N° 268

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 février 1998

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l' interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction ,

Par M. Guy PENNE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.

Voir les numéros :

Sénat : 291 (1996-1997), 253 et 254 (1997-1998).

 
Traités et conventions .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi tend à tirer les conséquences, sur notre droit interne, des engagements souscrits par la France en application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction des armes chimiques. Ratifiée par la France le 2 mars 1995 1( * ) , cette convention est entrée en vigueur le 29 avril 1997.

*

* *

Le rôle actif joué par la France dans l'élaboration de la convention sur l'interdiction des armes chimiques illustre l' engagement de la France dans la limitation des armements et la lutte contre la prolifération des armements de destruction massive.

C'est ainsi que, dans le domaine nucléaire , la France a activement participé aux négociations en vue de la conclusion du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT) et s'est engagée en le signant, comme les autres puissances nucléaires, à ne plus procéder à de nouveaux essais.

Dans le même esprit, notre pays souhaite l'adoption d'un traité sur l'arrêt de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires (cut off), et s'est prononcé pour le renforcement des activités de vérification conduites par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Plus concrètement, et sur un plan bilatéral, la France contribue, à travers un programme de coopération avec la Russie dénommé AIDA (Aide au démantèlement des armes nucléaires), à la réduction du nombre des armes nucléaires dans ce pays et à l'utilisation, à des fins civiles, des matières nucléaires issues du démantèlement de ces armes.

De même, notre pays a participé à d'autres initiatives concrètes au niveau régional, participant notamment, sur un plan financier, à la construction, en Corée du Nord, de deux centrales nucléaires civiles en échange du gel du programme nucléaire militaire développé clandestinement par Pyong-Yang.

Les efforts accomplis par la France en vue du renforcement des restrictions à l'emploi des mines antipersonnels s'inscrivent également dans une politique favorable à la non-prolifération et à la maîtrise des armements .

Par ailleurs, la France est favorable à la mise en place d'un système de vérification dans le cadre de la convention de 1972 sur l'interdiction des armes biologiques.

Dans ce contexte, la mise en oeuvre effective de la convention sur l'interdiction des armes chimiques constitue une priorité pour notre pays , décidé à faire preuve du comportement exemplaire qui, dans ce domaine particulièrement sensible, peut seul emporter l'adhésion de pays encore hésitants, et contribuer ainsi à renforcer la sécurité internationale.

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* *

Selon les informations transmises à votre rapporteur, la France, à la date de l'entrée en vigueur de la convention du 13 janvier 1993, remplissait toutes ses obligations relatives à l'interdiction des armes chimiques et des installations de fabrication d'armes et de munitions chimiques. Les obligations définies par le présent projet de loi s'imposent donc en pratique, pour l'essentiel, aux industriels du secteur de la chimie , auxquels il revient de déclarer à l'administration les activités (production, consommation, exportation, importation, commerce et transit) concernant certains produits toxiques susceptibles d'entrer dans la composition d'armes chimiques. Cette spécificité explique que ce projet de loi soit présenté par M. le Ministre délégué à l'Industrie, responsable de l'application de la convention pour l'ensemble des installations civiles, et qu'il ait été renvoyé pour son examen au fond à la commission des Affaires économiques , dont le rapporteur, notre collègue M. Francis Grignon, a présenté un examen très approfondi des dispositions du texte qui nous est soumis.

Le présent projet de loi traite successivement :

- l'interdiction et la destruction des armes chimiques et de leurs installations : ces dispositions ne concernent concrètement que l'élimination des stocks d'armes anciennes collectées, pour l'essentiel, sur les champs de bataille de la guerre de 1914-1918. Les interdictions posées à l'égard des armes chimiques sont supposées, en France, n'avoir qu'une application prospective, en cas d'infraction à la future loi ;

- le régime d'autorisation et de déclaration des produits chimiques et de leurs installations qui incombe aux exploitants, pour que la France puisse honorer ses obligations ;

- la mise en oeuvre des vérifications internationales selon les mécanismes créés par la convention, sous réserve, dans certains cas, de l'intervention du juge, gardien des libertés individuelles ;

- les sanctions dont seraient passibles les éventuels contrevenants aux obligations créées par le présent projet de loi.

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* *

Votre rapporteur saisit l'occasion de l'examen du présent projet de loi pour rappeler le danger que constitue aujourd'hui la prolifération chimique, pour montrer comment la convention du 13 janvier 1993 peut, en dépit d'inévitables limites, constituer une réponse adaptée à ce danger, et pour souligner que les contraintes qui peuvent résulter, notamment pour les industriels concernés, de la transposition, dans notre législation, des obligations souscrites en vertu de l'adhésion à la convention, sont le prix à payer pour être en mesure de promouvoir un contrôle relativement efficace de l'application de la convention sur l'interdiction des armes chimiques.

I. LA MENACE CHIMIQUE À LA FIN DU XXe SIÈCLE : UNE PRÉOCCUPATION MAJEURE.

D'un usage très ancien, les armes chimiques constituent incontestablement, en raison d'une prolifération accélérée depuis les années 1970 et du danger terrorisant qu'elles représentent, un élément de vulnérabilité dans la situation internationale actuelle, même si leur emploi ne paraît pas infaillible dans un contexte strictement militaire.

A. DES ARMES DE TERREUR

Depuis que, au cours de la guerre 1914-1918, les gaz de combat ont fait l'objet du premier emploi systématique de l'histoire de l'humanité, l'usage récurrent d'armes chimiques a, à diverses reprises, apporté une tragique illustration de la forte létalité de ces substances. Relativement faciles techniquement à fabriquer, les armes chimiques sont d'autant plus redoutables qu'il n'existe pas de moyens de défense totalement efficaces contre ce type d'agression.

1. Les armes chimiques dans l'histoire

On peut faire remonter à l'Antiquité l'origine de l'usage des armes chimiques. Ainsi les troupes macédoniennes envoyèrent-elles, à l'aide de soufflets géants remplis de poix et de souffre, des nuages asphyxiants contre les villes assiégées de Platée et Délos, pendant la guerre du Péloponnèse.

Plus près de nous, on raconte que les défenseurs de Belgrade utilisèrent un gaz à base d'arsenic contre les assaillants turcs en 1456, tandis que Byzance avait mis au point le "feu grégeois", sorte de lance-flammes dégageant une fumée suffocante et aveuglante. Il fut également envisagé, pendant la guerre de Sécession, de recourir à des obus contenant un gaz chloré 2( * ) .

C'est néanmoins pendant la guerre de 1914-1918 qu'ont été le plus clairement démontrées les conséquences tragiques de l'usage des gaz de combat. Le nombre total de victimes gazées se serait élevé, au cours de la première guerre, à 1,5 million. 100 000 décès ont été causés par les armes chimiques (pour l'essentiel à base de chlore), auxquelles tous les belligérants avaient alors fini par recourir. En 1918, la plupart des artilleries étaient équipées d'obus chimiques à raison de 25 % environ.

Par la suite, pendant les années 1920 et 1930 , les gaz de combat furent utilisés dans des conflits localisés : par l'Espagne au Maroc, par l'Italie en Ethiopie, par le Japon en Mandchourie, et par le Royaume-Uni en Afghanistan 3( * ) . On relève également, depuis 1945 , plusieurs recours aux armes chimiques : par l'Egypte au Yémen dans les années 1960, par le Vietnam au Laos et au Cambodge, par l'Afrique du Sud contre la SWAPO en 1978, par l'URSS en Afghanistan, par l'Ethiopie en Erythrée, par la Libye au Tchad en 1987, et par Cuba en Angola, en 1985 (1) .

L'usage des armes chimiques a également joué un rôle important dans la guerre Iran-Irak (première utilisation massive et vérifiée de gaz de combat dans le cadre d'un conflit interétatique depuis 1914-1918) et, selon toute vraisemblance, dans le massacre par l'Irak, en 1987-1988, de populations kurdes. Les photographies tragiquement édifiantes des victimes des gaz de combat irakiens produisirent alors dans l'opinion publique internationale une prise de conscience du danger véritablement terrifiant constitué par les armes chimiques.

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