A. L'AUTORISATION DU REFUS DE VENTE

1. Le droit en vigueur est difficilement applicable

La prohibition du refus de vente est historiquement liée à une économie de pénurie visant à protéger les consommateurs contre 1es Professionnels pratiquant des stockages abusifs dans le but de majorer les prix (loi du 21 décembre 1940).

Après plusieurs modifications du dispositif, l'ordonnance du 1er décembre 1986 a transformé l'infraction pénale en délit civil. C'est-à-dire que la personne commettant une faute constitutive de refus de vente ou de prestation de service engage sa responsabilité et, en cas de plainte, doit réparer les préjudices ainsi causés.


• Le refus de vente ou de prestation de services suppose un refus non justifié. L'article 36 de l'ordonnance, prévoit trois séries de faits justificatifs, tenant au caractère anormal de la demande, à la mauvaise foi du demandeur ou à l'existence d'un réseau de distribution exempté par application de l'article 10 de l'ordonnance.

- La demande est considérée comme anormale dès lors qu'elle n'est pas conforme aux conditions de vente ou de prestation de services habituellement proposées par le vendeur ou le prestataire de services. L'anormalité de la demande s'apprécie donc en comparant les conditions habituellement pratiquées par ce dernier avec les propositions de l'acheteur.

Si les propositions de l'acheteur ne sont pas conformes aux exigences normales du vendeur, la demande est anormale. Il en de même si la quantité demandée ou ses modalités sont anormales ou si le demandeur présente des qualifications professionnelles ou des installations insuffisantes ou enfin si son comportement est illicite.

Une demande est ainsi présumée anormale lorsqu'il est établi que l'acheteur use de procédés illicites visés aux articles 32 à 37 (revente à perte, facturation irrégulière, pratiques discriminatoires...).

- S'agissant de la justification tenant à la mauvaise foi du demandeur, cette dernière peut procéder de l'intention de nuire : le demandeur entend, par exemple, dénigrer les produits ou recourir à une politique de prix d'appel. L'administration admet le refus de vente « lorsqu'il s'agit pour une entreprise de résister aux exigences discriminatoires d'acheteurs puissants » 15 ( * ) .

La mauvaise foi peut résulter d'un simple comportement fautif : ainsi, le vendeur peut-il refuser de livrer ou d'accorder des délais de paiement (habituellement accordés) quand le client lui doit des factures antérieures ou a tardé à les lui payer, alors que demeurent encore certains différends 16 ( * ) . De même lorsque le demandeur a déjà fait imprimer des catalogues où figure le produit avant que le contrat ne soit conclu.

- Enfin, lorsqu'il existe un réseau de distribution sélective ou exclusive, un refus de vente peut être valablement opposé à l'acheteur, sans engager la responsabilité du vendeur puisque ce refus résulte alors de l'existence d'une entente ou d'un abus de position dominante ou de dépendance économique couvert par les exceptions prévues à l'article 10 de l'ordonnance.


Il est cependant très malaisé d'apporter la preuve de la licéité du refus de vente. Celui-ci est donc très difficile à opposer dans la pratique.

En 1995, sur 75 dossiers concernant la mise en oeuvre des actions devant le juge civil ou commercial, 38 étaient des affaires de refus de vente (dont 12 par assignation ministérielle). La demande a été rejetée dans 6 cas, une décision favorable ayant été prise dans 23 autres cas et 8 étant en instance.


• Lorsque le refus de vente n'est pas justifié, des sanctions civiles sont alors prononcées.

L'article 36 de l'ordonnance organise un régime dérogatoire au droit commun. Outre le droit d'action reconnu à toute personne justifiant d'un intérêt, peuvent introduire une action en réparation devant les juridictions civiles ou commerciales, « le Parquet, le ministre de l'économie ou le président du Conseil de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui révèlent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. »

La victime peut également, sans avoir à effectuer préalablement une saisine au fond, faire adopter par le juge des mesures conservatoires au moyen de la procédure spéciale du référé qui permet au juge « d'enjoindre la cessation des agissements en cause et d'ordonner toute autre mesure provisoire ».

2. Le projet de loi initial tendait à libéraliser le refus de vente

La difficulté de prouver la licéité le refus de vente, alliée au fait que la France est le seul pays posant l'interdiction du refus de vente comme principe et faisant porter la charge de la preuve sur le fournisseur, à incité le Gouvernement à libéraliser le refus de vente. C'est ainsi que l'article 4 du projet de loi initial prévoyait de renverser la charge de la preuve du caractère illicite du refus de vente, dans le but de rééquilibrer la relation producteur -distributeur. Cette charge devait incomber à 1'acheteur et non plus au producteur.

3. L'Assemblée nationale a totalement autorisé le refus de vente

Sur la proposition de sa commission de la Production et des Échanges et de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a décidé d'abroger les troisième et quatrième alinéas de l'article 36 et donc d'autoriser purement et simplement le refus de vente.

4. Votre commission retient cette dernière solution

Votre commission est favorable à cette suppression de l'interdiction du refus de vente, qui perd de son sens dans une économie d'abondance et libérale. Elle estime que le rééquilibrage des relations producteurs-distributeurs sera ainsi mieux garanti.

Votre commission estime légitime que le producteur puisse choisir, pour chacun de ses produits, son circuit de distribution et dispose d'un moyen de lutter contre les comportements déloyaux de certains distributeurs.

Certains craignent que des commerces de taille modeste n'aient à en pâtir. Mais, il faut bien voir que l'intérêt d'un producteur réside dans le fait à la fois de maximiser ses ventes, sans porter atteinte à l'image de son produit, et de diversifier celles-ci, de façon à ne pas accroître sa dépendance à l'égard de tel ou tel type de commerce.

En outre, le droit français se rapprochera ainsi de celui de ses partenaires européens et du droit communautaire, en effet, ce dernier ne prohibe le refus de vente qu'au titre de la prohibition des ententes et de l'abus de position dominante.

Désormais, seuls les cas de refus de vente abusifs seront illicites et ils pourront être appréhendés par diverses autres dispositions des titres III et IV de l'ordonnance, ainsi que par le code civil :


• Le refus de vente peut être sanctionné en tant que manifestation d'une entente illicite au titre de l'article 7 de l'ordonnance, qui interdit expressément les pratiques qui « tendent à limiter l'accès au marché ».

Un exemple : supposons qu'un GIE de taxis monte un système de radio-téléphone et refuse à un taxi son adhésion pour des raisons anticoncurrentielles, telles que le souhait de l'obliger à cesser son activité : il s'agit d'un refus de vente résultant d'une entente.


• Il peut, en tant qu'abus de position dominante ou de dépendance économique, être sanctionné au titre de l'article 8 de l'ordonnance. Celui-ci stipule que ces « abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires... ».

Un certain nombre de décisions du Conseil de la concurrence ont d'ailleurs été prises sur ce fondement.


• Le refus de vente peut être sanctionné par le droit commun de la responsabilité civile.

Rappelons que l'article 1382 du code civil permet à toute personne victime du comportement fautif d'autrui d'obtenir réparation du préjudice qui lui est causé.


• Il peut également être sanctionné en tant que discrimination abusive.

En effet, l'article 36-1 de l'ordonnance sanctionne ce type de discrimination. Or, le refus de vente peut être considéré comme une forme de discrimination pour un fournisseur.

Prenons l'exemple d'une entreprise qui commercialise des bijoux sous contrat de dépositaire agréé avec un producteur et ne voit pas son contrat renouvelé à terme, au motif que son « standing » et sa surface en vitrines sont insuffisants. S'il est établi que d'autres entreprises continuent d'être livrées alors même qu'elles exercent leur activité commerciale dans les mêmes conditions qu'elle, il y a discrimination abusive se traduisant par un refus de vente.


• Enfin, comme on le verra ci-dessous, le 5 nouveau de l'article 36 sur la rupture abusive des relations commerciales permet d'interdire des formes abusives de refus de vente.

* 15 DGCCRF Rapport d'activité 1993.

* 16 Cass. Com. 9 mai 1990.

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