EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 15 octobre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur, et élaboré le texte de la commission sur la proposition de loi n° 677 (2024-2025), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises.
M. Claude Raynal, président. Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Jean-François Husson sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises.
M. Jean-François Husson, rapporteur. Le régime de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) bénéficie aujourd'hui à plus de 2 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou micro-entreprises, qui sont ainsi dispensés du paiement de la TVA en deçà de certains seuils de chiffre d'affaires annuel.
Révisés en loi de finances pour 2024 dans le cadre de la transposition d'une directive européenne, avant de l'être à nouveau en loi de finances initiale pour 2025, ces seuils se décomposent en quatre catégories, selon l'activité concernée : un seuil de 85 000 euros pour les livraisons de biens, les ventes à consommer sur place et les prestations d'hébergement ; un seuil de 37 500 euros pour les autres prestations de services ; un seuil de 50 000 euros pour les activités « coeur de métier » des avocats, auteurs et artistes-interprètes ; enfin, un seuil de 35 000 euros pour les activités « connexes » de ces mêmes professions.
À l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi de finances pour 2025 au Sénat, le Gouvernement de Michel Barnier a proposé, par voie d'amendement, en première délibération, une réforme d'ampleur des seuils d'application de la franchise en base de TVA, qui visait à instituer un seuil unique fixé à 25 000 euros pour l'ensemble des activités. Lors de cette première délibération, notre commission a émis un avis défavorable sur cette mesure, qui a par conséquent été rejetée par notre assemblée.
Notre position était motivée par le caractère particulièrement tardif de la présentation de cette réforme, la nécessité de prendre en compte la diversité des situations et des tailles d'entreprises, le montant élevé d'une telle mesure d'augmentation des recettes fiscales, avec un impact récurrent en année pleine estimé à 780 millions d'euros pour les finances publiques, dont environ la moitié pour l'État, et, enfin, le caractère limité du risque de distorsion de concurrence au niveau européen mis en avant par l'exécutif.
En seconde délibération, le Gouvernement a néanmoins déposé un amendement identique, auquel notre commission a alors émis un avis favorable par solidarité avec la majorité gouvernementale. Cette mesure a par la suite été adoptée par le Sénat, puis intégrée au texte élaboré par la commission mixte paritaire, avant d'être adoptée définitivement par les deux assemblées en séance publique - la disposition figure à l'article 32 de la loi de finances initiale pour 2025.
Cette réforme a suscité de vives réactions parmi les acteurs économiques visés, notamment de la part des auto-entrepreneurs. Ces derniers - ils sont au nombre de 134 000 à être concernés par la révision des seuils du dispositif - représentent en effet à eux seuls les deux tiers des acteurs affectés par la perte du bénéfice de la franchise en base de TVA résultant de l'abaissement du seuil de chiffre d'affaires à 25 000 euros.
Dans ce contexte, le ministre de l'économie de l'époque, M. Éric Lombard, a annoncé, dès le 6 février au soir, quelques heures seulement après l'adoption définitive du projet de loi de finances pour 2025, la suspension de la réforme, le temps d'organiser une concertation avec les parties prenantes. Cette suspension a été prorogée une première fois le 28 février jusqu'au 1er juin, avant d'être actée le 30 avril pour l'ensemble de l'année 2025.
À la suite du dépôt sur le site internet du Sénat d'une pétition ayant recueilli plus de 100 000 signatures, notre commission a conduit, au printemps 2025, une mission d'information « flash », afin d'entendre les différents acteurs concernés et de faire la lumière sur les enjeux de cette réforme. À cette occasion, nous avons relevé l'improvisation et l'impréparation de cette révision significative des seuils de chiffre d'affaires et souligné ses effets préjudiciables pour l'équilibre économique de nombreux secteurs d'activité et professions.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale le 17 avril 2025 par M. Paul Midy. Le 2 juin, nos collègues députés ont adopté ce texte en première lecture, avec des modifications, mais à l'unanimité.
L'article 1er prévoit l'abrogation de la révision des seuils de la franchise en base de TVA, avec un retour aux quatre seuils de chiffre d'affaires en vigueur antérieurement. Quant à l'article 2, il vise, conformément aux dispositions de l'article 40 de la Constitution relatives à la recevabilité financière des initiatives parlementaires, à gager la diminution de recettes de TVA pour l'État résultant du dispositif de l'article 1er.
Le texte proposé permet de conforter la sécurité juridique dont doivent absolument bénéficier les acteurs économiques concernés, alors que la suspension de la réforme actée par le Gouvernement repose, à ce stade, sur un simple rescrit de l'administration fiscale. Si aucun recours devant la juridiction administrative n'a été formé à ce jour, la direction de la législation fiscale a reconnu que « toute association professionnelle qui [...] aurait pour objet de défendre un secteur d'activité face à la concurrence déloyale aurait un intérêt à agir ».
En tout état de cause, il me semble indispensable d'adopter cette proposition de loi sans modification, et ce afin de garantir un vote conforme en séance publique.
M. Marc Laménie. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir fait cet effort de pédagogie. Pourriez-vous à cette occasion nous rappeler le nombre d'entreprises concernées par la réforme des seuils applicables à la franchise en base de TVA ?
Plus largement, mes chers collègues, il nous revient, à nous parlementaires, de nous intéresser au sort de nos petites entreprises, et en particulier des artisans du bâtiment. Plus encore qu'une concurrence déloyale en matière de TVA, ceux-ci dénoncent régulièrement le poids des charges sociales et fiscales.
Mme Nathalie Goulet. - Nous sommes en présence d'un cas d'école : il s'agit là d'une mesure élaborée au doigt mouillé et sur laquelle il nous faut désormais, puisqu'on en perçoit clairement les conséquences dévastatrices sur le terrain, poser une rustine. Voici un très bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire !
Mme Sylvie Vermeillet. - Monsieur le rapporteur, que pensez-vous de l'idée de limiter dans le temps, à cinq ans par exemple, la franchise en base de TVA pour les auto-entrepreneurs ? Un tel dispositif est certes positif, puisqu'il encourage la libre entreprise, mais il faut certainement en restreindre les bénéfices dans la durée.
M. Pascal Savoldelli. - Ces dernières années, le mot d'ordre général était toujours le même : « résilience. » Après vous avoir écouté, monsieur le rapporteur, j'ai l'impression qu'il n'est plus question désormais que de « suspension » ou d'« abrogation »...
Plus sérieusement, je suis embarrassé par ce dispositif. Une partie des auto-entrepreneurs sont en réalité des salariés déguisés, dont la rémunération est très faible. C'est pourquoi je serai a priori assez favorable à la sécurisation juridique d'une disposition qui concerne avant tout les toutes petites entreprises, et, donc, une large part du tissu économique de nos circonscriptions respectives. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue la question de la précarité de l'emploi : seuls 10 % des 41 millions de contrats de droit privé dans notre pays sont des CDI. L'intérim, les CDD, l'auto-entreprenariat ne nous semblent pas de nature à préserver le climat social.
M. Thierry Cozic. - Nous revenons ce matin sur une disposition qui a été introduite de manière impromptue dans le dernier projet de loi de finances. Comme Nathalie Goulet, je considère qu'il s'agit là de l'exemple type d'un travail législatif mené dans la précipitation. Trop souvent aujourd'hui, les textes sont examinés en procédure accélérée, parfois même sans étude d'impact préalable. Même si nous voterons bien entendu la présente proposition de loi, nous devons nous interroger sur une telle dynamique.
Monsieur le rapporteur, le risque existe-t-il, selon vous, qu'une mesure visant à instituer à nouveau un seuil unique de franchise de TVA puisse être adoptée à l'occasion de l'examen du prochain projet de loi de finances ?
Mme Ghislaine Senée. - Nous voterons également le texte que nous examinons ce matin, car il existe une très forte demande des auto-entrepreneurs en ce sens.
Pour autant, il conviendrait de réfléchir à la pérennité de ce statut d'auto-entrepreneur : a-t-il vraiment vocation à devenir pérenne ? En séance publique, un certain nombre d'amendements seront déposés, afin que les artisans des secteurs du bâtiment et du prêt à poser puissent y trouver leur compte. Mais, dans l'absolu, nous considérons qu'un tel dispositif devrait rester temporaire.
M. Hervé Maurey. - Cette proposition de loi ne va pas clore le débat, puisqu'un certain nombre de dispositifs tendant à encadrer et à limiter les bénéfices attendus du texte que nous examinons ce matin et à revenir à la situation antérieure figurent dans le projet de loi de finances pour 2026.
M. Claude Raynal, président. - Plusieurs d'entre vous ont parlé, en évoquant cette question de la réforme du régime de la franchise en base de TVA, d'un exemple à ne pas suivre : ils ont raison, mais ne perdons pas de vue que le problème résulte avant tout de la tendance actuelle à se préoccuper davantage de sujets purement financiers et de la question du déficit que des politiques publiques qu'il conviendrait d'encourager. D'une certaine façon, on a inversé la donne : le budget ne découle plus de choix politiques ; c'est même tout le contraire.
Cela dit, le sujet des micro-entreprises est complexe à traiter : dans certains cas, les entreprises poussent leurs salariés à devenir indépendants ; dans d'autres, ce sont les salariés qui, de leur propre chef, changent de statut et choisissent la micro-entreprise parce qu'ils y voient leur intérêt.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cette proposition de loi vise avant tout à sécuriser juridiquement le cadre fiscal de nos petites entreprises pour l'année 2025. Je précise d'ailleurs, à l'attention de Marc Laménie, que son dispositif concerne toutes les petites entreprises sans exception, indépendamment de leur forme juridique. Sur un total de 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou micro-entreprises bénéficiant actuellement de la franchise en base de TVA, la réforme prévue en loi de finances initiale pour 2025, instituant un seuil unique de chiffre d'affaires fixé à 25 000 euros, affectait 200 000 acteurs.
Hervé Maurey a raison d'évoquer les débats qui auront lieu cet automne : en plus de notre mission « flash » et du travail engagé sur cette base par la délégation aux entreprises du Sénat, l'article 25 du projet de loi de finances pour 2026 prévoit un ajustement du régime de franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée. Cette disposition donnera effectivement lieu à des débats et permettra de faire un point sur la situation.
À l'origine, le statut d'auto-entrepreneur était destiné à apporter de la souplesse au marché de travail. Or ce marché et le rapport au travail ont beaucoup évolué. Aujourd'hui, les situations sont très diverses .
Pour répondre à Sylvie Vermeillet, je ne suis pas favorable, à titre personnel, à l'idée de limiter dans le temps le dispositif de franchise de TVA pour réduire la concurrence déloyale.
D'un point de vue plus général, le statut d'auto-entrepreneur présente des limites: il permet certes de bénéficier d'avantages fiscaux, mais c'est au prix d'une protection sociale amoindrie, qui peut représenter à mon sens une bombe à retardement pour les auto-entrepreneurs eux-mêmes et, à terme, pour la collectivité.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il vous est proposé de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives au régime de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée, codifié à l'article 293 B du code général des impôts.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-1, dans la mesure où il vise à faire évoluer les seuils d'application de la franchise en base de TVA tels qu'ils figurent dans le texte. Je rappelle que nous souhaitons une adoption conforme de la présente proposition de loi.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'amendement COM-2 a pour objet d'obliger les assujettis établis dans un autre État membre de l'Union européenne à s'identifier auprès du service des impôts des entreprises étrangères. Or, selon la direction de la législation fiscale, la mesure proposée apparaît redondante et non conforme au cadre européen en matière de TVA. Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. Raphaël Daubet. - Je retire mon amendement, monsieur le rapporteur.
L'amendement COM-2 est retiré.
Article 2
L'article 2 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée sans modification.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES SORTS
Article 1er |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. CHAIZE |
1 |
Fixation des seuils de franchise en base de TVA à 25 000 euros pour les activités du bâtiment et des travaux publics et à 60 000 euros pour les autres activités |
Rejeté |
Article(s) additionnel(s) après Article 1er |
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Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. DAUBET |
2 |
Obligation d'identification auprès du service des impôts des entreprises étrangères pour les assujettis établis dans un autre État membre de l'Union européenne |
Retiré |