B. DES ANNEXES TOUJOURS IMPARFAITEMENT CONFORMES AUX OBLIGATIONS ORGANIQUES

1. L'obligation organique d'évaluer chaque année un tiers des niches sociales n'est toujours pas respectée

L'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale prévoit que l'annexe au Placss relative aux mesures d'exonérations de cotisations et contributions comprend une « évaluation de l'efficacité » des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale (pour un tiers des mesures, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans).

Article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale (extrait)

« Sont jointes au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale des annexes :

[...]

3° Énumérant l'ensemble des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement et de réduction de l'assiette ou d'abattement sur l'assiette de ces cotisations et contributions, en vigueur au 31 décembre du dernier exercice clos. [...] Cette annexe présente l'évaluation de l'efficacité de ces mesures au regard des objectifs poursuivis, pour au moins le tiers d'entre elles. Chaque mesure doit faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans ;

[...] »

a) Une disposition pas du tout respectée lors du Placss 2022

Lors de l'examen du Placss 2022, si l'annexe relative aux niches sociales (l'annexe 2) a été enrichie, notamment de bibliographies des travaux d'évaluation existants, elle ne comprenait toujours pas de présentation de ceux-ci.

Pourtant, cette disposition organique datait du 14 mars 2022, ce qui laissait suffisamment de temps avant le dépôt du Placss 2022, le 24 mai 2023.

Les inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas) ont été missionnées par le Gouvernement pour faire un rapport méthodologique. La lettre de mission des trois ministres12(*) à l'IGF et à l'Igas a été tardive (27 septembre 2022). Par ailleurs, l'échéance de décembre 2022 fixé par la lettre de mission pour la remise du rapport n'a pas été tenue (le rapport datant de mars 2023).

Ce rapport méthodologique a été rendu public et accessible sur internet13(*). Ses principales propositions consistent schématiquement :

- à arrêter une liste de niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie (les autres faisant l'objet d'une évaluation plus sommaire) ;

- à faire réaliser autant que possible ces évaluations approfondies par des organismes indépendants, comme France stratégie.

Par ailleurs, contrairement à ce que proposait ce rapport, l'annexe 2 au Placss 2022 ne comprenait pas de liste des niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie et n'indiquait pas de programme d'évaluation. Elle indiquait toutefois que « le Gouvernement entend[ait] [...] installer rapidement une gouvernance permettant de mettre en oeuvre les préconisations de la mission, et associant des parlementaires à l'ordonnancement et à la répartition de ces travaux » - promesse qui, malgré la réponse favorable de chacune des deux commissions des affaires sociales14(*), n'a pas été tenue.

b) Une disposition imparfaitement respectée par les Placss 2023 et 2024

Malgré d'indéniables progrès, la loi organique est encore imparfaitement respectée.

(1) Une solution pertinente de renvoi aux évaluations existantes

Comme pour le Placss 2023, la solution retenue par le Placss 2024 consiste à enrichir l'annexe relative aux niches sociale - l'annexe 2 :

- d'un « tome 3 », qui, bien qu'intitulé « Évaluation », comprend seulement cinq pages se bornant à recenser les principales évaluations réalisées ou en cours ;

- de présentations succinctes des principales évaluations existantes dans les fiches relatives aux différentes mesures.

Cette approche semble pertinente en son principe. Elle devrait en effet progressivement permettre d'enrichir l'annexe d'informations sur l'efficacité des niches, le lecteur pouvant se référer aux sources indiquées pour davantage de précisions.

(2) L'obligation d'évaluation annuelle d'un tiers des niches n'est pas respectée, même en se limitant aux niches devant faire l'objet d'une « évaluation approfondie »

Même si on se limite aux 82 niches devant faire l'objet d'une « évaluation approfondie » selon le rapport précité de l'Igas et de l'IGF (2023), la loi organique est toujours loin d'être respectée, comme le montre le graphique ci-après.

Évaluation des 82 niches sociales devant faire l'objet
d'une « évaluation approfondie »

NB : conformément au tableau récapitulatif des annexes 2 des Placss, les montants et nombres sont comptabilisés en « stock » (il ne s'agit pas des évaluations réalisés l'année concernée). Afin de permettre la comparaison entre les Placss 2023 et 2024, par convention les montants sont calculés sur la base du montant des niches en 2021, tel qu'il figure dans le rapport Igas-IGF de mars 2023. Les chiffres relatifs au Placss 2023 lors de son dépôt sont ceux indiqués par l'annexe 2 au Placss, corrigés pour prendre en compte le fait que la commission ne disposait pas du « rapport Bozio-Wasmer », qui n'avait pas été publié et ne lui avait pas été transmis. Les chiffres relatifs au Placss 2023 lors de son examen en octobre, après la publication du « rapport Bozio-Wasmer », sont ceux indiqués par l'annexe 2 au Placss.

Source : Commission des affaires sociales, d'après les annexes 2 aux Placss 2023 et 2024

(a) Lors du dépôt du Placss 2023, la commission disposait de 16 évaluations, correspondant à 13 % du nombre de niches et 20 % du coût total des niches

Dans son rapport sur le Placss 2022, la rapporteure générale écrivait que « le premier tiers de mesures devra[it] être évalué dans le prochain Placss ».

L'annexe du Placss 2023 relative aux niches reprenait les indications du rapport de l'Igas et de l'IGF selon lesquelles il existait 142 niches sociales. Parmi ces 142 niches, le rapport de l'Igas et de l'IGF considère que 120 doivent être évaluées : 82 doivent faire l'objet d'une évaluation approfondie, 38 doivent faire l'objet d'une évaluation allégée et 22 ne nécessiteraient pas d'évaluation.

Selon l'annexe du Placss 2023 relative aux niches, aucune des 38 évaluations allégées n'avait encore été réalisée. Elle soulignait l'insuffisance des données disponibles et, s'agissant du PLFSS pour 2025, s'engageait seulement à évaluer les niches relatives à l'apprentissage et au dispositif dit « Lodéom »15(*),16(*).

Dans le cas des 82 mesures devant faire l'objet d'une évaluation approfondie, l'annexe mentionnait 19 évaluations réalisées (correspondant à 92 % du montant total des niches) et 3 évaluations en cours.

Toutefois, les trois niches au montant le plus important censées avoir été évaluées étaient celles correspondant aux allégements généraux de cotisations patronales, dans le cadre de la mission « Bozio-Wasmer » mise en place par Élisabeth Borne, alors Première ministre.

Lors du dépôt du Placss, seul un rapport d'étape17(*) (sans préconisations) avait été publié, en avril 2024. En conséquence, la commission ne disposait alors que de 16 véritables évaluations, correspondant à environ 20 % du nombre de niches devant faire l'objet d'une analyse approfondie et 28 % du montant total de ces niches (soit 22 milliards d'euros).

(b) Une forte amélioration en montant en octobre 2024 avec la publication du « rapport Bozio-Wasmer »

La publication du « rapport Bozio-Wasmer » définitif18(*), prévue avant la dissolution pour fin juin 2024, a finalement eu lieu le 3 octobre 2024.

Ainsi, lors de son examen du Placss 2023, la commission disposait de 19 évaluations, correspondant à environ 23 % du nombre de niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie et 92 % du montant total de ces niches (soit 72 milliards d'euros).

(c) Dans le cas du Placss 2024, la réalisation de seulement 9 évaluations approfondies supplémentaires

Selon l'annexe 2 au Placss 2024, depuis le précédent Placss, 9 dispositifs supplémentaires ont fait l'objet d'une évaluation approfondie :

- deux dispositifs concernant l'apprentissage, en fait déjà évalués lors du dépôt du Placss 2023, par un rapport Igas-IGF sur l'apprentissage19(*) ;

- le dispositif Lodéom par la récente mission Igas-IGF, dont le rapport, bien que daté de novembre 2024, a été publié en mai 202520(*) ;

- les six dispositifs relatifs à la sécurité sociale des artistes-auteurs, qui ont fait l'objet d'un chapitre du Ralfss de mai 202521(*).

(3) Des évaluations « allégées » sous la forme du renseignement des fiches relatives aux mesures dans l'annexe 2

Le rapport Igas-IGF de mars 2023 préconise que les 38 niches ne devant pas faire l'objet d'une évaluation approfondies fassent l'objet d'une évaluation « allégée », pouvant être réalisée par l'administration elle-même.

Ces évaluations allégées prennent la forme du renseignement, dans les fiches relatives aux mesures de l'annexe 2, de diverses informations, conformément à un cahier des charges de la DSS.

En effet, les niches concernées s'élèvent à moins de 0,5 milliard d'euros.

c) Un respect imparfait de la loi organique à relativiser

L'évaluation des niches sociales ne respecte donc pas la lettre de la loi organique.

Si on admet l'interprétation selon laquelle la règle d'évaluation annuelle d'un tiers des niches ne s'applique qu'aux 82 niches devant faire l'objet d'une « évaluation approfondie » selon le rapport Igas-IGF de mars 2023, cela correspond à un objectif de plus de 27 niches par an.

Or, on a à peine dépassé ce nombre (avec 28 niches) en cumulant la totalité des évaluations sur deux ans, comme le montre le graphique ci-après.

Répartition temporelle des 28 évaluations approfondies réalisées

(en nombre et en milliards d'euros)

NB : afin de permettre la comparaison entre les Placss 2023 et 2024, par convention les montants sont calculés sur la base du montant des niches en 2021, tel qu'il figure dans le rapport Igas-IGF de mars 2023. Les chiffres relatifs au Placss 2023 lors de son dépôt sont ceux indiqués par l'annexe 2 au Placss, corrigés pour prendre en compte le fait que la commission ne disposait pas du « rapport Bozio-Wasmer », qui n'avait pas été publié et ne lui avait pas été transmis. Le « rapport Bozio-Wasmer » correspond aux bâtons orange.

Source : Commission des affaires sociales, d'après les annexes 2 aux Placss 2023 et 2024

Toutefois il ne faut pas perdre de vue qu'en montant, sur le périmètre des niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie, les niches ayant fait l'objet d'une telle évaluation correspondent à un montant global de 74,7 milliards d'euros (sur un total de niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie de 77,8 milliards d'euros).

2. L'obligation organique de fournir dans les Repss des indicateurs relatifs à l'exercice concerné est toujours imparfaitement respectée

L'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale prévoit que les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) « s'appuient sur un diagnostic de situation fondé notamment sur [...] l'exposé des résultats atteints lors des trois dernières années ».

Les Repss ont désormais pour objet d'alimenter, chaque printemps, un débat relatif à l'efficacité et à l'efficience des dépenses de sécurité sociale. Il importe donc qu'ils soient à jour.

Or, tel n'est toujours pas le cas. Si l'on excepte ceux relatifs à l'exécution financière, en moyenne22(*) la dernière année couverte par le Placss était, dans le cas du Placss 2022, l'année 2020. Ce retard de deux ans par rapport à l'objectif fixé par la loi organique a été ramené à un an dans le cas du Placss 2023, et on n'observe pas de progrès dans le cas du Placss 2024.

Le tableau ci-après répartit les indicateurs des trois principales branches en fonction de la dernière année renseignée, dans le cas des Placss 2022, 2023 et 2024.

Répartition des indicateurs en fonction de la dernière année renseignée

(en %)

 

Famille

Maladie

Vieillesse

Placss 2022

Placss 2023

Placss 2024

Placss 2022

Placss 2023

Placss 2024

Placss 2022

Placss 2023

Placss 2024

<n-3 ou non disponible

0,0

3,8

3,6

9,2

8,2

5,1

14,7

5,4

21,1

n-3

20,0

3,8

3,6

20,2

4,5

5,1

8,8

10,8

2,6

n-2

40,0

15,4

25,0

13,8

10,0

12,8

14,7

18,9

23,7

n-1

31,4

50,0

42,9

44,0

39,1

36,8

35,3

24,3

21,1

n

8,6

26,9

25,0

12,8

36,4

37,6

26,5

35,1

31,6

n+1

0,0

0,0

0,0

0,0

1,8

2,6

0,0

5,4

0,0

Total

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

 
 
 
 

L'année prise en compte par l'indicateur n'étant pas toujours explicitement indiquée, ce tableau doit être considéré comme indiquant des ordres de grandeur.

Année n : année 2022 dans le cas du Placss 2022, 2023 dans le cas du Placss 2023, 2024 dans le cas du Placss 2024.

Les graphiques synthétisent les chiffres des colonnes.

Lecture : dans le cas du Repss « famille », la proportion d'indicateurs dont la dernière année est l'année n-1 (soit celle précédant l'exercice couvert par le Placss) est passée de 31,4 % dans le cas du Placss 2022 à 42,9 % dans le cas du Placss 2023.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) annexés aux Placss 2022 et 2023

Dans le cas du Placss 2022, l'année n-2 (soit deux ans avant l'exercice couvert par le Placss) correspondait à celle où s'arrêtaient le plus grand nombre d'indicateurs. L'année n-2 correspondait également à la moyenne de la dernière année couverte par les indicateurs. Autrement dit, les Placss avaient 2 ans de retard par rapport à l'obligation organique de renseigner les indicateurs pour l'exercice concerné par le Placss.

Pour ce qui concerne les Placss 2023 et 2024, le plus grand nombre d'indicateurs s'arrêtent l'année n-1 (soit l'année avant l'exercice couvert par le Placss), qui correspond également à la moyenne de la dernière année couverte par les indicateurs. Les Placss ont donc désormais un an de retard par rapport à l'obligation organique de renseigner les indicateurs pour l'exercice concerné par le Placss.

Ainsi, après la forte amélioration du Placss 2023, la situation stagne avec le Placss 2024.

En particulier, certains indicateurs sont anciens :

- dans le cas de la branche « Famille », la dernière année renseignée pour le taux de non-recours moyen au revenu de solidarité active (RSA) est 2018 ;

- dans le cas de la branche « Maladie », la dernière année renseignée pour certains indicateurs est 201723(*).


* 12 Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics.

* 13 IGF, Igas, Évaluation de l'efficacité des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale prévue par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, mars 2023.

* 14 Dans son rapport sur le Placss 2022 (n° 1302, XVe législature, 31 mai 2023), Stéphanie Rist, alors rapporteure générale de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, préconisait que « les commissions des affaires sociales des deux assemblées puissent être associées à la définition du programme triennal d'évaluation, afin que celui-ci reflète les attentes du Parlement ». Dans son rapport (n° 789, 2022-2023, 28 juin 2023), Élisabeth Doineau écrivait : « La commission des affaires sociales du Sénat considère également que les deux commissions des affaires sociales devront participer à la gouvernance ».

* 15 Acronyme provenant de l'intitulé de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer. Il s'agit d'exonérations de cotisations patronales.

* 16 « S'agissant des dispositifs devant faire l'objet d'évaluations allégées, des obstacles structurels (notamment du fait de l'absence de disponibilité des données qui ne sont pas collectées auprès des employeurs) empêchent la réalisation d'évaluations correctes. Ces travaux se poursuivent et certains aboutiront d'ici la prochaine LFSS (apprentissage, Lodéom) ».

* 17 Antoine Bozio, Etienne Wasmer, Mission sur l'articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d'activité : quels effets sur l'emploi, le niveau des salaires et l'activité économique ?, document d'étape, 25 avril 2024.

* 18 Antoine Bozio, Etienne Wasmer, Les politiques d'exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire, 3 octobre 2024.

* 19 Igas, IGF, Revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle, mars 2024.

* 20 Igas, IGF, Évaluation des mesures d'exonération de cotisations sociales spécifiques aux outre-mer, novembre 2024.

* 21 Cour des comptes, « La retraite des artistes-auteurs : une indispensable restructuration de la gestion », in La sécurité sociale - rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, mai 2025.

* 22 Ces calculs portent sur les Placss des trois principales branches : vieillesse, maladie et famille.

* 23 « Prévalence de la surcharge pondérale et de l'obésité chez l'enfant et l'adolescent » ; « prévalence de la surcharge pondérale et de l'obésité selon le groupe socio-professionnel des parents ».

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