II. AUDITION DE M. FRANÇOIS FILLON, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA POSTE AUX TÉLÉCOMMUNI-CATIONS ET À L'ESPACE (21 MAI 1996)

M. Jean François-Poncet, président, a souligné, en accueillant le ministre, que les débats du Sénat allaient être prochainement dominés par les deux projets de loi sur la réglementation des télécommunications et le statut France Télécom, qui seraient étudiés en continuité.

Il a en outre rappelé la récente adoption par la commission du rapport d'information de M. Gérard Larcher, sénateur. M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a alors indiqué que le projet de loi sur la réglementation des télécommunications allait marquer un tournant dans les télécommunications avec la fin du monopole de l'État sur le téléphone. Il a estimé que l'évolution de la réglementation européenne conduisait moins à une telle réforme que l'évolution technologique. Il a souligné la mondialisation des réseaux et, notamment, du plus médiatique d'entre eux : Internet.

Après avoir fait valoir le développement à l'horizon de 1997 du téléphone personnel par satellite, des services en ligne et du multimédia, il a mis en évidence l'organisation dans le monde entier, depuis deux ans, d'alliances pour parvenir à une offre globale en matière de multimédia autour d'entreprises comme ATT, British Telecom, France Télécom et Deutsche Telekom.

Le ministre des télécommunications a estimé que le projet impliquait des enjeux économiques avec la croissance et les créations d'emplois qu'il induirait mais aussi des enjeux de société, par l'accès de tous à de nouveaux services qui serait permis par la baisse des tarifs et la diversification de l'offre.

Après avoir rappelé que ces évolutions avaient été anticipées par l'Union européenne et la décision de 1984 prise à l'unanimité des ministres des télécommunications européens de rédiger un « livre vert », il a évoqué l'Acte unique, adopté en 1986 puis, sous la présidence française en 1989, la décision d'ouvrir à la concurrence tous les services de télécommunications, sauf la téléphonie vocale. Le ministre a salué la décision arrêtée, en 1993, d'ouverture à l'horizon du 1er janvier 1998 de l'ensemble du marché des télécommunications.

Le ministre a souligné que tous les gouvernements français avaient accompagné cette évolution en anticipant sur les évolutions technologiques, ce qui avait permis de faire triompher notre conception du service public, -dont les principes, a-t-il souligné,- se retrouvaient dans le projet de loi de réglementation des télécommunications : continuité, qualité, égalité et adaptabilité.

M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a jugé que le projet de loi de réglementation s'inscrivait ainsi dans la lignée des avancées européennes. Il s'agit, selon lui, d'une libéralisation à la fois maîtrisée, avec une notion de service public la plus généreuse d'Europe, et équilibrée, avec une concurrence stimulante, au service des usagers.

M. François Fillon a ensuite indiqué que la concurrence apporterait aux usagers plus de services à moindre coût, comme l'expérience des pays étrangers le montrait. En Grande-Bretagne, a-t-il précisé, les utilisateurs bénéficiaient de services gratuits qui n'existaient pas en France, et de factures moyennes des ménages inférieures de 30 % à la France.

Par ailleurs, M. François Fillon, ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace, a estimé qu'en France, le marché des télécommunications était peu développé. Par exemple, les Français utilisaient leur téléphone seulement 8 minutes par jour, contre 20 minutes aux États-Unis, dans un marché qui croissait moins en France qu'outre-Atlantique.

Le ministre a donc mis en avant le potentiel de croissance du secteur, comme le montrait l'étude d'impact annexée au projet de loi qui estimait à 70.000 le nombre d'emplois susceptibles d'être créés dans les seuls services des télécommunications dans les cinq prochaines années. En 2005, ce secteur devrait comporter plus d'emplois que l'automobile. A titre d'illustration, M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a cité la part que le secteur occupait dans le produit intérieur brut : 2,4 % aux États-Unis, 2,3 % en Grande-Bretagne, 2,2 % en Suède contre seulement 1,6 % en France.

M. François Fillon a indiqué que la concurrence permettrait à notre pays d'entrer dans la société de l'information, alors que jusqu'à aujourd'hui le coût des services en ligne freinait ce développement, à cause d'une tarification non pas forfaitaire mais « au compteur ».

Le ministre a noté que la concurrence n'entraînerait pas une complexité accrue pour les usagers car la loi proposée organisait l'interconnexion des réseaux, la portabilité des numéros de téléphone, et l'instauration d'un annuaire et d'un service de renseignements universels, contrairement à ce qui s'était passé dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne.

S'agissant des conséquences de la concurrence sur le service public, M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a indiqué que la loi prévoyait un « droit à la communication », quelles que soient la situation financière et la localisation géographique de l'abonné.

M. François Fillon a tenu à souligner que le texte de loi proposait la même définition du service public que celle qui existait aujourd'hui, qui incluait le service universel du téléphone, c'est-à-dire tout le service actuel, sur tout le territoire, les services obligatoires et les services d'intérêt général liés à la recherche et à l'enseignement, assumés par l'État.

C'est cette définition, a-t-il dit, la plus large en Europe, que le Parlement pourrait faire évoluer au moins une fois tous les cinq ans. Le service universel n'était donc pas, comme il avait été dit à tort, un service minimum.

Le ministre a ensuite abordé la nature de la concurrence qui devait être, selon lui, réelle et équitable et organisée par des règles claires. Il a indiqué qu'il n'y avait pas de limite du nombre des opérateurs, qui participeraient tous aux coûts du service public par le biais d'une redevance et d'un fonds de financement du service universel qui permettraient de financer l'annuaire universel et l'installation des cabines publiques.

Le projet, a-t-il indiqué, proposait la création d'une autorité de régulation des télécommunications, système qui, bien que peu usuel dans notre système juridique, permettrait d'assurer la transparence de la concurrence dans une situation où l'État resterait le propriétaire de France Télécom. L'autorité appliquerait la réglementation et arbitrerait les litiges entre opérateurs. L'Assemblée nationale a proposé qu'y soient nommés, en plus des trois membres nommés par décret, initialement prévus, deux membres, nommés par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Quant à l'avenir de France Télécom, c'était volontairement que le projet de loi de réglementation des télécommunications ne l'abordait pas car le Gouvernement avait souhaité que le Parlement puisse d'abord se prononcer sur les règles générales d'organisation du secteur, et notamment sur le rôle de France Télécom dans la fourniture du service public.

Ces règles générales d'organisation du secteur étant posées, M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a indiqué que le Gouvernement proposait d'avancer sur la réforme du statut de France Télécom qui, étant désormais placée en situation de concurrence, devrait disposer des mêmes armes que ses concurrents et bénéficier d'un statut de société commerciale pour pouvoir nouer des alliances internationales durables grâce à des échanges capitalistiques, et solliciter les marchés financiers comme il est nécessaire pour le quatrième opérateur du monde qui dispose d'opportunités de développement sur les marchés étrangers.

M. François Fillon a admis que ce changement de statut inquiétait. Pour cette raison, une concertation était conduite avec le personnel, qui se voyait garantir dans le projet de loi de modification du statut de France Télécom son statut de fonctionnaire de l'État, ainsi que le paiement des retraites par l'État. Le personnel pourrait également devenir actionnaire de France Télécom. Des fonctionnaires pourraient être recrutés jusqu'en 2002. L'État resterait majoritaire dans France Télécom.

Le ministre a précisé que ces garanties obtenues pour le personnel avaient permis de faire avancer les négociations avec les organisations syndicales et qu'ainsi avait été préparé un projet de loi de modification du statut de France Télécom, modifiant, à cette fin, la loi de 1990, et qui serait soumis au Parlement d'ici la fin de la session.

M. Jean François-Poncet, président, a estimé que M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, avait parfaitement resitué le projet de loi du Gouvernement portant réglementation des télécommunications dans son contexte économique mondial, européen et français.

M. Gérard Larcher, rapporteur, a tenu à poser à M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, trois questions avant d'aborder les problèmes statutaires ; tout d'abord, il a remarqué que l'enseignement et la recherche ne faisaient pas partie du service universel des télécommunications. Il s'est donc demandé comment seraient désormais financées ces activités dans l'avenir. Il a ensuite abordé la question de l'hertzien en s'inquiétant de la place réservée à la téléphonie mobile. Rappelant les interrogations de Mme Janine Bardou , il a insisté sur la préoccupation de la commission en matière d'aménagement du territoire. Il s'est enfin enquis du rôle et de l'organisation de la future agence nationale des fréquences.

Abordant les questions statutaires, il s'est déclaré, à titre liminaire, circonspect sur l'avenir de l'alliance entre France Télécom et Deutsche Telekom en l'absence de réel lien capitalistique. Il a. en outre, demandé quelles étaient modalités concernant la prise de participation du personnel au capital de France Télécom. Il a enfin évoqué l'évolution des charges sociales pour France Télécom en précisant que leur volume ne devait pas bloquer les processus de désendettement et d'investissement de l'entreprise.

M François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a précisé, concernant le service public, que les établissements d'enseignement seraient désormais financés par l'État et non par France Télécom, et ce dès 1997. Pour la recherche, le ministre a indiqué que le Gouvernement n'ayant pas voulu démembrer le centre national d'étude des télécommunications (CNET), l'État pourrait participer sous forme de compensations versées à France Télécom, a des programmes de recherche fondamentale. Le ministre a souligné que France Télécom, par ailleurs, conserverait, les obligations prévues dans le contrat de plan en matière de recherche ; il a insisté, également, sur le fait que les opérateurs privés devraient respecter un cahier des charges concernant notamment la recherche.

M. François Fillon a tenu à préciser, s'agissant de la téléphonie mobile qu'aucun État au monde pas même la Suède n'était en mesure de couvrir l'ensemble de son territoire au moyen de GSM mobile 2 watts. Il a indiqué que les trois opérateurs de téléphonie mobile en France se devaient de couvrir 85 % de la population, conformément aux obligations de leur cahier des charges. S'il a reconnu que l'objectif du gouvernement était d'étendre la couverture du territoire, il a estimé que seule 1'utilisation d'une technologie plus moderne pourrait permettre d'atteindre un tel résultat.

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En outre, le ministre a rappelé que l'agence nationale des fréquences serait, un service administratif interministériel chargé d'harmoniser l'attribution des fréquences, fonction aujourd'hui répartie entre huit ministères et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Il a précise que cette agence proposerait en outre un plan rationnel d'utilisation des fréquences.

Concernant l'alliance entre France Télécom et Deutsche Telekom, le ministre a considéré que ce rapprochement était solide, même si ce lien pouvait être renforcé dans l'avenir par un échange capitalistique.

M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a ensuite précisé que c'était le Premier ministre qui avait décidé de réserver 10 % du capital au personnel de France Télécom : il a indiqué que les modalités de cette prise de participation faisaient l'objet de négociations et seraient, en tout état de cause, conformes à la loi de 1986 sur les privatisations.

Il a reconnu que la question des retraites était au centre de toutes les préoccupations, compte tenu de leur évolution. Il a rappelé que dans le projet de loi sur le statut de France Télécom, était inscrite l'égalité de cotisations sociales entre France Télécom et les entreprises du même secteur. Il a estimé que ce transfert de charges vers l'État s'élèverait à environ 150 milliards de francs, France Télécom devant ainsi attribuer à l'État une compensation : cependant celle-ci ne devrait pas mettre en péril la mise sur le marché de l'entreprise France Télécom.

Répondant à M. Jean François-Poncet, président, M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a indiqué que le lien entre France Télécom et Deutsche Telekom pourrait prendre d'autres formes qu'une participation croisée : il a évoqué en particulier la présence de membres des deux entreprises au sein des conseils d'administration ainsi que la constitution de services communs.

Répondant à M. Désiré Debavelaere, M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a précisé que, pour la téléphonie mobile, la couverture de 85 % de la population représentait actuellement 50% du territoire. Il a estimé à environ 10 milliards de francs le coût de couverture pour les 50 % restants.

Mme Janine Bardou a pris acte du fait que le Gouvernement souhaitait maintenir un service public efficace mais a estimé que cet effort pouvait s'avérer insuffisant dans les zones rurales, excluant par là-même toute politique d'aménagement du territoire. Elle a, en outre, demandé à M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, à quelle échéance l'ensemble du territoire pourrait être couvert par la téléphonie mobile.

M. Jean François-Poncet, président, a demandé s'il ne serait pas opportun d'envisager une autre solution technique comme celle par exemple du GSM 8 watts, en l'absence d'une couverture de l'ensemble du territoire par le GSM 2 watts.

M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a tenu à souligner que, malgré l'absence d'une couverture totale en matière de téléphonie mobile, France Télécom offrirait la possibilité d'accéder, de tout le territoire, à la fois au télex, aux services avancés ainsi qu'au réseau numérique, qui font partie des services obligatoires.

Il a estimé, concernant le téléphone mobile, que seuls le GSM 8 watts ou le téléphone portable par satellite permettraient de pallier cette carence. Il a précisé que deux opérateurs s'étaient spécialisés sur le téléphone par satellite Global Star et Iridium et que cette technologie fonctionnerait parfaitement d'ici la fin 1997.

M. Félix Leyzour a demandé des précisions à M. François Fillon ministre délégué à la Poste, aux, télécommunications et à l'espace, concernant les motivations du Gouvernement pour l'abandon du monopole de France Télécom. Il a estimé que la notion de service public n'était en rien contradictoire avec celle de modernisation. Il s'est de plus inquiété sur les réelles possibilités du service public des télécommunications en matière d'aménagement du territoire.

M. François Fillon a indiqué que ce n'était pas le concept de modernisation qui était contradictoire avec celui, de service public, mais celui de monopole. Il a précisé, qu'aujourd'hui déjà, le monopole ne pouvait plus lutter contre la multiplication des systèmes d'information comme Internet, le satellite ou la location de lignes. Il a estimé qu'aujourd'hui, en France, le monopole maintenait des prix élevés pour une qualité moyenne de services.

Le ministre a précisé, en outre, que les entreprises privées qui allaient s'implanter dans ce secteur devraient payer leur part de péréquation au service public universel.

Répondant à M. Roland Courteau, M. François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace , a indiqué, concernant tout d'abord la rémunération additionnelle a la redevance d'interconnexion, que le Gouvernement avait souhaité dans un premier temps imposer tous les opérateurs. Cependant l'Assemblée nationale avait préféré, dans le souci de favoriser le développement des téléphones mobiles, exonérer les opérateurs mobiles de la part de cette rémunération additionnelle résultant du déséquilibre de la structure des tarifs téléphoniques afin de prendre en compte leurs obligations en matière de couverture territoriale et le trafic supplémentaire au trafic filaire qu'ils génèrent.

Le ministre a reconnu que cet amendement était défendable mais que cette exonération devait rester une exception, contrairement à ce qui se passait, universel constituait un « pot commun ».

Concernant, l'annuaire universel, M François Fillon, ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace , a indiqué à M. Roland Courteau que le projet de loi prévoyait que si chaque opérateur pouvait faire son annuaire, France Télécom devait éditer l'annuaire universel, les fichiers nécessaires à son élaboration demeurant sous le contrôle de l'État, et ceci afin d'éviter la situation britannique où il n'existe pas d'annuaire universel car les concurrents de British Télécom refusent de lui fournir leur fichier.

Répondant à M. Gérard Larcher, rapporteur, M. François Fillon ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace, a précisé que le Gouvernement était prêt à entamer une réflexion avec le Sénat concernant la question du contenu des messageries sur Internet. Il a reconnu que le fait de laisser les prestataires de service en ligne dans un environnement d'insécurité pouvait provoquer une absence desdits services en France. Il a ensuite fait état du pré-rapport qui lui avait été remis récemment, sur des propositions de réglementation en la matière. Il s'est déclaré partisan de définir clairement les responsabilités, estimant que celle de l'éditeur devrait être affirmée par rapport à celle du transporteur.

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