II. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES (15 OCTOBRE 2025)
Réunie le mercredi 15 octobre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur le projet de loi de finances pour 2026.
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Moscovici, après l'avoir entendu hier en tant que président de la Cour des comptes, cette fois en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), institution budgétaire indépendante placée auprès de la Cour des comptes.
En application de l'article 61 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le HCFP rend un avis sur les prévisions macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l'année, ainsi que sur la cohérence de l'article liminaire au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques. Il se prononce également sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF.
L'exercice de cette mission a de nouveau été quelque peu contrarié en 2025. En janvier dernier, le Haut Conseil a déjà été conduit à publier un avis sur les nouvelles prévisions macroéconomiques et la prévision de finances publiques actualisée du PLF et du PLFSS, dont l'examen parlementaire s'est prolongé, comme vous le savez tous ; et voilà que le PLF pour 2026, dont le Parlement entame l'examen, est déposé en pleine crise gouvernementale.
Monsieur le président, cette situation vous a conduit à vous prononcer, comme à l'accoutumée, dans un temps très court, mais aussi à rappeler, notamment à la presse, que le texte transmis au Parlement « ne pouvait pas être différent » de celui que vous avez examiné. Ce point de vue me semble être celui d'une grande majorité des membres de notre commission.
Comme vous l'avez, de même, opportunément rappelé, les avis du Haut Conseil « sont obligatoires et sont un facteur de constitutionnalité d'un budget ». J'ajoute qu'ils sont très précieux pour juger de la crédibilité des équilibres et trajectoires esquissés par le Gouvernement : l'histoire récente nous apprend qu'elle mérite parfois d'être discutée.
Vous estimez que le scénario macroéconomique pour 2026 « repose sur des hypothèses optimistes », compte tenu de l'« orientation plus restrictive des finances publiques, qui pèserait davantage à court terme sur l'activité ». En parallèle, vous pointez une hypothèse de « reprise de la demande intérieure privée volontariste » au regard du contexte d'incertitude qui pèse sur les investissements.
Si, du point de vue des recettes, la prévision paraît « globalement acceptable », l'évaluation du rendement des mesures nouvelles serait « fragile ». Surtout, la hausse des dépenses publiques paraît « très ambitieuse au regard du passé ». Elle suppose que l'intégralité des mesures évoquées dans la saisine soit mise en oeuvre, ce qui est « peu probable ».
Je vous cède la parole pour présenter en détail l'avis du HCFP et revenir sur ces différents points. Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat ainsi que sur les comptes du Sénat sur les réseaux sociaux.
M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - Notre avis a été rendu le jeudi 9 octobre dernier, dans un contexte effectivement très particulier.
Le Haut Conseil a reçu le 2 octobre, c'est-à-dire dans les temps, à quelques heures près, les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du PLF et du PLFSS. Cette saisine était nécessaire pour qu'un budget soit déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, puis examiné par les deux chambres dans les délais fixés par la Constitution.
Or, le 6 octobre, le Gouvernement a démissionné : lorsque le Haut Conseil a examiné ces textes budgétaires, nous n'avions pas de gouvernement. Nous étions donc face à une incertitude majeure quant à leur devenir : y aurait-il ou non un PLF ? Serait-il, oui ou non, celui qui nous avait été adressé ? De facto, ce ne pouvait être que celui-ci. Mais y aurait-il tout simplement un gouvernement ?
Depuis, les discussions entre forces politiques ont commencé. Il semble très hypothétique que les mesures qui sous-tendent ces prévisions soient mises en oeuvre totalement en l'état - c'est un euphémisme. Des modifications substantielles au PLF et au PLFSS ont déjà été évoquées publiquement par M. le Premier ministre.
L'avis rendu par le HCFP est donc hypothétique, ou spéculatif, et ce dès sa publication. Je préside la Cour des comptes depuis maintenant cinq ans, et je n'avais jamais vu un tel cas de figure.
Ce constat me semble assez symptomatique du fonctionnement actuel de nos institutions, mis à mal par la crise politique que nous traversons. Le budget discuté par le Parlement va différer très fortement de la copie soumise au HCFP. C'est en ce sens que nous avons dû mener, en quelque sorte, un exercice « à blanc ».
Pourtant, la consultation du HCFP n'est pas une simple étape formelle. Le Haut Conseil n'émet pas un énième avis dont on pourrait se dispenser : il n'est pas là par hasard. Nous avons tenu à créer cette instance indépendante - j'ai moi-même défendu cette initiative devant le Parlement lorsque j'étais ministre des finances - à la suite de la crise des dettes souveraines. En effet, avec l'ensemble de nos partenaires européens, nous avons alors jugé qu'il était essentiel, pour la France, de disposer d'une institution budgétaire indépendante, chargée de rendre un avis objectif et neutre sur la trajectoire des finances publiques. Un tel avis, qui a fait cruellement défaut à la Grèce en 2008, doit servir de corde de rappel en cas de déviation de la trajectoire.
Dans ce contexte inédit, les membres du Haut Conseil se sont posé une première question. En l'absence de gouvernement et dans l'incertitude totale quant au PLF, fallait-il rendre un avis ? Cette question a été évacuée en quelques secondes : il nous paraissait évident que nous devions prendre nos responsabilités en jouant le rôle institutionnel que nous confient les articles 61 et 62 de la Lolf. Si cette procédure n'avait pas été respectée, le PLF et le PLFSS auraient été entachés d'un risque majeur d'inconstitutionnalité. À tout le moins, l'absence d'avis du HCFP aurait posé un problème très difficile à trancher par le juge constitutionnel, ces documents étant obligatoires et indispensables.
Le mieux pour le pays est de disposer d'un PLF adopté par le conseil des ministres, puis déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, ce qui a été fait hier, débattu dans les temps par les deux chambres et, si possible, adopté, ce qui suppose un délai de 70 jours. Le HCFP a donc joué son rôle, en remettant son avis sur le PLF comme sur le PLFSS. J'ajoute qu'il a respecté le délai d'une semaine fixé par la loi organique.
Nous nous sommes fondés sur la copie qui nous a été transmise, et sur cette base seulement. C'est d'ailleurs la version qui, à quelques petites modifications près, lesquelles n'affectent pas les équilibres fondamentaux, a été adoptée par le conseil des ministres, puis transmise à l'Assemblée nationale. Néanmoins, nous n'avons pas ignoré le contexte. Ainsi avons-nous souligné les difficultés méthodologiques, les aléas et les incertitudes de l'exercice.
Ces textes budgétaires contiennent un certain nombre d'éléments solides ; d'autres peuvent être qualifiés d'assez robustes ; d'autres encore sont plus hypothétiques.
Les éléments solides sont ceux qui ont trait à l'exercice 2025, lequel, après deux années noires, marquerait une toute première étape, certes limitée, mais réelle, de redressement des comptes publics. Il s'agit là d'une bonne nouvelle, dans un contexte par ailleurs très dégradé : les prévisions économiques et de finances publiques pour l'année 2025 sont dans l'ensemble crédibles. Des aléas restent bien entendu possibles d'ici à la fin de l'année, mais les prévisions actualisées dont nous disposons nous semblent assez équilibrées.
Concernant le scénario économique, les prévisions sont jugées réalistes. Le Gouvernement table sur une croissance de 0,7 % en 2025, chiffre inchangé par rapport à avril dernier. Au regard de l'acquis de croissance pour l'année en cours, qui est de 0,6 % au deuxième trimestre, l'atteinte de cette cible semble crédible. La situation politique provoque certes un surcroît d'incertitude, mais pas au point, selon nous, de remettre en cause le chiffre de la croissance annuelle.
J'en viens aux prévisions d'inflation. La hausse des prix anticipée pour 2025 est de 1,1 %. Cette prévision est abaissée de 0,3 point par rapport à celle d'avril dernier, du fait de la baisse des prix du pétrole et de l'appréciation de l'euro. Jugée à l'origine un peu élevée, elle apparaît maintenant plausible.
Qu'il s'agisse des recettes ou des dépenses, les prévisions relatives aux finances publiques sont, de même, jugées crédibles pour 2025. Comme toujours, des aléas demeurent, mais ces estimations sont cohérentes avec le scénario économique constaté et les informations disponibles à date.
D'après le Gouvernement, les prélèvements obligatoires augmenteraient de 4,1 % en 2025. La prévision a été révisée à la hausse de 2,2 milliards d'euros par rapport à avril dernier, ce qui nous semble réaliste. S'il existe encore des aléas significatifs pour les mois à venir, ils jouent dans les deux sens, en particulier pour l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la nouvelle contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR). L'écart majeur observé en 2023, puis a fortiori en 2024, ne s'est pas reproduit : à l'évidence, l'ajustement aurait pu être assuré plus tôt.
En parallèle, le Gouvernement anticipe une progression des dépenses publiques de 2,7 % en valeur et de 1,2 % en volume. Cette prévision actualisée semble vraisemblable. Comme la prévision des prélèvements obligatoires, la prévision de dépenses pour 2025 a été légèrement revue à la hausse depuis avril dernier, de l'ordre de 3 milliards d'euros. D'un côté, la dépense de la sphère sociale devrait être un peu plus élevée que prévu, notamment compte tenu de la situation financière très dégradée des hôpitaux. De l'autre, les administrations locales connaissent un ralentissement de leurs dépenses d'investissement plus marqué qu'attendu dans les prévisions antérieures.
Au total, le scénario présenté pour 2025 repose sur un déficit public de 5,4 %, inchangé depuis avril dernier. Ce chiffre semble crédible. Le déficit structurel se réduirait ainsi de 0,7 point du PIB, ce qui est substantiel. Toutefois, j'attire l'attention sur le fait que l'effort structurel proviendrait intégralement de la hausse des prélèvements obligatoires - cette augmentation dépasserait 24 milliards d'euros. À l'inverse, l'effort en dépenses serait nul. Ce constat trahit une fois de plus notre incapacité à agir de manière résolue sur le niveau et la qualité de nos dépenses.
Il y a un an, Michel Barnier certifiait que le PLF pour 2025 assurerait un certain volume de réduction du déficit, composé à 70 % de baisses de dépenses et à 30 % de hausses des prélèvements obligatoires. Le Haut Conseil estimait que ce serait la proportion inverse. Et, in fine, l'effort structurel résulte à 100 % de hausses de prélèvements obligatoires. C'est dire s'il reste à travailler sur les dépenses : je le dis pour l'avenir.
En résumé, les prévisions économiques et budgétaires fournies par le Gouvernement pour 2025 nous paraissent crédibles. De plus, elles marquent un tout début de redressement des comptes publics. C'est un premier pas, certes limité, mais il mérite d'être souligné. En 2025, nous avons inversé la tendance.
J'en viens aux éléments d'analyse que je qualifierai de robustes. Ces derniers relèvent du scénario économique retenu pour l'année 2026, qui repose selon nous sur des hypothèses optimistes.
Certes, l'hypothèse de croissance retenue pour 2026, de 1 % en volume, n'est que très légèrement supérieure à celles des autres prévisionnistes, lesquelles sont en moyenne de 0,9 %. Mais ce scénario nous semble reposer sur un pari favorable.
Ainsi, la croissance serait plus vigoureuse en 2026 qu'en 2025, alors que la conjoncture internationale n'est pas porteuse et que l'ajustement budgétaire serait beaucoup plus important que cette année.
Dans le scénario soumis par le Gouvernement, le budget est plus restrictif. L'effet de frein sur l'activité à court terme doit donc, logiquement, être un peu plus marqué, à cause du net ralentissement de la demande publique en 2026, des effets des hausses de prélèvements et du gel des revalorisations. En théorie, ces éléments devraient se traduire par une estimation de croissance plus faible que le consensus, lequel ne repose pas sur un ajustement budgétaire si important.
En parallèle, le scénario transmis table sur une reprise de la demande privée dont l'ampleur nous paraît quand même assez volontariste.
Je pense en particulier à l'investissement des entreprises, qui rebondirait de plus de 2 % en 2026, selon ces prévisions, contre 1 % au mieux d'après les prévisionnistes. Or les comportements actuels ne permettent pas d'anticiper une telle évolution. Depuis juin 2024, l'investissement des entreprises a reculé de 1,2 %.
Quant à la consommation des ménages, elle rebondirait de 0,9 %, malgré l'absence de gains de pouvoir d'achat. Cette hypothèse suppose une baisse du taux d'épargne, phénomène annoncé depuis des années et qui ne se produit jamais. Une telle baisse est possible, elle est même plausible, le taux d'épargne atteignant désormais le record de 19 %. Mais l'ampleur du reflux de l'épargne risque fort de décevoir, comme par le passé, d'autant que l'instabilité politique accroît, comme toute forme d'incertitude, la frilosité des agents économiques et qu'il n'y a pas de stimulus à attendre du commerce extérieur. La guerre tarifaire et l'appréciation de l'euro vont limiter le rebond des exportations l'an prochain. La contribution du commerce extérieur à la croissance serait ainsi à peu près neutre en 2026.
Au total, ce scénario économique pour 2026 associe un ajustement budgétaire marqué, qui aurait un impact sur la croissance de 0,6 point de PIB, et une accélération de l'activité. Il est, selon le Haut Conseil, plutôt volontariste. Cette hypothèse est favorable, sans être impossible : une telle prévision économique n'est pas hors-sol. L'hypothèse de croissance était de 1,2 point en avril dernier : elle a été abaissée à 1 point. Elle diverge moins du consensus que lors des exercices passés - en 2024, le Gouvernement annonçait ainsi 1,4 % de croissance, alors que le consensus était à 0,8 %. Le Haut Conseil, à l'époque, s'était montré « sympa »...
Quant à la prévision d'inflation, elle est plausible, la prévision de la masse salariale étant un peu élevée.
Enfin, un certain nombre d'éléments sont plus hypothétiques. C'est en ce sens que l'avis du HCFP est un exercice « à blanc ».
Dans ce scénario, le Gouvernement prévoit une réduction du déficit public à 4,7 % du PIB l'an prochain. Ce serait là une baisse notable, de 0,7 point de PIB par rapport à 2025. Toutefois, la semaine dernière, le Premier ministre a annoncé de nouveaux chiffres, moins ambitieux. Il les a répétés hier, en mentionnant même le chiffre de 5 %. Ce n'est pas la cible figurant dans la copie qui nous a été transmise, ainsi qu'au Parlement, et les moyens permettant de l'atteindre restent encore à préciser. Nous n'avons donc pas pu expertiser ces éléments.
J'en viens à la cohérence interne du scénario sur lequel nous avons été tenus de travailler. En prenant pour base un déficit à 4,7 %, le Haut Conseil émet une première réserve, au regard du caractère un peu volontariste des hypothèses économiques qui sous-tendent cette prévision.
La prévision de croissance dite spontanée des prélèvements obligatoires nous semble globalement acceptable, et même quelque peu prudente par rapport aux hypothèses économiques. En revanche, le Haut Conseil émet des interrogations assez fortes sur les mesures d'économies en dépenses et sur les recettes nouvelles présentées.
À n'en pas douter, des mesures d'économies substantielles sur la dépense figurent dans le projet qui nous a été transmis : une année blanche sur les prestations sociales et les salaires publics ; une baisse des crédits ministériels, exception faite des crédits dédiés à la défense, qui, eux, progresseraient fortement ; un resserrement des transferts de l'État vers les collectivités territoriales ; un paquet d'économies significatif sur l'assurance maladie, notamment avec la hausse des franchises et autres participations des assurés. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2026 est un Ondam record : sa progression se limiterait à la moitié de la progression de l'année 2025. Au total, ces efforts représenteraient une économie de l'ordre de 17 milliards d'euros sur les dépenses publiques, par rapport à un scénario stabilisant le poids de la dépense dans le PIB.
Ce projet comprend aussi une hausse assez notable des prélèvements obligatoires en 2026. L'augmentation serait de près de 14 milliards d'euros, avec le gel du barème de l'impôt sur le revenu, de nouvelles économies sur les allégements généraux, des mesures relatives aux niches fiscales et sociales, la reconduction pour moitié de la surtaxe d'impôt sur les sociétés, la prolongation de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) et, enfin, une taxe sur les holdings. Le projet inclut aussi une reprise de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), interrompue l'an dernier.
Le quantum de mesures est donc très substantiel. Toutefois - je passe à la cohérence externe -, le Haut Conseil se doit d'émettre de sérieux doutes quant à leur mise en oeuvre.
Tout d'abord, même en retenant l'hypothèse, désormais très théorique, selon laquelle l'ensemble des mesures présentées seraient adoptées et mises en oeuvre, les cibles visées sont tout de même ambitieuses.
Les mesures en recettes ont un rendement parfois difficile à confirmer. Je pense par exemple au gain de 1,5 milliard d'euros escompté d'un nouveau projet de loi de lutte contre la fraude.
Du côté des dépenses, l'évolution prévue est de 0,2 % en volume. L'effort n'est pas inédit, mais il est faible, dans une perspective historique. Or, pour tenir cet objectif, il faudrait non seulement que l'ensemble des économies escomptées soient réellement dégagées, ce qui est tout de même une gageure, mais aussi que la gestion fasse l'objet d'une grande vigilance, ce qui ne fut pas tout à fait le cas ces dernières années.
Surtout, les annonces publiques et les discussions récentes laissent supposer qu'une pleine mise en oeuvre des mesures évoquées est peu probable. En parallèle, des mesures nouvelles, qui ne figurent pas dans le projet soumis au Haut Conseil, sont susceptibles de remettre fortement en cause le scénario présenté. Je pense, bien sûr, à une suspension de la réforme des retraites. Certes, le Premier ministre a annoncé que cette décision serait compensée, mais il faut s'interroger sur son coût net.
En définitive, le Haut Conseil estime que la prévision de solde public qui lui est soumise pour 2026 est fragilisée par un scénario économique volontariste et, surtout, par un risque de sous-réalisation, voire d'absence de réalisation de tout ou partie des mesures de recettes et d'économies affichées.
Les textes budgétaires étant susceptibles d'être profondément remaniés, il me semble important de rappeler quelques messages essentiels que le Haut Conseil adresse, année après année, à l'ensemble des décideurs publics, au nombre desquels les membres de la commission des finances du Sénat.
Le Haut Conseil a pour mission essentielle de s'assurer de la cohérence de la trajectoire budgétaire avec les objectifs que la France s'est elle-même fixés et les engagements qu'elle a pris à l'égard de ses partenaires européens.
Nous avons dévié plusieurs fois de cette trajectoire. Désormais, nous avons reporté à 2029 l'atteinte de l'objectif de 3 % de déficit. En avril dernier, le Haut Conseil identifiait déjà un important écart, qui a conduit au déclenchement du mécanisme de correction.
En soi, l'objectif de 3 % de déficit en 2029 n'est pas monstrueux. La France a le plus haut déficit de la zone euro, à savoir 5,4 %, le déficit moyen y étant de 3,1 %. Nous sommes en procédure de déficit excessif. En outre, je rappelle que le seuil de 3 % de déficit est celui au-delà duquel la courbe de la dette s'inverse.
Pour atteindre cet objectif, pleinement nécessaire pour arrêter l'envolée de notre dette, nous devons mener un effort de redressement dans la durée. À ce titre, l'année 2025 est une première étape. Dans le scénario soumis par le Gouvernement, la marche à franchir serait beaucoup plus haute en 2026. L'effort structurel ne serait pas de 24 milliards d'euros, mais de plus de 30 milliards d'euros, soit 1 point de PIB - 17 milliards d'euros en dépenses et 14 milliards d'euros de recettes additionnelles. À ma connaissance, un tel effort n'a été accompli qu'une fois, pendant l'année 2013.
Or, même dans ce cas, la dette continuerait à croître dans des proportions très préoccupantes. Elle augmenterait de plus de 2,5 points de PIB en 2025 et encore de 2 points en 2026 - ce sont les chiffres du Gouvernement - pour atteindre 118 points de PIB, à condition que les objectifs assez ambitieux fixés par le PLF soient atteints. À défaut, la dette s'aggravera encore.
Par cette dynamique, la France se singularise clairement de ses partenaires. En pourcentage du PIB, sa dette est la troisième de la zone euro, et c'est le seul grand pays dont la dette augmente. Au rythme où nous allons, l'inversion de la courbe avec l'Italie se produira probablement en 2029.
J'ai été commissaire européen de 2014 à 2019. À l'époque, il était presque inimaginable que la dette française dépasse celle de la Belgique, de l'Espagne ou encore du Portugal ; il était invraisemblable que nos taux d'intérêt emprunteurs soient plus élevés que ceux de ces pays et même que ceux de la Grèce. Les spreads avec l'Italie étaient de 80 points de base en juin 2024. Ils sont aujourd'hui d'à peu près zéro. Si nous continuons ainsi, nous risquons fort de payer les taux d'intérêt les plus élevés de la zone euro. D'ailleurs, les taux d'intérêt sur lesquels se fonde le PLF pour 2026 sont de 3,8 %. Ils étaient de 3 % il y a un an.
Il reste beaucoup de chemin à faire pour reprendre le contrôle de nos finances publiques, mais c'est notre devoir d'avancer en ce sens.
À cet égard, il me semble nécessaire de renforcer le rôle du Haut Conseil et d'améliorer les conditions dans lesquelles il est appelé à exercer ses missions. En étant plus exigeants à l'égard du Gouvernement sur ces sujets budgétaires, en renforçant encore nos analyses de soutenabilité de la dette, nous ne ferons qu'accroître l'information du Parlement, d'autant que le Gouvernement sera tenu de présenter des documents plus sérieux. Renforcer le Haut Conseil, c'est renforcer le Parlement.
J'y insiste, nous sommes face à un noeud coulant qui réduit progressivement nos capacités budgétaires. Nous risquons, à l'avenir, de ne pouvoir faire face à un éventuel choc conjoncturel. Notre crédibilité diminue aux yeux de nos partenaires. Le coût de la dette augmente. Pour ce qui concerne nos investissements d'avenir, nos marges de manoeuvre se réduisent, qu'il s'agisse d'écologie - c'est vital -, de sécurité - c'est essentiel -, d'innovation ou de compétitivité - comment pouvons-nous exister sans ces investissements ?
Un État trop endetté est un État impuissant. Désormais, nous devons impérativement inverser la courbe.
M'exprimant pour la dernière fois en cette qualité devant votre commission, je tiens à remercier l'équipe du Haut Conseil, qui, malgré son faible effectif, sait produire en des temps records des analyses remarquables. Je remercie également les membres du Haut Conseil, dont certains sont d'ailleurs nommés par le président du Sénat. Cette instance, extrêmement discrète et mal connue, est à la fois pluraliste et pleinement indépendante. J'espère que ses avis continueront de vous être utiles.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Au nom de la commission, je salue à mon tour le travail du Haut Conseil. Ses analyses à la fois solides et sérieuses, toujours formulées dans des délais très resserrés, sont particulièrement utiles pour éclairer le débat public et notamment les débats parlementaires.
La gravité de la situation n'échappe à personne. Nous devons être à la hauteur des circonstances : aussi, nous ne saurions reporter à demain les mesures qui s'imposent aujourd'hui.
Vous avez qualifié de « sympa » l'avis rendu par le HCFP sur le budget de 2024. Or, lorsque nous nous sommes penchés sur la dérive des comptes publics déplorée en 2024, un haut responsable de l'administration de l'État a déclaré que, du point de vue des prévisions, il s'agissait de « l'année pas de bol »... Notre commission a consacré deux rapports à cet exercice. On a pu qualifier ce travail de sévère, alors qu'il était purement factuel - qu'on les habille ou non, les chiffres sont têtus.
En outre, vous avez évoqué les réductions de dépenses mentionnées pour 2025, avant de relever que l'on aboutit à un effort constitué à 100 % de hausses de la fiscalité. Quant aux hypothèses retenues pour 2026, vous les qualifiez d'optimistes en ajoutant qu'elles vous inspirent de sérieux doutes.
Cette année, le Parlement doit certes jouer un rôle encore plus grand que d'ordinaire dans l'élaboration du budget, mais il ne sera bien sûr pas seul à décider. Il se prononcera aussi sur la base des hypothèses qui lui sont soumises. François Bayrou, alors Premier ministre, avait retenu comme objectif un déficit public de 4,6 %. Hier, Sébastien Lecornu a évoqué une cible de 4,7 %, en tout cas de « moins de 5 % ». L'effort de réduction du déficit, qui ne serait plus dès lors que de 0,4 point, serait diminué de moitié. L'objectif de 3 % de déficit en 2029 ne s'en trouve-t-il pas compromis ? On ne peut pas reporter tous les efforts et toutes les questions après l'élection présidentielle prévue en 2027. L'enjeu, c'est évidemment l'avenir des Français et la place de la France dans le concert européen. Aujourd'hui, au sein de l'Union européenne, notre pays reçoit le bonnet d'âne pour l'état de ses comptes publics : je n'en suis ni heureux ni fier.
J'en viens à une question méthodologique, qui n'est pas anecdotique.
La nouvelle présentation des efforts budgétaires retient désormais non pas le tendanciel de hausse des dépenses spontanées, dont on a beaucoup entendu parler, mais la part des dépenses rapportée à la richesse créée chaque année. Cette approche paraît, à certains égards, plus concrète et plus lisible. Quel en est, selon vous, l'intérêt ? D'ailleurs, à la fin du mois d'août dernier, vous avez publié une note méthodologique intitulée « L'Évolution des dépenses publiques « à politique inchangée » », dans laquelle vous montrez qu'il s'agit d'une convention qui, comme toute convention, est discutable.
Dans ce cadre, comment appréciez-vous le choix retenu pour le présent budget, qui affiche une économie d'environ 30 milliards d'euros, alors que l'ancien Premier ministre François Bayrou estimait qu'il eût fallu 44 milliards d'euros d'économies pour être dans la bonne marge ?
M. Vincent Delahaye. - Dans votre rapport, vous évoquez 30 milliards d'euros d'économies structurelles. Auparavant, l'analyse se fondait plutôt sur le tendanciel ; or, les deux approches semblent désormais se mêler, ce qui rend plus difficile le raisonnement.
Le Gouvernement avait indiqué que les hypothèses servant à établir ce tendanciel seraient transmises au Haut Conseil des finances publiques. Cela a-t-il été fait ? La représentation nationale n'en a, à ce jour, pas connaissance ; or j'aimerais pouvoir en disposer.
Il me semble que la majeure partie des 17 milliards d'euros d'économies faites sur les dépenses concerne celles des administrations de sécurité sociale. Quelle part relève du budget de l'État ? Ces économies sont-elles bien documentées ?
Par ailleurs, vous estimez que l'hypothèse de hausse de la masse salariale à 2,3 % est peut-être un peu élevée. Dans le même temps, les prévisions de recettes font apparaître une progression de plus de 9 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu, soit plus de 10 %, et une hausse de la TVA de 12,5 %, représentant plus de 12 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Vous ne qualifiez pas ces prévisions de recettes : pour 2025, vous les jugez crédibles, mais vous ne les qualifiez pas pour 2026. Pourriez-vous préciser votre appréciation devant nous ?
M. Thierry Cozic. - Au regard de la situation politique actuelle, j'ai le sentiment que le projet de loi de finances est déjà caduc.
Le Haut conseil relève que le scénario économique présenté par le Gouvernement repose sur des hypothèses « optimistes » ; je partage cette appréciation.
L'hypothèse de croissance à 1 % est légèrement supérieure à celle qu'a chiffrée le consensus des économistes, qui s'élève à 0,9 % ; compte tenu de l'effort de redressement et de son effet négatif sur l'activité, cette hypothèse me paraît trop élevée. Le Gouvernement estime l'incidence de ses mesures sur l'activité à 0,4 point ; le Haut conseil juge ce chiffre faible ; je souscris à cette analyse.
S'agissant du déficit, la cible affichée à 4,7 %. Or, hier, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a laissé la possibilité d'aller jusqu'à 5 %. Cela me conduit à considérer que l'avis est déjà caduc et que la cible ne tient plus.
Aussi, alors que l'euro a reculé d'environ 0,8 % face au dollar en une semaine, que les trajectoires du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) ne pourront pas être respectées et que les marchés renchérissent le coût de la dette, ce budget est-il de nature à redresser les comptes publics, durablement endommagés par huit années de macronisme ?
M. Pascal Savoldelli. - Nous avons besoin d'un débat argumenté, calme et raisonné. Prétendre, par exemple, que la dissolution - et ce, quoi qu'on en pense - se chiffrerait à 15 milliards d'euros, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), n'est pas sérieux. Les marchés financiers, les plateformes de trading, l'évolution du spread ou des taux d'intérêt n'ont pas à dicter la vie politique.
Le Gouvernement retient l'hypothèse d'un rebond de la consommation populaire. Je suis dubitatif : d'une part, le taux d'épargne, autour de 18 %, n'en est pas le signe ; d'autre part, je ne vois rien sur les salaires, et je constate des gels des retraites, des pensions et des prestations - « année blanche » pour les uns, « année noire » pour les autres. Tenez-vous pour fondée l'hypothèse d'un tel rebond ?
Les holdings ont parfois servi de parade pour contourner l'impôt. Que pensez-vous du rendement de la taxe sur ces structures proposée dans le projet de loi de finances ? Quel est le risque de contournement ?
M. Michel Canévet. - Le Haut Conseil fait apparaître le caractère hypothétique des perspectives qui nous ont été présentées dans le projet de loi de finances.
Le groupe Union Centriste estime nécessaire de respecter les trajectoires pour lesquelles nous nous sommes engagés à Bruxelles et de ramener le déficit à un niveau raisonnable. Deux voies existent : la première serait de faire un effort sur les dépenses. D'où ma question : à combien évaluez-vous l'effort de réduction des dépenses à réaliser en 2026 pour tenir le cap du PSMT ? La deuxième serait de prévoir des recettes supplémentaires. Aussi, quelle est votre appréciation sur une taxe sur les très hauts patrimoines, qui agite une partie de la classe politique, dont le rendement serait, aux dires de certains, de 20 milliards d'euros ? Ce chiffrage vous paraît-il crédible ? Enfin, selon vous, l'instauration d'une telle taxe aurait-elle un effet positif sur le développement économique de la France ? On constate souvent que de nouveaux outils fiscaux rapportent moins qu'attendu et peuvent avoir un effet récessif. Serait-ce le cas ici ?
M. Hervé Maurey. - Peut-on réellement parler d'un « début de redressement des finances publiques », comme vous l'avez fait, alors que la dette a continué d'augmenter en 2025 et que, selon vos propres termes, la France est le seul pays d'Europe où elle progresse encore ? Peut-on également se réjouir d'une amélioration qui tiendrait surtout à une hausse des prélèvements obligatoires, déjà très élevés en France, sans économies avérées ?
Pour 2026, le scénario semble identique : pas moins de 14 milliards d'euros supplémentaires de fiscalité ont été annoncés ; et rien ne prouve que les économies proposées soient tenues, puisqu'elles ne l'ont pas été en 2025. La situation est-elle aussi encourageante que vous le dites ? Sommes-nous incapables de réduire nos dépenses ?
Quel serait, pour 2026, le volume nécessaire d'économies budgétaires pour tenir nos objectifs, et surtout le volume possible et atteignable ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Depuis hier, nous savons que la suspension de la réforme des retraites sur l'âge et l'accélération de la réforme Touraine seront intégrées au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Quelle est votre appréciation du montant des dépenses supplémentaires à intégrer ? Il appartiendra, semble-t-il, au Parlement de déterminer les mesures d'économie nécessaire.
M. Bernard Delcros. - Ma question porte sur l'imposition des rachats d'actions instaurée l'an passé : le taux de 8 % demeure largement symbolique, l'assiette étant limitée à la valeur nominale des actions, et non à leur valeur réelle, alors même que l'écart entre les deux peut être considérable. On nous a opposé un impératif de conformité au droit européen. Partagez-vous ce diagnostic ? Existe-t-il, dans le respect du droit, une voie permettant de prendre en compte la valeur réelle des actions pour asseoir plus justement l'imposition ?
M. Pierre Moscovici. - Les questions relatives à la fiscalité des holdings ou à une taxe sur les actions ne relèvent pas de nos attributions et nous ne disposons d'aucune information particulière à leur sujet.
Dès 2024, nos avis avaient relevé le caractère optimiste des hypothèses retenues, qu'il s'agisse de la croissance, des composantes de la demande ou de la trajectoire de déficit : nous n'avons pas donné les félicitations du jury ! Nous aurions pu être plus sévères...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous auriez pu ou dû ?
M. Pierre Moscovici. - Je ne suis pas homme à regretter beaucoup : je dirais « pu ». Au cours de ces cinq années, je me suis toujours gardé d'invoquer la notion d'insincérité, dont les conséquences constitutionnelles sont lourdes et qui placerait le Haut Conseil dans une position délicate. Simplement, nous l'avons dit, un écart de 0,6 point, ce n'est vraiment pas bien. Le Haut Conseil fait son office honnêtement.
S'agissant de la méthode, ni la Cour ni le Haut Conseil ne travaillent à partir du tendanciel, qui aboutit à un effort plus élevé, parce qu'il inclut une dégradation implicite du solde structurel - la dépense, à politique inchangée, est supposée augmenter plus vite que la croissance potentielle ; nous fondons nos travaux sur la définition européenne de l'effort structurel. Ainsi, aucun chiffre relatif au tendanciel n'a été transmis au HCFP. Que le Gouvernement revienne, cette année, aux notions européennes nous paraît plus clair et plus conforme aux standards : l'effort présenté s'établit ainsi à environ 30 milliards d'euros.
La question centrale demeure la cohérence du PLF pour 2026 avec les engagements européens de la France : la trajectoire vise un déficit inférieur à 3 % en 2029, avec une étape à 5,4 % en 2025. Le PLF retient 4,7 % pour 2025, proche des 4,6 % envisagés dans le PSMT transmis par le gouvernement de Michel Barnier ; en revanche, un déficit à 5 % marquerait un écart significatif. Au rythme d'un effort annuel de 0,4 à 0,5 point de PIB - les annonces nous conduiraient plutôt à 0,4 en réalité -, le passage sous les 3 % dériverait vers 2031. J'ajoute qu'une année présidentielle - ce sera le cas en 2027 - n'est généralement pas propice à un durcissement de l'ajustement ; l'effort devra être reporté à une autre année. Atteindre le seuil des 3 % en 2029 est incertain, c'est une évidence.
La Commission européenne pourra sans doute - je n'en suis pas le porte-parole - faire preuve d'une petite tolérance, mais celle-ci n'est pas illimitée dès lors qu'elle compromettrait l'atteinte crédible de l'objectif.
Oui, il y a un début d'amélioration de nos finances publiques. Le déficit est passé de 5,8 % à 5,4 %, après des années d'augmentation : il s'agit bel et bien d'une inflexion ; mais elle n'est pas suffisante, si l'on veut être en dessous du seuil des 3 % en 2029. Le rythme de réduction du déficit devra accélérer.
La France est encore loin de stabiliser son ratio de dette sur PIB. L'écart entre les ratios d'endettement de la France et de l'Allemagne dépasse désormais 50 points de PIB, alors que nos niveaux étaient identiques au lancement de l'euro, à savoir 58,9 % pour chaque pays.
La dynamique de la dette est en baisse en Espagne et au Portugal ; elle est proche de la stabilisation en Italie, même si son niveau est plus élevé que le nôtre.
Les conditions d'emprunt public de la France se sont dégradées. La charge de la dette, passée de 35 milliards d'euros en 2021 à 74 milliards l'an prochain, devrait dépasser le budget de l'éducation nationale en 2027, devenant le premier poste budgétaire de la Nation, pour la première fois de l'histoire financière de la Ve République.
Si nous ne faisons pas l'effort nécessaire, nous serons incapables de maîtriser notre dette ; aussi, repousser l'effort à plus tard pour revenir sous le seuil des 3 % est une faute à l'égard des générations futures.
Du côté des recettes, les prévisions d'évolution spontanée fournies par l'administration sont globalement acceptables et parfois prudentes - je pense à la TVA et aux cotisations -, ce qui compense partiellement les prévisions macroéconomiques un peu optimistes. Du côté des dépenses de l'État, l'effort annoncé - environ 6 milliards d'euros d'économies - est partiellement documenté ; il porte notamment sur la masse salariale : près de 3 000 emplois de l'État seraient supprimés, le point d'indice serait gelé et des mesures catégorielles sont envisagées. Ces mesures survivront-elles au débat budgétaire ?
En revanche, l'effort des administrations de sécurité sociale est considérable : fixer l'objectif national de dépenses d'assurance maladie à 1,5 % est sans précédent.
La prévision de consommation des ménages pour 2026, établie à + 0,9 % contre + 0,5 % en 2025, suppose un repli du taux d'épargne de 0,6 point, de 18,4 % à 17,8 %, en l'absence de gain de pouvoir d'achat net. Cette hypothèse nous paraît favorable, notamment parce que le gel des prestations sociales a sans doute un impact négatif sur la consommation.
À l'inverse, la prévision d'investissement apparaît élevée. L'effort de réduction des dépenses publiques prévu pour 2026 serait de 0,6 point de PIB, soit environ 17 milliards d'euros. J'y insiste : la copie qui vous est présentée témoigne incontestablement d'un progrès de cohérence interne par rapport aux exercices antérieurs, notamment l'abandon de pratiques consistant à présenter des hausses d'imposition comme des économies, ce que nous avions qualifié d'économies façon Canada Dry l'an dernier.
Reste la question du portage politique et de l'effectivité de ce budget : que subsistera-t-il des propositions initiales à l'issue du débat parlementaire ? C'est une copie très bien réalisée par les administrations dans une période de flottement politique. C'est en ce sens que notre exercice demeure, pour partie, à blanc. Je relève tout de même que l'effort de 0,6 point de PIB est conforme à la règle européenne de dépense primaire nette en situation de déficit excessif.
Enfin, s'agissant des retraites, une suspension - et non une abrogation - jusqu'à l'élection présidentielle aurait, à court terme, un coût de quelques centaines de millions d'euros en 2026 et d'environ 2 milliards d'euros en 2027 - je n'ai pas de raison de mettre en doute les chiffres avancés par le Premier ministre hier. Aujourd'hui, le déficit des régimes de retraite s'établit à 6,6 milliards d'euros. Il resterait globalement à ce niveau jusqu'en 2030, si la réforme était mise en oeuvre. Sans me prononcer sur l'opportunité de cette réforme, j'en rappelle l'effet financier : elle dégagerait d'ici à 2030 environ 10 milliards d'euros. À l'inverse, si la réforme était stoppée, il faudrait trouver 10 milliards d'euros pour éviter que le déficit ne se dégrade vers 17 milliards d'euros en 2030. Au-delà de 2030, nos estimations indiquent une accélération marquée de la dégradation : un déficit proche de 15 milliards d'euros en 2035, puis de 30 milliards d'euros en 2045.
Il subsiste donc, au total, des enjeux d'équilibre du système de retraite et, plus largement, de soutenabilité de nos finances publiques, qui devront être pleinement assurés, d'une manière ou d'une autre, dans le cadre du débat public - dès à présent et, le cas échéant, lors de la prochaine élection présidentielle.
En somme, deux horizons se dessinent : le court terme, dont l'évaluation rejoint les indications données hier par le Premier ministre, et le long terme, qui engage des choix fondamentaux - choix de société autant que choix financiers. Il appartiendra au législateur de les trancher, d'abord à l'occasion du présent PLF.
Voilà les éléments que je souhaitais porter à votre appréciation. Je vous souhaite bon courage pour ce débat budgétaire et je salue le rôle déterminant que le Parlement, et singulièrement le Sénat, est appelé à jouer dans la période particulière que traverse notre vie politique.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie, monsieur le Premier président, de vos réponses et de l'action menée. Depuis cinq ans, nous avons beaucoup travaillé ensemble ; nous aurons peut-être l'occasion de nous revoir à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), sans certitude. En tout état de cause, je salue, à travers vous, l'engagement du Haut Conseil et de la Cour des comptes et vous adresse, à titre personnel, mes voeux les plus sincères pour la suite.