B. LES PRINCIPALES MODIFICATIONS ET PRÉCISIONS APPORTÉES

1. Le rééquilibrage du régime des dividendes

Le régime de taxation des flux de dividendes transfrontières, issu de l'article 11 de la convention actuelle est caractérisé par :

- pour les participations d'au moins 20 % d'une société d'un Etat dans le capital de la société distributrice de l'autre Etat, une retenue à la source en principe au taux de 5 %, supérieur à celui pratiqué entre les Etats membres de l'Union européenne ;

- pour les autres dividendes (participations détenues par des personnes physiques, ou par des sociétés détenant moins de 20 % du capital de la société distributrice), une retenue au taux de 15 %, avec un transfert de l'avoir fiscal français pour des sociétés suisses détenant jusqu'à 20 % du capital de la société distributrice.

Dans la perspective de son adhésion à l'Union européenne, la Suisse a souhaité bénéficier d'un régime comparable à celui prévu par la directive de 1990 sur les transferts de dividendes entre sociétés des Etats-membres.

C'est pourquoi l'article 8 de l'avenant, modifiant l'article 11 de la convention actuelle, exonère de retenue à la source les dividendes versés entre sociétés à partir d'un seuil de participation directe de 10%. Cela revient à étendre dans nos relations avec la Suisse le régime en vigueur avec les Etats membres de l'Union européenne.

Toutefois, demeurent exclues du bénéfice de ce régime d'imposition à la résidence, et donc passibles d'une retenue à la source au taux plafond de 15% sur les dividendes reçus, les sociétés contrôlées par des personnes résidentes d'un Etats tiers à l'Union européenne, à moins que les deux sociétés (celle qui paye les dividendes et celle qui les reçoit) ne soient cotées sur un marché réglementé.

En contrepartie de cet avantage réclamé par la Suisse, le régime appliqué aux autres dividendes est aligné sur la pratique française avec les Etats membres de l'OCDE. Ainsi, le transfert de l'avoir fiscal à des résidents de Suisse ne bénéficie plus aux personnes morales qui détiennent plus de 10% du capital de la société distributrice. Cela revient à durcir le régime actuel pour les dividendes correspondant aux participations de sociétés comprises entre 10 et 20 %.

Toutefois, une mesure de tempérament est prévue au IV de l'article 20 modifiant le protocole additionnel, en vertu duquel le régime antérieur de transfert de l'avoir fiscal {taux de participation de 20 %) peut être maintenu au cas par cas, sur agrément conjoint des autorités compétentes. Il faut également rappeler que, dans le droit commun, les résidents de Suisse qui n'ont pas droit au transfert de l'avoir fiscal français peuvent obtenir le remboursement du précompte éventuellement acquitté par la société distributrice.

Enfin, une clause anti-abus est prévue au point ii) du C du 3 de l'article 8 de l'avenant (article 11 de la convention) pour prévenir les transferts indus de l'avoir fiscal via des démembrements de titres (la technique consiste à créer une filiale dans le seul but de lui transférer la propriété des titres, la société passant de cette façon optiquement en-deçà de la base des 10 % de participation).

2. L'amélioration du régime des intérêts

Conformément au modèle OCDE, l'article 9 de l'avenant, modifiant l'article 12 de la convention actuelle, attribue l'imposition exclusive des intérêts à l'Etat de résidence du bénéficiaire effectif. Ce dispositif confirme l'exonération qui existe d'ores et déjà en droit interne français.

Il permettra en revanche aux résidents de France d'être exonérés de toute retenue à la source sur leurs intérêts de source suisse, alors qu'une telle retenue est actuellement prélevée, aux termes de l'article 12 de la convention en vigueur, au taux maximum de 10 %.

3. La confirmation du régime des frontaliers

Comme le rappelle M. Denis Jacquat dans son excellent rapport d'information sur les travailleurs frontaliers 4 ( * ) , il convient de distinguer deux catégories de travailleurs frontaliers : " d'une part , les "vrais" travailleurs frontaliers parce qu'ils résident dans des zones frontalières définies par les conventions fiscales bilatérales, d'autre part, les travailleurs résidant en France en dehors des zones frontalières, qui se déplacent quotidiennement pour aller dans un pays limitrophe et qui ne sont pas considérés comme des travailleurs frontaliers au sens du droit fiscal.

"De cette distinction découlent des différences de traitement fiscal. Les revenus d'activité de la première catégorie de travailleurs, qui est de loin la plus nombreuse, sont en général imposés en France - Etat de résidence-, tandis que ceux de la deuxième catégorie, dont le nombre est faible mais en augmentation, sont imposés dans l'Etat de l'activité comme tous les non-résidents."

La France et la Suisse sont liées depuis le 18 octobre 1935 par un "arrangement", selon le terme de l'époque, qui prévoit un régime d'imposition exclusive des rémunérations des travailleurs frontaliers dans leur état de résidence. Ce régime concerne les cantons suisses de Berne. Soleure, Bâle-Ville, Bâle-campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et ????. Il ne s'applique pas. notamment, aux cantons de Genève et d'Argovie.

L'arrangement de 1935 a été remplacé par un accord en date du 11 avril 1983, sans que la rédaction de la convention fiscale de 1966 soit adaptée en conséquence.

L'article 12 de l'avenant, modifiant l'article 17 de la convention, a dont pour but de remplacer la référence dans la convention à l'ancien arrangement de 1935 par une référence à l'accord du 11 avril 1983 en vigueur.

Comme le précise l'exposé des motifs du présent projet de loi, " cette adaptation permettra de lever toute incertitude sur l'applicabilité de l'échange de renseignements prévu à l'article 28 de la convention pour la mise en oeuvre de cet accord ". Mais, cette disposition purement formelle n'apporte aucun changement de fond au régime fiscal des travailleurs frontaliers français en Suisse.

4. Le resserrement du régime des artistes du spectacle et des sportifs

La fiscalité internationale des artistes et des sportifs pose des problèmes complexes, en raison des caractéristiques tout à fait particulières de ces professions 5 ( * ) :

- dans un Etat déterminé, il s'agit en général d'activités de courte durée et parfois, même, il peut n'y avoir qu'une seule représentation artistique ou sportive ;

- la situation juridique des intéressés est difficile à clarifier en raison de la frontière souvent ténue qui existe entre un artiste ou un sportif salarié, et un artiste ou un sportif exerçant une activité non commerciale à titre indépendant :

- les situations de fait peuvent être extrêmement variables : par exemple, l'artiste peut être ou non l'organisateur de son propre spectacle, et exercer son activité seul ou en groupe, ce dernier pouvant avoir ou non la personnalité morale ;

- tout un personnel gravite souvent autour de l'artiste ou du sportif (manager, imprésario, personnels chargés de la gestion ou de faire de la publicité, décorateurs, etc.) dont la situation est en général délicate à appréhender ;

- c'est un des domaines où la sophistication des moyens d'évasion ou de fraude fiscales est poussée à l'extrême, ce qui a amené les Etats à mettre en place des dispositifs de contrôle particulièrement élaborés (article 155 A du CGI pour la France) ;

- enfin, les artistes ou les sportifs retirent souvent des revenus non négligeables de prestations diverses liées à leur notoriété, mais qui ne sont pas elles-mêmes de nature artistique ou sportive (publicité pour divers produits. par exemple) et dont le régime fiscal n'est pas aisé à déterminer.

La fiscalité internationale des artistes et sportifs repose sur le principe de l'imposition à la fois dans l'Etat de la résidence et dans l'Etat où s'exerce l'activité qui produit le revenu. L'imposition dans l'Etat de résidence soulève des problèmes pratiques de contrôle de ces revenus de source étrangère, tandis que l'imposition dans l'état de la source soulève des problèmes de qualification juridique délicats.

Dans le souci de renforcer la lutte contre l'évasion fiscale, l'article 13 de l'avenant, modifiant l'article 19 de la convention actuelle, introduit la clause tirée du modèle OCDE relative aux sociétés interposées. Celle-ci permettra à la France de faire échec aux montages frauduleux consistant à recourir à des sociétés intermédiaires de droit suisse afin de localiser artificiellement à l'étranger les revenus des artistes du spectacle et des sportifs.

En effet, cette clause reconnaît à l'Etat où se produisent les intéressés le droit d'imposer les revenus provenant des services rendus dans cet Etat. même si ces revenus sont attribués à une personne autre que l'artiste ou le sportif.

5. La clarification du régime des biens immobiliers détenus en France

Trois des articles de l'avenant tendent à clarifier le régime des biens immobiliers détenus en France par des résidents suisses.

L'article 4 de l'avenant, modifiant l'article 6 de la convention actuelle, apporte les précisions suivantes :

- les revenus des exploitations agricoles et forestières sont expressément désignés comme des revenus de biens immobiliers pour l'application de la convention ;

- le critère de "jouissance exclusive des biens immobiliers" prévaut pour déterminer le régime qui leur est applicable. Cette précision est nécessaire pour lever toute ambiguïté en cas d'indivision, de copropriété ou d'usufruit.

L'article 15 de l'avenant, modifiant l'article 24 de la convention relatif à l'impôt de solidarité sur la fortune, aligne le régime d'imposition des actions, parts ou autres droits dans une société ou fiducie (spécifique au droit suisse) à prépondérance immobilière sur celui des immeubles.

Enfin, le point VII de l'article 20 de l'avenant complétant le protocole additionnel à la convention actuelle étend l'échange de renseignements à la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles détenus en. France par des sociétés de droit suisse.

Cette dernière modification constitue un progrès non négligeable dans les relations bilatérales franco-suisses.

Rappelons que la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles possédés par certaines personnes morales prévue par l'article 990 D du code général des impôts est essentielle pour lutter contre l'évasion fiscale en matière immobilière.

En effet, le fisc peut difficilement deviner quels sont les associés qui se cachent derrière certaines sociétés propriétaires d'immeubles situés en France, surtout lorsqu'elles sont immatriculées dans des pays où le secret fiscal est inviolable. Des résidents français échappent ainsi à l'IR, à l'imposition des plus-values, à l'impôt sur la fortune et aux droits de mutation à titre gratuit.

C'est pour réagir contre cette clandestinité qu'a été instituée la taxe annuelle de 3 % sur la valeur des immeubles possédés en France par des sociétés étrangères.

Cependant, sont exonérées de cette taxe les sociétés étrangères qui exercent en France une véritable activité professionnelle (présence d'un établissement stable en France) lorsque les actifs immobiliers non professionnels représentent moins de la moitié de leurs actifs français : en clair, ne sont suspectes que les sociétés à prépondérance immobilière. Et, bien sûr, il est toujours loisible à la société concernée de s'exonérer de la taxe en déclarant au fisc français l'identité de ses propriétaires.

Toutefois, les juridictions françaises se sont opposées à l'application de la taxe de 3 %, en considérant qu'elle introduisait une discrimination entre les sociétés françaises et les sociétés étrangères. Les textes ont été remaniés en conséquence par la loi de finances pour 1993 et, désormais, la taxe a vocation à s'appliquer tant aux sociétés françaises qu'aux sociétés étrangères, ce qui répond aux critiques de discrimination fondées sur la nationalité.

En pratique, il est prévu que la taxe de 3 % ne s'applique ni aux sociétés françaises, ni aux sociétés étrangères implantées dans un Etat ayant signé avec la France une convention fiscale d'assistance administrative contre la fraude fiscale, dès lors qu'elles acceptent de jouer la transparence en renseignant l'administration fiscale sur l'identité réelle de leurs associés. La taxe frappe en revanche les sociétés qui cultivent le secret, avec le soutien implicite de leur Etat d'accueil.

Telle avait été jusqu'à présent l'attitude de la Suisse, et c'est pourquoi l'extension du champ des échanges de renseignements prévus par l'article 28 de la convention à la taxe de 3 % marque une évolution importante des relations administratives et fiscales de ce pays avec la France, vers plus de confiance mutuelle.

* 4 - « Travailleurs frontaliers : travailleurs sans frontières ?" - Rapport AN n° 3307, présenté par M. Denis Jacquat au nom de la commission des affaires culturelles , familiales et sociales

* 5 - Les développements suivants sont empruntés à l'ouvrage précité de M Bruno Gouthière, pages 447-448

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