TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES
À L'ADAPTATION DE LA LÉGISLATION FRANÇAISE
ET À LA MODERNISATION DES ACTIVITÉS FINANCIÈRES
EN VUE DE LA TROISIÈME PHASE DE L'UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE
ARTICLES 12 à 34

Ces articles sont commentés dans le tome II du présent rapport par M. Philippe Marini, rapporteur.

TITRE III

DISPOSITIONS RELATIVES AU SECTEUR PUBLIC
ET AUX PROCEDURES PUBLIQUES
ARTICLE 35

Schéma directeur de desserte gazière

Commentaire : le présent article propose d'accélérer la desserte par Gaz de France des communes non encore desservies en gaz en prévoyant l'établissement par l'autorité administrative d'un plan de desserte gazière. A titre subsidiaire, il autorise des opérateurs autres que Gaz de France à assurer l'approvisionnement des communes non encore desservies en gaz.

Il convient de préciser d'emblée que le présent article n'a pas pour objet d'ouvrir le monopole de Gaz de France sur les zones qu'il dessert actuellement mais de permettre aux communes non desservies de faire appel à l'opérateur de leur choix.

Il fait suite à une mise en demeure de la Commission européenne qui a relevé un abus de position dominante de la part de Gaz de France dès lors que l'établissement public s'oppose, au nom du monopole de distribution qui lui a été confié par la loi du 8 avril 1946, à l'intervention d'autres distributeurs dans les zones non encore desservies, alors même qu'il n'envisage pas lui même d'assurer la desserte de ces zones.

Le présent article prévoit un dispositif en deux étapes :


• dans une première étape, afin de contraindre GDF à accélérer l'extension de son réseau, les services de l'Etat établiraient un plan de desserte gazière énumérant l'ensemble des communes non encore desservies qui souhaiteraient être alimentées en gaz naturel et pour lesquelles les investissements seraient suffisamment rentables. Au sein de ce plan, les communes disposeraient de l'alternative suivante : celles qui sont connexes à des communes déjà desservies par une des 17 régies municipales existantes pourraient être desservies par ces mêmes régies si elles en manifestent le souhait ; les autres devraient impérativement être desservies par GDF dans un délai maximum de trois ans.

Cela représenterait 1.000 à 1.200 communes sur cette période contre 600 à 750 selon les objectifs assignés à GDF par le contrat Etat-entreprise du 1er avril 1997. Le coût pour GDF (400 millions de francs) de ces investissements supplémentaires devrait être compensé par un avenant au contrat d'entreprise.


• les communes non desservies qui ne figureraient pas dans le plan ou dont les travaux de desserte prévus n'auraient pas été engagés dans le délai de trois ans, pourraient concéder leur distribution de gaz à toute entreprise ou SEM régulièrement agréée par le ministre de l'énergie. Elles pourraient également créer une régie de distribution, avoir recours à une régie existante ou confier la distribution à une SEM existante.

Les députés ont apporté deux modifications importantes au texte initial, dans un sens assez restrictif et protecteur du monopole de Gaz de France. Votre commission craint qu'en laissant aux opérateurs du secteur libre les seules communes pour lesquelles la desserte n'est pas rentable, ce texte ne recueille pas l'agrément de la Commission européenne.

I. LE CONTEXTE


Le présent article fait suite à une lettre de la Commission européenne du 9 juin 1995 mettant la France en demeure de mettre fin à la position dominante de Gaz de France.

Il convient de rappeler, en préliminaire, que l'article 3 de la loi de nationalisation du 8 avril 1946 a confié à Gaz de France le monopole de la desserte en gaz naturel du territoire.

Certes ce monopole n'est pas absolu dans la mesure où la loi du 8 avril 1946 prévoit deux exceptions :

- d'une part, elle exclut de la nationalisation, les entreprises gazières dont la production annuelle de 1942 et 1943 est inférieure à 6 millions de m 3 ;

- d'autre part, elle autorise le maintien des services publics locaux de distribution du gaz en cours d'exploitation à la date de promulgation de la loi 13( * ) .

Mais, ces derniers n'étant pas autorisés à s'étendre , Gaz de France se trouve de fait en position quasi-monopolistique.

Au demeurant, la loi d'orientation relative à l'administration territoriale de la République du 6 février 1992 a confirmé que la loi de 1946 devait bien être interprétée comme interdisant la création de nouvelles régies et l'extension des régies existantes, et a inscrit ce principe dans le code des communes. Pour régulariser la situation des régies qui s'étaient créées ou qui s'étaient étendues au delà des limites territoriales qu'elles couvraient en 1946, la loi a remis les compteurs à zéro au 1 er juillet 1991.

A la fin de 1997, on recensait 17 distributeurs de gaz naturel non nationalisés qui desservaient 174 communes. Le tableau suivant résume l'état actuel de la desserte en gaz :



Or, contrairement à d'autres entreprises de service public, Gaz de France n'est pas tenu de desservir la totalité du territoire . Aux termes d'une circulaire du 2 octobre 1985 tout projet de desserte nouvelle doit en effet être précédé d'une étude technico-économique faisant ressortir l'intérêt et la rentabilité de l'opération projetée. Deux circulaires ultérieures ont fixé le seuil minimal de rentabilité des investissements 14( * ) à 0,3.

En conséquence, les communes dont le raccordement au réseau ne permettrait pas à Gaz de France de satisfaire ce critère de rentabilité ne peuvent prétendre être desservies par l'opérateur public. Comme elles ne peuvent pas non plus être desservies par les sociétés d'économie mixte et régies non nationalisées, l'accès au gaz naturel leur est interdit.

Certes, comme le rappelle le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, le gaz est une énergie substituable qui n'a pas, contrairement à l'électricité, vocation à être distribué sur la totalité du territoire. Néanmoins, la Commission européenne a considéré dans une lettre de mise en demeure adressée aux autorités françaises le 9 juin 1995 qu'" il exist[ait] des opérateurs indépendants qui seraient techniquement et financièrement en mesure de répondre à la demande existante, mais qui ne peuvent le faire qu'en contrevenant à la législation française ".

Aussi, la Commission a-t-elle estimé que Gaz de France était amené " à commettre des abus de position dominante, dès lors que l'établissement public n'est pas en mesure de satisfaire la demande, soit parce que les conditions de rentabilité pour GDF ne sont pas remplies, soit que GDF se propose de ne satisfaire la demande qu'à une échéance lointaine incompatible avec les souhaits exprimés par les communes, soit parce que l'établissement public n'est susceptible de procéder à un raccordement qu'à des conditions économiquement plus onéreuses, soit parce que techniquement, la solution est moins avantageuse et peut présenter des inconvénients pour les consommateurs et pour l'environnement ". Cette situation est manifestement en contradiction avec la mission de service public censée être assurée par l'opérateur.

La loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier du 12 avril 1996 a bien tenté de remédier à cette situation en permettant aux services publics locaux de distribution du gaz en activité au 1 er janvier 1996 d'étendre leur activité aux communes connexes à celles qu'elles desservent. Mais, cette loi n'a pas connu d'application faute de publication du décret censé définir les conditions de rentabilité qui doivent s'imposer aux communes concédantes. Saisi du projet de décret, le Conseil d'Etat a en effet estimé que le seuil de rentabilité prévu, calqué sur le seuil de rentabilité imposé à Gaz de France, était trop élevé au regard de la lettre du texte législatif.

Le présent article, dont le principe avait été annoncé en décembre 1997 pendant les négociations communautaires sur l'ouverture du marché du gaz, vise donc à exaucer la demande de la Commission européenne en ouvrant une première brèche dans le monopole de Gaz de France.

On comprend l'intérêt stratégique d'une telle démarche : en prenant les devants alors que la Commission s'apprêtait à utiliser les moyens que lui accorde l'article 90, paragraphe 3 du Traité, le gouvernement français a pu obtenir que " le maintien de son système actuel de distribution qui repose sur le principe de service public 15( * ) " soit approuvé dans le projet de directive sur l'ouverture du marché du gaz, au titre du principe de subsidiarité. Paris a également obtenu que les contrats " take or pay " aient une existence officiellement reconnue.



II. L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE DES ZONES NON ENCORE DESSERVIES PAR GAZ DE FRANCE

Le présent article prévoit un dispositif en deux étapes :

A. L'ÉTABLISSEMENT D'UN PLAN DE DESSERTE GAZIÈRE

Dans une première étape, le présent article prévoit l'établissement par les services de l'Etat d'un plan de desserte gazière . Ce plan comprendrait deux volets :

- dans un premier volet , seraient inscrites les communes non encore desservies qui souhaitent être alimentées en gaz naturel ; elles devraient impérativement être desservies par Gaz de France dans un délai maximum de trois ans 16( * ) .

Il s'agit de contraindre Gaz de France à accélérer l'extension de son réseau, ce qu'aucune obligation légale ne l'obligeait à faire jusqu'à présent, même si le contrat Etat-entreprise signé le 1 er avril par l'Etat et GDF pour la période 1997-1999, prescrit à l'opérateur public de raccorder 200 à 250 nouvelles communes chaque année.

Selon le rapport de l'Assemblée nationale, le plan de desserte devrait permettre de raccorder 1.000 à 1.200 communes sur la période triennale , soit 400 à 450 communes de plus que ce qui était prévu dans le contrat Etat-entreprise. Le rapport chiffre à 300 millions de francs par an le surcoût engendré par ces investissements supplémentaires pour GDF (sur la base d'un coût de 1,2 à 1,5 million de francs par an et par commune raccordée). Le gouvernement a déclaré que ce coût serait compensé par un avenant au contrat d'entreprise.

- dans un deuxième volet , figureraient les communes connexes à des communes déjà desservies par une régie existante qui manifestent leur souhait d'être desservies par ces mêmes régies ou SEM.

L'encadré ci-après précise le nombre de communes connexes et limitrophes qui pourraient être inscrites à ce deuxième volet du plan de desserte.

Evolution de la desserte gazière par les entreprises non nationalisées

Nombre de communes desservies par les ENN en 1997 : 174

Nombre de communes limitrophes aux ENN non desservies : 220

Nombre de communes limitrophes susceptibles

d'être desservies en gaz naturel (B/I estimé supérieur à 0) : 15 à 20

Nombre de communes connexes susceptibles

d'être desservies en gaz naturel (B/I estimé supérieur à 0) : 30 à 40

Communes raccordées par les ENN depuis 1996 : 7 1

1. Mommenheim, Breuschwickersheim (Gaz de Strasbourg),Andlau, Mittelbergheim, Eichhoffen (Barr), Lautenbach, Bergholzzell (Guebwiller).

Le texte précise cependant que ne peuvent figurer au plan, parmi les communes qui en font la demande, que les communes dont la desserte donne lieu à des investissements pour lesquels la rentabilité est au moins égale à un taux fixé par décret.

Le ratio de rentabilité devrait être calculé de la façon suivante :

Modalités de calcul du ratio de rentabilité B/I

L'évaluation de la rentabilité des investissements d'une nouvelle desserte devrait être établie en calculant le ratio de rentabilité B/I du projet selon les modalités suivantes :

B est égal à la somme actualisée des bénéfices et I à la somme actualisée des investissements à réaliser ;

B est calculé en effectuant la somme algébrique R - (D + I) où :

R représente la valeur actualisée des recettes escomptées sur la base des estimations de consommation, par tarif et par usage ;

D représente la valeur actualisée des coûts d'exploitation, c'est-à-dire le montant total de toutes les dépenses auxquelles aura à faire face le concessionnaire hors amortissement des investissements. Celles-ci comprennent, notamment, les dépenses liées à l'achat de gaz par le concessionnaire, à la gestion de la fourniture aux abonnés et à la maintenance du réseau.

I représente la valeur actualisée des dépenses d'investissement à la charge de l'opérateur nécessaires pour la mise en exploitation, comprenant le montant des investissements à réaliser dans la concession proprement dite et le montant des investissements des raccordement au réseau de transport.

Le taux d'actualisation utilisé est le taux recommandé par le Commissariat général du Plan à la date de dépôt de leur demande d'inscription au plan par les communes.

La période d'amortissement est de 25 ans.

Le seuil de rentabilité minimal sera fixé par décret en Conseil d'Etat. Il devrait, selon le rapport de l'Assemblée nationale, être inférieur au seuil actuel de 0,3 et proche de 0.

L'étude d'impact jointe au présent projet de loi précise toutefois que " les règles économiques prévues dans le présent article (...) devraient concourir à diminuer, voire à faire disparaître les participations des collectivités locales aux investissements nécessaires à la desserte ". En effet, dans l'état de droit actuel, la circulaire qui organise les conditions économiques régissant les investissements de GDF prévoit une contribution des communes pour le cas où la rentabilité, sans être négative, serait inférieure au seuil retenu par l'Etat (soit 0,3). Cette disposition n'est pas reprise dans le présent projet.

Le texte initial précisait par ailleurs que le plan de desserte était élaboré dans chaque région par le préfet de région. L'Assemblée nationale a considéré que le préfet de département était l'échelon pertinent dans la mesure où il est plus au fait de la situation des communes. Le rapport de l'Assemblée nationale précise que les préfets de département pourraient s'appuyer sur les nombreux schémas directeurs de desserte gazière déjà étudiés au niveau départemental dans le cadre des travaux de la charte DATAR de 1994, et qu'ils pourraient bénéficier de l'assistance des Directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE).

Le texte précise en outre que le ministre chargé de l'énergie arrêtera ce plan au vu d'une étude d'incidence énergétique et après avoir vérifié sa cohérence avec les objectifs nationaux de politique énergétique, à savoir le respect des conditions de la concurrence entre énergies et le développement des énergies renouvelables. L'étude d'impact jointe en annexe du présent projet de loi précise l'objectif poursuivi :

" Le gaz naturel étant une énergie importée dans sa quasi-totalité, il importe, d'une part de ne pas obérer le développement des énergies renouvelables, et, d'autre part, de ne pas créer artificiellement des dessertes en gaz qui pourraient s'avérer inutiles, voire coûteuses pour la collectivité nationale. "

Il ne faudrait en effet pas que la concurrence du gaz naturel mette en péril la survie ou le développement d'autres énergies (gaz butane et propane, biomasse, éoliennes...).

Enfin, l'Assemblée nationale a précisé que le décret en Conseil d'Etat fixant les conditions d'application du présent dispositif devrait intervenir dans les six mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Le plan de desserte gazière serait révisé tous les trois ans.

B. LA LIBERTÉ DE CHOIX DES COMMUNES NON DESSERVIES

Pourraient choisir de s'adresser au secteur libre :

- non seulement les communes qui ne répondent pas aux conditions de rentabilité leur permettant d'être inscrites au plan de desserte gazière ;

- mais aussi et surtout les communes qui, tout en satisfaisant ces conditions, choisissent de ne pas demander leur inscription dans le plan de desserte.

- enfin, les communes non desservies qui figuraient dans le plan mais dont les travaux de desserte n'auraient pas été engagés par GDF dans le délai de trois ans.

Ces communes disposeraient des possibilités suivantes :

- concéder leur distribution de gaz à un nouvel opérateur (entreprise ou SEM) régulièrement agréé par le ministre de l'énergie ;

- créer une régie de distribution,

- recourir à une régie existante ou participer à une SEM existante dans ce domaine. Le terme participer laisse ici entendre que les communes devraient entrer dans le capital de la SEM, ce qui ne semble pas être l'objectif du gouvernement. Votre commission vous proposera en conséquence un amendement tendant à remplacer le terme participer par la formule : concéder leur distribution de gaz.

Il est à noter que seuls les nouveaux opérateurs sur le marché de la distribution du gaz devraient obtenir un agrément auprès du ministre chargé de l'énergie, à l'exclusion donc des régies ou SEM existantes. Les conditions subordonnant l'octroi de l'agrément devraient être définies par décret, le texte du présent article précisant simplement qu'elles devraient prendre en compte les capacités techniques et financières de l'opérateur.

Le projet de décret d'application (non définitif) transmis à votre rapporteur par le gouvernement prévoit d'imposer à toute société souhaitant distribuer le gaz d' être immatriculée en France et de disposer de fonds propres d'un montant au moins égal aux investissements nécessaires à la réalisation de la desserte. Le gouvernement se ménage toutefois la possibilité de refuser l'agrément " pour des motifs visant à la sauvegarde de l'ordre public ou des besoins de la défense ou de la sécurité publique ainsi qu'en raison de contraintes techniques inhérentes à l'approvisionnement en gaz ".

Le ministre disposerait de deux mois pour agréer la société par arrêté.

Il pourrait s'agir des opérateurs de service public communaux intervenant déjà dans le secteur de l'eau, de compagnies pétrolières ou de groupes étrangers souhaitant s'implanter en France dans la perspective de l'ouverture du marché du gaz à la concurrence.

L'étude d'impact précise que les collectivités locales resteront libres de procéder aux financements qu'elles souhaitent pour la desserte relevant du secteur libre. Elles devraient en principe procéder par appel d'offre pour l'attribution du marché de la distribution du gaz.

III. L'ASSEMBLÉE NATIONALE A MODIFIÉ LE DISPOSITIF DANS UN SENS TRÈS PROTECTEUR POUR GAZ DE FRANCE

L'Assemblée nationale a apporté trois modifications importantes au texte initial.

A. L'INTRODUCTION DES GROUPEMENTS DE COMMUNES

Les députés ont tout d'abord étendu le dispositif aux groupements de commune afin d'éviter un blocage juridique dans le cas où la commune aurait transféré sa compétence en matière de distribution du gaz à un groupement.

B. LA SUPPRESSION DU LIBRE-CHOIX DES COMMUNES

L'Assemblée a ensuite, sur proposition de M. Jean-Pierre Balligand, supprimé la possibilité pour les communes de choisir entre Gaz de France et le secteur libre . En clair, alors que dans le texte initial, les communes souhaitant figurer au plan de desserte devaient en faire la demande, le texte issu de l'Assemblée nationale prévoit que toutes les communes " qui souhaitent bénéficier d'une desserte en gaz naturel " pourront être inscrites au plan dès lors qu'elles satisfont les conditions de rentabilité.

M. Balligand a fait valoir que la rédaction ancienne risquait d'évincer Gaz de France des 6.400 communes qu'il dessert en encourageant ces dernières à choisir un autre opérateur une fois leur contrat de concession avec Gaz de France arrivé à expiration.

Or, outre que cette crainte n'est pas fondée 17( * ) , le présent article n'ayant pas pour objet d'ouvrir à la concurrence les territoires actuellement desservis par Gaz de France, l'objectif poursuivi par cet amendement est clairement en contradiction avec l'argumentaire figurant dans la fiche d'impact jointe au projet de loi . On peut en effet y lire :

"  Les communes non encore desservies pourront choisir de ne pas demander leur inscription dans le plan de desserte ou de ne pas figurer. (...) Il s'agit clairement de donner aux communes non encore desservies le choix entre deux solutions : une desserte par Gaz de France (ou une régie dans le cas d'une commune connexe) ou l'appel au secteur libre en recourant à d'autres opérateurs de distribution (y compris des opérateurs qu'elles pourront créer). Cette approche qui respecte la liberté des communes, vise à répondre aux remarques faites par la Commission tout en assurant la pérennité de l'action de Gaz de France au moyen d'objectifs triennaux. "

Il semble cependant que le texte préserve la liberté des communes dans la mesure où elles devront continuer à émettre le souhait d'être desservies pour être inscrites au plan de desserte gazière. En tout état de cause, si le texte devait être interprété à la lumière des débats ayant eu lieu à l'Assemblée nationale, il serait de nature à poser des problèmes d'application dans la mesure où il semble impossible de forcer les communes à concéder leur distribution à GDF si telle n'est pas leur volonté.

Par ailleurs, si la Haute Assemblée suivait la position exprimée par l'Assemblée nationale, les opérateurs privés n'auront pour clients potentiels que les communes pour lesquelles la desserte en gaz n'est pas rentable , ce qui n'était pas la volonté initiale du Gouvernement.

Il est en outre pour le moins contraire aux principes du service public de permettre à l'opérateur national d'écrémer les zones les plus rentables, en négligeant les communes dont le coût de raccordement est prohibitif. Il semble en effet à votre rapporteur que la justification d'un monopole de service public est de permettre à l'opérateur public de compenser les pertes engendrées par la desserte des zones non rentables grâce aux bénéfices engrangés sur les zones les plus rentables.

Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si cette nouvelle rédaction recueillera l'agrément de la Commission européenne.

C. L'IMPOSITION D'UNE PARTICIPATION DE L'ÉTAT OU D'UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC DANS LE CAPITAL DES NOUVEAUX OPÉRATEURS AGRÉÉS

Les députés ont enfin adopté un amendement de leur commission des finances tendant à réserver la possibilité d'intervenir comme opérateurs aux seules entreprises dans lesquelles au moins 30 % du capital est détenu , directement ou indirectement, par l'Etat ou des établissements publics 18( * ) .

Cet amendement appelle quatre remarques :

En premier lieu, on peut se demander si une " garantie " supplémentaire est nécessaire alors que les opérateurs souhaitant intervenir dans la distribution de gaz en substitution à Gaz de France devront déjà obtenir un agrément auprès du ministre de l'énergie . Il ne faudrait pas par exemple, que cette disposition conduise Gaz de France à entrer dans le capital des nouveaux opérateurs, pour verrouiller la distribution du gaz à son profit.

En second lieu, cet amendement est inspiré de l'article 8 19( * ) de la loi de nationalisation de 1946, qui impose que le capital des sociétés non nationalisés de transport du gaz soit détenu à hauteur de 30 % au moins par l'Etat ou par des établissements publics. Il convient en effet de rappeler que GDF ne détient pas un monopole absolu en matière de transport de gaz : la société Gaz du Sud-Ouest (GSO) au capital de laquelle participent Elf et GDF, transporte le gaz dans le sud-ouest de la France, tandis que la Compagnie française de méthane (CFM), détenue par GDF, Elf et Total, transporte le gaz dans le centre de la France.

Or, s'il est légitime de permettre à l'Etat de garder un droit de regard sur les sociétés non nationalisées de transport du gaz dès lors qu'il s'agit d'un secteur stratégique pour la sécurité de l'approvisionnement du pays, on voit mal pourquoi cette disposition devrait être étendue au secteur de la distribution qui n'a rien de stratégique, Gaz de France demeurant le fournisseur obligé des sociétés de distribution de gaz naturel.

En outre, cette disposition interdit à des sociétés gazières étrangères qui posséderaient des canalisations à proximité de nos frontières de desservir les communes frontalières, sauf à créer des filiales détenues à 30 % par l'Etat ou un établissement public français. La Commission européenne fait clairement référence, dans sa lettre de mise en demeure, à la possibilité pour les communes proches des frontières de recevoir des fournitures de gaz en provenance d'autres Etats membres. Elle considère notamment qu'en limitant la distribution du gaz sur le territoire national, GDF entrave le développement du commerce entre Etats membres. Elle cite notamment l'exemple de la commune de Wissembourg, située le long de la frontière allemande dans le nord du Bas-Rhin, qui après avoir obtenu en mars 1988 deux offres allemandes, a fini par concéder la desserte à GDF qui avait fait de nouvelles propositions.

Enfin, la rédaction actuelle de l'amendement ne permet pas aux collectivités territoriales de figurer au nombre des actionnaires détenant 30 % des nouveaux opérateurs. Or, si la présence des collectivités territoriales ne s'imposait pas dans le capital des sociétés de transport du gaz dans la mesure où l'assise territoriale de ces société excède le territoire des collectivités locales les plus grandes, il paraît normal d'autoriser les communes ou les départements à entrer dans le capital de sociétés censées desservir leur territoire. Votre commission vous proposera un amendement en ce sens.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article ainsi amendé.

ARTICLE 36

Ouverture du capital et actionnariat salarié de la
compagnie nationale Air France

Commentaire : le présent article vise :

- dans son paragraphe I, à substituer dans l'ordre juridique les mots "société Air France" aux mots "Compagnie nationale Air France",

- dans son paragraphe II, à autoriser l'Etat à céder gratuitement une quote-part du capital de la société aux salariés en échange d'une réduction de leurs salaires,

- dans son paragraphe III, à poser l'obligation pour l'Etat de proposer une quote-part des opérations éventuelles de cessions de sa participation aux salariés et aux retraités de la société.




Cet article inspire un premier commentaire de forme pour souligner l'inadaptation d'un texte tel que le présent DDOEF pour traiter de la question cruciale de l'avenir d'Air France. Cette compagnie à laquelle les Français sont particulièrement attachés, ce qu'ils ont amplement démontré en lui apportant 20 milliards de francs au cours des années récentes, mérite mieux qu'un article parmi d'autres dans un projet de loi qui en compte des dizaines.

Si la compagnie paraît aujourd'hui redressée, son devenir reste dépendant de sa capacité à relever les défis qui s'imposent à elle, à assurer sa croissance et son plein rétablissement financier dans le contexte de concurrence très vive qui est celui du transport aérien. Cela implique que l'entreprise soit en mesure d'être guidée par un actionnaire capable d'exercer entièrement les responsabilités d'un gestionnaire d'entreprise, c'est-à-dire d'accompagner financièrement son développement et d'assumer sans faiblesse les décisions propres à favoriser son succès.

L'Etat ne remplit pas ces conditions et, malgré cela, le gouvernement entend lui conserver un rôle prépondérant. Le dispositif prévu par l'article 36 doit être apprécié en fonction de cette situation d'incohérence.

I - UN REDRESSEMENT A CONFORTER

La compagnie Air France qui était il y a 5 ans au bord de la cessation de paiements a connu, depuis, un redressement remarquable. Il s'agit désormais de réussir une étape ultérieure, celle de la croissance du groupe et de l'amélioration de sa situation financière. Dans cette perspective, une privatisation de l'entreprise s'impose.

A. UNE ENTREPRISE REDRESSÉE

Le tableau ci-après rend compte du redressement de l'entreprise à la suite de la mise en oeuvre du "projet pour l'entreprise" mis en place en 1993.

Evolution de la situation d'Air France de 1986 à 1996-1997

(en millions de francs)

 
 

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994-1995

1995-1996

1996-1997

 

CA consolidé

30.967

32.916

35.584

39.791

57.070

57.852

57.215

55.157

55.055

52.940

55.845

 

dont part export

15.181

15.798

17.210

20.156

23.331

23.767

24.233

23.548

24.148

23.889

28.234

I - Activité et

Résultat net consolidé part du groupe

562

1.221

1.152

841

- 717

- 685

- 3.266

- 8.476

- 1.536

- 2.410

- 147

Résultat

dont provisions pour restructuration

0

0

0

0

104

700

66

1.800

484

2.196

0

II -

Marge brute d'autofinancement (MBA)

2.655

3.101

3.734

2.444

404

2.560

1.445

- 2.506

1.822

3.256

3.080

Investissements

Résultat d'exploitation

1.934

2.484

2.365

1.273

- 1.144

213

- 1.509

- 3.348

- 385

418

579

 

Investissement

3.986

2.506

4.676

6.758

15.497

12.779

9.508

8.359

8.803

3.202

3.944

 

dont opérations de croissance externe

566

466

499

953

5.786

1.347

1.953

326

 

0

0

 

Fonds propres consolidés

3.627

5.148

6.159

9.996

11.521

12.617

9.089

6.971

5.793

8.531

13.614

 

Intérêts minoritaires

53

49

122

136

2.327

1.902

1.346

750

1.530

1.318

1.315

III -

Concours publics

3

0

0,0

0,0

0

2.000

0

1.500

8.500

5.000

5.000

Structure des

Bénéfice réinvestis

425

1.028

865

642

0

0

0

0

0

0

0

fonds propres

Autres apports publics

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

 

Apports externes

0

0

0

0

0

1.250

0,0

1.500

0

10

0

 

Capitalisation boursière

0

0

0

0

0

0,0

0,0

0

0

0

0

 

Dettes financières consolidées nettes

5.542

05.349

5.431

7.555

17.119

21.466

28.298

35.303

29.304

21.695

16.933

IV -

Dettes PLT (1 an)

5.358

5.791

5.053

7.202

14.235

19.184

20.041

35.100

30.177

29.154

25.534

Endettement

Frais financiers

1.999

1.984

2.608

2.328

4.216

4.494

4.279

5.775

2.564

1.557

1.168

V - Données sociales

Effectifs au 31/12

35.269

41.849

42.663

44.335

64.894

64.973

63.853

61.759

57.549

55.605

55.269

VI -

MBA/Investissement

66,6

123,7

79,9

36,2

2,6

20,0

15,2

- 11,0

20,7

101,7,

78,1

Ratios

Frais financiers / CA

6,5

6,0

7,3

5,9

7,4

7,8

7,5

10,5

4,7

2,9

- 0,3

Source : Rapport sur la situation économique et financière du secteur public.

Accusant une perte de plus de 8 milliards de francs en 1993, le résultat de l'entreprise s'est rapproché de l'équilibre en 1996-1997 et devrait être significativement positif à l'issue de l'exercice 1997-1998.

Cette performance a été très largement acquise grâce à une diminution des frais financiers, réduits de plus de 4,5 milliards de francs sous l'effet d'un désendettement rendu possible par le versement échelonné de vingt milliards de francs consenti par les français à la compagnie.

Les efforts de productivité du personnel de la compagnie ont également contribué à ce résultat obtenu dans un contexte où le chiffre d'affaires 1996-1997 équivaut à peu près à celui de 1993, un rétablissement de l'activité ayant succédé à une chute des ventes de la compagnie.

Les gains de productivité qui étaient recherchés s'élevaient à 30 % à travers des mesures générales applicables à l'ensemble des personnels, pour 10,8 % et des mesures catégorielles propres au personnel navigant technique (PNT) pour 19,2 %. Les objectifs ont, semble-t-il, été globalement atteints.

Les mesures relatives au PNT ont permis de réduire la valeur de l'indicateur de masse salariale sur heures de vol de 19,2 %, ce qui était la cible visée. Les mesures générales, elles, n'ont pas été totalement efficaces, mais les gains de productivité acquis dans un contexte de réduction des effectifs ont, globalement, répondu aux exigences du redressement immédiat de l'entreprise.

Enfin, une gestion dynamique a favorisé le redressement de la recette unitaire et l'augmentation des taux d'utilisation des capacités de production, des évolutions favorables ayant permis de contenir certains coûts fixes, parmi lesquels les charges de carburant.

B. UNE NOUVELLE ÉTAPE DOIT ÊTRE PARCOURUE

La stratégie d'Air France pour 1998-2002 doit être une stratégie de croissance et d'amélioration de la rentabilité.

L'objectif de croissance est entièrement pertinent . Le redressement de la compagnie s'est fait à offre constante, contrainte imposée par la commission européenne. Les capacités de production fortement sollicitées peuvent et doivent désormais être accrues . Un objectif d'investissement de 40 milliards de francs sur 5 ans a été posé, 27 milliards de francs devant être consacrés à accroître et moderniser la flotte. A supposer que cet objectif soit suffisant, sa réalisation permettrait de contribuer à développer l'offre de la compagnie. Cet essor est d'abord nécessaire pour regagner les parts de marché perdues. On rappelle à ce stade que, sur une base 100 en 1993, le chiffre d'affaires d'Air France se sera situé à 101 au 31 mars 1997, les compagnies Lufthansa, KLM et British Airways se situant respectivement aux indices 118, 119 et 127. Mais, il s'agit également de tirer parti du développement du nombre des créneaux horaires disponibles à l'aéroport Charles de Gaulle à la suite de son extension. C'est là un atout considérable pour Air France qui, s'il venait à ne pas être joué par défaut de moyens, se retournerait contre elle.

L'objectif d'amélioration de la rentabilité s'impose aussi . Le tableau suivant rend compte de la situation actuelle du taux de marge 20( * ) de l'entreprise et de ses principaux concurrents européens ainsi que des objectifs d'Air France et de ces derniers à horizon 2000.

Taux de marge

 

1995

1996

1997 1

1998 1

1999 1

2000 1

Air France

9.1

9.0

11.7

13.0

14.4

15.0

British Airways

15.0

13.6

12.2

16.7

17.5

ND

Lufthansa

11.1

10.5

11.7

11.7

11.8

ND

KLM

13.9

9.2

11.9

12.6

12.8

ND

1) Objectifs

En 1996, Air France se trouvait en retard par rapport à ses concurrents. En 1997, ce retard serait largement comblé du fait des progrès réalisés par la compagnie, mais aussi des difficultés traversées par British Airways.

Les objectifs d'Air France pour les années futures sont très ambitieux, le taux de marge devant s'accroître de près de 28 % par rapport au niveau atteint en 1997. Ils sont beaucoup plus ambitieux que ceux de Lufthansa, mais ils le sont bien moins que ceux de British Airways.

En toute hypothèse, ces objectifs ne seront atteints que si les coûts salariaux de l'entreprise sont substantiellement réduits.

Un tel objectif suppose donc une forte adhésion des personnels et il faut alors proposer à ceux-ci un projet attrayant, ce que le gouvernement n'offre pas.

Les raisons pour lesquelles l'accroissement de l'excédent brut d'exploitation est si activement recherché doivent être ici rappelées.

L'objectif d'Air France d'investir 40 milliards de francs en 5 ans, soit 8 milliards de francs par an, crée un besoin de financement. Deux solutions sont envisageables pour le satisfaire : l'endettement et l'autofinancement. Le recours à l'endettement devrait être marginal, la compagnie ayant à l'égard de cette formule une forte aversion. Reste alors l'autofinancement : or, celui-ci ne viendra pas de dotations en capital sur fonds publics car l'Etat, qui pourtant souhaite rester actionnaire principal, n'en a pas les moyens financiers. L'actionnaire principal faisant défaut, il faut donc recourir à l'autre branche de l'alternative : l'augmentation de l'excédent brut d'exploitation

Pour l'exercice 1997-1998, l'excédent brut d'exploitation, qui aura été formé dans un contexte de hausse de l'activité du transport aérien, pourrait être proche de 5 milliards de francs. Il manque donc au moins 3 milliards de francs pour dégager les moyens financiers nécessaires aux investissements.

Dans l'immédiat, cette situation peut être surmontée car le capital devrait augmenter naturellement de 3 milliards de francs du fait du bouclage de deux opérations :

1,2 milliard viendrait de remboursements d'obligations en actions ;

1,8 milliard viendra de l'exercice de bons de souscription d'action.

Mais, le besoin de financement subsistera au-delà. Il s'élève au minimum à 4 fois 3 milliards de francs : 12 milliards de francs. Il est à souligner qu'une réduction de l'activité élèverait le niveau de ces besoins.

Il devient alors nécessaire de combler cette impasse en améliorant l'excédent brut d'exploitation de la société. Il faudrait pour cela que le taux de marge progresse d'au moins 3 points et s'accroisse donc de 25 % par rapport à son niveau actuel.

Sans même qu'il soit nécessaire de débattre à ce stade de la pertinence de l'objectif posé ni même des chances de l'atteindre, il faut souligner combien il est choquant que l'actionnaire majoritaire se dispense d'accompagner financièrement le développement de son entreprise. Il est manifeste qu'en agissant ainsi l'Etat ne remplit pas ses devoirs d'actionnaire. C'est d'ailleurs cette impuissance qu'il reconnaît lorsqu'il envisage d'ouvrir partiellement le capital d'Air France.

C. UNE NECESSAIRE PRIVATISATION


Le gouvernement n'a pas tiré les conséquences de l'impuissance financière de l'Etat. Il a solennellement rappelé qu'Air France resterait dans le secteur public. A l'heure où la "World Airlines" est privatisée à hauteur d'à peu près 80 %, il faut sans doute voir dans cette position opiniâtre une illustration supplémentaire de la volonté d'imposer l'exception française.

Pourtant, le Gouvernement entend procéder à la "respiration" du capital de la compagnie mais une telle ouverture du capital qui fait l'objet d'annonces ici ou là n'apparaît pas une bonne solution. Il est en effet très douteux qu'elle permette d'attirer les fonds propres nécessaires à Air France dans de bonnes conditions. Divers scénarios peuvent être envisagés. L'un où des investisseurs institutionnels sous tutelle seraient appelés à la rescousse, l'autre où des investisseurs paieraient un ticket d'entrée dans la perspective d'une privatisation ultérieure de la compagnie.

Dans le premier cas, l'apport des institutionnels serait réalisé dans des conditions, selon toute vraisemblance, douteuses, et ne changerait rien au management de la société. On voit mal dans ces conditions comment au-delà de l'achat des titres mis sur le marché ces institutionnels pourraient s'impliquer plus avant dans l'entreprise et lui apporter les fonds propres dont elle a besoin.

Dans le second cas, le prix du ticket d'entrée devrait être modéré ce qui ne garantit en rien que les intérêts patrimoniaux de l'Etat n'en sortiraient pas affectés. Là aussi il n'y aurait pas à attendre d'un nouvel entrant une quelconque contribution financière au développement d'une compagnie qui jusqu'à sa privatisation n'offrirait pour lui aucune visibilité.

Seule donc une privatisation est de nature à apporter une solution satisfaisante aux difficultés financières suscitées pour la compagnie et l'Etat par le maintien d'Air France dans le secteur public.

Ce maintien voulu par le gouvernement, favorise d'ailleurs la réticence des personnels de l'entreprise à en devenir également les actionnaires. On doit ajouter que la volonté ainsi manifestée par le gouvernement de conserver à l'Etat la majorité du capital de l'entreprise bride sa capacité à proposer aux salariés d'Air France une association plus étroite à la gestion de la compagnie. Une telle association pourrait pourtant favoriser sans aucun doute l'acceptation de la part des salariés d'efforts portant sur les rémunérations.

Mais la privatisation ne doit pas être comprise comme une opération seulement financière. Elle représente aussi une solution aux problèmes de gestion d'Air France.

L'appartenance de la compagnie au secteur public limite en temps ordinaires l'autonomie de gestion de l'entreprise
. Les tutelles qui pèsent sur elle ralentissent les décisions ou même entravent les mesures d'adaptation qui se révéleraient nécessaires. Les choix industriels peuvent être biaisés et le dialogue social est vicié dès lors que les ministres apparaissent comme des recours d'autant mieux mobilisables que pèsent sur eux des contraintes de toutes sortes.

Que dans ces conditions nul ne s'empresse d'apporter un soutien financier substantiel à la compagnie ne doit pas étonner.

On trouve un pendant à cette timidité dans les réticences des alliés potentiels d'Air France à conclure avec l'entreprise des accords stratégiques.

Air France est en effet la seule compagnie européenne de cette dimension à n'avoir pas conclu d'alliance globale avec l'une ou l'autre des compagnies américaines.

A supposer même que celles-ci ne souhaitent pas réaliser d'opérations de participations croisées avec Air France, elles semblent rétives à conclure des alliances avec un partenaire dont la gestion est susceptible d'obéir à des considérations étrangères à l'objet social de l'entreprise.

Cette situation est, faut-il le rappeler, très dommageable pour Air France. Il est d'ailleurs piquant d'observer que de telles alliances pourraient se révéler comme autant de moyens efficaces de réduire les besoins d'investissement de la compagnie ne serait-ce que parce qu'elles lui permettraient d'optimiser encore l'utilisation de ses capacités de production.

Le maintien d'Air France dans le secteur public n'a pas fini de dévoiler ses conséquences financières néfastes.

II - LE DISPOSITIF D'ÉCHANGE SALAIRES CONTRE ACTIONS


Le mécanisme essentiel mis en place par l'article 36, consistant à prévoir un échange entre des diminutions de salaires et la distribution d'actions gratuites, n'est affecté d'aucun vice propre. Au contraire, en associant le personnel au devenir de l'entreprise, en offrant une contrepartie à des efforts salariaux nécessaires, il peut offrir une modalité importante de la modernisation d'Air France.

Encore faut-il qu'une telle opération soit bien conduite, ce qui suppose un bon dialogue social, mais aussi et surtout de promouvoir une réforme ambitieuse de l'entreprise, cohérent avec le projet proposé aux salariés, avec les intérêts de l'Etat et avec la stratégie de l'entreprise.

En choisissant le chemin d'une ouverture du capital d'Air France limitée et étriquée, contrainte par le dogme du maintien dans le secteur public, le gouvernement ne se met pas en situation de valoriser Air France et d'entraîner l'adhésion de ses personnels à une formule d'actionnariat salarié qui apparaît alors simplement défensive.

A supposer même que le gouvernement impose la mesure agencée par ses soins, la contrainte financière et la nécessaire modernisation du cadre de gestion de l'entreprise subsisteraient. En outre, une occasion aurait été manquée de mobiliser les personnels autour de l'avenir d'Air France.

Le présent article tire d'ailleurs les conséquences de cette occasion manquée en rendant obligatoire un échange qu'une opération plus ambitieuse aurait sans doute grandement facilité.

A. UN DISPOSITIF CONTRAIGNANT...

Le paragraphe II de l'article autorise l'Etat à céder gratuitement des actions de la société Air France aux salariés de cette société qui auront consenti à des réductions de salaires.

Il s'agit donc de réunir les conditions légales d'un échange entre actions et salaires.

Cette opération ne constitue pas, dans son principe, une innovation. La loi n° 94-679 du 8 août 1994 avait ouvert à l'Etat la possibilité d'un tel échange. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les porteurs de droits sociaux ayant acquis des titres dans le cadre de cet échange sont au nombre de 12.074 et détiennent 1.381.577 actions. Les titres ainsi acquis ont été recueillis dans un fonds commun de placement baptisé Pélican II qui doit avoir reçu en mars dernier 650.000 actions nouvelles correspondant à la dernière tranche d'échange.

Au total, ce fonds regroupe 1 % du capital auquel s'ajoutent des bons de souscription d'actions. Il est intéressant de mettre en évidence ce résultat, somme toute modeste, pour le comparer avec les ambitions affichées par le gouvernement dans le cadre de l'article sous examen.

Mais, si l'opération proposée n'est pas une innovation dans son principe, elle l'est bien dans ses modalités.

La loi de 1994 avait organisé un échange sur une base volontaire et individuelle. De plus, la contrepartie de la cession d'actions était constituée d'une réduction des salaires consentie pour une durée de 3 ans.

Le dispositif de l'article 36 diffère profondément de celui de 1994.

Première différence essentielle
, le texte met en place un dispositif destiné à rendre contraignant pour les catégories concernées l'échange "actions - salaires".

Celui-ci reste, sans doute, subordonné à un accord social. Mais, cet accord n'est plus individuel mais collectif. Dès lors qu'un accord collectif entre la direction de l'entreprise et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives des personnels concernés aura été conclu le consentement individuel des salariés ne sera plus nécessaire. Un accord collectif est, en effet, opposable individuellement aux salariés d'une entreprise. Par conséquent, une fois un accord de réduction des salaires conclu, le refus individuel de l'appliquer constituerait un motif légitime de licenciement.

Le 3° du paragraphe II organise d'ailleurs une dérogation aux règles du droit du travail dans cette perspective.

L'article L.321-1-3 du code du travail prévoit en effet que, lorsqu'un employeur envisage le licenciement de plusieurs salariés ayant refusé une modification substantielle de leur contrat de travail, ces licenciements sont soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique.

Or, un arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 1996, Majorette et Framatome, a posé le principe "que dans les entreprises où sont occupés habituellement au moins cinquante salariés, les employeurs qui projettent d'y effectuer un licenciement pour motif économique, sont tenus, lorsque le nombre de licenciements envisagés est au mois égal à dix dans une même période de trente jours, non seulement de réunir et de consulter le comité d'entreprise, mais d'établir et mettre en oeuvre un plan social pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre ; qu'en outre, en application de l'alinéa 2 de l'article L.321-1 du code du travail, ces disposions sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant d'une cause économique".

La direction de la société nouvelle Majorette estimait ne pas être obligée d'organiser un plan social avant d'avoir obtenu la réponse des salariés à l'expiration du délai prévu par l'article L.321-1-2 du code du travail. La Cour de cassation n'a pas fait droit à cette façon de voir.

L'avant-dernier alinéa (3°) du paragraphe II de l'article 36 prévoit donc une procédure de licenciement spécifique.

Il dispose en effet que " l'engagement éventuel de la procédure prévue à l'article L.321-1-3 du code du travail ne peut intervenir qu'à l'issue de la procédure visée à l'article L.321-1-2 du même code ".

On rappelle que celui-ci impose à un employeur qui envisage une modification substantielle des contrats de travail, d'en informer chaque salarié par lettre recommandée avec accusé de réception . Le salarié dispose d'un mois pour notifier son refus. A défaut de réponse de sa part, il est réputé avoir accepté la modification proposée.

Cette disposition du texte dispense donc la direction d'établir un plan social avant de connaître le nombre de salariés qui seront concernés par des licenciements.

Mais, dira-t-on, la condition d'un accord collectif étant posée, un refus individuel manifesterait un manquement aux règles collectivement négociées et choisies. C'est négliger l'existence de nombreuses organisations syndicales jugées représentatives dans la société Air France et la possibilité de conclure un accord avec une organisation représentative mais minoritaire. La signature d'un seul syndicat suffirait à permettre la mise en oeuvre du plan. Cette "équation sociale" ne paraît pas de nature à entraîner l'adhésion d'une majorité de salariés envers un dispositif qui s'inscrit dans les paradoxes et faiblesses de la négociation collective à la française.

Seconde différence essentielle par rapport au texte de 1997, les réductions salariales, contrepartie de la cession gratuite d'actions, ne sont pas consenties pour une durée donnée (3 ans en 1994) mais pour la durée de la carrière professionnelle . Cela signifie que l'accord devra modifier la grille des salaires afin qu' in fine les salaires moyens perçus au cours d'une carrière soient réduits d'un pourcentage à déterminer lors de la négociation sociale. Cette condition, rejetée par le principal syndicat des pilotes, devrait être, en pratique, difficile à mettre en oeuvre. Ajoutons qu'elle n'est pas de nature à se trouver garantie, l'évolution des relations sociales pouvant à tout instant la remettre en cause dans un contexte où l'actionnariat salarié n'apparaîtra pas aux salariés de l'entreprise comme les associant suffisamment au devenir d'Air France.

B. ...OUVRANT LA PERSPECTIVE D'UN ACTIONNARIAT SALARIÉ RENFORCÉ MAIS LIMITÉ...

La répartition actuelle du capital d'Air France est la suivante :

Répartition du capital d'Air France

 

Nombre de titres
(en millions)

(en %)

Etat

184,74

94,0

SNCF

3,01

1,5

CDC Participations

1,12

0,6

CDR Participations

0,98

0,5

Chambre de commerce de Paris

0,42

0,2

sous-total secteur public

190,27

96,8

Arenia (groupe Air France)

0,90

0,5

Salariés en société coopérative

,2,30

1,2

Salariés volontaires 1994

1,39

1,3

Salariés Air France Europe

0,03

N.S.

sous-total salariés

3,72

3,0

Divers

0,45

0,2

TOTAL

194,44

100

L'exercice des bons de souscriptions d'actions par les salariés pourrait porter leur part de détention du capital de la société de 2,5 à 8 %

Comme le plafond du capital échangeable contre une réduction salariale est fixé à 12 %, la part du capital détenu par les salariés n'excéderait pas 20 % à l'issue de cette opération d'échange. Elle serait ainsi très inférieure non seulement à ce qu'elle est dans les entreprises concurrentes ayant développé l'actionnariat salarié (51 % du capital chez United Airlines ; 37 % chez Northwest) mais aussi aux seuils permettant aux actionnaires d'influer sur les décisions de la société.

80 % du capital au minimum resterait donc à l'Etat.

C. ...AU TERME D'UN "ÉCHANGE SALARIES - ACTIONS" INCERTAIN.

Il est à souligner que le chiffre de 12 % évoqué ci-dessus est un plafond.

La distribution d'actions gratuites et donc la quote-part du capital cédée gratuitement aux salariés dépendront en effet, d'une part, du niveau de valorisation d'Air France et, d'autre part, de la contribution de la réduction salariale à cette valorisation.

La valeur de l'entreprise dépend elle-même d'une évaluation que devra réaliser la commission des participations et des transferts, autrefois dénommée "commission de privatisation". Celles-ci disposera à l'évidence d'une large marge d'appréciation.

Il faudra alors que cette même commission évalue l'augmentation de valeur de la compagnie résultant des réductions salariales consenties par les personnels. Les actions cédées gratuitement par l'Etat ne peuvent en effet représenter un montant supérieur à cette augmentation de valeur. Cette dernière disposition est respectueuse des intérêts patrimoniaux de l'Etat mais le dispositif est globalement mal agencé.

Un problème séquentiel se pose d'abord. L'évaluation de la valeur de l'entreprise et de l'augmentation de la valeur de la participation de l'Etat résultant des abandons de salaires suppose que ceux-ci aient, au préalable, été formalisés dans l'accord collectif visé au 1° du paragraphe II.

Mais, cet accord suppose à son tour que les salariés connaissent précisément les indemnités auxquelles peuvent donner lieu les réductions de salaires auxquelles ils pourraient consentir. La question cruciale est de déterminer quelle est la valeur d'Air France car c'est à partir de cet élément actuel que sera évaluée l'augmentation de valeur résultant d'une réduction donnée de salaires. C'est également à partir de cette donnée que les salariés pourraient anticiper une valorisation éventuelle des titres reçus en guise d'indemnité.

Or, la méthode choisie par le gouvernement ne permet pas cela. Par conséquent, elle obère les chances de succès d'un accord qui suppose pour réussir la conclusion favorable des négociations mais aussi une adhésion des personnels.

Au-delà, il faut souligner combien les incertitudes sur l'avenir du capital de la compagnie réduisent l'attrait d'en détenir une part pour les salariés, et d'ailleurs pour n'importe quel investisseur, qui s'exposent alors à un risque relatif d'illiquidité du marché du titre tout en n'ayant aucune visibilité ni aucun pouvoir sur le contrôle des décisions essentielles de gestion et pour seule certitude l'incapacité de l'actionnaire majoritaire à accompagner le développement de l'entreprise.

Dans ces conditions, la disposition offrant aux salariés un encouragement supplémentaire à une réduction volontaire du salaire, contenue dans le septième alinéa (4°) du paragraphe II qui prévoit l'application d'un régime fiscal favorable aux actions cédées aux salariés, paraît peu décisive. Au terme de cette disposition, la valeur des actions cédées n'entrerait pas en compte dans le calcul des impôts, taxes et prélèvements assis sur les salaires ou les revenus. Ces actions relèveront en revanche de la fiscalité de droit commun des titres (l'imposition sur les plus-values s'applique, pour les opérations réalisées depuis le 1er janvier 1998, lorsque le montant annuel des cessions excède 50.000 francs, article 92 B du code général des impôts) et entreront dans le champ de l'impôt de solidarité sur la fortune et des droits sur les successions.

Enfin, à supposer même que le gouvernement impose l'échange envisagé, celui-ci ne déboucherait pas sur une économie suffisante pour assurer le financement des projets d'investissement de la compagnie.

Sur la base de chiffrages évidemment incertains, on estime que l'amélioration de l'excédent brut d'exploitation qui pourrait résulter d'un tel processus n'excéderait pas, au mieux, 0,5 milliard de francs. Une impasse de financement substantielle, toutes choses égales d'ailleurs, demeurerait donc de l'ordre de 2,5 milliards de francs.

*

* *

En faisant le choix d'un refus de privatiser Air France, le gouvernement s'est lui-même privé des marges lui permettant d'entraîner la pleine adhésion des personnels aux mesures de modernisation destinées à assurer le développement de l'entreprise.

Celui-ci, que la qualité du savoir-faire de ses salariés alliée aux considérables atouts naturels d'Air France devraient rendre particulièrement brillant, suppose, alors que la compagnie est redressée, sa privatisation, gage du dynamisme nécessaire à un acteur majeur du transport aérien.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page