2. La crainte de l'inégalité de la répartition de l'effort

L'ensemble des professionnels de santé est convaincu que les prochaines années seront des années d'effort ; pour la plupart, ils semblent accepter cet effort à condition qu'il soit équitablement réparti.

Or, chacun des secteurs du système de santé, médecins libéraux, hospitaliers, dirigeants de cliniques privées, officinaux, craint de faire les frais de la réforme du système de santé et d'être seul à supporter la charge de l'ajustement.

On pourrait dire cyniquement que le fait que cette crainte soit partagée par tous les secteurs montre que l'effort devrait être équitablement réparti, mais la situation n'est pas aussi simple qu'elle pourrait apparaître et cette crainte qui s'exprime désormais au grand jour révèle l'ampleur du désarroi des professionnels de santé.

a) Les médecins libéraux s'estiment lésés par rapport à l'hôpital

Avec l'application de l'ordonnance relative à la maîtrise des dépenses de ville, les médecins se verront opposer un objectif d'évolution des dépenses défini à la suite du vote du Parlement. En cas de dépassement de l'objectif, la profession devra reverser des sommes « indûment » perçues à l'assurance maladie, à l'image de ce qui se fait déjà depuis 1991 pour les laboratoires d'analyses médicales.

Cette opposabilité de l'objectif d'évolution des dépenses s'ajoute à celles de références médicales instituées à partir de la Convention médicale de 1993.

Les médecins libéraux acceptent difficilement la nouvelle opposabilité de l'objectif -alors que, rappelons-le, la plupart des professionnels de la santé sont déjà soumis à une telle contrainte.

Ils l'acceptent d'autant plus difficilement qu'ils s'estiment triplement lésés par rapport à l'hôpital.

En premier lieu, ils expriment un doute quant à la réalité des restructurations hospitalières qui devraient être entreprises sous l'égide des agences régionales de l'hospitalisation. Considérant que l'emploi hospitalier sera toujours préservé et fera l'objet d'une âpre défense dans toutes les communes concernées, ils craignent que les dotations hospitalières continuent d'augmenter fortement sans que les dépenses correspondantes soient toujours justifiées par les besoins de la population.

En deuxième lieu, ils constatent que les médecins hospitaliers ne sont personnellement soumis, ni à un objectif de dépenses opposable, ni à des références médicales opposables, et que la réforme hospitalière tarde à se mettre en place.

En troisième lieu, les médecins libéraux craignent que, sous la pression de l'augmentation des dépenses hospitalières, l'hôpital soit tenté de transférer vers la médecine de ville les traitements les plus coûteux (Sida, hépatite C, cancérologie) afin que ceux-ci sortent des budgets hospitaliers. Ces dépenses supplémentaires viendraient alourdir la facture « médecine de ville » et ajouter une nouvelle pression économique sur les médecins.

b) L'hôpital estime être le seul à supporter d'importantes dépenses sociales et à ne plus disposer de marge de manoeuvre budgétaire

Les hospitaliers constatent que leur budget est enserré depuis près de quinze ans dans l'étau du budget global et estiment que cet étau s'est progressivement resserré au point d'annuler, dans l'immense majorité des hôpitaux, toute marge de manoeuvre financière. Ils soutiennent que, d'ores et déjà, l'application de taux directeurs très faibles au cours des années récentes les ont conduits à agir sur la seule véritable variable d'ajustement, la masse salariale, qui correspond à environ 70 % des budgets. Le recrutement massif de contrats emploi solidarité (environ 35.000 équivalents temps plein, selon la Fédération Hospitalière de France) correspondrait ainsi à peu près à 8.000 postes de fonctionnaires gelés chaque année depuis trois ou quatre ans.

De surcroît, les budgets hospitaliers doivent prendre en compte les effets des mesures décidées au niveau national en faveur de la fonction publique.

Enfin, les hospitaliers estiment que l'hôpital supporte une charge croissante liée à des prestations purement ou partiellement sociales, qui ne sont jamais prises en considération au moment de la fixation du taux directeur. Celles-ci seraient particulièrement importantes dans les secteurs des urgences et du long séjour (personnes âgées).

c) Les cliniques privées font valoir un important effort de restructuration et craignent d'être moins bien loties que l'hôpital

Une récente étude de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (« Évolution de l'offre de soins hospitaliers en 1994 ») a montré que les trois quart des lits supprimés en 1994 l'ont été dans le secteur privé.

Parallèlement à l'effort de maîtrise des dépenses engagé depuis 1991 s'est en effet opérée une importante restructuration du secteur hospitalier privé. Il la fait valoir aujourd'hui auprès des pouvoirs publics.

Des représentants de ce secteur, entendus par votre rapporteur, ont regretté que le rapport de la Commission des comptes de septembre 1996 semble opérer une pré-répartition de l'enveloppe assurance maladie pour 1997 avant même son adoption par le Parlement.

Ce rapport estime en effet à 2,5 % le taux de progression tendanciel (voire « inéluctable ») de l'hospitalisation publique alors qu'il prévoit une augmentation à peine supérieure à 1 % pour le secteur privé... (On rappellera que l'article 4 du présent projet de loi fixe à 1,7 % l'objectif applicable à l'ensemble des dépenses d'assurance maladie).

d) En bout de chaîne, les officinaux craignent de faire les frais de toutes les mesures appliquées en amont

Les pharmaciens d'officine ne sont pas les moins inquiets de leur sort par rapport à celui des autres professions de santé.

Non encadrés pour l'instant par un dispositif de maîtrise particulier, ils subissent en revanche les conséquences d'autres accords, tel que l'accord cadre État-SNIP ou la convention médicale.

Aux termes de l'accord État-SNIP, le prix moyen des spécialités remboursables tend à augmenter en contrepartie de la promotion du « bon usage » du médicament (modération des volumes). Et la convention médicale a mis en place des références médicales opposables et un objectif de prescriptions opposable aux médecins, mesures tendant elles aussi à freiner la consommation de médicaments remboursables.

Cette évolution (augmentation du prix moyen, modération des volumes) n'est pas considérée comme favorable par les pharmaciens compte tenu de leur mode de rémunération (marge dégressive).

De surcroît, l'augmentation du prix moyen semble se traduire par une déformation de la structure des prix, avec le développement des médicaments innovants de plus en plus chers et, à l'opposé, de génériques à prix très bas.

C'est pourquoi les pharmaciens semblent très intéressés par une négociation entreprise récemment avec les pouvoirs publics (« Ateliers de l'officine ») visant à mettre à plat l'ensemble des conditions d'exercice.

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