C. L'ENCADREMENT DE LA COMPETITION FISCALE INTERNATIONALE

La compétition fiscale internationale n'est pas par principe une mauvaise chose.

Mais, sa logique propre est dangereuse si, se traduisant par des surenchères, elle aboutit à priver les Etats de la possibilité de financer les biens publics ou à surtaxer certains revenus en exonérant plus ou moins complètement les revenus mobiles.

Il est extrêmement ardu de faire le tri entre les phénomènes de compétition fiscale acceptables et ceux qui ne le sont pas.

A ce stade de l'analyse, une chose est sûre : les régimes fiscaux favorisant l'évasion ou la fraude fiscale ne sont pas admissibles.

Mais, dans ce domaine il faut savoir distinguer la responsabilité des régimes fiscaux de celle des agents qui pratiquent l'optimisation fiscale.

On reconnaîtra alors que deux questions différentes se posent :

- celle de l'opportunité de réduire les écarts fiscaux entre Etats ;

- celle des mesures à prendre pour prévenir une utilisation par les agents économiques de ces écarts si elle n'est pas jugée désirable.

Ces deux questions renvoient clairement au problème de savoir comment organiser la compétition fiscale internationale et en particulier si une coopération internationale n'est pas nécessaire pour cela.

1. Les mesures de protection contre l'évasion et la fraude fiscale internationale en droit interne : une efficacité limitée

a) Les mesures disponibles...

1. L'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

L'article L. 64 du livre des procédures fiscales est le fondement légal de la procédure de répression des abus de droit.

Il dispose que "les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention" ne peuvent être opposés à l'administration, qui est alors "en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse".

De portée très générale, la procédure peut être utilisée pour lutter contre l'évasion fiscale internationale.

2. La lutte contre la manipulation des prix de transferts.

L'article 57 du Code général des impôts, récemment modifié, dispose que "pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France.

La condition de dépendance ou de contrôle n'est pas exigée lorsque le transfert s'effectue avec des entreprises établies dans un Etat étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens du deuxième alinéa de l'article 238 A.

En cas de défaut de réponse à la demande faite en application de l'article L. 13 B du livre des procédures fiscales, les bases d'imposition concernées par la demande sont évaluées par l'administration à partir des éléments dont elle dispose et en suivant la procédure contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 du même livre (Ces dispositions s'appliquent aux contrôles engagés à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 publiée au J.O. du 13).

A défaut d'éléments précis pour opérer les redressements prévus aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement."

Il s'agit de lutter contre les possibilités offertes à des entités dépendantes de localiser leurs bénéfices dans les pays où elles sont implantées à fiscalité relativement légère par des procédés de manipulation des prix des opérations réalisées entre elles.

3. La lutte contre l'évasion par la localisation de structures dans des Etats à fiscalité privilégiée

L'article 238 A du Code général des impôts prévoit que certaines sommes, payées ou dues par une personne résidant en France à des personnes domiciliées ou établies dans un Etat ou un territoire situé hors de France, et qui y bénéficient d'un régime fiscal privilégié, ne sont admises comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que ces dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié si elles ne sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France.

Ce dispositif qui vise un large champ de charges (intérêts, redevances...) s'applique tant en matière d'impôt sur les sociétés qu'en matière d'impôt sur le revenu.

Il représente une première arme anti "paradis fiscaux" et permet de combattre des transferts de bénéfices ou de revenus vers les pays à fiscalité privilégiée par l'intermédiaire de versements correspondants à des charges fictives ou anormalement évaluées.

4. La lutte contre l'évasion fiscale mettant en jeu des sociétés étrangères dépendantes

L'article 209-B du CGI est la deuxième arme anti "paradis fiscaux".

Il a pour objet de dissuader les entreprises françaises de localiser leurs bénéfices dans des pays ou territoires à fiscalité privilégiée et de combattre certains abus nés de l'application combinée des règles de territorialité en matière d'impôt sur les sociétés et du régime des sociétés-mères et filiales prévu par les articles 145 et 216 du CGI.

Il dispose que, sous certaines réserves, l'entreprise française est soumise à l'impôt sur les sociétés sur les résultats bénéficiaires de la société établie dans un pays ou territoire à fiscalité privilégiée, dans la proportion des droits sociaux qu'elle y détient.

b) ... sont d'une efficacité limitée :

(1) Des procédures qui ne corrigent que les abus

Qu'il s'agisse de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, ou des articles 57, 238 A et 209 B du Code général des impôts, les situations visées ne sont que des situations où un abus, une simulation ou une dissimulation sont en cause.

Les exceptions apportées au principe de territorialité de l'impôt ne sont donc justifiées que par l'existence de pratiques fictives destinées à délocaliser la base imposable.

Aucun des dispositifs examinés n'est utilisable lorsque la délocalisation de la base imposable correspond à des opérations réelles même lorsque celles-ci sont menées vers des "paradis fiscaux".

Ils ne permettent donc que de lutter contre une dégradation fiscale artificielle.

(2) Des procédures rarement utilisées... :

Résultats du contrôle fiscal au titre de l'article 57 du CGI

(1) Estimation obtenue à partir du montant de base.

Source : direction générale des impôts.

Le 13ème rapport du Conseil des impôts relevait à propos de l'application de l'article 57 du CGI qu'on pouvait observer "une assez forte augmentation des montants en base au cours de l'année 1992 mais une stabilité, sur la période 1988-1992, du nombre d'opérations ayant donné lieu à des redressements sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts". Il estimait le montant total des redressements entre 200 et 500 millions de francs environ. Il comparaît ces chiffres à ceux de l'IRS américain pour 1992 : 1,3 milliard de dollars de redressements envisagés (soit environ 7,2 milliards de francs). Il concluait : "Au regard de ces résultats, les redressements opérés en France au titre de l'article 57, s'ils ne sont pas d'un montant négligeable, n'en apparaissent pas moins modestes".

Résultats du contrôle fiscal au titre de l'article 238-A du CGI

(en millions de francs courants)

(1) Estimation.

Source : direction générale des impôts.

Le même rapport du Conseil des impôts notait à propos de l'application de l'article 238-A : "Les redressements sont rares et leur montant, en base, faible. Pour l'année 1992, le montant en droit des redressements, au titre de cet article, peut être estimé à la modeste somme de 8 MF" .

Résultat du contrôle fiscal au titre de l'article 209-B du CGI

(1) Estimation

Source : direction générale des impôts.

L'application de l'article 209-B suscitait les mêmes commentaires : "Le nombre d'opérations effectuées, ainsi que le montant des redressements opérés, apparaissent modestes".

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