N° 836

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2025

RAPPORT

(VERSION PROVISOIRE)

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon
et de
Marseille,

Par Mme Lauriane JOSENDE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Première lecture : 451, 1247 rect. et T.A. 98

Commission mixte paritaire : 1618

Nouvelle lecture : 1487, 1656 et T.A. 161

Première lecture : 532, 648, 649 et T.A. 132 (2024-2025)

Commission mixte paritaire : 769 et 770 (2024-2025)

Nouvelle lecture : 829 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Lors de son examen en première lecture, la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, déposée par le député Sylvain Maillard et plusieurs de ses collègues, avait été massivement rejetée par le Sénat, avec 218 voix contre la réforme envisagée.

Les travaux menés par la rapporteure ainsi que le dialogue conduit avec les élus locaux concernés par la proposition de réforme avaient en effet mis en lumière les nombreuses difficultés que présentait le texte, tant constitutionnelles que pratiques ou financières, ainsi que les lourdes carences du dispositif proposé. Limité à la seule question du mode de scrutin, il n'abordait pas le sujet pourtant fondamental des compétences.

Pour toutes ces raisons, le texte ne pouvait être amélioré et avait donc été rejeté, en commission comme en séance publique.

À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire convoquée par le Gouvernement et de la nouvelle lecture intervenue à l'Assemblée nationale, la commission a constaté qu'aucune des difficultés soulevées par la rapporteure lors de l'examen en première lecture n'avait été résolue - un seul amendement substantiel ayant été adopté à l'initiative du Gouvernement, lors de l'examen en séance publique, pour aligner la prime majoritaire applicable à l'élection des conseillers communautaires sur celle prévue pour l'élection des conseillers municipaux ou de Paris.

Compte tenu du caractère toujours contestable de la réforme proposée et des difficultés que celle-ci provoquerait, la commission a par conséquent rejeté cette proposition de loi.

I. UN TEXTE MAL PRÉPARÉ, MASSIVEMENT REJETÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE

A. UNE RÉFORME DU MODE DE SCRUTIN EN VIGUEUR À PARIS, LYON ET MARSEILLE, QUI PRÉSENTE DE TROP NOMBREUSES DIFFICULTÉS

La réforme proposée du mode de scrutin en vigueur à Paris, Lyon et Marseille, qui conduirait à l'organisation de deux scrutins distincts pour l'élection, d'une part, des conseillers d'arrondissement, et d'autre part, des conseillers municipaux (ou conseillers de Paris) apparaît problématique à tous égards, comme l'a jugé la commission des lois du Sénat en première lecture.

Le dispositif proposé présente d'abord un risque constitutionnel réel, en ce que la prime majoritaire de 25 %, dérogatoire au droit commun, créerait une rupture d'égalité avec les autres communes, sans qu'aucune raison objective ne vienne justifier la différence de traitement. Par ailleurs, l'organisation simultanée de deux voire trois scrutins différents - l'un d'arrondissement, l'autre municipal, auquel s'ajoutent les élections métropolitaines à Lyon - risquerait de porter atteinte à l'intelligibilité voire à la sincérité du scrutin.

Sur un plan pratique, la réforme envisagée se révèlerait presque impossible à mettre en oeuvre, tant d'un point de vue matériel (bureaux de vote supplémentaires, achat d'urnes et de panneaux d'affichage, distribution de la propagande électorale etc.) qu'au regard des moyens humains nécessaires, alors qu'il est de plus en plus difficile de mobiliser suffisamment d'assesseurs et de présidents de bureaux de vote.

Le caractère tardif de la réforme - alors que la période pré-électorale débutera en septembre - est susceptible de causer d'importantes difficultés, comme l'ont reconnu, lors de leur audition par la rapporteure, les services du ministère de l'intérieur. De tels délais ainsi raccourcis « sont de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes ».

La réforme irait ensuite à l'encontre de la volonté des électeurs, attachés à l'échelon de proximité, puisque la dissociation des mandats de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement pourrait conduire à une absence totale de représentation de certains arrondissements au conseil central.

Enfin, la proposition de loi serait coûteuse pour les finances publiques (plus de 15 millions d'euros), alors que la situation budgétaire apparaît particulièrement dégradée. Par ailleurs, compte tenu de la proximité des prochaines échéances électorales, elle s'accompagnerait d'importantes difficultés de mise en oeuvre, notamment pour la gestion des comptes de campagne.

B. UNE RÉFORME MASSIVEMENT REJETÉE PAR LE SÉNAT

Les nombreuses difficultés soulevées par la réforme envisagée ont conduit le Sénat à la rejeter massivement lors de son examen en première lecture.

Ainsi, la proposition de loi a d'abord été rejetée à l'unanimité par la commission des lois, suivant ainsi l'avis de la rapporteure, qui a dénoncé à cette occasion une réforme « mal préparée, sans aucune concertation, [qui] pose des difficultés multiples, tant sur le plan juridique que d'un point de vue pratique, financier et politique » et appelé à la constitution d'une mission d'information visant à élaborer, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes, une réforme globale du statut de ces trois villes.

De même, lors de l'examen en séance publique, le scrutin public organisé sur l'article 6 de la proposition de loi et valant vote d'ensemble sur le texte a donné lieu à un rejet massif, avec 218 voix contre et seulement 97 voix pour.

II. UNE NAVETTE QUI SE POURSUIT, MALGRÉ L'IMPOSSIBILITÉ DE PARVENIR À UN ACCORD ENTRE L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE SÉNAT ET EN DÉPIT DES ENGAGEMENTS PRIS PAR LE GOUVERNEMENT

A. L'IMPOSSIBILITÉ DE PARVENIR À UN ACCORD ENTRE LES DEUX CHAMBRES

Convoquée le mardi 24 juin 2025, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à élaborer un texte de compromis sur la réforme du mode de scrutin applicable à Paris, Lyon et Marseille.

Les échanges entre les deux rapporteurs à cette occasion, qui se sont tenus dans un état d'esprit constructif, ont permis d'évoquer plusieurs propositions d'évolution pour répondre aux objections formulées par le Sénat, avec en particulier l'exclusion de Lyon du champ de la réforme et la désignation des maires d'arrondissement comme membres de droit des conseils municipaux des trois villes, afin d'y garantir la représentation de chaque arrondissement.

Ces suggestions ne sont toutefois pas apparues de nature à emporter l'adhésion du Sénat, compte tenu des multiples difficultés qui perdureraient et de la fragilité des solutions proposées.

En particulier, l'intégration des maires d'arrondissement comme membres de droit des conseils municipaux, seule proposition concrète transmise à la rapporteure, aurait pour effet d'intégrer des membres désignés automatiquement - et non pas des membres élus - au conseil municipal, ce qui semble aller à l'encontre du principe de la libre administration des collectivités territoriales. Ce principe implique en effet que les collectivités territoriales s'administrent par un conseil élu au suffrage universel direct ou indirect. Comme précisé à cet égard par le professeur de droit public André Roux, « si la Constitution n'exige pas que l'élection soit assurée au suffrage universel direct, elle interdit évidemment l'institution d'organes délibérants composés en partie de membres élus et en partie de membres nommés1(*) ».

De plus, la mise en oeuvre de cette proposition pourrait poser des difficultés opérationnelles en ce qu'elle conduirait à l'introduction d'un effectif variable au sein des conseils municipaux.

Certains maires d'arrondissement pourraient en effet être élus directement conseillers municipaux, dans le cas où ils figureraient à la fois sur une liste pour le conseil d'arrondissement et sur une liste pour le conseil municipal. Dans ce cas, ils siégeraient au conseil municipal en tant que conseiller municipal et ne seraient donc pas nommés en tant que « membre de droit » dans ce conseil.

Les autres maires d'arrondissement, qui n'auraient pas souhaité se présenter parallèlement sur une liste pour le conseil central ou qui n'auraient pas été élus, seraient quant à eux nommés « membres de droit ». Leur nombre, qui varierait en fonction du nombre de maires d'arrondissement déjà élus conseillers municipaux, s'ajouterait donc à l'effectif initial du conseil municipal.

La mise en oeuvre de cette proposition conduirait en outre à faire coexister plusieurs sources de légitimité au sein d'un même organe délibérant. Certains membres seraient en effet élus à l'échelle de la commune, tandis que les membres de droit seraient élus au sein de chaque arrondissement. La coexistence de ces différentes sources de légitimité serait susceptible de créer des difficultés - comme l'avait du reste déjà estimé la commission des lois en 2019, lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires, en notant, à propos d'un dispositif qui aurait conduit à faire coexister au sein des conseils communautaires plusieurs catégories de délégués de communes, « les difficultés que pourrait occasionner un tel système où les différents membres du conseil communautaire puiseraient leur légitimité à des sources différentes2(*) ».

Enfin, cette solution ne résoudrait pas l'ensemble des autres difficultés posées par la proposition de loi et exposées précédemment3(*), ni la question de la représentativité des arrondissements les plus peuplés au conseil municipal.

Toutes ces raisons ont par conséquent empêché la commission mixte paritaire d'aboutir à un compromis sur l'évolution du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille.

B. PASSANT OUTRE LA VOLONTÉ DU SÉNAT, LE GOUVERNEMENT A PRIS LA DÉCISION, DE POURSUIVRE LA NAVETTE PARLEMENTAIRE, EN DÉPIT DE SES ENGAGEMENTS RÉITÉRÉS

Malgré l'impossibilité pour la commission mixte paritaire de parvenir à un accord sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, le Gouvernement a décidé de poursuivre la navette et d'inscrire le texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, puis au Sénat.

Ce faisant, le Premier ministre François Bayrou a renié les engagements pris précédemment. Comme la présidente de la commission des lois du Sénat l'a rappelé le 25 juin dernier, lors de la séance des questions au Gouvernement, il s'était en effet engagé à ne pas passer outre l'avis de la chambre des territoires, et avait indiqué que « seul le Parlement sera souverain - pas le Gouvernement ! Je n'imagine pas qu'un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu'un accord soit trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat4(*) ».

Cet engagement avait été réitéré par le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, Patrick Mignola, le 3 juin dernier, lors de l'examen de la proposition de loi en séance publique. Il avait en effet déclaré, à cette occasion, s'agissant d'une éventuelle poursuite de la navette parlementaire, que « le Gouvernement va prendre une décision en concertation avec les deux assemblées et les groupes parlementaires qui les composent. C'est forcément une décision collective5(*) ».  

Toutefois, reniant ses engagements, le Gouvernement a décidé de poursuivre l'examen de la proposition de loi.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION : REJETER À NOUVEAU UNE PROPOSITION DE LOI PROBLÉMATIQUE ET ÉLABORÉE DANS LA PRÉCIPITATION

A. L'EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI EN NOUVELLE LECTURE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE N'A RÉSOLU AUCUNE DES DIFFICULTÉS POSÉES PAR LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Examinée en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale le 2 juillet 2025 en commission et le 7 juillet 2025 en séance publique, la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille n'a fait l'objet que d'une seule modification substantielle adoptée à l'initiative du Gouvernement, afin d'aligner la prime majoritaire applicable à l'élection des conseillers communautaires sur celle prévue pour l'élection des conseillers municipaux ou conseillers de Paris.

Aucune des difficultés posées par la réforme envisagée et pourtant rappelées à plusieurs reprises par la rapporteure, au cours de ses échanges avec son homologue député, n'a donc été résolue en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.

B. UNE RÉFORME QUI NE PEUT QU'ÊTRE À NOUVEAU FERMEMENT REJETÉE PAR LA COMMISSION DES LOIS

Par cohérence avec la position déjà exprimée en première lecture et constatant la persistance des innombrables écueils déjà identifiés à cette occasion, la commission n'a pu que rejeter la proposition de loi.

Réitérant ses observations précédentes, la rapporteure a à nouveau appelé à la conduite préalable d'une réflexion de fond sur le fonctionnement institutionnel de ces trois villes, en concertation avec les élus locaux, afin d'élaborer une réforme globale et réfléchie, abordant la question du mode de scrutin mais également celle de la répartition des compétences.

Dans un contexte de crise des vocations électorales, il ne peut être envisagé de procéder, à la va-vite, à une réforme touchant aux collectivités territoriales, sans consultation ni prise en compte des attentes exprimées par les élus locaux - sous peine d'aggraver le malaise grandissant ressenti par une large majorité des élus locaux.

*

* *

La commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille.

En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi transmis au Sénat.

EXAMEN EN COMMISSION

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-532.html


* 1 André Roux, « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales », Revue française de droit administratif, 1992, n° 3, pp. 435-452.

* 2 Rapport n° 470 (2018-2019) du 30 avril 2019 de Dany Wattebled sur la proposition de loi tendant à renforcer les synergies entre les conseils municipaux et les conseils communautaires.

* 3 Rapport n° 648 (2024-2025) du 21 mai 2025 de Lauriane Josende sur la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.

* 4 Sénat, Compte rendu intégral, Séance du mercredi 19 février 2025, JORF n° 24 S. du 20 février 2025, pp. 3049-3050.

* 5 Sénat, Compte rendu intégral, Séance du 3 juin 2025, JORF n° 62 S. du 4 juin 2025, p. 6169.

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