie a annoncé l'investissement de 10,5 milliards de dollars (Mds USD) dans le projet pétrolier GranMorgu visant à l'exploitation offshore du « bloc 58 » -soit plus de 750 millions de barils.
Cependant, les promesses de développement du pays sont entachées par l'emprise grandissante du narcotrafic, pour lequel le Suriname représente une plaque tournante : hub régional du réseau logistique du trafic de cocaïne, notamment d'origine colombienne, il est devenu l'un des principaux pourvoyeurs de la drogue à destination de l'Europe et de la France.
Le texte proposé, conforme aux standards juridiques français et internationaux, devrait permettre de lutter plus efficacement contre la criminalité organisée et en particulier contre ce fléau, en définissant un cadre juridique stable sur la base duquel pourra être mise en place une coopération judiciaire « la plus large possible ».
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.
I. APPROCHE CONTEXTUELLE : LE SURINAME, FRAGILITÉS ET PROMESSES
Ancienne colonie néerlandaise, qui a obtenu son indépendance en 1975, la république du Suriname, située sur le plateau des Guyanes - entre le Guyana et la Guyane française-, représente, avec ses 163 270 km² et ses 628 886 habitants, le plus petit pays d'Amérique du Sud. Elle est recouverte à 95% par la forêt amazonienne.
Source : Quai d'Orsay
A. UNE ÉCONOMIE REPOSANT SUR LE SECTEUR PRIMAIRE ET LES RICHESSES MINIÈRES
1) La nécessaire modernisation du secteur agricole
Avec à peine 1% de terres arables - concentrées principalement dans les régions côtières -, dont seulement la moitié cultivées, l'agriculture surinamaise apparaît peu développée. Le secteur agricole produit essentiellement, selon un modèle traditionnel, du riz -principale culture vivrière du pays-, de la canne à sucre, des bananes et du bois ; il représente moins de 10% du PIB surinamais ; cependant, il emploie près d'un quart de la population du pays.
Pour combler ce retard de développement, le secteur devra relever les défis de la productivité et de la diversification, et faire face à des enjeux fonciers et environnementaux majeurs.
2) L'industrie minière, principale activité économique du pays...
Le Suriname exploite ses ressources minières depuis le début du XXème siècle : il jouit d'importants gisements d'or et de bauxite, dont l'exploitation génère près de la moitié des revenus du secteur public.
Cependant, ces richesses, exploitées pour l'essentiel par des multinationales étrangères (USA, Canada, Pays-Bas, Australie, Chine...), sont exportées en totalité et ne créent que peu d'emplois dans le pays.
Les réserves de bauxite, localisées notamment dans les zones de haute altitude (Bakhuis et Nassau), ainsi que dans les zones côtières, sont estimées à plus de 580 millions de tonnes. L'entreprise américaine Alcoa (via sa filiale Suralco) a dominé le secteur pendant des années, construisant des mines, des raffineries et même un barrage hydroélectrique (le barrage de Brokopondo) pour alimenter les usines en électricité. Cependant, depuis les années 2000, la production de bauxite a fortement diminué en raison de l'épuisement des réserves les plus accessibles et du désengagement d'Alcoa à compter de 2015, laissant derrière elle des dommages environnementaux et sociaux importants1(*). Une partie des réserves potentielles n'est pas exploitée à ce jour en raison de défis logistiques, environnementaux et économiques dans des régions reculées ou difficiles d'accès.
La production d'or annuelle, en 2022, s'élevait à 18 tonnes2(*) et elle génère 80% des recettes d'exportation du Suriname. Le district de Brokopondo, au nord-est du pays, recèle notamment des gisements considérables, qui ont fait récemment l'objet d'importants investissements chinois : ainsi, en 2022, la société Zijin Mining a acquis 95% de l'important site de Rosebel - l'une des plus grandes mines d'or à ciel ouvert opérationnelles en Amérique du Sud - et 70% du site adjacent de Saramacca. L'exploitation illégale de ces ressources, avec ses conséquences dramatiques sur l'environnement, constitue par ailleurs un fléau majeur auquel le pays, comme ses voisins guyanais et brésilien), se trouve confronté (voir C.2. ci-après).
3) ...confrontée aux défis de la diversification et de la modernisation
La COFACE3(*) cite parmi les points faibles de l'économie surinamaise son « Économie peu diversifiée : dépendante de l'or, du pétrole et de l'aluminium ». De fait, si le potentiel de développement du pays est important dans le contexte actuel de reprise économique, tant ses infrastructures que ses petites et moyennes entreprises et ses services appellent une « mise à niveau » pour que le pays devienne pleinement attractif.
La dernière crise en date occasionnée par les difficultés de mise à niveau des infrastructures surinamaises est la suspension de l'autorisation de vol de la compagnie Suriname Airways dans l'espace aérien européen - et notamment guyanais, suite au défaut de conformité constaté par l'Agence européenne de la sécurité aérienne. En conséquence, la liaison avec Cayenne est actuellement interrompue4(*).
B. LES ESPOIRS FONDÉS SUR LA PERSPECTIVE D'UNE MANNE PÉTROLIÈRE OFFSHORE
En janvier 2020, les compagnies pétrolières française et américaine TotalEnergies et Apache Corporation ont annoncé avoir découvert des gisements d'hydrocarbures majeurs au large des côtes du Suriname, dans le bassin Guyana-Suriname, une zone géologique très prometteuse partagée avec le Guyana, où la production est déjà en plein essor. Les réserves surinamaises sont actuellement estimées à plus de 700 millions de barils, mais les missions d'explorations demeurent en cours et de nouveaux blocs pétroliers pourraient être découverts dans les prochains mois. L'objectif pour le Suriname est de passer d'une production journalière de 20 000 barils à 200 000 barils d'ici 2028.
Le pays fonde de grands espoirs sur cette découverte, qui pourrait transformer profondément son économie, à l'instar de son voisin, le Guyana, en passe de devenir l'un des producteurs de pétrole les plus dynamiques d'Amérique du Sud.
Le PDG de TotalEnergies a annoncé, à l'automne 2024, l'investissement de 10,5 Mds USD dans le projet GranMorgu5(*) visant à l'exploitation du « bloc 58 » (à Sapakara et Krabdagu)6(*), soit des réserves récupérables estimées à plus de 750 millions de barils. La production devrait débuter en 2028, avec une capacité prévue de 220 000 barils par jour grâce à une unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) entièrement électrique7(*).
Source : Totalenergies.com
Avec une intensité d'émissions de scope 1 et 2 inférieure à 16 kg CO2e/bep, le projet GranMorgu s'inscrit dans une démarche de production à faibles émissions et à bas coûts.
Ce projet représente l'investissement le plus important jamais réalisé au Suriname ; il pourrait générer, à horizon 2028, des revenus significatifs et créer des milliers d'emplois, avec des répercussions sur l'ensemble des autres secteurs de l'économie surinamaise (services, infrastructures, santé...).
C. LE FLÉAU DES CARTELS
Les dernières années ont conforté la position du Suriname comme plaque tournante de très lucratifs trafics internationaux, organisés par des réseaux criminels de plus en plus puissants.
1) Le Suriname : plaque tournante des réseaux de cocaïne
La production de cocaïne sud-américaine est estimée par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) à 2 000 tonnes de substance pure par an, ayant vocation à être déversée sur le monde entier grâce à des réseaux d'acheminement puissamment organisés. En effet, les trafiquants n'expédient généralement pas directement les stupéfiants depuis leurs pays de production, mais les exportent via des États perçus comme faillis ou complaisants afin qu'ils soient, depuis ces plateformes, exportés vers les zones de consommation.
Le Suriname représente un acteur important dans ce réseau logistique, en ce qu'il constitue un hub régional du trafic de gros de la cocaïne - notamment d'origine colombienne. Les réseaux criminels profitent de la densité de sa jungle, mais aussi de sa façade maritime et de sa situation géographique, permettant l'interface entre les pays producteurs et les départements français (Guyane, Antilles françaises), qui facilite l'exportation des produits stupéfiants vers l'Europe.
Source : RFI8(*)
Arrivant depuis la Colombie via le Venezuela, le Guyana ou le Brésil, la drogue pénètre sur le territoire surinamais par tous les moyens de transport disponibles.
Plusieurs modes opératoires sont identifiés pour favoriser ces trafics :
- Le recours à des petits avions de tourisme partant des zones de production et atterrissant dans la jungle au Suriname,
- La dissimulation de la cocaïne dans des containers (technique du rip off9(*)),
- Le recours à des passeurs dit « mules » transportant des stupéfiants in corpore ou dans des valises, à bord de vols commerciaux à destination des principales capitales européennes.
Une partie de la cocaïne est ensuite expédiée directement, depuis le port de Paramaribo, en direction des grands ports européens ou des zones « de rebond » d'Afrique de l'Ouest.
À titre d'exemples, on citera notamment la saisie de 1,357 tonne de cocaïne le 3 août 2020 au port de Loon-Plage (arrondissement de Dunkerque) dans un navire porte-conteneurs immatriculé au Suriname et dont la cargaison avait été expédiée par une société surinamaise, ou encore la découverte, le 2 mai 2024, d'1,2 tonne de cocaïne à bord d'un voilier arraisonné au large du Suriname par la Marine nationale.
Le Suriname constitue également un espace majeur d'approvisionnement pour les filières exportant la cocaïne vers l'Hexagone depuis la Guyane française : ainsi, de grandes quantités de stupéfiants traversent à cette fin le fleuve Maroni pour pénétrer sur le territoire guyanais, avec des flux concentrés principalement autour des villes d'Albina (Suriname) et de Saint-Laurent-du Maroni (Guyane), avant d'être acheminées, via des vols commerciaux réguliers, vers Paris - ce qui est parfois appelé la « route des mules de Guyane ».
Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale consacrée au narcotrafic10(*) souligne enfin la résilience et l'adaptabilité de la filière, qui, suite à la mise en place à l'aéroport d'Amsterdam Schiphol d'un dispositif particulièrement efficace de contrôle par scanner des passagers et des biens, a reporté le trafic vers la Guyane française via la frontière matérialisée par le fleuve Maroni, avant de développer, face au renforcement de la réponse douanière à Cayenne, une voie de contournement par les Antilles.
2) L'orpaillage face au défi des pratiques illégales...
D'une manière générale, l'exploitation de la bauxite et de l'or soulève des problématiques environnementales, en raison des méthodes d'extraction utilisées. La France est engagée auprès des acteurs publics et privés du Suriname pour promouvoir une activité minière respectueuse des normes environnementales internationales11(*). Cependant, la pratique de l'orpaillage illégal persiste, depuis des décennies, en dehors de tout cadre légal, avec un impact particulièrement dévastateur pour les populations locales et leur environnement.
Ø Ainsi, l'exploitation incontrôlée de gisements aurifères par des barges a un effet destructeur sur les cours d'eau et leurs berges, en contaminant durablement l'eau par le mercure et le cyanure, est également source de déforestation, et entraîne l'affaissement des rives ainsi que des modifications du lit du cours d'eau12(*).
Ø Les orpailleurs clandestins opèrent dans des conditions de sécurité souvent précaires. À titre d'exemple, on rappellera l'effondrement, le 20 novembre 2023, d'une mine d'or illégale, à une centaine de kilomètres de la capitale Paramaribo, faisant une quinzaine de victimes13(*).
Ø Enfin ces trafics alimentent l'économie souterraine, enrichissent les réseaux criminels et font le lit d'une corruption endémique.
Site d'orpaillage illégal sur le fleuve Maroni, (c)Parc amazonien de Guyane
D'après les chiffres donnés par le journal France-Guyane, cet orpaillage dit « artisanal » occuperait 20 000 personnes au Suriname et représenterait 40% de l'or produit.
Le fleuve transfrontalier Maroni, entre la Guyane française et le Suriname, est particulièrement concerné par cette problématique : lieu de vie de nombreuses communautés autochtones fortement dépendantes des ressources naturelles, ce bassin versant est devenu l'épicentre de ces pratiques illégales des « garimperos ». La Guyane française, du fait de sa frontière particulièrement poreuse sur le fleuve Maroni, subit à la fois les conséquences et la contagion de ces pratiques :
« Ils pillent, salissent nos eaux, nos forêts : notre alimentation, et ils se moquent de nous, parce que nous ne pouvons rien faire. Nous avons peur. » : tels sont les propos du Chef coutumier du village d'Antecumpata, rapportés par le rapport de la commission d'enquête conduite par l'Assemblée nationale sur l'orpaillage illégal en Guyane14(*).
Carte des zones affectées par l'orpaillage illégal en Guyane. Source BRGM.
Afin de lutter contre ces pratiques, on saluera la récente création d'une section franco-surinamaise dite CRAJ (Commando de Recherche et d'Action en Jungle) pour harmoniser et intensifier les efforts de lutte contre la criminalité transnationale, avec un accent particulier sur l'orpaillage illégal.
Cette unité, formée sur le modèle des commandos du 9e RIMa français15(*), a pour mission de mener des actions profondes en milieu tropical, en soutien aux opérations des forces de l'ordre. En effet, en l'absence d'un cadre juridique permettant le contrôle des marchandises sur le fleuve, l'interception des embarcations se fait uniquement lors des accostages. Cette réalité rend indispensable une coopération bilatérale, avec des patrouilles coordonnées pour harceler les trafiquants des deux côtés de la frontière, malgré l'absence d'accord formel sur les limites frontalières. Un programme d'équipement a été finalisé le jeudi 15 mai dernier à Albina, avec la remise de trois pirogues en aluminium motorisées aux Forces Armées du Suriname, conçues pour les opérations en jungle.
3) ... génératrices de criminalité et de corruption
Avec un taux d'homicides de 4,9 /100 00016(*), le Suriname apparaît relativement épargné en comparaison de ses voisins sud-américains.
Source : Insighterime.org
Cependant, la presse locale fait état d'une recrudescence récente d'attaques par des bandes armées, notamment sur les sites orpailleurs du fleuve Maroni17(*).
S'agissant des problématiques de corruption, la situation du pays est préoccupante. L'indice de corruption publié par Transparency International pour l'année 2024 classe le Suriname 88ème pays sur 180. La corruption trouve ses racines aussi bien dans l'activité liée au trafic de cocaïne que dans l'orpaillage illicite. Les revenus de ces activités génèrent selon les estimations entre 40 et 60% du PIB.
La société surinamaise est confrontée au quotidien à ce fléau, qui implique les agents publics situés à tous les niveaux de l'appareil d'État, au point que le pays est régulièrement qualifié par la presse internationale de narco-État au regard des liens de certains de ses dirigeants politiques avec le trafic de drogue ; ainsi :
Ø Condamné par contumace à onze ans de prison par la cour de justice néerlandaise en 1999 pour l'organisation d'un transport estimé entre 0,5 et 2 tonnes de cocaïne vers l'Europe, l'ancien président Désiré Bouterse n'a évité l'incarcération qu'en raison de la législation surinamaise qui interdit l'extradition de ses citoyens, ainsi que de son immunité présidentielle18(*).
Ø À l'instar de son rival Bouterse, l'actuel Vice-président Ronnie Brunswijk fut lui aussi condamné par coutumace par la justice néerlandaise en 1999 puis par la justice française la même année.
La lutte contre la corruption est assurée par l'existence de dispositifs légaux d'une part, qui trouvent cependant leur limite dans l'insuffisance des moyens qui leur sont affectés, et de l'autre, par l'engagement d'un pouvoir judiciaire véritablement indépendant.
En effet, sous la pression des acteurs internationaux, le pays s'est progressivement doté d'une panoplie législative et d'outils de lutte contre la corruption crédibles.
Le Suriname dispose d'une législation abondante en matière de lutte contre la corruption. Le code pénal surinamais, et notamment les Titres 7, 25 et 28 du livre 2, punit d'emprisonnement et d'amende les malversations commises par un ministre, le détournement d'argent, la contrainte exercée par un fonctionnaire, la tricherie électorale, la fausse déclaration, la contrefaçon... En outre, on observe un durcissement de la législation concernant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, avec la loi du 5 septembre 2023. Cependant, bon nombre de ces textes ne sont pas appliqués de matière effective, souvent en raison d'un manque de moyens. Les unités en charge des contrôles notamment ne disposent pas des moyens suffisants en termes de ressources humaines, si bien que leur efficacité demeure très limitée.
Les dispositions de la loi sur la lutte contre la corruption datant du 23 septembre 2017 ne sont pas appliquées notamment en ce qui concerne les déclarations des avoirs des principaux responsables politiques.
Une commission anti-corruption a par ailleurs été créée en 2022 après l'adhésion du Suriname, en novembre 2021, à la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC). Celle-ci ne dispose cependant pas de moyens suffisants.
La justice surinamaise apparaît quant à elle comme un acteur fiable (voir E ci-après). La condamnation de l'ancien président de la République Bouterse a ainsi démontré que le pouvoir judiciaire représentait un véritable contre-pouvoir.
Dans son rapport d'octobre 2023, le Groupe d'action financière des Caraïbes (GAFIC) a souligné les progrès du Suriname, en évaluant que désormais le pays se conformait à 14 de ses 40 recommandations, tout en regrettant que les pratiques n'évoluaient malheureusement pas.
D. LE DÉFI DE LA CRISE FINANCIÈRE
Suite à la crise du COVID-19, les finances publiques surinamaises se sont trouvées fortement dégradées, avec un endettement public atteignant 138 % du PIB en 2023.
Depuis 2021, le pays bénéficie d'un programme du FMI, qui a fourni au pays 690 M USD sur trois ans (2023-2025) dans le cadre d'une facilité de crédit élargie conditionnée à l'assainissement budgétaire et aux réformes structurelles. Le président Santokhi a fait de la restructuration de la dette une priorité et fait face à cette situation avec volontarisme : l'exécutif a adopté dans ce sens une série de réformes concernant la viabilité budgétaire de la dette, la politique monétaire, et la stabilité du secteur financier ; ainsi que des mesures fiscales, avec notamment l'extension de la couverture de la TVA à 60 % de la consommation des ménages et la suppression progressive des subventions à l'énergie.
Le Conseil d'administration du FMI a approuvé, le 24 mars dernier, la neuvième et dernière revue du programme EFF du Suriname, et constaté que l'intégralité de ses critères de performance quantitatifs avaient été atteints, à l'exception de la cible de déficit primaire de l'État.
À ce jour, la restructuration de la dette est presque achevée et l'assainissement budgétaire est en cours. Les négociations sur la dette ont abouti à un accord de rééchelonnement avec le Club de Paris en juin 2022, suspendant les remboursements jusqu'en 2028 et établissant des conditions comparables pour les autres créanciers19(*).
La découverte du potentiel pétrolier offshore a facilité la conclusion de ces accords, qui contiennent notamment des dispositions de récupération liées aux futurs développements pétroliers, garantissant des ajustements potentiels basés sur les performances économiques du Suriname.
Comme il apparaît dans le tableau ci-dessous, la situation économique et financière du pays affiche des évolutions très positives, qui devraient se poursuivre et se consolider au fur et à mesure que l'exploitation des ressources pétrolières offshore prendra forme - perspective que le président surinamais avait décrite comme « une lueur au bout du tunnel ».
Source : https://www.coface.com
Environ 26 % de la population vit cependant encore sous le seuil de pauvreté, avec moins de 5,50 USD par jour en moyenne - ce taux atteignant plus de la moitié de la population dans les régions de l'intérieur. C'est pourquoi, malgré un certain nombre de mesures compensatoires destinées aux populations les plus fragiles20(*), l'enjeu de la soutenabilité par la population des mesures d'austérité conserve son acuité21(*), et était au coeur des débats de l'élection qui s'est tenue le 25 mai dernier.
E. LE SYSTÈME JURIDIQUE SURINAMAIS ET SES ENJEUX
1) Un système juridique moderne...
Le système juridique surinamais est très proche de celui des Pays Bas et s'inspire du droit français particulièrement en matière pénale. Il distingue le droit public et le droit privé. Il comporte un Code pénal22(*) et un Code de procédure pénale, dont l'application est garantie par une Haute Cour de Justice23(*).
Le droit pénal surinamais se conforme aux principes fondamentaux tels le droit à un procès équitable, la présomption d'innocence, les droits de la défense, le respect des droits fondamentaux et l'accès à la justice.
Le ministère public (PPO), clairement séparé des juges, appartient au pouvoir judiciaire. Il est indivisible sur l'ensemble du territoire. Il est dirigé par le procureur général, nommé par le gouvernement sur avis de la Haute Cour de justice, qui est assisté de deux sollicitors general, de 15 procureurs et substituts, et de 30 membres du personnel administratif.
Le parquet n'est pas soumis à l'autorité hiérarchique du ministre de la Justice et de la Police ; le procureur général est nommé à vie, comme les juges, ce qui leur donne une indépendance forte. Il est à noter que l'indépendance des juges est également garantie par leur niveau de rémunération - un juge percevant l'équivalent de 1200 € de rémunération de base, à laquelle s'ajoutent diverses primes, ce qui représente un salaire conséquent au Suriname (le SMIC étant aux alentours de 140 €.)
Le pouvoir judiciaire a mis en place un plan de lutte contre la corruption ; différents services d'enquête sont en charge de cette mission, avec notamment la création d'un groupe d'enquêteurs « judicial investigation team », qui travaille sur des dossiers sensibles en lien avec le parquet.
Pour l'année 2022/2023, le parquet a mené des investigations dans douze affaires -de blanchiment uniquement.
Depuis 2005, le Suriname est membre de la Cour de justice de la Caraïbe.
Il n'existe pas de Cour de Cassation au Suriname mais il existe une Cour Constitutionnelle, qui a statué, pour la première et unique fois, le 22 juillet 2021 en prononçant l'annulation de l'amnistie dont avait bénéficié l'ancien Président Bouterse pour des meurtres commis en décembre 1982.
2) ... mais sous-dimensionné et au service d'un état de droit perfectible
S'agissant de l'État de droit et de la situation des droits de l'homme au Suriname, on soulignera qu'en juillet 2024, le Comité des droits de l'Homme des Nations unies, examinant le rapport soumis par le Suriname au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a relevé que les développements économiques récents du pays soulevaient des défis, notamment l'aggravation des inégalités et l'insuffisance des ressources allouées aux institutions juridiques du pays.
Le Comité a par ailleurs salué l'abolition de la peine de mort en 2015 dans le Code pénal et dans le Code pénal militaire en 2021.
Des efforts législatifs ont été déployés par le pays pour faire respecter les droits des peuples autochtones et tribaux. Cependant, il demeure un manque d'inclusivité des procédures mises en place, et des interrogations subsistent sur la bonne représentation des populations tribales et autochtones dans les postes de décision politique24(*).
Enfin la pratique des mariages d'enfants demeure préoccupante, tandis que le Suriname est un pays d'origine et de destination pour des femmes, des hommes et des enfants soumis à la traite sexuelle et au travail forcé à l'intérieur du pays - en particulier des femmes et des filles originaires du Brésil, de Cuba, de la République dominicaine, d'Haïti et du Venezuela.
F. LE CHEMIN VERS L'OUVERTURE : AVANCÉES ET INCERTITUDES
1) Le poids de l'histoire : l'ère Bouterse
Après son indépendance obtenue en 1975 auprès du Royaume des Pays Bas25(*) le Suriname est demeuré isolé sur la scène politique régionale du fait de sa culture (il était le seul pays néerlandophone sur le continent), et de son enclavement géographique.
C'est dans ce contexte que fut conduit, le 25 février 1980, un coup d'Etat militaire - qui se voulait alors « progressiste » -, par de jeunes officiers, dirigés par le lieutenant-colonel Desi Bouterse, inaugurant une ère de quarante années de dictature et de guerres civiles.
Cette période restera marquée par des rapprochements avec notamment Cuba, la Grenade et la Libye du colonel Kadhafi, alors que par ailleurs le pays s'isolait sur la scène internationale ; mais aussi par l'assassinat de 15 opposants politiques en 198226(*) ; enfin, par la guerre qui, en 1986, a opposé l'armée issue de la majorité créole à des Noirs-Marrons (ou Bushinenge), dirigés par Ronnie Brunswijk. Un massacre commis par l'armée surinamaise à Mowaina en 1986 a notamment provoqué la fuite d'environ 10 000 Bushinenge vers la Guyane française.
Cette guerre n'a cessé qu'avec le retour de la démocratie en 1991, contraignant le dictateur à la démission l'année suivante ; mais celui-ci est revenu au pouvoir par la voie démocratique, et a été élu Président de la République en 201027(*), à la tête d'une coalition soutenue par son ancien ennemi Ronnie Brunswijk28(*). Il a été réélu en 2015.
2) 2020 : Le tournant Santokhi...
L'élection du président Chan Santokhi a permis à partir de 2020 l'alternance politique grâce à une alliance entre le VHP (parti présidentiel, hindoustani), l'ABOP (parti du vice-président Ronnie Brunswijk, s'appuyant sur la communauté des Noirs-Marrons), et le NPS qui se retira finalement de la coalition pour rejoindre le bloc de l'opposition. Il en est résulté une coalition contre-nature entre deux partis qui ne défendent pas les mêmes intérêts.
La première mission du président Santokhi et de son gouvernement a été de garantir la stabilité de l'économie surinamaise, qui peine à sortir de la profonde crise économique et financière qui a valu au pays de bénéficier d'un programme du FMI, et de négocier la restructuration de sa dette au sein du Club de Paris.
Sur le plan diplomatique, le président Santokhi a su réorienter la diplomatie du pays, notamment en renouant les liens avec les Pays-Bas, ce qui a permis le déblocage de l'aide au développement suspendue durant les mandatures du précédent président. Les Pays-Bas ont de leur côté présenté les excuses officielles du gouvernement pour le rôle de l'État néerlandais dans l'esclavage ; le roi William-Alexander a également présenté des excuses officielles lors de la 150ème commémoration de l'abolition de l'esclavage au Suriname le 1er juillet 2023 (célébrations du « Keti Koti »).
Cette ouverture récente, dans le contexte de la découverte des ressources pétrolières offshore du pays, a éveillé de la part des puissances étrangères un intérêt - voire une convoitise - manifestes29(*) : le Suriname a été le premier pays sud-américain à rejoindre les Nouvelles routes de la soie, et est devenu un « partenaire coopératif stratégique » pour la Chine, également très présente sur la problématique de la dette (voir D ci-dessus) ; le secrétaire d'État Marco Rubio a conduit une visite officielle en mars 2025 lors de sa tournée en Amérique latine, destinée notamment à y contrer l'influence grandissante du compétiteur chinois.
3) ...compromis par des élections à l'issue incertaine
Cependant, du fait des réformes structurelles entreprises pour sortir le pays du surendettement, qui ont plombé le soutien populaire à Chan Santokhi, les élections générales du 25 mai 2025 ont débouché sur un résultat à ce jour indécis, mais qui semble compromettre la continuité de l'action du président sortant : ainsi, son parti, le VHP, et celui de l'ancien président décédé Desi Bouterse, le NPD, avec pour tête de liste Jennifer Simons, obtiennent respectivement 17 et 18 sièges au Parlement -cinq autres partis ayant remporté des sièges, dont l'APOB de l'actuel vice-président Ronnie Brunswijck, et le NPS, autrefois dominant, avec chacun de 5 à 6 sièges.
Dans le cadre d'une élection présidentielle indirecte, il appartient à présent aux 51 parlementaires élus de décider, à la majorité des deux-tiers, des futurs président et vice-président du pays, dans un délai d'un mois maximum après la proclamation des résultats officiels, ouvrant ainsi la porte à une vraisemblable coalition dirigée par Jennifer Simons : les tractations entre les partis décideront ainsi de la composition future du gouvernement et du tandem présidentiel.
L'alternance politique pourrait conduire à un revirement de certaines positions surinamaises sur des dossiers régionaux et internationaux, notamment sur le Vénézuela et sur l'Ukraine. Par ailleurs, Jennifer Simons a d'ores et déjà pris position contre le Protocole frontalier de 2021 (voir II. 2. ci-après).
Enfin, en cas de coalition avec le parti APOB, il est également rappelé que son chef, Ronnie Brunswijck, fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la part de la France et qu'un proche de ce dernier est sous le coup d'une procédure d'extradition émise par la France : il apparaît ainsi vraisemblable que celui-ci s'opposera à toute extension ultérieure de la présente convention aux demandes d'extraditions -non prévues dans le texte actuel.
II. FRANCE-SURINAME : UN PARTENARIAT EN CONSTRUCTION
1) La relation bilatérale après l'isolement : premiers pas et perspectives
Bénéficiant du renouveau diplomatique du pays, la relation bilatérale a été relancée depuis l'élection du président Chan Santokhi après plusieurs années de stagnation dues à l'isolement diplomatique du Suriname sous l'ère Bouterse (2010-2020).
Ainsi, 2022 a vu l'entrée en vigueur de l'accord de coopération en matière policière, signé en 2006 par Chan Santokhi, alors ministre de la Police, et sur le fondement duquel a pu être pérennisée, à partir de début 2024, l'organisation de patrouilles conjointes sur le Maroni entre la police française aux frontières et la police surinamaise, et qui a rapidement fait la preuve de son utilité30(*).
Les armées françaises apportent par ailleurs un soutien stratégique aux forces armées du Suriname, dans le cadre du programme « Solidarité Stratégique ». Ce partenariat se concrétise par le financement de l'équipement complet d'une section commando sur le fleuve Maroni31(*).
Plusieurs rencontres de haut niveau se sont tenues par ailleurs au cours des quatre dernières années, avec notamment :
Ø En 2022, la visite du Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, à Paramaribo.
Ø En juillet 2023, l'entretien, en marge du sommet UE-CELAC, du Président Macron avec le président Santokhi, qui a constitué la première rencontre entre chefs d'État français et surinamais.
Ø La visite, en avril 2024, du ministre surinamais des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération internationale, reçu par son homologue français Stéphane Séjourné. A l'occasion de cet entretien, la France et le Suriname ont signé un accord de coopération décentralisée portant sur les domaines économique, environnemental, éducatif et celui des services de proximité.
Ø Le Conseil du Fleuve, lancé en 2009, a été réformé en 2022 afin de garantir une meilleure efficacité et opérabilité de l'exercice transfrontalier. La dernière édition en séance plénière a eu lieu à Paramaribo le 6 décembre 2024, réunissant l'ensemble des services de la préfecture de Guyane et les services surinamais, sous la co-présidence du préfet de Guyane, M. Antoine Poussier.
Ø Le ministre surinamais des Travaux publics s'est également rendu récemment en Guyane pour promouvoir la coopération entre territoires guyanais et surinamais.
2) L'irritant du tracé frontalier
Avec ses quelque 520 km le long du fleuve Maroni, la frontière entre la Guyane française et le Suriname représente la cinquième plus longue frontière terrestre de la France. Cette frontière commune implique des intérêts et des défis communs en matière de développement, d'infrastructures, de migrations et de sécurité, le Maroni étant, historiquement, plus un bassin de populations qu'une frontière hermétique32(*).
Cette frontière présente cependant la particularité d'une délimitation contestée sur une part importante de son tracé, occasionnant un différend frontalier de plus d'un siècle entre les deux voisins.
Historiquement, la frontière entre les deux États a été fixée au Maroni par le traité d'Utrecht de 1713 (le Suriname étant alors une colonie néerlandaise), mais demeurait imprécise du fait des vastes « terrae incognitae » de la forêt amazonienne non cartographiées. Un arbitrage d' Alexandre III de Russie en 1891 a précisé cette limite comme devant être entendue « suivant le Lawa en amont de sa confluence avec le Tapanahoni ».
Dans une convention signée en 1915, dite « de Paris », la frontière a été délimitée entre l'île Portal (à hauteur de Saint-Laurent du Maroni) et l'île Stoelman (à hauteur de Grand-Santi) selon le principe de la ligne médiane.
Cette absence de délimitation rend particulièrement perméable cette frontière, tant en matière de migrations humaines que de flux des différents trafics - stupéfiants, armes, orpaillage.
Au quotidien, 434 enfants traversent le fleuve Maroni en pirogue pour fréquenter les écoles françaises sur la rive de Saint-Laurent-du-Maroni. De très nombreuses pirogues remontent également quotidiennement le Maroni transportant des personnes d'une rive à l'autre mais sont également impliquées dans l'exploitation illégal de l'or côté guyanais (environ 10 tonnes par an).
De plus, le tracé en lui-même demeurait un irritant entre les deux pays, source, régulièrement, de tensions transfrontalières, et notamment en 2019, suite à la destruction par l'armée française, dans le cadre de l'opération Harpie contre l'activité aurifère illégale, de sites d'orpaillage illégaux sur le territoire surinamais33(*).
Une étape importante a été marquée par la signature, le 15 mars 2021, d'un protocole additionnel à la convention de 1915, réaffirmant le principe suivant lequel la frontière est constituée par la ligne médiane des eaux ordinaires, c'est-à-dire la ligne équidistante des deux rives ; mais aussi corrigeant d'importantes anomalies figurant dans les cartes IGN depuis les années 1950, concernant la répartition des quelques 950 îles du Maroni et de la Lawa - dont la plupart sont inhabitées - qui se trouvaient indûment rattachées au Suriname, ou réciproquement.
Les trois premiers segments de la frontière franco-surinamaise, de l'embouchure du fleuve jusqu'au début de la rivière Lawa - soit la partie en aval (au nord) de la localité d'Antecume Pata, seraient ainsi dorénavant délimités avec précision par des points GPS.
S'agissant des îles chevauchant le ligne, l'appartenance nationale a été en règle générale décidé en fonction de la position de la plus grande surface insulaire : si elle est à l'est de la ligne médiane, l'île appartient à la France, si elle est à l'ouest, elle appartient au Suriname.
Pour une soixantaine d'îles habitées, une enquête a été conduite sur l'attachement principal des populations, évalué en fonction de leurs papiers d'identité (quand ils existent), leur allégeance à des autorités politiques ou religieuses, leurs affinités nationales, le pays qui a construit et entretient les principaux équipements et infrastructures de l'île... Une quinzaine d'îles ont fait l'objet du déplacement sur place d'une mission conjointe franco-Surinameienne. Dans certains cas, les habitants se sont revendiqués surinamais alors que leurs îles sont situées à l'est de la ligne médiane (côté français). Celles-ci, telles Bada Tabiki et Siki Tabiki en amont du village d'Apatou, ont alors été rattachées au Suriname.
Quant aux îles où se sont déroulés les incidents transfrontaliers de 2018 et 2019 à l'origine du processus de révision de la frontière, elles ont été définitivement confirmées comme françaises.
En amont de la localité d'Antecume Pata, un accord reste à trouver, le tracé se situant sur la rivière Litani, selon les cartes françaises, et sur la Marouini, pour les cartes surinamaises ; un dernier cycle de négociations devrait débuter après la ratification du protocole, afin de tenter de régler cet ultime différend frontalier, concernant une zone d'environ 3 000 km2.
Cependant, à ce jour, une incertitude demeure sur la ratification par la partie surinamaise du protocole de 2021, suite aux récentes élections : En effet, la leader du parti NPD, Jennifer Simons, a d'ores et déjà fait savoir que si son parti arrivait au pouvoir, il chercherait à renégocier ledit Protocole qui n'a, selon elle, fait l'objet d'aucune consultation auprès de la population locale...
III. GENÈSE ET ENJEUX DE LA CONVENTION
A. LA GÉNÈSE DU TEXTE ET DE SON AVENANT
Le besoin d'un cadre juridique opérationnel pour a lutte contre l'orpaillage illégal et les réseaux criminels - notamment narcotrafiquants - qui sévissent tout autant d'un côté que de l'autre de la frontière s'est fait sentir depuis 2014, et a conduit les autorités françaises et surinamaises à s'accorder sur le principe d'une convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale.
Le processus de négociation a débuté dès 2015, sur la base d'un projet préparé par la Partie française. Celui-ci a cependant pris du retard en raison d'une problématique de traduction, jusqu'à ce qu'une nouvelle session de négociation débute à Paramaribo fin 2017 afin de permettre la mise au point de deux versions, française et néerlandaise.
Le texte définitif a pu être approuvé, dans les deux langues, par les deux parties, début 2020 ; elles sont toutefois convenues d'attendre l'issue des élections surinamaises de 2020 et la mise en place du nouveau gouvernement pour signer la convention.
La convention d'entraide judiciaire en matière pénale a finalement été signée le 15 mars 2021, à Paris, par le ministre des Outre-mer pour le gouvernement français et par le ministre des Affaires étrangères, du commerce international et de la coopération internationale pour le gouvernement surinamais.
Entretemps cependant, la jurisprudence du Conseil d'État français a évolué relativement à la protection des données à caractère personnel, de sorte que la clause figurant à l'article 23 de la convention s'est révélée incomplète au regard de ses nouveaux standards, et qu'une mise à jour s'est avérée nécessaire pour que le texte garantisse la protection requise pour ce type d'accord. La France et le Suriname ont donc négocié en distanciel, en 2022, un avenant à la convention concernant son article 23 « Protection des données à caractère personnel ». Cet avenant a été signé le 2 juin 2023 à Paramaribo par l'ambassadeur de France au Suriname et le ministre de la Justice et de la police du Suriname.
En conséquence, la version de la présente convention soumise à la ratification parlementaire intègre cette évolution.
Sa signature (convention initiale + avenant) côté surinamais est actuellement suspendue au calendrier parlementaire du pays : le Suriname étant actuellement en période électorale, son Parlement ne siège plus depuis plusieurs mois. Les autorités surinamaises n'ont à ce stade pas fait état de difficultés particulières concernant la ratification de la présente convention, si ce n'est l'engorgement parlementaire34(*).
B. LES BÉNÉFICES ESCOMPTÉS
Les bénéfices de l'entrée en vigueur de la présente Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Suriname seront importants, du fait du cadre juridique stable et efficace qu'elle offrira à la coopération entre les deux pays. Ce cadre sera particulièrement bienvenu dans le contexte de la montée en puissance des cartels de narcotrafiquants qui inondent le marché européen et français. Il permettra également de renforcer la coopération dans la lutte contre l'orpaillage, et les divers réseaux de contrebande qui sévissent à la frontière du pays.
Ainsi, la France et le Suriname s'engagent à s'accorder mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible (article 1er). L'accord organise de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes entre les Parties, notamment dans les cas les plus urgents (article 3). Il définit les modalités et délais d'exécution des demandes d'entraide (article 6). Il offre la possibilité de recourir à toute une série de techniques modernes de coopération dont les auditions par vidéoconférence (article 10), les saisies et confiscations (article 15) et les interceptions de télécommunications (article 18).
On pourrait regretter que la convention ne comporte pas de volet relatif à l'extradition, du fait notamment de la situation délicate du vice-président et de son entourage. Cette panoplie de clauses n'en permettra pas moins une coopération moderne et efficace entre les services des deux pays, et constituera autant de leviers pour intensifier la lutte contre la criminalité, dans laquelle chacune des deux parties s'est d'ores et déjà engagée avec volontarisme.
C. DES ÉCHANGES PAR AILLEURS MODESTES
En l'absence de convention d'entraide judiciaire pénale bilatérale, en dehors des domaines visés par les conventions multilatérales spécialisées susmentionnées, l'entraide judiciaire en matière pénale s'effectue actuellement au titre de la courtoisie internationale au cas par cas, selon le principe de réciprocité.
La France et le Suriname sont tous deux Parties à la convention unique des Nations unies sur les stupéfiants du 30 mars 1961, la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988 et la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale du 15 novembre 2000 (dite « convention de Palerme »).
1) En matière d'entraide :
Les flux d'entraide judiciaire en matière pénale avec le Suriname sont actuellement peu importants. De plus, la coopération pénale est aléatoire et lente.
Depuis le 1er janvier 2014, les autorités françaises ont adressé 21 demandes d'entraide aux autorités surinamaises. Ces demandes concernent principalement des faits de trafic de stupéfiants, d'association de malfaiteurs et d'atteintes aux personnes significatifs (homicide volontaire ou tentative d'homicide volontaire, enlèvement, séquestration). Elles ont par ailleurs adressé deux dénonciations officielles et neuf demandes relatives à la transmission d'actes judiciaires (citations à comparaitre et significations de jugement).
Sur la même période, les autorités surinamaises ont adressé six demandes d'entraide. Ces demandes d'entraide sont, pour l'essentiel, en lien avec des faits de trafic de stupéfiants.
Le nombre ainsi que la fluidité de telles demandes sont appelés à monter en puissance à l'issue de l'entrée en vigueur de la présente convention.
2) En matière d'extradition et de transfèrement :
L'entraide en matière extraditionnelle est résiduelle.
Depuis le 1er janvier 2014, la France a adressé une unique demande d'arrestation provisoire au Suriname, pour des faits d'infraction à la législation sur les stupéfiants. Les autorités surinamaises ont alors fait savoir qu'aucune extradition ne serait accordée, la France et le Suriname n'étant liés par aucune convention d'extradition.
Peut cependant être signalée une demande d'extradition surinamaise en 2022 qui a abouti à la remise, en avril 2024, de la personne recherchée pour des faits de meurtre.
En matière de transfèrement de personnes condamnées, aucun flux n'est à signaler.
IV. LE CONTENU DE LA CONVENTION
La convention, d'un contenu, pour l'essentiel, classique pour un accord de ce type, comprend vingt-neuf articles et s'accompagne d'un avenant portant sur son article 23.
Saisi du projet de loi autorisant l'approbation de la Convention faisant l'objet du présent rapport, le Conseil d'État (section des finances) lui a donné un avis favorable dans sa version amendée par l'avenant, signé à Paramaribo le 2 juin 2023, qui avait pour objet la mise à jour du texte au regard des exigences jurisprudentielles fixées par le Conseil d'État.
Dans le détail :
Le champ d'application de l'entraide judiciaire mise en place est décrit à l'article 1er comme le « plus large possible » dans toute procédure visant des infractions pénales dont la répression entre dans la compétence des autorités judiciaires de la Partie requérante au moment où l'entraide est demandée.
Les Parties s'engagent également dans le cas de certaines procédures particulières, comme celles susceptibles d'engager la responsabilité d'une personne morale.
L'entraide accordée peut notamment concerner les demandes de renseignement d'ordre financier, sur la base d'une rédaction de compromis entre les deux parties.
Les autorités françaises proposent en effet, classiquement, dans les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale, l'insertion :
- d'une disposition, au sein de l'article relatif au champ d'application ou de l'article relatif aux restrictions à l'entraide, selon laquelle le secret bancaire ne peut être invoqué pour rejeter l'entraide ;
- d'une disposition, au sein de l'article relatif aux restrictions à l'entraide, selon laquelle l'entraide ne peut être rejetée au seul motif que la demande se rapporte à une infraction que la Partie requise qualifie d'infraction fiscale ; ni au seul motif que la législation de la Partie requise n'impose pas le même type de fiscalité ou ne contient pas le même type de réglementation en matière fiscale, de douane et de change que la législation de la Partie requérante ;
- et d'une disposition spécifique relative à la demande d'information en matière bancaire.
Ces clauses, proposées par la Partie française dans le projet de convention qu'elle a transmis en 2015, n'ont pas été acceptées par la partie surinamaise. C'est pourquoi, à titre de compromis, les deux Parties se sont entendues pour insérer, à l'article 1er relatif au champ d'application de la Convention, la disposition suivante : « L'entraide judiciaire en matière pénale comprend les demandes de renseignements financiers auprès d'institutions financières ».
Les autorités françaises considèrent en effet que la notion d'«institutions financières », telle qu'entendue au niveau international recouvre bien les banques, qui sont inclues dans la notion « d'institutions financières » telle que définie dans les instruments conventionnels du Conseil de l'Europe35(*).
Le champ de la convention exclut cependant l'exécution des décisions d'arrestation et d'extradition, l'exécution des condamnations pénales, sous réserve des mesures de confiscation, ainsi que les infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.
L'article 2 relatif aux restrictions peuvant être apportées à l'entraide, cite les motifs de refus « standard » pour ce type de convention, à savoir les demandes se rapportant à des infractions considérées par la Partie requise comme politiques ou connexes à des infractions politiques, ou celles considérées par la Partie requise comme de nature à porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre public ou à d'autres de ses intérêts essentiels ; ou encore en cas de suspicion d'une discrimination fondée sur des considérations religieuses ou ethniques. En outre, l'entraide peut être refusée si elle a pour objet une mesure de confiscation et que les faits à l'origine de la requête ne constituent pas une infraction pénale au regard de la législation de la Partie requise.
L'entraide peut être différée si l'exécution de la demande est susceptible d'entraver une enquête ou des poursuites en cours. Enfin, l'article définit les conditions dans lesquelles la partie requise doit, avant de refuser ou de différer l'entraide, informer rapidement la Partie requérante et la consulter pour décider si l'entraide peut être accordée aux termes et conditions qu'elle juge nécessaires.
Les articles 3 et 4 définissent les autorités centrales et les autorités compétentes pour chacune des parties.
L'article 5 traite du contenu et de la forme des demandes d'entraide : Classiquement, celles-ci doivent comporter un certain nombre d'informations telles que l'autorité compétente ayant émis la demande, l'objet et le motif de la demande ou encore les textes applicables définissant et réprimant les infractions, ainsi que les mesures d'entraide demandées. Elles sont faites par écrit ou par tout autre moyen, y compris par voie électronique.
L'article 6 fixe les conditions d'exécution des demandes d'entraide, qui doivent respecter la législation de la partie requise, tout en réservant la possibilité pour la Partie requérante de demander expressément l'application de formalités ou procédures particulières, pour autant que ces formalités et procédures ne soient pas contraires aux principes fondamentaux du droit de la Partie requise.
Cette stipulation a été introduite sur le fondement des stipulations de la Convention de l'Union européenne du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire entre les États membres, qui permet à un État qui a des règles de procédure pénale plus contraignantes de demander à l'autre Partie de respecter ces règles.
Le code de procédure pénale français permet aux autorités judiciaires françaises d'appliquer cette règle. L'article 694-3 du code de procédure pénale dispose ainsi que : « Les demandes d'entraide émanant des autorités judiciaires étrangères sont exécutées selon les règles de procédure prévues par le présent code. Toutefois, si la demande d'entraide le précise, elle est exécutée selon les règles de procédure expressément indiquées par les autorités compétentes de l'État requérant, à condition, sous peine de nullité, que ces règles ne réduisent pas les droits des parties ou les garanties procédurales prévus par le présent code. »
À titre d'exemple, de nombreux États étrangers ne prévoient pas qu'un témoin puisse être entendu en présence de son avocat, alors que pour la procédure pénale française la notion de témoin assisté existe depuis longtemps et la possibilité pour un tel témoin d'être assisté par un avocat est nécessaire. À l'inverse, certains États prévoient des notifications spécifiques concernant les droits des témoins ou les conséquences auxquelles ils s'exposent en cas de refus de répondre.
L'article stipule, sans préciser de délais, que l'exécution des demandes d'entraide doit s'effectuer « promptement », en tenant compte « dans toute la mesure du possible » des échéances de procédures de la Partie requérante. Le texte prévoit également qu'avec le consentement de la Partie requise, les autorités de la Partie requérante ou les personnes mentionnées dans la demande peuvent assister à son exécution et, dans la mesure autorisée par la législation de la Partie requise, interroger ou faire interroger un témoin ou un expert.
L'article 7 traite des demandes complémentaires d'entraide judiciaire.
L'article 8 constitue une clause traditionnelle relative à la comparution de témoin ou expert dans la Partie requérante, selon laquelle ce dernier, s'il n'a pas déféré à une citation à comparaitre dont la remise a été demandée, ne peut être soumis, alors même que cette citation contiendrait des injonctions, à aucune sanction ou mesure de contrainte, à moins qu'il ne se rende par la suite de son plein gré sur le territoire de la Partie requérante et qu'il n'y soit régulièrement cité à nouveau. L'article prévoit également le remboursement des frais ainsi que, en cas de nécessité, des mesures de protection.
L'article 9 garantit l'immunité des témoins et experts, de quelque nationalité qu'ils soient, qui, à la suite d'une citation, comparaîtraient devant les autorités judiciaires de la Partie requérante, ainsi que de toute personne, quelle que soit sa nationalité, citée devant les autorités judiciaires de la Partie requérante afin d'y répondre de faits pour lesquels elle fait l'objet de poursuites : ceux-ci ne peuvent être ni poursuivis, ni détenus, ni soumis à aucune restriction de liberté individuelle sur le territoire de cette Partie pour des faits ou condamnations antérieurs à leur départ du territoire de la Partie requise. Conformément aux stipulations classiques de ce type de convention, cette immunité cesse lorsque le témoin, l'expert ou la personne poursuivie, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la Partie requérante pendant quinze jours consécutifs après que sa présence n'était plus requise par les autorités judiciaires, y est néanmoins demeurée ou y est retournée après l'avoir quitté.
L'article 10 fixe le régime des auditions par vidéoconférence. Si une personne qui se trouve sur le territoire de l'une des Parties doit être entendue comme témoin ou expert par les autorités compétentes de l'autre Partie, cette dernière peut demander, s'il est inopportun ou impossible pour elle de comparaitre en personne sur son territoire, que l'audition ait lieu par vidéoconférence, à condition que la Partie requise y consente, que le recours à cette méthode ne soit pas contraire à sa législation nationale et qu'elle dispose des moyens techniques permettant d'effectuer l'audition.
Si leur droit interne le permet, les deux Parties peuvent appliquer ce même dispositif pour les auditions par vidéoconférence auxquelles participe une personne poursuivie pénalement, sous réserve du consentement de cette dernière.
Les articles 11 à 13 régissent les modalités de transfèrements temporaires de personnes détenues aux fins d'entraide judiciaire ou d'instruction : Toute personne détenue sur le territoire de la Partie requise dont la comparution est demandée par la Partie requérante, soit en qualité de témoin, soit aux fins de confrontation, est transférée temporairement sur le territoire de cette dernière partie, sous condition du consentement écrit de l'intéressé et de son renvoi dans le délai indiqué par la Partie requise.
Le transfèrement peut notamment être refusé s'il est susceptible de prolonger sa détention.
En outre, en cas d'accord entre les Parties, la Partie requérante qui a demandé une mesure d'instruction nécessitant la présence d'une personne détenue sur son territoire peut transférer temporairement cette personne sur le territoire de la Partie requise, avec son consentement écrit.
La personne transférée sur le fondement de ces deux stipulations reste en détention sur le territoire de la Partie dans laquelle elle est transférée à moins que la Partie d'origine ne demande sa mise en liberté.
L'article 14 est consacré à l'envoi et la remise d'actes judiciaires. Cette remise peut être effectuée par simple transmission de l'acte ou de la décision à la Partie destinataire, ou, à la demande de la partie requérante, dans une forme prévue par sa législation. Une traduction, totale ou partielle de l'acte, peut être réalisée si nécessaire.
L'article 15 traite des mesures de perquisition, ainsi que de saisie d'avoirs et de pièces à conviction : Celles-ci sont exécutées, dans la mesure où sa législation le lui permet, par la Partie requise, qui informe la Partie requérante du résultat de leur exécution.
Les articles 16 et 17 sont relatifs au sort des produits et instruments de l'infraction ainsi qu'à leur restitution : la Partie requise s'efforce, sur demande de la Partie requérante précisant les motifs sur lesquels repose sa conviction, d'établir si les produits d'une infraction à la législation peuvent se trouver dans sa juridiction et informe la Partie requérante du résultat de ses recherches. En cas de découverte, la Partie requise prend les mesures nécessaires autorisées par sa législation pour empêcher que ceux-ci fassent l'objet de transactions, soient transférés ou cédés avant qu'un tribunal de la Partie requérante n'ait pris une décision définitive à leur sujet.
La Partie requise doit également, dans la mesure où sa législation le permet et sur demande de la Partie requérante, envisager à titre prioritaire de restituer à la Partie requérante les produits des infractions, notamment en vue de l'indemnisation des victimes ou de leur restitution au propriétaire légitime, sous réserve des droits des tiers de bonne foi. Enfin, à la demande de la Partie requérante, la Partie requise peut exécuter une décision définitive de confiscation.
L'article 18 traite des demandes d'interceptions de télécommunications. Celles-ci peuvent être présentées lorsque la cible se trouve sur le territoire de la Partie requérante et que cette dernière a besoin de l'aide technique de la Partie requise, ou lorsque la cible se trouve sur le territoire de la Partie requise et que les communications de la cible peuvent être interceptées sur ce territoire.
Selon le code de procédure pénale surinamais, la surveillance et l'enregistrement des conversations téléphoniques peuvent être ordonnés par le juge à la demande du Procureur pour recueillir des éléments de preuve ou prévenir la commission d'une infraction. En cas d'urgence, le procureur peut ordonner la surveillance mais doit obtenir l'autorisation du juge dans un délai de 3 jours. L'interception téléphonique est autorisée uniquement pour les infractions graves tels les faits d'homicide, la traite des êtres humains, l'enlèvement, le vol avec arme, le trafic de stupéfiants... L'interception est autorisée pour une durée limitée, qui peut être renouvelée.
Le code de procédure pénale prévoit des garanties pour protéger les droits des personnes : droit au recours contre la mesure, destruction des enregistrements non utiles à l'enquête, etc.
Néanmoins, si la loi autorise les écoutes téléphoniques, des problèmes matériels et techniques empêchent souvent leur mise en oeuvre réelle en raison d'un manque d'équipement adapté et de formation des enquêteurs.
L'article 19 traite de la fourniture d'informations concernant des faits susceptibles de constituer une infraction pénale relevant de la compétence de l'autre Partie afin que des poursuites pénales puissent être diligentées sur son territoire.
L'article 20 prévoit la possibilité, dans la limite du droit national des deux parties, de procéder à un échange spontané d'informations concernant des faits pénalement punissables dont la sanction ou le traitement relève de la compétence de l'autorité destinataire.
L'article 21 régit la communication des extraits de casier judiciaire qui doit s'effectuer conformément à la législation de la Partie requise et dans la mesure où ses autorités compétentes pourraient elles-mêmes les obtenir en pareil cas.
L'article 22 traite des questions de confidentialité et du principe de spécialité. La Partie requise doit en effet respecter le caractère confidentiel de la demande et de son contenu, dans les conditions prévues par sa législation. En cas d'impossibilité, elle doit en informer la Partie requérante qui décide s'il faut donner suite à l'exécution.
Inversement, la Partie requise peut imposer la confidentialité des informations ou éléments de preuve fournis ou définir des termes et conditions spécifiques pour leur divulgation. Ces éléments ne pourront en outre être divulgués par la Partie requérante, sans l'accord préalable de la Partie requise, à des fins autres que celles qui auront été formulées dans la demande.
L'article 23 concerne les conditions dans lesquelles les données à caractère personnel communiquées au titre de la présente convention peuvent être utilisées par la Partie à laquelle elles ont été transmises. Cet article, qui dans sa version initiale n'était plus à jour des exigences jurisprudentielles fixées par le Conseil d'État, a fait l'objet d'un avenant signé le 2 juin 2023. Il précise, dans sa version définitive, que les données personnelles ne peuvent être utilisées que :
- pour la procédure à laquelle la convention est applicable, ou pour d'autres procédures judiciaires qui lui sont directement liées (principe de spécialité),
- pour prévenir une menace immédiate et sérieuse sur la sécurité publique.
Elles ne peuvent être utilisées à d'autres fins, ou transférées à un État tiers, sans le consentement de la partie émettrice.
L'article décrit également le droit de recours juridictionnel dont dispose la personne dont les données ont été transmises pour faire valoir ses droits d'accès, de rectification, d'effacement et de limitation du traitement des données.
L'article 24 institue une dispense de légalisation des pièces et documents transmis en application de la présente convention.
L'article 25 règle la question des frais liés à l'exécution des demandes d'entraide qui ne donnent en principe lieu à aucun remboursement, à l'exception de ceux occasionnés par l'intervention de témoins ou d'experts sur le territoire de la Partie requise (en application de l'article 8) et par le transfèrement des personnes détenues (en application des articles 11 et 12).
Les articles 26 à 29 constituent des clauses classiques dédiées aux conditions de consultation de la convention, de règlement des différends, d'amendements, de notification, d'entrée en vigueur et de dénonciation de la convention.
*
* *
La République du Suriname se trouve à la croisée des chemins, au sortir d'une ère marquée par son long isolement diplomatique et son modèle économique traditionnel, avec la perspective d'une montée en puissance sur la scène internationale à la faveur de l'alternance politique et de la promesse pétrolière.
La convention faisant l'objet du présent rapport, dont l'enjeu est de construire un partenariat avec la république surinamaise dans le domaine de la lutte contre la criminalité, est très attendue par les services judiciaires des deux parties. Elle constituera un outil majeur de lutte contre la criminalité internationale, notamment le narcotrafic dont le Suriname constitue l'une des plaques tournantes.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 18 mars 2025, sous la présidence de M. Pascal Allizard, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Ludovic Haye sur le projet de loi n° 553 (2024-2025) autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname.
M. Pascal Allizard, président. - Nous allons d'abord examiner le rapport de notre collègue Ludovic Haye sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname.
M. Ludovic Haye, rapporteur. -Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à approuver la première convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et celui de la République du Suriname. Cette première convention était très attendue.
La ratification de cette convention constitue une étape importante pour nos deux pays, qui sont naturellement liés par une frontière terrestre de 520 kilomètres, ce qui en fait la cinquième plus longue de la France.
Avant d'examiner le contenu de la convention, il est utile de revenir sur le contexte général dans lequel s'inscrit cet accord, tant du point de vue des relations internationales que des réalités sécuritaires qui concernent directement la Guyane, mais aussi le territoire hexagonal.
Le Suriname est ancienne colonie néerlandaise devenue indépendante en 1975 et située sur le plateau des Guyanes, entre le Guyana et la Guyane française. Avec une superficie de 163 270 kilomètres carrés et une population de près de 630 000 habitants, il est le plus petit pays d'Amérique du Sud.
Longtemps resté en marge sur la scène internationale, en raison notamment de son isolement géographique et de son statut de seul pays néerlandophone du continent, le Suriname a traversé une période sombre de son histoire. Le coup d'État militaire de 1980, orchestré par le colonel Desi Bouterse, a plongé le pays dans quarante années de dictature et de guerre civile. À cette époque, le Suriname était considéré comme un narco-État - on peut toujours le considérer comme tel. Le président Bouterse et son vice-président Ronnie Brunswijk ont été tous deux condamnés par contumace - respectivement à 11 et 6 ans de prison - pour trafic de stupéfiants, et ont fait l'objet de mandats d'arrêt internationaux. Durant cette guerre civile, des milliers de Surinamais ont traversé la frontière pour aller vivre en Guyane française et y sont toujours aujourd'hui.
L'élection de Chan Santokhi à la présidence en 2020 a marqué un tournant majeur. Ce nouveau chef d'État a entrepris une série de réformes économiques et institutionnelles visant à sortir le pays de la crise profonde qu'il traversait. Il y a donc un alignement des planètes pour cette convention.
Chan Santokhi a rapidement négocié une restructuration de la dette, amorçant un redressement économique. Sur le plan juridique, des outils législatifs ont été mis en place pour lutter contre le blanchiment d'argent et la corruption, mais malgré l'engagement du gouvernement, les avancées sur le terrain peinent à se voir.
Sur le plan diplomatique, le président Santokhi a amorcé un rapprochement stratégique avec les grands acteurs internationaux. La France, de son côté, a obtenu des avancées notables dans sa coopération avec le Suriname, en particulier dans la lutte contre l'orpaillage illégal, qui constitue un fléau partagé avec la Guyane française. Ses conséquences sont dramatiques : pollution au mercure des fleuves, destruction de la forêt et de la biodiversité, et risques graves pour la santé des populations autochtones. Parmi les mesures concrètes, on peut saluer la mise en place de patrouilles conjointes sur le fleuve Maroni, un format opérationnel particulièrement efficace, ainsi que la signature en mars 2021 d'un protocole additionnel à la convention de 1915, permettant de clarifier une partie importante du tracé frontalier entre nos deux pays - un contentieux qui durait depuis plus d'un siècle. Malgré cela, une partie du sud de notre frontière avec le Suriname reste floue, ce qui est rare sur le globe et renforce la portée d'une coopération judiciaire.
Même si ces progrès peuvent être remis en cause par la défaite électorale récente de Chan Santokhi, une dynamique positive semble engagée. Sans vouloir brusquer votre vote, chers collègues, il faut agir rapidement, car les choses peuvent changer. Il conviendra de suivre attentivement la formation de la nouvelle coalition gouvernementale pour évaluer les perspectives politiques du pays après la victoire du parti de l'ancien président-dictateur Desi Bouterse.
Par ailleurs, l'histoire récente du Suriname a été marquée par une découverte majeure : en janvier 2020, les compagnies TotalEnergies et Apache Corporation ont identifié d'importants gisements pétroliers offshore au large des côtes surinamaises. À l'horizon 2028, la production pourrait atteindre 200 000 barils par jour. Le projet d'exploitation du bloc 58, appelé « GranMorgu », mobilisera un investissement de 10,5 milliards de dollars, annoncé par le PDG de TotalEnergies à l'automne 2024. Ce gisement représenterait plus de 750 millions de barils de réserves. Le Suriname fonde de grands espoirs sur ce développement, qui pourrait profondément transformer son économie et générer des milliers d'emplois comme chez son voisin, le Guyana.
Cette montée en puissance du Suriname attise naturellement les convoitises, notamment de puissances comme les États-Unis et la Chine, qui cherchent à renforcer leur présence dans la région.
Dans ce contexte, il semble pertinent que la France renforce sa position en tant que partenaire naturel du Suriname, compte tenu de leur proximité géographique directe. La signature de cette convention judiciaire s'inscrit pleinement dans cette stratégie. Elle constitue une étape concrète vers une coopération plus étroite, efficace et durable avec ce pays voisin.
Je souhaite désormais faire un point plus particulier sur la situation sécuritaire du Suriname et de ses alentours. En effet, un élément de contexte qui confère toute sa pertinence à cette convention d'entraide judiciaire réside dans l'explosion du narcotrafic en Amérique du Sud, dont les répercussions se font sentir en Guyane, mais également en France hexagonale.
Chaque année, plus de 2 000 tonnes de cocaïne pure sont produites sur le continent sud-américain, avec une part croissante destinée aux marchés européens. Cette dynamique s'accompagne d'une augmentation significative de la violence, en particulier dans les zones de transit comme le Suriname, où les homicides liés à des règlements de comptes entre bandes criminelles se multiplient. En 2023, plusieurs rapports internationaux ont souligné une hausse de plus de 25 % du nombre des homicides liés au narcotrafic dans cette région du plateau des Guyanes. Le Suriname, autrefois marginal dans le grand échiquier de la drogue, est désormais un maillon stratégique des routes transatlantiques.
Le récent rapport d'enquête du Sénat, présenté en 2024 par notre collègue Étienne Blanc au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, a dressé un état des lieux particulièrement préoccupant. Ce travail met en lumière l'évolution accélérée du modèle logistique du narcotrafic, où le Suriname joue un rôle de plateforme régionale de transit à grande échelle. Ce petit État constitue en effet un hub logistique privilégié pour l'exportation de cocaïne colombienne, notamment en raison de sa façade maritime, de la porosité de ses frontières et de l'enclavement de vastes zones forestières échappant encore largement au contrôle des forces de l'ordre.
Les groupes criminels qui opèrent dans la région ont su adapter leurs modes opératoires avec une résilience et une inventivité qui rendent la lutte d'autant plus complexe. Parmi les techniques de trafic aujourd'hui recensées, on peut citer l'utilisation d'avions de tourisme à faible rayon d'action, reliant directement les zones de production aux pistes clandestines aménagées dans la jungle surinamaise ; la voie maritime, avec la dissimulation de cargaisons de cocaïne dans des containers, notamment via la méthode dite du « rip-off », consistant à introduire la drogue dans un conteneur à l'insu du destinataire ; le recours à des mules, souvent précaires et vulnérables, qui transportent la drogue in corpore à bord de vols commerciaux, notamment via les liaisons aériennes entre Paramaribo et Cayenne, puis vers l'Hexagone.
Cette pression ne concerne pas uniquement les zones de production ou de transit. Elle affecte directement la Guyane française et rend indispensable une coopération judiciaire fluide et efficace avec nos voisins.
Le ministre de la justice a annoncé la construction d'une prison de très haute sécurité dans la région du Maroni, à la frontière surinamaise. Cette décision s'explique sans doute par la volonté de tenir à bonne distance certains profils particulièrement dangereux, mais aussi parce que certains des plus grands narcotrafiquants de la planète opèrent dans cette zone. Ce projet est aussi symptomatique de la gravité de la situation sécuritaire qui gangrène l'ensemble de la région amazonienne. La création de cette prison ultra-sécurisée envoie le signal d'un combat de long terme contre des organisations mafieuses profondément enracinées dans ce territoire frontalier.
Après ces rappels contextuels, permettez-moi de vous présenter à présent le contenu de la convention. Le texte, élaboré par les services français, s'inscrit dans les standards du droit international en matière d'entraide judiciaire pénale. Son champ d'application, défini à l'article 1er, est formulé de manière à être le plus large possible.
La convention permet en outre le recours à une panoplie complète de techniques de coopération modernes, parmi lesquelles les auditions par vidéoconférence, à l'article 10, les saisies et confiscations, à l'article 15, les interceptions de télécommunications, à l'article 18.
Elle est également assortie d'un avenant important, inscrit à l'article 23, qui vient adapter le texte aux exigences jurisprudentielles récentes du Conseil d'État en matière de protection des données à caractère personnel - exigence devenue incontournable dans tout cadre de coopération judiciaire contemporaine.
Afin d'être parfaitement consciencieux, il convient tout de même de regretter l'absence d'un volet relatif à l'extradition, mais cette lacune est, hélas, peu surprenante : elle s'explique par la situation personnelle du vice-président Ronnie Brunswijk et de certains membres de son entourage, toujours sous le coup de condamnations internationales.
Je tiens également à souligner l'absence, dans cette convention, du recours aux techniques spéciales d'enquête comme les livraisons surveillées ou les opérations d'infiltration. Bien que cela s'explique sans doute par le caractère nouveau de nos relations bilatérales, certaines mauvaises langues pourraient parler de défiance.
Enfin, la partie française a obtenu que le champ de l'entraide soit élargi à la possibilité de demandes de renseignements financiers auprès d'institutions financières, mais sans aller jusqu'à l'impossibilité pour la partie requise de se prévaloir du caractère fiscal de l'infraction à l'origine de la demande ou de se cacher derrière le secret bancaire, ce qui est regrettable dans le contexte du retour au pouvoir d'un parti connu pour ses largesses avec les trafiquants.
Cela étant dit, cette convention n'en constitue pas moins un instrument juridique robuste et ambitieux, qui pose les fondations d'une coopération judiciaire plus fluide, plus réactive et plus complète entre nos deux pays. Elle offrira des leviers concrets pour intensifier la lutte contre la criminalité transnationale organisée, dans laquelle tant la France que le Suriname se sont engagés avec détermination.
Ce texte sera présenté en séance publique le 23 juin, selon la procédure accélérée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
M. Akli Mellouli. - Mon groupe votera cette convention, qui est une belle avancée. De l'autre côté du fleuve, vous pouvez acheter des êtres humains, des armes. C'est là que les garimpeiros s'équipent. Accroître les échanges et les fluidifier dans le respect du droit français et du cadre international est bienvenu. Cette convention est une première pierre à l'édifice. Il faudra néanmoins aller plus loin, notamment sur l'extradition, pour lutter efficacement contre ceux qui agissent sur notre territoire.
Mme Michelle Gréaume. - On ratifie cette convention trois ans après sa signature. Depuis 2021, il a dû y avoir une étude d'impact. Je salue le rapport, mais je souhaite plus de précisions. On dit qu'il faudra plus de moyens humains et matériels, mais en Guyane, la juridiction est déjà sous tension. Les difficultés de mise en place de cette convention pourraient-elles être précisées ? La transmission des informations personnelles est sensible. Y a-t-il des garde-fous ?
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Le temps de traitement montre que cette convention est extrêmement attendue, notamment par les services de l'ambassade et les services financiers en France, qui ont évoqué le contexte extrêmement compliqué là-bas. Parfois, nous pouvons nous dire que nous légiférons sur des conventions ultra-bordées. Là, c'est la première convention avec cet État. Nous partons de loin. Comme M. Mellouli, je dirais que c'est une première pierre essentielle.
Nos diplomates nous ont dit que cette convention serait de nature à améliorer la rapidité et l'efficacité des relations avec les Surinamais, ce qui nous a rassurés.
Mme Gréaume a évoqué les données personnelles. La convention devrait être donc bénéfique de ce point de vue.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour cet excellent travail. Je suis présidente du groupe d'amitié France-Caraïbes. Lors de notre dernier déplacement, nous avons noté une recrudescence de tous les trafics, de drogue, d'humains et d'armes, qui affecte nos territoires, où la violence s'accroît. Face à cette situation, tous les outils sont les bienvenus. Nous devons les soutenir et voir si d'autres conventions peuvent être passées avec d'autres pays. Quand on pense aux Caraïbes, on voit un paradis sur terre, mais c'est plutôt un enfer.
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Madame Conway-Mouret, vous le dites très justement, et Étienne Blanc l'a indiqué dans son rapport sur le narcotrafic : l'éradication du trafic de drogue ne se traite pas uniquement dans les quartiers. On parle de tonnes de cocaïne pure. Or l'on sait que l'une des sources se situe en Amérique du Sud. Ces filières impactent les Caraïbes, mais aussi l'Hexagone, in fine.
M. Olivier Cadic. - Merci pour ce rapport. On a bien compris l'importance de la convention. La semaine dernière, j'étais à Santos au Brésil, premier port d'Amérique latine et quartier général des criminels du Primeiro Comando Da Capital (PCC). CMA CGM vient de devenir actionnaire majoritaire de l'opérateur portuaire. Quand on accomplit tout un travail sur un grand port, on entraîne des déports sur des routes alternatives, telles que le Suriname. Avez-vous des statistiques sur les arrestations de Surinamais en Guyane concernés par la convention ?
Marco Rubio s'est rendu au Suriname en avril. Quel était l'objectif de sa visite ? Avait-il pour objectif de travailler sur le trafic de drogue, ou uniquement sur le pétrole ?
M. Ludovic Haye, rapporteur. - La convention étant uniquement judiciaire, je n'ai pas travaillé sur les statistiques sécuritaires, mais il me semblait important de donner le contexte. Le Suriname est un sujet critique.
Les préoccupations pétrolières sont extrêmement fortes. La découverte récente de gisements offshore attise les convoitises, notamment des Chinois et des Américains. Dans la géopolitique actuelle, les États font leurs courses de matières premières. La visite de Marco Rubio portait clairement sur la question énergétique.
M. Étienne Blanc. - La loi sur le narcotrafic, que le Conseil constitutionnel vient de valider largement, comporte un volet très important sur le système des repentis. Cette convention couvre-t-elle le repérage des repentis potentiels et prévoit-elle un mode de gestion conjoint de ces repentis ?
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Le système des repentis a été évoqué comme une manière de faire avancer les enquêtes, lors de l'audition préparatoire, mais je ne saurais dire si c'est un point essentiel. Je reviendrai vers vous avec une information plus précise.
examen de l'article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Pour le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Mme Milca MICHEL-GABRIEL, magistrat - chargée de mission du chef du service des conventions, des affaires civiles et de l'entraide judiciaire, direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire,
Mme Elodie WEISS, rédactrice, mission du Mexique, d'Amérique centrale et des Caraïbes, direction des Amériques et des Caraïbes,
Mme Claire GIROIR, conseillère juridique, mission des accords et traités, direction des affaires juridiques ;
Pour le ministère de la Justice
Mme Marie-Charlotte AUBRY, adjointe à la cheffe de bureau de la négociation pénale européenne et internationale, direction des affaires criminelles et des grâces,
Mme Iris CHABRIAT, stagiaire au bureau de la négociation pénale européenne et internationale de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice.
* 1 Cf L'aluminium au Suriname (1898-2020) : Une industrie qui disparaît, mais dont les impacts sur les communautés marrons demeurent, Revue internationale de politique et de développement, 16/2023.
* 2 Source : https://www.ceicdata.com/en/indicator/suriname/gold-production.
* 3 Cf https://www.coface.com/fr/actualites-economie-conseils-d-experts/tableau-de-bord-des-risques-economiques /fiches-risques-pays/suriname
* 4 Voir France-Guyane, 6 juin 2035 : Après l'arrêt des vols surinamais, « nous sommes coupés du monde », par Eric Gernez.
* 5 Cf TotalEnergies investit 10,5 milliards de dollars dans le projet Granmorgu au Suriname : un pas vers l'avenir énergétique, Infinance, 01/10/1024.
* 6 TotalEnergies détient une participation de 50 % dans ce projet, aux côtés de APA Corporation (50 %). La société nationale Staatsolie a annoncé son intention d'exercer son option pour entrer dans le projet avec une participation allant jusqu'à 20 %, finalisant sa participation avant juin 2025.
* 7 Ce FPSO sera conçu pour permettre le raccordement futur de champs satellites, prolongeant ainsi la durée de son plateau de production.
* 8 Voir le reportage : https://webdoc.rfi.fr/enquete-suriname-plateforme-cocaine-desi-bouterse/
* 9 Technique de contrebande prisée des trafiquants : Les stupéfiants, en quantité transportable par une poignée d'hommes, voire un seul, sont placés à l'entrée d'un conteneur, facilement et rapidement accessible. A défaut d'être soigneusement dissimulée sous les marchandises, la cocaïne voyage maquillée - ainsi, en octobre 2013, 430 kg de cocaïne ont été saisis dans deux conteneurs transportant des moules surgelées... Un complice, souvent une personne qui a facilement accès au conteneur dès son débarquement, brise les plombs scellant le conteneur et s'empare de la marchandise avant même que les services douaniers aient eu l'occasion de s'y intéresser. Et, de manière à ne pas éveiller de doutes susceptibles d'éventer les méthodes de la filière, referme le conteneur, à l'aide de plombs jumeaux, portant les mêmes numéros.
* 10 Rapport n° 588 (2023-2024), par M Etienne Blanc, au nom de la commission d'enquête Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic.
* 11 A la demande de la France, des barges d'orpaillage ont été détruites par les autorités surinamaises lors d'importantes opérations sur le Maroni et la Lawa à l'automne 2022.
* 12 Ces barges, véritables mini-usines flottantes, draguent les sédiments du fond des cours d'eau qui passent ensuite sur une série de rampes de lavage pour en extraire un concentré aurifère. L'or est finalement extrait par amalgame avec le mercure, hautement toxique (environ 1,5kg par kg d'or).
Le gouvernement français a obtenu du Suriname en septembre 2020 l'engagement de ne plus renouveler les licences d'exploitation de telles barges d'orpaillage- interdites de longue date en Guyane - sur le fleuve transfrontalier.
* 13 Cf L'effondrement d'une mine d'or illégale fait au moins 14 morts au Suriname, Ouest-France, 22 novembre 2023.
* 14Rapport n° 4404 du 21 juillet 2021 (XV législature) par M. Gabriel Serville, au nom de la commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane.
* 15 Les soldats des sections CRAJ du Suriname sont formés en Guyane, et ont suivi un entraînement physique et tactique exigeant. Pour compléter leur préparation, la France a fourni des équipements de protection individuelle, incluant des casques et des gilets pare-balles, pour rendre le commando pleinement opérationnel.
* 16 https://insightcrime.org/news/the-decade-long-evolution-of-latin-americas-homicide-rates/
* 17 Voir France-Antilles : Explosion de la criminalité armée au Suriname, 18 avril 2024, Meurtres sur le Maroni : une vague de criminalité armée, 24 avril 2024.
* 18 Celle-ci lui permit notamment de faire geler les mandats d'arrêt émis par Interpol et de voyager à l'étranger, comme ce fut le cas aux États-Unis, où il a même assisté à l'Assemblée générale des Nations Unies.
* 19 Des accords bilatéraux ont été conclus avec tous les membres du Club de Paris (à l'exception de l'Italie) et l'Inde.
Le Suriname a également signé en novembre 2024 un accord de rééchelonnement avec la Chine (qui détient 11,5 % de sa dette publique), couvrant les obligations envers l'Exim Bank et la Banque industrielle et commerciale de Chine, les premiers remboursements ayant été effectués le même mois.
* 20 Des dépenses sociales élevées ont été engagées afin de compenser pour les ménages vulnérables la suppression progressive des subventions. En outre, la sécheresse prolongée depuis 2022 a contraint les autorités à fournir une aide aux riziculteurs et à augmenter les coûts de production de l'électricité.
* 21 Les mesures d'austérité - augmentation et extension de la TVA, fin des subventions sur les carburants - ont aggravé le contexte social du pays. Des manifestations contre ces mesures et la vie chère ont éclaté en février 2023 et se sont traduites par des dégradations sur le bâtiment de l'Assemblée nationale à Paramaribo.
* 22 Un nouveau code pénal est en vigueur depuis le 1er mai dernier.
* 23 Outre son rôle de cour d'appel générale, la Haute Cour de justice joue le rôle de juridiction de première instance et de cour d'appel suprême dans deux types d'affaires : les affaires concernant des fonctionnaires et des agents de l'État qui engagent des procédures judiciaires contre l'État du Suriname ; et les affaires disciplinaires concernant des avocats, des notaires ou des huissiers de justice.
L'article 139 de la Constitution surinamaise fait de la Haute Cour de Justice du Suriname l'instance suprême du pouvoir judiciaire.
* 24 Le Suriname a été condamné par la Cour interaméricaine des droits de l'homme pour l'absence persistante de reconnaissance juridique de la personnalité juridique, de la juridiction et des droits territoriaux des peuples indigènes et tribaux.
* 25 La région avait été colonisée par les Provinces Unies depuis le XVIIème siècle, sous le nom de Guyane néerlandaise.
* 26 Desi Bouterse a été condamné en 2023 à 20 ans de prison dans son pays : l'ancien dictateur a été jugé pour l'exécution par balle de quinze opposants - avocats, journalistes, hommes d'affaires, militaires - en décembre 1982. Les victimes auraient été arrêtées, torturées puis exécutées au fort Zeelandia, le quartier général de l'armée. Trois d'entre elles auraient été tuées, selon des témoignages, des mains du président, ce qu'il a toujours nié. Il est mort le 24 décembre 2024, en fuite.
* 27 Malgré sa condamnation par contumace, en 1999, aux Pays-Bas à onze ans de prison pour trafic de cocaïne. Interpol ayant émis un mandat d'arrêt international à son encontre, il est demeuré protégé de l'extradition par son statut.
* 28 Ronnie Brunswijk a été condamné par contumace par un tribunal de Haarlem à six années d'emprisonnement pour trafic de cocaïne. La justice française l'a quant à elle condamné à dix ans de prison. Interpol a délivré à son encontre un mandat d'arrêt international, mais il s'est lui aussi trouvé protégé de l'extradition par son statut.
* 29 Voir Fondaskreyol, 5 juin 2025 : Un nouvel eldorado ? : pourquoi les immenses gisements pétroliers du Suriname intéressent les grandes puissances.
* 30 Cf https://la1ere.franceinfo.fr/guyane/ouest-guyanais/guyane/operation-atipa-une-lutte-coordonnee-contre-les-trafics-sur-le-maroni-1555909.html.
* 31 Cf Franceguyane.fr, 16 mai 2025 : Patrouilles armées sur le Maroni : l'heure de l'action concertée, par Eric Gernez.
* 32 La guerre civile surinamaise (1986-1992), notamment, a provoqué l'afflux en Guyane de réfugiés surinamais Noirs-marrons de l'intérieur (les Bushinenge), dont des milliers sont restés sur place après la fin des hostilités. On estime que près de 25 000 personnes ont été déplacées durant ce conflit.
* 33 Voir Geoconfluences, 2/10/2019 : La frontière Suriname - Guyane française : géopolitique d'un tracé qui reste à fixer, par Patrick Bloncodini.
* 34 À toutes fins utiles, après les élections, une note verbale de relance devrait être adressée aux autorités surinamaises au sujet des perspectives de ratification.
* 35 La Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de 2005 (dite « Convention de Varsovie ») inclut clairement dans son article 7 les banques parmi les institutions financières.
Par ailleurs, le Groupe d'action financière (GAFI) définit très largement la notion d'« institution financière », en y intégrant les banques, dans son glossaire.