V. LA SFP

Cette société créée par la loi du 7 août 1974 n'est pas née sous une bonne étoile. Très tôt, il était évident que la société aura du mal à accomplir la mission qui lui est assignée : réaliser des productions en film et en vidéo et de les commercialiser, notamment auprès des sociétés de programmes.

Déjà en 1978, votre rapporteur posait, en qualité de rapporteur d'une commission d'enquête sur les conditions financières dans lesquelles sont produites les programmes des sociétés nationales de télévision, la question en ces termes : comment cette société a-t-elle pu être amenée à une situation de faillite virtuelle ? Elle avait déjà, en trois ans, accumulé pour 236 millions de pertes.

Les raisons de cet échec sont multiples : pas de capital -car les apports avaient été faits en nature- et donc -dès la création- des charges financières très importantes, des coûts de production élevés dus notamment à un appareil de production orienté vers la fiction lourde, une politique ambitieuse sinon hasardeuse. C'était une mission impossible, d'autant plus que les garanties de débouchés auprès de chaînes étaient rapidement dégressives.

Dès le départ, il était clair que la SFP ne pouvait pas faire face, en dépit de son capital de compétences, à la concurrence des sociétés privées, plus souples, plus adaptables et surtout dépourvues de ces coûts fixes qui handicapent la société publique.

Si votre rapporteur revient ainsi en arrière, c'est pour souligner que la crise actuelle était prévisible et d'ailleurs annoncée.

La responsabilité en incombe aux Gouvernements successifs qui ont laissé la SFP accumuler les pertes pour aboutir à l'issue de multiples péripéties à une situation quasi inextricable où tout se cumule pour enfoncer un peu plus cette société dans la crise : négligence des Gouvernements, attentisme des clients, menaces enfin de Bruxelles, inquiet de voir les autorités françaises engouffrer autant d'argent dans ce qui est actuellement un puits sans fond.

Votre rapporteur ne peut donc vous relater qu'un triste feuilleton - dont on espère ne pas deviner la fin - où la réalité dépasse la fiction.

* L'échec du processus de privatisation

La procédure de privatisation a été lancée en application des articles 52 et 53 de la loi du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier et précisée par les décrets d'application du 16 juillet 1996.

Des contacts ont été pris avec des investisseurs français et étrangers susceptibles d'être intéressés par une reprise de la SFP. (Global Studios de Walter Butler, Convoy (LBO), Cressant, Havas/Générale des Eaux).

Le Gouvernement avait finalement marqué sa préférence pour l'offre de reprise de Havas/Générale des Eaux.

Les repreneurs ont rencontré le personnel de l'entreprise. Ces rencontres ont permis aux repreneurs de présenter leur projet et au personnel de donner son avis sur celui-ci.

A l'issue de la consultation du personnel organisé le 27 mars, une large majorité du personnel a exprimé son désaccord sur la clause sociale du plan de reprise.

" A la suite du retrait de l'offre d'acquisition déposée par Havas/Générale des Eaux, le Gouvernement a décidé de suspendre le processus de privatisation de la SFP et de mettre fin à la procédure de recueil d'offres d'acquisitions qu'il avait engagée en juillet 1996. Les offres qui ont été déposées dans le cadre de cette procédure sont donc caduques " (communiqué du 30 avril 1997).

Votre rapporteur estime que si le redressement de l'entreprise ne peut se faire sans la confiance et l'adhésion du personnel ; il n'est pas de bonne méthode de demander avis conforme sur le choix du repreneur. Il y a là un mélange des genres qui ne peut qu'aboutir à la confusion des responsabilités qui n'est pas de nature à faciliter la nécessaire restructuration de l'entreprise.

Le nouveau Gouvernement se trouve face au dossier alors que de nouvelles suppressions d'emplois semblent inévitables. Des 3 000 emplois que comptait à ses débuts la SFP, il n'en reste déjà plus que 1 000.

Tous les plans de reprise comportaient entre 300 et 400 suppressions d'emplois, le plan qu'aurait proposé le président-directeur général de l'époque, M. Jacques-Louis Bayle, après l'arrêt du processus de privatisation prévoyait également la diminution par deux de la masse salariale, par le jeu de suppressions de postes et de départs à la retraite.

En attendant, les déficits s'accumulent et Bruxelles commence à surveiller de près une aide de l'Etat qui, en quelques années, a déjà atteint plus de 2,5 milliards de francs. La Commission qui a entamé une aide d'urgence de 350 millions de francs a ouvert une procédure à l'encontre de la France pour le remboursement de 1,134 milliard de francs.

* Résultats 1996 et perspectives 1997

Le tableau ci-après, qui retrace les résultats de la société depuis 1993, se passe presque de commentaires : des chiffres d'affaires en baisse constante, des déficits d'exploitation qui ont tendance à fluctuer entre 150 et 200 millions.

En 1996, les comptes du groupe, se traduisent par un résultat net (part du groupe) déficitaire de 232 millions (dont 46 millions de provisions pour départs) contre une perte de 271 millions en 1995 ainsi qu'un chiffre d'affaires (incluant les productions immobilisées, les stocks et le compte de soutien) de 713 millions contre 818 millions en 1995 . Le chiffre d'affaires brut est de 531 millions, contre 646 millions en 1995. Le résultat courant de la SFP s'élève à 180 millions et le résultat d'exploitation à 150 millions.

Votre rapporteur a certaines raisons de penser que par suite des incertitudes sur l'avenir commercial de la société les résultats seront encore plus mauvais que prévus.

* L'abandon de la privatisation

Au début octobre, le ministère de la Culture et de la Communication fait connaître sa décision : " le processus de privatisation de la Société Française de Production, lancé en avril 1996 par le précédent Gouvernement, provisoirement suspendu en raison de son échec en avril 1997, est définitivement abandonné ".

Mais, les problèmes ne sont pas résolus pour autant. Bruxelles veille, tandis que les dures réalités financières et commerciales persistent.

GROUPE SFP

 
 
 
 
 
 
 
 

RESULTAT PREVISIONNEL 1997 CONSOLIDE DU GROUPE SFP

 
 
 
 
 

(a)

(b)

(b)

(en millions de francs)

 
 
 
 
 

(c)

(c)

 
 
 
 

1993

Réel

1994

Réel

1995

Réel

1996

budget

1996

Réel

1997

budget

Chiffres d'affaires

 
 

661,50

650,30

646,10

526,90

531,10

499,50

Variation de la production stockée

 
 

(8,1)

2,10

(35,7)

5,30

16,90

0,00

Production immobilisée

 
 

173,80

186,10

111,70

121,60

126,30

64,10

Autres produits

 
 

16,00

10,50

11,40

3,00

9,70

3,80

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Total de l'activité

 
 

843,20

849,00

733,50

656,80

684,00

567,40

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Subventions (compte de soutien)

 
 

104,20

85,70

84,30

43,40

29,50

57,80

Reprises de provisions et transferts

 
 

41,60

55,10

45,10

5,50

24,30

0,00

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Produits d'exploitation

 
 

989,00

989,80

862,90

705,70

737,80

625,20

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Achats, services extérieurs

 
 

254,70

266,90

211,80

207,60

204,40

165,70

Impôts et taxes

 
 

34,00

34,00

33,90

24,60

33,00

22,80

Frais de personnel

 
 

510,70

472,00

480,90

460,80

438,10

412,20

Dotations aux amortissements

 
 

274,00

259,50

222,20

168,60

155,20

179,60

Dotations aux provisions

 
 

53,30

44,60

63,30

4,40

50,80

6,40

Autres charges d'exploitation

 
 

14,00

22,50

17,30

0,00

11,80

0,00

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Total des charges d'exploitation

 
 

1140,70

1099,50

1029,40

866,00

893,30

786,70

 
 
 
 
 
 
 
 
 

RESULTAT D'EXPLOITATION

 
 

(151,7)

(109,7)

(166,5)

(160,3)

(155,5)

(161,5)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Produits financiers

 
 

2,80

7,90

5,60

0,00

4,90

0,00

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Charges financières

 
 

(65,0)

(40,7)

(38,2)

(23,9)

(29,6)

(8,8)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

RESULTAT FINANCIER

 
 

(62,2)

(32,8)

(32,6)

(23,9)

(24,7)

(8,8)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

RESULTAT COURANT

 
 

(213,9)

(142,5)

(199,1)

(184,2)

(180,2)

(170,3)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Produits exceptionnels

 
 

167,50

54,00

50,20

6,00

21,50

0,00

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Charges exceptionnelles

 
 

(140,0)

(65,6)

(131,2)

(1,8)

(67,4)

(8,4)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

RESULTAT EXCEPTIONNEL

 
 

27,50

(11,6)

(81,0)

4,20

(45,9)

(8,4)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Amortissements des écarts d'acq

 
 

(32,0)

(1,5)

(1,5)

(1,5)

(6,7)

(1,5)

Impôt sur les sociétés

 
 

(0,5)

(0,4)

(0,5)

0,00

(0,4)

0,00

 
 
 
 
 
 
 
 
 

RESULTAT NET

 
 

(218,9)

(156,0)

(282,1)

(181,5)

(233,2)

(180,2)

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Part des minoritaires

 
 

(6,1)

(6,3)

(11,3)

 

(1,0)

 

Part du groupe

 
 

(212,8)

(149,7)

(270,8)

(181,5)

(232,2)

(180,2)

 
 
 
 
 
 
 
 

08/04/1997

(a) résultats agrégés hors retraitements de consolidation

 
 
 
 
 
 
 
 

(b) résultats agrégés avec retraitements de consolidation significatifs (indemnités de retraite,...)

 
 
 
 
 
 
 
 

(c) conseil du 30 avril 1996

 
 
 
 
 
 
 
 

(d) conseil du 18 avril 1997

 
 
 
 
 
 
 
 

Le 30 septembre le ministère a dû plaider la cause de la société auprès de M. Karl Van Miert, commissaire européen chargé de la concurrence. Celui-ci, qui ne pratique pas la langue de bois, a répété en substance devant la Commission des finances du Sénat ce qu'il avait dit quelques jours plus tôt devant des journalistes :

Qualifiant la société publique de " serpent de mer ", le Commissaire européen a remarqué que la Commission assistait, " depuis des années ", à une " procession de ministre français " et que aucun des engagements tenus n'avaient été respectés, notamment concernant la privatisation. " Après tant d'engagements non tenus, il y a des limites à tout " a affirmé M. Karl Van Miert. " Les pertes sont telles que comment trouver la viabilité sans tailler dans le vif ? " s'interroge-t-il tout en insistant sur le mot " draconien ". Sinon, " la commission prendra une décision négative ", annonce-t-il en faisant référence à la demande de remboursement des aides allouées par le Gouvernement à la SFP entre 1993 et 1996, d'un montant de 1,1 milliard de francs. Mme Catherine Trautmann lui ayant signifié, lors de leur dernier entretien, que " la société n'était pas privatisable " , elle a obtenu un délai de 4 semaines pour proposer le plan de restructuration.

Les déclarations de Mme Catherine Trautmann en commission des finances doivent être citées :

" Cette entreprise a une histoire, un savoir-faire, une richesse humaine et technique qui peuvent lui permettre de retrouver une viabilité, de revivre dans un environnement concurrentiel difficile. La SFP a encore une chance de survie, mais il faut agir très vite, à la fois à cause de la situation de l'entreprise, dont je viens de vous parler, et à cause de l'application du droit communautaire de la concurrence, qui interdit de soutenir à coups de subventions ou d'aides diverses une entreprise non rentable dans un secteur concurrentiel ".

La SFP, légitimement fière de ses réalisations passées comme de ses capacités techniques actuelles, ne voit cependant pas que le monde audiovisuel a changé. Elle n'a que peu de moyens pour lutter contre des entreprises à géométrie variable -dont la souplesse n'est pas étrangère à l'existence du régime des intermittents du spectacle- ; elle est, enfin, la victime de la montée des mécanismes de marché qui s'imposent maintenant à tous les producteurs de programmes audiovisuels.

C'est un dossier auquel la commission des finances porte, depuis toujours, un intérêt particulier ; votre rapporteur exprime donc le souhait qu'une solution puisse être trouvée qui permette de sauver cet " outil " sans en faire supporter le coût par les contribuables.

Il y a quelque vingt ans, le 20 mars 1977, la première radio indépendante émettait. Elle était qualifiée de pirate par les uns et de libre par les autres. Une guérilla politique et juridique commençait qui allait aboutir, cinq ans, plus tard, à l'éclatement du monopole. La loi du 29 juillet 1982 disposait, en effet, que " la communication audiovisuelle est libre ". Mais ce principe très libéral ne connut d'application effective et rapide que pour la radio. Celle-ci joua donc un rôle de pionnier dans le processus de libération. Elle continue de le faire dans le domaine des nouvelles technologies, provoquant une évolution des modes de consommation. Il en résulte une certaine inadaptation du mode de régulation prévu par la loi du 30 septembre 1986 dans le secteur de la radio.

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