C. UNE ENTRÉE EN VIGUEUR HYPOTHÉTIQUE

La définition des conditions d'entrée en vigueur du traité a été l'une des questions les plus discutées de la négociation. La solution finalement retenue implique la ratification du traité par l'ensemble des pays disposant de capacités nucléaires significatives, privilégiant l'objectif d'universalité du traité. Du même coup, l'entrée en vigueur effective du traité peut être remise en cause par un seul de ces pays. Une interrogation majeure subsiste donc sur l'application effective sans pour autant que les obstacles juridiques apparemment infranchissables permettent d'exclure la réalisation dans les faits, sinon par des moyens de droit, des objectifs du traité.

1. Des conditions d'entrée en vigueur difficiles à réunir

Comme nous l'avons signalé plus haut, le débat sur les conditions d'entrée en vigueur a longuement occupé les négociateurs qui ont finalement opté pour une solution exigeante, estimant que la réalisation de l'objectif du traité impliquait l'adhésion de l'ensemble des pays disposant de capacités nucléaires significatives.

L'article XIV subordonne l'entrée en vigueur du traité à sa ratification par 44 Etats désignés en annexe. Cette liste d'Etats a été établie à partir de deux critères cumulatifs : la qualité de membre de la Conférence du désarmement au 18 juin 1996, date de son élargissement, et la participation aux travaux de sa session de 1996 d'une part, et la possession de réacteurs nucléaires industriels ou de recherche d'autre part.

Cette liste englobe bien entendu les cinq puissances nucléaires et les trois Etats du seuil, l'Inde, le Pakistan et Israël, qui a été inclus dans l'élargissement de la Conférence du désarmement du 18 juin 1996. Elle inclut également la Corée du Nord, concernée par cet élargissement.

Elle exclut en revanche la république fédérative de Yougoslavie qui n'a pas participé à la session de 1996, et l'Irak, qui ne dispose pas de réacteur de puissance ou de recherche (ces derniers ayant été neutralisés).

Les 44 Etats concernés sont les suivants : Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Bangladesh, Belgique, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Chine, Colombie, Egypte, Espagne, Etats-Unis, Russie, Finlande, France, Hongrie, Inde, Indonésie, Iran, Israël, Italie, Japon, Mexique, Norvège, Pakistan, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Corée du Sud, Corée du Nord, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède, Suisse, Turquie, Ukraine, Vietnam et Zaïre.

Sur ces 44 Etats, 41 ont déjà signé le traité , dont les cinq puissances nucléaires reconnues et Israël, qui prend ainsi son premier engagement international dans le domaine nucléaire.

Les trois Etats qui n'ont pas signé le traité sont l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord .

L'Inde a clairement et fermement manifesté son refus de se joindre au traité pour deux raisons de fond et une raison de forme :

- elle considère que le renforcement du régime de non-prolifération doit être lié à un calendrier contraignant de désarmement nucléaire total des puissances nucléaires,

- elle fait valoir ses intérêts de sécurité -on pense bien entendu au voisinage de la Chine- qui l'amènent à laisser ouverte l'option nucléaire,

- elle conteste la clause d'entrée en vigueur qui l'inclut sans son accord dans les pays dont la ratification est requise.

Le Pakistan n'a pas manifesté une telle opposition au traité -il doit d'ailleurs accueillir sur son territoire deux stations du système de surveillance international- mais il lie sa position à celle de l'Inde, c'est-à-dire qu'il n'envisage sa signature qu'après que celle-ci aura ratifié le traité.

Enfin, la Corée du Nord n'a pas clairement exprimé ses intentions et, sans pour autant spécifier qu'elle n'entendait pas adhérer au traité, elle ne l'a pas pour l'instant signé.

L'absence au rang des signataires de deux pays du seuil et d'un pays dont les activités nucléaires ont suscité beaucoup d'interrogations fait donc pour l'instant obstacle à l'entrée en vigueur du traité.

2. Une interrogation majeure sur l'application effective du traité

Conçue comme une garantie de l'universalité du traité, la clause d'entrée en vigueur apparaît également comme une source de blocage de son application effective, le traité n'ayant prévu aucun moyen réel de surmonter l'obstacle constitué par le refus de ratifier d'un seul des 44 Etats de la liste.

L'article XIV précise certes que si le traité n'est pas entré en vigueur trois ans après la date de son ouverture à la signature, soit avant le 24 septembre 1999 , une Conférence des Etats ayant procédé à la ratification pourra alors se réunir. Lors de cette conférence, qui ne pourra que constater que les conditions d'entrée en vigueur ne sont pas réunies, les Etats ayant ratifié le traité seront appelés à se prononcer " par consensus sur les mesures qui pourraient être prises suivant le droit international en vue d'accélérer le processus de ratification et de faciliter ainsi l'entrée en vigueur du traité à une date rapprochée ". Une telle procédure pourra être engagée à chaque date anniversaire de l'ouverture de la signature, tant que les conditions d'entrée en vigueur ne sont pas remplies.

A vrai dire, on ne voit guère la marge de manoeuvre dont pourrait disposer cette conférence. Ne pouvant juridiquement amender le traité, elle ne pourra en aucun cas modifier les conditions qu'il a posées en vue de réaliser une entrée en vigueur anticipée.

Il est donc clair qu'il suffit que l'un des trois pays non signataires persiste dans sa position pour aboutir à une impasse juridique qui hypothèque lourdement l'application effective du traité.

Mais de nombreux commentateurs font valoir que même dépourvu de force juridique, le traité d'interdiction complète des essais nucléaires pourrait néanmoins atteindre les objectifs qu'il s'est fixés .

Tout d'abord, le très large accord réalisé sur ce texte au sein de la communauté internationale lui confère une portée politique majeure , qui pèsera sur les pays éventuellement tentés par la réalisation d'un essai nucléaire.

Sur un plan technique ensuite, l'absence d'entrée en vigueur ne permettra pas de réaliser les inspections sur place, qui constituent un élément essentiel du régime de vérification. En revanche, la réalisation du réseau des stations de surveillance a commencé, à l'initiative de la commission préparatoire de la future organisation du traité et de tous les Etats désireux de mettre en oeuvre le traité. L'existence matérielle de ce système de surveillance , à partir du début du siècle prochain, pourra jouer un rôle dissuasif certain , dès lors que les Etats qui ont signé le traité s'accordent sur le mode de fonctionnement de ce réseau.

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