INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 a introduit un titre II dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, pour réglementer la consultation en matière juridique et la rédaction d'actes sous seing privé.

Ce dispositif a pour objet de garantir aux consommateurs la qualité des prestations juridiques qui leur sont fournies en exigeant des personnes qui exercent le droit à titre habituel et rémunéré, qu'elles soient titulaires " d'une licence en droit ou d'un titre ou diplôme reconnu comme équivalent ", qu'elles exercent le droit à titre principal ou à titre accessoire de leur activité.

L'entrée en vigueur de la condition de diplôme ou de titre est subordonnée à la publication d'un arrêté conjoint du garde des sceaux et du ministre chargé des universités fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la licence en droit. A défaut d'arrêté publié au 1er janvier 1996, la licence en droit deviendrait le seul diplôme permettant l'exercice du droit.

Faute d'être en mesure de publier l'arrêté avant cette date mais s'engageant à le faire dans les premières semaines de l'année 1996, le Gouvernement a demandé au Parlement de reporter l'entrée en vigueur de la condition de diplôme. Après que le Sénat eut formulé ses réticences, le report a été fixé au 31 décembre 1996.

Toutefois, devant l'impossibilité de dégager un consensus sur son projet d'arrêté, le Gouvernement a sollicité un nouveau report, finalement fixé au 1er juillet 1997 sur la suggestion de notre collègue M. Patrice Gélard reprise par la commission des Lois, afin de permettre l'examen d'une nouvelle rédaction de la condition de compétence, sur le fondement de la proposition de loi présentée par notre collègue député, M. Marcel Porcher.

Adoptée par l'Assemblée nationale le 19 décembre 1996, c'est cette proposition de loi qui est aujourd'hui soumise au Sénat.

Dans la rédaction finalement votée par les députés, le renvoi à des titres ou diplômes reconnus comme équivalents de la licence en droit est remplacé par la référence à " une compétence juridique appropriée à l'activité professionnelle pour laquelle " la personne " est autorisée à pratiquer la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique ".

Cette compétence est présumée pour les professions du droit (avocats, notaires, huissiers..., visés aux articles 56 et 57 de la loi de 1971 introduits en 1990) ; elle résulte des textes les régissant pour les activités réglementées (architectes, experts-comptables..., visés par l'article 59) qui exercent le droit à titre accessoire.

Pour les autres professionnels autorisés à exercer le droit à titre accessoire de leur activité principale (ingénieurs-conseils, économistes de la construction, conseils en gestion de patrimoine..., visés à l'article 60 et associations ou organismes mentionnés aux articles 61 et 63 à 66), elle résulte de l'agrément accordé à cette activité par un arrêté pris après avis d'une commission ad hoc composée de membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes ainsi que d'un professeur des universités.

L'entrée en vigueur de la condition de diplôme ou, à défaut, de compétence juridique appropriée est repoussée au 1er janvier 1998 afin de permettre à la commission de formuler ses avis.

Enfin, l'Assemblée nationale a souhaité apporter deux autres modifications à la loi de 1971, l'une pour élargir à tout rédacteur d'un acte sous seing privé l'obligation de faire figurer son nom dans l'acte (article 62 de la loi de 1971), l'autre pour préciser la portée du secret professionnel auquel sont soumis les avocats (article 66-5 de la loi de 1971).

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Votre commission des Lois a examiné ce dispositif avec le plus grand soin tant elle est soucieuse, dans la ligne de ses préoccupations de 1990, que les consommateurs puissent avoir la garantie que les professionnels auxquels ils s'adressent pour des conseils juridiques ou la rédaction d'actes sous seing privé ont les compétences juridiques appropriées.

Si elle se félicite de l'initiative prise par M. Porcher pour dénouer une situation de blocage persistant, elle regrette toutefois que le Gouvernement ne se soit pas mis en mesure de publier l'arrêté initialement prévu. Contrairement à ce qu'affirme le rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, le texte adopté en 1990 n'est pas inapplicable dès lors que l'on veut bien le lire pour ce qu'il est. En effet, il ne s'agit pas de dire que des titres ou diplômes constituent, de manière générale, au sens universitaire, des équivalences de la licence en droit, mais de fixer la liste des titres ou diplômes garantissant que leurs titulaires ont fait preuve de connaissances équivalant à celles qui s'attachent à la licence en droit pour l'exercice des prestations juridiques qu'ils sont en droit de fournir.

Quoiqu'il en soit, il est heureux qu'une solution soit en vue. Votre commission des Lois s'est donc simplement efforcée de clarifier la rédaction du dispositif adopté par l'Assemblée nationale sans en modifier substantiellement l'équilibre d'ensemble.

Quant aux deux dispositions additionnelles, elle vous propose de les approuver ; la première dans la mesure où elle conforte la sécurité du consommateur, la seconde parce qu'elle explicite la portée du secret professionnel protégeant les personnes qui sollicitent le conseil ou la défense d'un avocat.

I. L'EXERCICE DU DROIT (ART. PREMIER, 2 ET 3)

A. LE TEXTE ACTUEL ET LES DIFFICULTÉS DE SA MISE EN OEUVRE

L'exercice du droit, défini par la loi de 1990 comme la consultation en matière juridique et la rédaction d'actes sous seing privé, est soumis à quatre conditions cumulatives :

- il est réservé à des professionnels compétents en matière juridique , que le droit soit exercé à titre principal ou à titre accessoire (1° de l'article 54 introduit par la loi de 1990) ;

- il est réservé à des professionnels honorables (2° à 4° de l'article 54) ;

- il ne peut l'être que par des professionnels dont l'activité est limitativement mentionnée aux articles 56 et suivants de la loi de 1971 et dans les limites et conditions que ceux-ci prévoient (5° de l'article 54) ;

- il ne peut l'être que par des professionnels titulaires d'une assurance civile professionnelle et présentant une garantie financière appropriée (article 55).

L'exercice illégal du droit est sanctionnable à un double titre, soit sur le terrain de la responsabilité pénale, les articles 72 et suivants de la loi de 1971 le punissant d'une amende de 30.000 francs et, en cas de récidive, d'une amende de 60.000 francs et d'un emprisonnement de six mois, soit sur celui de la responsabilité civile.

Si la condition de moralité est traditionnelle et si celle d'assurance et de garantie financière ne soulève pas de difficultés particulières, la condition de compétence et celle de respect du périmètre autorisé méritent d'être examinées avec plus de précision car elles sont au coeur de la difficulté à laquelle la proposition de loi soumise à notre examen s'efforce de porter remède.

1. La compétence pour exercer

a) L'exigence d'une licence en droit ou d'un titre ou diplôme équivalent

Aux termes du deuxième alinéa (1°) de l'article 54 de la loi de 1971, toute personne qui donne des consultations juridiques ou rédige des actes sous seing privé, à titre habituel et rémunéré, directement ou par personne interposée, doit être titulaire d'une licence en droit ou d'un titre ou diplôme reconnu comme équivalent par arrêté conjoint du garde des sceaux et du ministre chargé des universités.

En 1990, cette condition de compétence, qui ne figurait pas dans le projet de loi initial, avait fait l'objet de discussions animées, l'Assemblée nationale ayant estimé, en première lecture, contre l'avis de sa commission des Lois mais avec l'appui du Gouvernement, qu'une telle exigence devait être écartée.

Le Sénat l'a introduite. S'exprimant au nom de la commission des Lois, votre rapporteur a en effet estimé que le projet de loi initial n'offrait pas suffisamment de garanties aux usagers en ne posant pas une telle exigence.

En deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le Garde des sceaux a demandé la suppression de la condition de compétence en faisant valoir que " certains professionnels dont l'activité n'est pas en principe de nature juridique, mais à qui la loi a reconnu la faculté de fournir certaines prestations juridiques accessoires à leur activité principale, ... ont une spécialisation et une connaissance très " pointue ", très fine, des problèmes juridiques directement liés à l'objet de leur métier ... (mais qu'ils) ne possèdent généralement pas la licence en droit ".

Le rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale et votre rapporteur ayant successivement indiqué qu'en pareils cas, il y aurait matière à rechercher des compétences juridiques équivalentes, les deux assemblées ont finalement retenu la condition générale de licence en droit ou de diplôme ou titre équivalent.

Reste à savoir quelle en est l'exacte portée. Faut-il, selon une approche universitaire restrictive, considérer que l'équivalent de la licence en droit ne peut être qu'un diplôme juridique de niveau supérieur comme un diplôme d'études approfondies ou un doctorat en droit ? Certes non ! Les débats de 1990 le montrent : il s'agit de s'assurer d'une compétence juridique suffisante pour l'exercice des prestations juridiques dont la loi autorise l'exécution à certains professionnels, dans un cadre quelle détermine ou auquel elle renvoie.

Autrement, dit, le professionnel du droit, titulaire ou non de la licence en droit, peut exercer sa profession d'avocat, de notaire, d'huissier, etc..., dans les conditions prévues par les textes régissant cette profession, dès lors qu'il répond aux exigences d'accès à cette profession et en respecte les conditions d'exercice.

S'agissant des professionnels autorisés à exercer le droit à titre accessoire, le législateur entend s'assurer de leur compétence. Il confie donc au pouvoir réglementaire le soin de la vérifier et d'établir la liste des titres ou diplômes dont l'obtention suppose une formation et des compétences juridiques appropriées à l'exercice des prestations juridiques que ces professionnels sont autorisés à fournir.

On observera d'ailleurs que telle est bien l'analyse développée par notre collègue, M. Marcel Porcher, dont la démarche s'inscrit tout à fait dans le respect des intentions du législateur de 1990.

b) L'arrêté fixant la liste des titres ou diplômes équivalents de la licence en droit

Restait donc à établir la liste des titres ou diplôme équivalents de la licence en droit, dans l'esprit rappelé ci-dessus. Or, en dépit du délai de cinq ans prévu par le législateur pour permettre aux professionnels d'acquérir, le cas échéant, la compétence juridique leur faisant défaut, et au pouvoir réglementaire de conduire une bonne concertation avec les professions et activités concernées, le Gouvernement n'est pas parvenu à établir cet arrêté.

Sans chercher à défendre ici un texte dont la formulation est jugée maladroite par certains, on observera que le pouvoir réglementaire n'a pas pu assumer ses responsabilités. Le Garde des sceaux ne l'a d'ailleurs pas nié en décembre 1995 lorsqu'il a demandé au Parlement, dans le cadre de l'examen du projet de loi modifiant le mode de désignation du Conseil national des barreaux, de proroger de quatre nouvelles années le délai d'entrée en vigueur de la condition de compétence afin, précisait-il, de permettre à ceux qui ne pourraient se prévaloir de l'arrêté, de passer une licence en droit.

A cette époque, le Garde des sceaux n'a donc pas invoqué à l'appui de sa demande de report des arguments de fond stigmatisant un dispositif que M. Porcher qualifie pourtant aujourd'hui d'" inapplicable " dans le rapport qu'il a présenté au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale. Bien plus, il prenait l'engagement de publier l'arrêté dans les premiers jours de l'année 1996, c'est pourquoi le Sénat, reprenant un suggestion de notre collègue, M. Michel Dreyfus-Schmidt, acceptait finalement de proroger d'un an, jusqu'au 31 décembre 1996, le délai d'entrée en vigueur de la condition de compétence.

Un projet d'arrêté a effectivement été élaboré mais qui ne fut jamais signé faute d'un consensus suffisant parmi les professionnels concernés. C'est pourquoi, dans le cadre manifestement inapproprié de l'examen d'un projet de loi relatif à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire, le Gouvernement, espérant cette fois que l'examen de la proposition de loi déposée le même jour par M. Porcher, permettrait de sortir de cette impasse, sollicitait un nouveau délai d'un an, ramené par le Sénat à six mois, soit au 1er juillet 1997, sur proposition de notre collègue M. Patrice Gélard.

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