III. AUDITION DE M. YVES-THIBAULT DE SILGUY, COMMISSAIRE EUROPÉEN, CHARGÉ DES AFFAIRES MONÉTAIRES ET FINANCIÈRES

Au cours d'une séance tenue le jeudi 26 mars, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'audition de M. Yves-Thibault de Silguy, commissaire européen, chargé des affaires monétaires et financières, sur les perspectives de la mise en oeuvre de l'euro.

M. Christian Poncelet, président, ayant remercié le commissaire européen de la primeur accordée par lui à la commission des finances du Sénat pour présenter la recommandation de la Commission européenne sur les pays susceptibles d'adopter l'euro, a indiqué à la commission qu'il solliciterait, à la fin de l'audition, une décision sur le principe d'une demande adressée à la Banque de France en vue qu'elle élabore et publie un rapport sur l'état de la convergence des pays candidats à l'euro comme entendent y procéder six banques centrales en Europe.

M. Yves-Thibault de Silguy, commissaire européen, ayant exprimé son honneur et son plaisir de se trouver en priorité devant le Sénat français pour présenter les travaux de la Commission européenne, qui serviront de base à la décision des chefs d'Etat et de Gouvernement le 2 mai prochain, dressant la liste des Etats adoptant la future monnaie unique européenne, a souligné que les résultats obtenus provenaient d'un engagement politique fort des Etats concernés. Ajoutant qu'ils étaient aussi le fruit d'années d'efforts de redressement économique, il a précisé que la commission avait, pour apprécier les performances des Etats, fait une application stricte des critères du Traité.

Le commissaire européen a alors exposé le cheminement du travail de la commission qui, saisie à la fin février 1998 des résultats définitifs de l'année 1997, en avait examiné la sincérité, puis avait élaboré de nouvelles prévisions économiques à l'horizon 1999 pour servir de cadre à son évaluation présentée dans son rapport de convergence. Il a insisté sur l'importance particulière accordée à cette occasion au caractère durable des performances économiques des Etats membres.

Evoquant les rapports élaborés par les différentes banques centrales, il a rappelé que seule la Commission européenne avait un pouvoir de recommandation, aux termes du traité, tout en soulignant les avantages pour le débat démocratique de l'existence d'une pluralité d'opinions.

Puis, M. Yves-Thibault de Silguy, commissaire européen, a indiqué que, lors de l'examen de la compatibilité des législations nationales relatives aux banques centrales avec les textes communautaires, une réserve avait été émise s'agissant de la France, qui impliquait que les projets actuels du Gouvernement soient adoptés avant début mai prochain pour mettre la France en situation de participer à l'euro.

Après avoir observé que, malgré une légère révision à la baisse, les perspectives économiques en Europe restaient favorables, il a analysé l'évolution des différents critères posés par le Traité. A ce propos, il a tout particulièrement mis en valeur :

la convergence des Etats vers un très bas niveau d'inflation ;

la réduction structurelle des déficits publics, revenus de 5,5 à 2,6 % du PIB entre 1993 et 1997 ;

la stabilité du mécanisme de change européen ;

et le niveau historiquement bas des taux d'intérêt à long terme, reflet d'anticipations favorables des marchés.

Concluant son exposé, le commissaire européen a insisté sur le découplage entre la réduction des déficits publics et la croissance du chômage et il a expliqué que l'assainissement des finances publiques était, contrairement à une idée répandue, source de baisse du chômage.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Denis Badré s'est félicité que le commissaire européen ait souligné la contribution décisive à la réussite de l'euro d'un engagement politique fort. S'étant interrogé sur le degré effectif de la coordination des politiques économiques, il a souhaité obtenir une série de précisions sur :

la nature du déficit, passé ou prévu, pris en compte dans le cadre du pacte de stabilité ;

la destination du produit des sanctions éventuellement prononcées dans ce même cadre ;

les raisons de l'inexistence d'une procédure sur les dettes publiques excessives ;

les problèmes rencontrés dans le processus d'harmonisation fiscale ;

l'adaptation nécessaire de la législation sur la Banque de France ;

l'impact de l'unification monétaire sur le budget européen ;

et les coûts, pour les agents économiques, du passage à l'euro.

En réponse, M. Yves-Thibault de Silguy, commissaire européen, a d'abord précisé que le déficit pertinent était le déficit constaté et que les recettes issues d'éventuelles sanctions ne sauraient bénéficier aux Etats ne participant pas à l'euro, estimant en outre que le mécanisme des sanctions était d'essence dissuasive et qu'il n'était appelé à jouer qu'en cas de mauvaise volonté manifeste d'un Etat. Il a ensuite indiqué que les Etats membres s'étaient opposés au projet de la Commission visant à sanctionner les dettes publiques excessives au motif que l'appréciation des dettes publiques devait être faite en tendance. Ayant estimé que se produirait certainement un rapprochement des fiscalités, il a complété sa réponse en jugeant que les réformes budgétaires majeures proviendraient plutôt de l'initiative "Agenda 2000" que de l'Union monétaire et en indiquant que, si les coûts du passage à l'euro, estimés dans une fourchette de 2 à 5 points de PIB, étaient importants, il s'agissait d'une dépense assimilable à un investissement.

M. Maurice Blin, ayant souligné l'optimisme des propos du commissaire européen, a rappelé qu'il était sans précédent qu'une monnaie commune devance la construction d'une union politique forte. Il a jugé que les efforts de pédagogie sur les avantages de l'euro devaient être renforcés. Enfin, il s'est inquiété de la possibilité de concilier l'élargissement de l'Europe et la préservation de l'euro.

En réponse, M. Yves-Thibault de Silguy a souligné que l'euro était une évolution, certes importante, mais pas une révolution compte tenu de l'expérience européenne de taux de change fixe. Il a estimé qu'il n'existait plus depuis longtemps de souveraineté nationale en matière monétaire et que l'euro était un moyen de recréer une souveraineté monétaire partagée. Il a considéré que l'information sur l'euro devait être développée et qu'elle supposait une implication des décideurs locaux. Il a enfin rappelé les difficultés résultant de la négociation relative à "Agenda 2000", expliquant que le point majeur de friction avait trait au devenir des fonds structurels.

Mme Marie-Claude Beaudeau s'est alors inquiétée des conditions dans lesquelles s'était effectuée la convergence nominale en Europe et s'est demandée si les risques de concentration géographique des activités économiques et d'accroissement de la concurrence en Europe n'étaient pas susceptibles d'être extrêmement préjudiciables à la France. Elle s'est enfin interrogée sur la perspective d'une modification des rapports politiques entre Etats européens.

M. Yves-Thibault de Silguy ayant notamment souligné que la convergence n'était pas synonyme d'uniformisation, M. Christian Poncelet, président, a mis en évidence les phénomènes de concurrence fiscale et leur impact éventuel en matière d'uniformisation.

M. Yves-Thibault de Silguy a alors jugé que l'euro devant attirer les capitaux extérieurs, la localisation des activités économiques dans les pays dont ce serait la monnaie, serait accrue sans qu'on puisse, en effet, prédire les pays qui en bénéficieraient le plus.

M. Jacques-Richard Delong, ayant souligné que la monnaie unique était la pierre de touche de la construction européenne, s'est inquiété des effets négatifs du choix de sa dénomination et a estimé qu'il aurait été préférable de la baptiser marc ou livre, conformément à l'histoire monétaire de la France et de l'Europe.

M. Yves-Thibault de Silguy, ayant rappelé que le choix en la matière avait appartenu aux chefs d'Etat et Gouvernement, M. René Ballayer s'est inquiété des effets d'une éventuelle crise boursière survenant lors du lancement de l'euro.

M. Yves-Thibault de Silguy a estimé que le lancement de l'euro s'accompagnerait probablement d'importants transferts vers les marchés d'actions en Europe du fait de l'attractivité de la monnaie unique et du bas niveau des taux d'intérêt.

M. Yvon Collin a souhaité recueillir les explications du commissaire européen sur les causes de la langueur de l'économie européenne depuis 1990. Puis, évoquant les grandes orientations de politique économique du Conseil et le rapport de la Commission, il s'est demandé s'il n'existait pas un hiatus entre la recommandation du Conseil d'un partage de la valeur ajoutée favorable aux entreprises et le constat fait par la Commission d'une forte rentabilité des investissements des entreprises.

En réponse, M. Yves-Thibault de Silguy a jugé que la croissance avait été cassée en Europe par la remontée des taux d'intérêt résultant de la hausse des taux américains en 1994. Il a considéré que, depuis, le dosage des politiques économiques était devenu beaucoup plus satisfaisant, le redressement des finances publiques ayant été accompagné d'une baisse des taux d'intérêt.

Il a alors estimé que la croissance pourrait désormais connaître un rythme annuel, durable, de 3 %. Ayant reconnu que ces résultats devaient beaucoup à la modération salariale, il a jugé que les positions du Conseil et de la Commission étaient en cohérence sur ce point.

M. Emmanuel Hamel s'est vivement alarmé des conséquences sociales d'une conception exclusivement monétariste de la construction européenne.

M. Yves-Thibault de Silguy a alors rappelé que la souveraineté monétaire avait disparu de fait et que le pacte de stabilité et de croissance était destiné à permettre aux Etats de regagner des marges de manoeuvre budgétaire. Il a enfin appelé à la mise en oeuvre d'une vraie politique pour l'emploi, éliminant les obstacles structurels qui s'opposent à la baisse du chômage.

M. Christian Poncelet, président, s'est interrogé sur les voies et moyens d'une meilleure association des parlements nationaux au fonctionnement de l'union monétaire, en soulignant qu'il s'agissait d'assurer la légitimité démocratique de l'édifice. Il s'est ensuite demandé si la banque centrale européenne serait en mesure de définir une politique monétaire pour l'ensemble de l'Europe et d'échapper à certains tropismes nationaux.

En réponse, M. Yves-Thibault de Silguy a considéré que le mécanisme de coordination des politiques économiques donnerait l'occasion aux Gouvernements nationaux d'associer les Parlements au fonctionnement de l'union monétaire, estimant souhaitable que l'euro soit soumis à un contrôle démocratique dans le respect de l'indépendance de la banque centrale européenne.

La commission a donc alors décidé à l'unanimité d'adresser une demande à la Banque de France pour qu'elle élabore et publie un rapport sur l'état de la convergence des performances économiques des pays candidats à l'adoption de la future monnaie unique européenne.

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