PREMIÈRE PARTIE

L'ORGANISATION DE LA PROCÉDURE CRIMINELLE

Lors de la création, en 1791, du tribunal criminel (qui deviendra la cour d'assises en 1808), une justification théorique peut être trouvée à l'absence d'appel de ses jugements dans le concept naissant et omniprésent de la souveraineté nationale : le jury, organe d'expression de la Nation, déciderait si les faits reprochés à l'accusé sont ou non avérés, les magistrats se limitant ensuite à appliquer la loi au verdict. Celui-ci ne saurait être contesté car la souveraineté, infaillible, ne peut errer.

En réalité, c'est aussi, et même surtout, le souci de réagir contre la justice de l'Ancien Régime, marquée par la prépotence des magistrats, qui explique l'organisation et les principes de la procédure criminelle choisis par le Constituant : l'absence d'appel, l'oralité des débats, la non-motivation des décisions. Ces principes régissent encore aujourd'hui la procédure criminelle ; en revanche, l'organisation de la cour d'assises elle-même, tout particulièrement en ce qui concerne la composition et les attributions du jury, a profondément évolué aux XIXe et XXe siècles.

I. LA PÉRENNITÉ DES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE CRIMINELLE

Deux séries de principes régissent aujourd'hui la procédure criminelle :

- la première a trait à l'organisation générale de cette procédure : il s'agit de l'absence de double degré de juridiction ;

- la seconde concerne la procédure devant la cour d'assises, le procès criminel proprement dit : elle comprend notamment les principes de l'oralité et de l'unité des débats, de l'intime conviction et de l'absence de motivation.

Ces principes, énoncés dès 1791, ont perduré en dépit de l'évolution de la cour d'assises depuis deux siècles.

A. L'ABSENCE D'APPEL DU JUGEMENT CRIMINEL : LE MYTHE DE L'INFAILLIBILITÉ POPULAIRE

L'institution d'un jury criminel par le Constituant ne s'explique pas uniquement, loin de là, par le sentiment d'anglomanie à la mode en 1791.

Certes, le jury anglais avait profondément marqué Voltaire et Montesquieu, lequel avait écrit que la puissance de juger devait être confiée " à des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l'année (...) pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert ".

Mais le véritable inspirateur de la Constituante fut Rousseau et le jury (que Sieyès proposait d'ailleurs d'appeler " juri "), résurgence d'une institution de la Grèce et de la Rome antiques, fut moins créé au nom du droit à être jugé par ses pairs (qui pouvait d'ailleurs rappeler la justice féodale) qu'au nom de la liberté, de la citoyenneté et, plus généralement, de la souveraineté, transférée du Roi à la Nation.

Tous les pouvoirs, y compris le judiciaire, émanent de la Nation, à tel point que les juges sont élus. C'est à eux qu'il appartient de dire le droit, car, selon la formule de Duport " si tout homme est bon pour éclairer un fait, il n'en est pas de même pour appliquer la loi " ; mais c'est au jury qu'il revient de se prononcer souverainement sur la culpabilité de l'accusé.

La Constituante pose ainsi le principe fondamental de la séparation du fait et du droit , dont le principal théoricien fut Duport. Dès mars 1790, celui-ci déclarait : " il faut redouter l'esprit de corps qui se forme par opposition à l'esprit général de la société. La véritable perfection de l'administration de la justice est de rendre impossible la réunion des hommes sur un préjugé : ainsi, il est nécessaire d'avoir des jurés pour le fait et des juges pour l'application de la loi ".

La Constitution du 3 septembre 1791 traduira cette conception en prévoyant l'institution d'un jury de jugement : " En matière criminelle, nul citoyen ne peut être jugé que sur une accusation reçue par des jurés, ou décrêtée par le Corps législatif, dans les cas où il lui appartient de poursuivre l'accusation. Après l'accusation admise, le fait sera reconnu et déclaré par des jurés. L'accusé aura la faculté d'en récuser jusqu'à vingt, sans donner de motifs. Les jurés qui déclareront le fait ne pourront être au-dessous du nombre de douze. L'application de la loi sera faite par des juges ".

Juridiction populaire, le tribunal criminel (qui deviendra la cour d'assises en 1808) rendra donc des verdicts qui, considérés comme l'expression de la souveraineté, seront marqués de manière définitive du sceau de la vérité .

L'absence d'appel en matière criminelle trouve donc en 1791 un fondement théorique dans l'institution du jury comme émanation, dans le domaine judiciaire, de la souveraineté de la Nation.

Toutefois, dès l'origine, ce fondement apparaît quelque peu ambigu dans la mesure où la distinction entre le fait et le droit se révèle d'ordre plus politique que juridique : le jury est dans une large mesure considéré comme un contre-pouvoir du magistrat ; il participe du souci des constituants de réagir contre les excès de la justice de l'Ancien Régime, contre le pouvoir des anciens Parlements.

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