LES MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT

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Mme Maggy LEROY-HYEST
Médecin conseiller auprès de l'Inspecteur d'Académie, responsable du service de promotion de la santé en faveur des élèves de Seine-Saint-Denis

Mme Maggy LEROY-HYEST .- Je vous remercie tout d'abord de me permettre de témoigner sur l'action de l'école (c'est-à-dire directeurs, chefs d'établissement, enseignants, personnels médico-sociaux) lorsqu'un mineur a révélé qu'il était victime d'un abus sexuel. Mon témoignage essaiera de montrer la situation que nous connaissons et l'amélioration entrevue par le nouveau texte.

En tant que conseiller de l'inspecteur d'académie et responsable du service de promotion de la santé en faveur des élèves, je travaille en Seine-Saint-Denis, qui compte près de 300 000 élèves.

Cette année, les médecins du service ont reçu 1 553 appels pour enfants en danger contre 1 342 l'année précédente, soit une augmentation de 16 %. Il est à noter qu'en cinq ans, il y a eu progression de 43 % des appels, 70 % d'entre eux émanant de l'école (direction et enseignants).

Sur ces 1 553 appels, 82 étaient pour des suspicions d'abus sexuels, soit plus de deux par semaine ; 25 émanaient d'écoles maternelles, 32 d'écoles primaires et 25 du second degré. Nous en connaissons très rarement les suites après signalement.

A partir de ces appels, différents points sont à envisager.

Le premier est le degré de gravité et d'urgence impliquant dans l'immédiat le signalement au procureur et à l'aide sociale à l'enfance, ou la possibilité de se donner le temps de la concertation entre les différents intervenants auprès de l'enfant (je devrais ajouter qu'il peut s'agir aussi bien de la victime que de l'agresseur lorsqu'il s'agit d'un jeune).

Le deuxième point est la situation de l'auteur présumé de l'abus sexuel dans le milieu familial (adulte ou jeune), hors milieu familial (adulte ou jeune) et dans le milieu institutionnel scolaire ou périscolaire (adulte ou jeune). Depuis les toutes dernières années, le nombre de jeunes agressés par d'autres jeunes augmente de manière sensible, voire inquiétante.

Le troisième point est relatif aux circonstances de la révélation.

En Seine-Saint-Denis, plusieurs institutions, dont le Conseil général, l'Inspection académique et la justice, ont mis en place des comités de lutte contre les abus sexuels avec les médecins scolaires et de PMI, des assistantes sociales et les personnels du planning. Ces comités réalisent des séances de prévention dans les écoles et les établissements, soit en prévention banale, soit après agression dans une école où se trouve une jeune victime ou un jeune agresseur.

Il peut arriver que, pendant ou après une séance de prévention de la maltraitance et des abus sexuels, un enfant fasse une révélation à son enseignant, aux animateurs ou aux médecins scolaires. L'enseignant qui assiste à la séance est informé qu'il peut faire appel au médecin scolaire ou aux personnes du comité si un enfant révèle une maltraitance ou un abus sexuel en dehors de cette information.

D'une manière plus générale, la révélation peut se faire à tout moment, le plus souvent à un enseignant ou au chef d'établissement, par la victime elle-même, par ses camarades, la famille ou les voisins.

En cas d'abus sexuel, particulièrement, il est demandé aux enseignants d'écouter l'enfant et de ne pas poser de questions risquant d'induire les réponses. Le soin de l'interrogatoire est, bien évidemment, laissé à la police et à la justice, mais il peut arriver que le personnel enseignant ou d'éducation fasse appel au médecin scolaire pour l'aider dans la rédaction du signalement, pour constater des coups, ou bien parce que l'enseignant a du mal à réaliser le dire indicible de l'enfant.

L'information à la famille, selon la situation, se fait par le chef d'établissement ou directeur d'école, en présence ou non du médecin scolaire ou de l'assistante sociale scolaire.

S'il s'agit d'un cas intra-familial, l'école ne prévient pas la famille et suit les instructions du procureur ou de l'inspecteur de l'aide sociale à l'enfance.

Dans tous les cas où la famille n'est pas impliquée, l'école va expliquer les démarches et les suites possibles. Si le médecin scolaire pense que c'est nécessaire, il propose à la famille de venir le revoir ou de faire suivre l'enfant sur le plan psychologique, avec le souci de ne pas interférer dans l'enquête. Beaucoup de familles de notre département ne connaissent pas bien le monde de la justice.

Quelques situations intra-institutionnelles ont amené les différentes institutions du département à réaliser une plaquette donnant des repères sur la conduite à tenir dans l'établissement scolaire vis-à-vis des enseignants, des autres élèves et de leur famille dans le respect de la loi et de la présomption d'innocence.

Dans la majorité des situations extra-familiales (agression en milieu scolaire ou aux alentours, en centre de loisirs ou autre par un adulte ou un jeune), la victime, les parents, les frères et soeurs et les camarades sont souvent traumatisés, et des interventions urgentes pour écouter et apaiser doivent être mises en place. Ces interventions nécessitent, de la part des médecins scolaires, compétences, disponibilité et expérience.

Actuellement, ces mêmes médecins, qui doivent intervenir dans des situations également traumatisantes de grande violence dans les écoles ou établissements du département, ont du mal à assurer sur leur propre secteur les tâches plus banales mais non moins nécessaires de santé scolaire. Les enfants en danger ou victimes d'abus sexuels sont, pour les médecins scolaires du département, l'une des toutes premières priorités qu'ils ont de plus en plus de difficultés à assumer en raison de l'insuffisance de recrutement.

Autre point à aborder : le signalement étant effectué, les suites données à la situation ne sont plus connues de l'école qui, de ce fait, ne peut plus accompagner efficacement la famille et le jeune. Parfois, la famille souhaite changer d'établissement et quitter le secteur. L'ancienne école ne peut plus aider et la nouvelle n'est pas souvent informée, selon la volonté de la famille. Il me semble que le soutien devrait être complètement extérieur.

Le manque d'accompagnement et de suivi des jeunes victimes interroge les médecins scolaires qui ne peuvent pas intervenir efficacement auprès de ces jeunes dans le cadre de leur mission. L'inquiétude, voire la frustration, des personnels sanitaires et sociaux vient de leur impression de ne pas pouvoir suivre et aider les victimes et leur entourage. Lorsqu'un jeune est agresseur, la situation est aussi difficile, car, souvent, ce jeune a lui-même été victime.

En conclusion, face à ce fléau de la maltraitance et des abus sexuels, il est nécessaire de pouvoir répondre à plusieurs niveaux : prévention, révélation, signalement, accompagnement dans le suivi scolaire et accompagnement avant, après et pendant l'action de la justice. Les quatre premiers éléments relèvent du rôle de l'école ; le dernier n'est plus de notre ressort mais il est essentiel et devrait pourvoir s'articuler avec l'accompagnement du suivi scolaire, si cela est favorable à l'enfant.

La formation des enseignants et des personnels médico-sociaux qui se met en place est à renforcer et à développer pour que chacun contribue, à sa place, à lutter efficacement contre ce fléau.

Par rapport au texte de loi en projet en ce qui concerne les victimes, l'accompagnement me semble tout à fait indispensable pour toutes les familles et les victimes qui en ont besoin, et ce le plus précocement possible.

De même, l'enregistrement de l'interrogatoire des victimes me semble de nature à leur éviter de revivre le traumatisme mais doit s'entourer de grandes garanties, que l'on a évoquées toute cette matinée.

Quant à l'information du chef d'établissement, lorsqu'il s'agit d'agresseurs dans l'enceinte de l'école ou aux alentours, elle me paraît tout à fait indispensable pour aider le jeune, victime ou agresseur, dans sa réinsertion scolaire et dans ses difficultés scolaires éventuelles, mais je laisserai le chef d'établissement en parler en début d'après-midi.

M. le PRESIDENT .- Je vous remercie, Madame, de cet exposé sur votre expérience de terrain. C'est dans un département voisin du mien que cette action est menée et chacun d'entre nous - vous le savez - essaie d'y répondre à l'échelon départemental.

Je ferai une seule remarque. Il est bien certain que le nombre d'affaires signalées tient en partie au fait qu'un tabou qui existait il y a dix ans dans tous les milieux a été levé. A l'école, on n'en parlait pas, les médecins étaient réticents et les informations étaient extrêmement limitées.

Maintenant, faut-il parler de fléau ? C'est sûrement un problème qui existe, mais parler de fléau, c'est grave. En tout cas, si, d'aventure, nous en étions menacés, nous voudrions tout faire pour l'éviter.

M. MAHEAS .- On ne peut pas parler de fléau, mais les chiffres sont quand même significatifs, puisque vous avez vu l'augmentation des cas dans un département comme le nôtre.

Cela dit, il est vrai qu'il y a la conjonction de deux éléments : le fait que, maintenant, on parle plus librement, mais également le fait que certains actes sont constatés alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant.

Je voudrais donc poser une question complémentaire au docteur au sujet de notre projet de loi qui porte sur la prévention et la répression des infractions sexuelles, mais également sur la protection des mineurs. Concernant la protection des mineurs, ce texte parle notamment (et cela intéresse aussi le chef d'établissement) de l'aggravation des peines contre certaines infractions commises en milieu scolaire et, plus particulièrement, dans le domaine des trafics de stupéfiants et des consommations d'alcool, des délits liés à la corruption des mineurs qui se passe à l'intérieur de l'établissement scolaire, mais également à la sortie et à l'entrée de celui-ci.

C'est un problème énorme, mes chers collègues. Celui dont nous avons traité toute la matinée est aussi un problème énorme, mais celui-là est peut-être en train de devenir, effectivement, un fléau.

Je souhaite donc demander au docteur quelles sont les actions possibles. Est-ce que l'Education nationale s'est portée partie civile à certains moments ou ne fait-elle que des signalements ? Nous, élus, nous nous portons rarement partie civile, mais je pense qu'il va falloir qu'on nous en donne la possibilité quand il se passe des choses à la sortie des écoles. Est-ce que, de votre côté, vous avez ce genre d'action typique pour protéger à la fois les jeunes et les enseignants ?

Mme LEROY-HYEST .- Je pense que je laisserai davantage le chef d'établissement répondre à cette question. Il me semble que le partenariat instauré dans notre département est une première réponse. Mais, effectivement, il m'apparaît aussi que les liaisons directes ou les circuits de signalement directs au procureur sont une réponse. Là encore, j'insiste sur le partenariat. C'est dans un tel but que cette action est menée.

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