2. Des échanges bilatéraux privilégiés, confortés par les perspectives d'apurement de contentieux sensibles

La France et la Tunisie sont liées par des relations privilégiées, confortées par des visites de haut niveau organisées à un rythme régulier. Mentionnons les visites récentes des ministres français de la Justice, de la Défense, de l'Intérieur et des Affaires étrangères, ainsi que les séjours, à un an d'intervalle, des présidents de nos deux assemblées parlementaires. La France a accueilli, dans la perspective de la visite d'Etat du président Ben Ali, des visites régulières des ministres tunisiens des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de l'investissement extérieur, ainsi que du premier ministre, M. Karoui.

La récente visite d'Etat du président Ben Ali, en octobre 1997, ainsi que l'apurement de certains contentieux bilatéraux, ont très opportunément contribué à relancer des relations dont le rôle dans la poursuite du dialogue euro-méditerranéen mérite d'être souligné.

a) Le dynamisme des relations économiques franco-tunisiennes

. En ce qui concerne le commerce bilatéral, la France est, de loin, le premier partenaire de la Tunisie, avant l'Italie et l'Allemagne, autres partenaires traditionnels de la Tunisie.

Premier client de la Tunisie, la France achète 25,6 % des exportations tunisiennes, (20,7 % pour l'Italie et 15,6 % pour l'Allemagne), soit environ 7,7 milliards de francs. Cette prépondérance s'explique par l'importance des investissements français en Tunisie, par la proximité géographique et culturelle entre les deux pays, et par un certain dynamisme des PME françaises en Tunisie (qu'il serait cependant justifié de renforcer, en raison de l'intérêt que présentent les partenariats privés entre entreprises françaises et tunisiennes).

La France est aussi le premier fournisseur de la Tunisie, avec une part de marché de quelque 24,1 % (18,5 % pour l'Italie, 12,5 % pour l'Allemagne et 4,4 % pour les Etats-Unis). Notre pays enregistre une balance commerciale positive, de l'ordre de 1,8 milliard de francs actuellement.

Le commerce franco-tunisien représente environ 25 % des échanges entre la France et les pays de l'Union du Maghreb arabe (Maroc, Libye, Tunisie, Algérie, Mauritanie).

Les importations françaises en provenance de Tunisie croissent à un rythme annuel moyen de 7,3 %. Elles concernent principalement le secteur textile (habillement, bonneterie), les appareils électriques, ainsi que les produits de l'agriculture (huile d'olive, fruits) et de la pêche. La part des produits énergétiques (pétrole brut) paraît désormais décroissante.

Les exportations françaises vers la Tunisie sont dominées par les produits destinés à l'industrie textile tunisienne, les biens d'équipement professionnels, les produits mécaniques et électriques, les véhicules et les produits pharmaceutiques. Rappelons que les principaux partenaires commerciaux de la Tunisie sont, outre la France, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne.

La France est également particulièrement active dans le domaine des services . Ainsi les plus importantes filiales étrangères implantées en Tunisie dans le secteur de la banque et des assurances sont-elles françaises. La constatation est la même en ce qui concerne les transports, les bureaux d'étude et les services médicaux privés. Les entreprises françaises sont également très présentes dans le secteur du tourisme. Les Français sont, à cet égard, le deuxième contingent de touristes (540 000 en 1996) après les Allemands (810 000).

. La France est le premier bailleur de fonds bilatéraux de la Tunisie (115 millions de dinars, soit environ 700 millions de francs). Notons en outre que la France contribue au programme européen MEDA à hauteur de 20 % environ.

C'est avec la Tunisie que la France utilise la plus large palette d'instruments de coopération financière, depuis l'aide-projet jusqu'aux lignes de partenariat, sans omettre les interventions de la Caisse française de développement. Depuis la fin des années 1980, les crédits publics bilatéraux se sont élevés à une moyenne de 733 millions de francs par an.

- L'aide-projet vise à financer les grands projets d'infrastructures publiques. Un nouveau protocole de 150 millions de francs a été signé en novembre 1996.

- Les interventions de la CFD , présente en Tunisie depuis 1992, s'effectuent sous forme de prêts à conditions ordinaires, destinés essentiellement à l'aménagement du territoire, au développement intégré et, de manière plus originale, à la formation professionnelle. Ces prêts comportent un élément-don d'environ 35 %.

- L' aide au partenariat et au développement du secteur privé vise le développement des entreprises.

Le protocole de partenariat est constitué de lignes de crédit alimentées par prêts du Trésor, et chargé de financer des entreprises en partenariat franco-tunisien. Depuis leur création, en 1990, ces aides ont permis de créer 3 500 emplois, et de financer une centaine de projets pour un montant de 385 millions de francs, le total des investissements effectués dans ce cadre s'élevant à 1 400 millions de francs. Ce protocole a été renouvelé en 1995 pour 50 millions de francs.

Le protocole PME-PMI , signé en décembre 1995, vise à financer des investissements réalisés par des entreprises tunisiennes dans le cadre de programmes de mise à niveau. Ce dispositif permet de rétrocéder à l'entreprise qui investit une part de l'élément-don du prêt accordé. Ce protocole de 155 millions de francs, pratiquement entièrement utilisé à l'été 1997, devrait être prochainement renouvelé.

. La coopération culturelle, scientifique et technique franco-tunisienne est aujourd'hui caractérisée par une certaine érosion des crédits d'intervention (- 37 % en cinq ans). Ceux-ci ont représenté 104 millions de francs en 1997, ce qui fait de la Tunisie, malgré le caractère relativement modeste de cette enveloppe, le premier bénéficiaire au monde par habitant des moyens consacrés par la France à la coopération internationale.

La coopération franco-tunisienne concerne principalement le domaine de l'éducation : 300 enseignants, 22 coopérants, 300 boursiers tunisiens d'études postdoctorales, 1 558 bourses de stage, 476 séjours linguistiques de haut niveau, 1 600 missions de formateurs en Tunisie, formation en France de 6 000 étudiants tunisiens, scolarisation en Tunisie de 2 641 élèves tunisiens dans deux lycées français (Tunis et La Marsa) et deux collèges. Depuis deux ans ont été réglés deux contentieux intéressant la coopération culturelle franco-tunisienne. Les conditions de l'utilisation du réseau de diffusion de France 2 par la chaîne tunisienne pour la jeunesse ont ainsi été précisées par échange de lettres, tandis qu'une partie de l'ancien lycée Carnot de Tunis a été rétrocédée à la France pour abriter le futur Espace culturel français. Notons, par ailleurs, la réalisation de grandes opérations de prestige dans le cadre de la coopération culturelle franco-tunisienne : Planétarium de la Cité des sciences, salles du Musée de Carthage consacrées à cent ans de fouilles françaises, Institut national des sciences appliquées et de technologies (inauguré par le président Ben Ali en présence du ministre français de l'Education nationale, en novembre 1996).

La coopération française, scientifique et technique, fait l'objet d'une demande importante en Tunisie, ce dont on ne peut que se féliciter. Cette demande nous impose cependant des devoirs particuliers, qu'il importe d'honorer.

L'ouverture de la Tunisie sur l'Union européenne et l'apport des financements européens imposent désormais un recentrage de l'action de la France, en synergie avec les interventions européennes, afin d'améliorer l'efficacité du dispositif de coopération franco-tunisienne. Dans cette perspective est actuellement entreprise une révision de la convention franco-tunisienne de coopération culturelle, scientifique et technique du 29 mai 1985, actuellement en vigueur. C'est dans ce même esprit que s'inscrit l' accord-cadre de partenariat signé à l'occasion de la visite d'Etat du président Ben Ali, et qui vise, en complément de l'aide attribuée par le biais du programme MEDA , à appuyer les réformes économiques et les programmes de mise à niveau lancés par le gouvernement tunisien : aménagement des zones industrielles, appui à la modernisation des infrastructures, au développement des entreprises, et à la formation professionnelle.

La coopération franco-tunisienne doit donc aujourd'hui se donner les moyens de relever le défi que représente l'ouverture de la Tunisie, par le biais de l'accord d'association avec l'Union européenne, à d'autres partenaires privilégiés que la France. C'est donc à un nouveau dynamisme de la coopération franco-tunisienne que nous invite l'accord d'association euro-tunisien.

b) L'importance des investissements français en Tunisie

La France est, traditionnellement, le premier investisseur étranger en Tunisie, avec 30,6 % de parts d'investissement. Le stock de capital est de l'ordre de 3,2 milliards de francs. On compte environ 400 filiales d'entreprises françaises en Tunisie.

. Les investissements étrangers sont appelés à jouer un rôle déterminant dans le développement de la Tunisie et la restructuration de ses entreprises, compte tenu de l'insuffisance de l'investissement national privé . Le gouvernement tunisien s'est donc attaché à définir un régime favorable aux investissements étrangers. Cette politique est passée par la décision relative à la convertibilité du dinar pour les transactions courantes, par la création d'un marché des changes, par l'élaboration d'une législation adaptée, et par la mise en place de deux zones franches.

- Le code d'incitation aux investissements (loi du 21 décembre 1993) a permis de simplifier les procédures d'investissements et de garantir la liberté d'investir. Il autorise les étrangers à détenir jusqu'à 100 % du capital des projets ; cette disposition ne concerne pas les terres agricoles, ni les activités de services non totalement exportatrices. Le code des investissements prévoit également des avantages communs à toutes les activités : dégrèvement de 35 % sur les bénéfices investis, suspension de la TVA sur les acquisitions d'équipements, droits de douane limités à 10 % sur les équipements importés n'ayant pas d'équivalents fabriqués en Tunisie, et possibilité d'option pour un régime d'amortissement dégressif.

- Les zones franches de Bizerte et de Zarzis bénéficient de l'exonération fiscale, de la suspension des droits de douane pour les importations d'effets personnels des personnels étrangers, et de la garantie de transfert sur les produits réels nets de la cession ou de la liquidation. Notons qu'une loi de 1987 fait bénéficier les entreprises exportatrices de l'exonération totale de l'impôt sur les bénéfices, et d'un régime forfaitaire de contribution fiscale du personnel étranger, fixé à 20 % de la rémunération brute.

. Les investissements étrangers restent très concentrés dans le secteur de l'énergie (près de 90 % de l'ensemble) et, dans une moindre mesure, dans le domaine du tourisme . La participation étrangère dans l'industrie manufacturière et dans le secteur bancaire est, en revanche, moins importante.

Les investissements européens (français, allemands, italiens, belges) représentent quelque 60 % du total des investissements étrangers. La présence américaine (17 % du total) est forte surtout dans le secteur pétrolier. Les investissements des pays arabes sont relativement importants dans les secteurs de la banque et du tourisme.

. Les investissements français concernent, de longue date, les grandes entreprises , dans les secteurs de la banque (BNP, CIC, Société Générale), de l'assurance (GAN, AGF, Mutuelles du Mans), les hydrocarbures (Elf, Total), de la construction (Dumez, Bonna), et de l'industrie (Air Liquide, Valeo). Les récentes implantations françaises concernent Bouygues (réalisation d'un parc technologique), Roussel-Uclaf et UPSA (secteur pharmaceutique), la Lyonnaise des eaux, présente en Tunisie depuis 1935, Elf et Total, qui continuent de développer leurs activités dans le domaine des hydrocarbures, Air Liquide (production d'oxygène et d'azote) et, dans le secteur touristique, les groupes ACCOR et FRAM. Il convient de souligner le dynamisme des entreprises françaises présentes en Tunisie dans le domaine du tourisme : les Français sont le deuxième contingent de touristes en Tunisie (540 000 en 1996) après les Allemands (810 000).

De nombreux projets sont actuellement en cours, parmi lesquels :

- CEGELEC : centrale électrique à Sousse (260 millions de francs) et montage de postes à haute tension (90 millions de francs) ;

- Airbus industrie : renouvellement d'une partie de la flotte de Tunis Air ;

- Thomcast : installation d'un réseau en ondes courtes (54 millions de francs).

Notons que l'implantation de PME françaises est un phénomène plus récent. Les PME françaises sont relativement nombreuses aujourd'hui à délocaliser leurs activités de production (chaussure, habillement, pièces automobiles) en Tunisie.

De l'avis des observateurs, la Tunisie offre des perspectives favorables aux entreprises françaises. La proximité culturelle et géographique constitue un atout évident, qui compense la relative exiguïté du marché intérieur tunisien, mais qui ne doit pas pour autant dispenser l'investisseur français de tout effort pour mieux connaître les spécificités de la Tunisie. De manière générale, les positions privilégiées détenues par la France dans ce pays ne doivent plus être considérées comme acquises, la Tunisie étant aujourd'hui -et cela est encore plus vrai après l'entrée en vigueur de l'accord d'association de juillet 1995- largement ouverte à la concurrence internationale.

c) Une part substantielle des contentieux relatifs aux biens immobiliers en voie de règlement

Les contentieux relatifs aux biens immobiliers détenus en Tunisie, pour la plupart avant l'indépendance, par des ressortissants français, constituent un dossier très sensible dont le règlement prochain exercera des conséquences favorables sur les relations bilatérales.

Ces contentieux tiennent, d'une part, aux difficultés auxquelles sont confrontés les Français qui, propriétaires de biens immobiliers en Tunisie acquis avant l'indépendance, souhaiteraient vendre ceux-ci et, d'autre part, au problème des nationalisations de terres agricoles possédées par des ressortissants français.

- Les propriétaires français de biens immobiliers en Tunisie qui souhaiteraient vendre ceux-ci sont soumis par la loi tunisienne à un statut particulier. Destinée à l'origine à lutter contre toute spéculation et tout transfert illégal de capitaux, la procédure à laquelle est soumise la vente de ces biens est longue (trois à cinq années étant des délais fréquemment observés) et complexe et a, de facto, contribué à empêcher les propriétaires français de disposer librement de leurs biens. Ces difficultés tiennent, pour l'essentiel, à la nécessité d'obtenir, avant la vente de tout bien immobilier, une double autorisation préalable (des autorités centrales comme des autorités locales), dont le refus n'est pas systématiquement motivé. Ces diverses conditions ont contribué à vulnérabiliser la situation des propriétaires français désireux de vendre des biens dont le rapport était, par ailleurs, souvent plus que médiocre (loyers très bas, perçus de manière extrêmement aléatoire).

Deux accords bilatéraux, conclus en 1984 puis en 1989, ont organisé la cession aux Tunisiens de ce patrimoine, constitué alors d'environ 7 000 propriétés détenues initialement par quelque 30 000 personnes (ce décalage s'explique par le nombre de biens possédés en indivision). Un tiers des propriétaires français a accepté de vendre à l'Etat tunisien dans les conditions fixées par ces accords, l'Agence d'indemnisation des Francais d'outre-mer se chargeant, côté français, de l'ensemble des formalités requises, l'Etat tunisien assurant pour sa part la revente des immeubles concernés aux occupants tunisiens. Les prix de vente ont été fixés, sur la base de l'accord de 1984, à des niveaux estimés très faibles (de l'ordre de deux fois et demi les prix constatés en 1956). Plusieurs années ont pu s'écouler, de surcroît, avant que les propriétaires perçoivent effectivement le produit de la vente, en raison des limitations longtemps apportées par les autorités tunisiennes aux sorties de devises.

Par ailleurs, un tiers des propriétaires français ne s'étant pas fait connaître des autorités tunisiennes après l'entrée en vigueur de l'accord de 1984, leurs biens ont été transférés automatiquement, par le biais de procédures d'offres publiques d'achat définies par l'accord de 1984, à l'Etat tunisien.

Le tiers restant des propriétaires français a refusé de procéder à la vente dans les conditions prévues par l'accord de 1984. Depuis que celui-ci est parvenu à échéance, ces propriétaires revendiquent de réaliser leur patrimoine dans les mêmes conditions que les propriétaires tunisiens , alors même que la procédure de la double autorisation préalable, par ailleurs discriminatoire, les empêche de procéder à la vente de leurs biens.

C'est précisément sur la suppression de cette procédure d'autorisation préalable que s'appuie, depuis 1995-1996, la position française sur ce dossier complexe et sensible. Les autorités tunisiennes ont accédé à cette demande avant la visite d'Etat du président Ben Ali, en octobre 1997, acceptant ainsi de mettre fin à plusieurs décennies de pratiques contestées par les propriétaires français. C'est désormais aux propriétaires français de biens immobiliers en Tunisie de parvenir à vendre leurs biens. L'ensemble de ce patrimoine représente quelque 2 000 immeubles, évalués à ce jour à 500 millions de francs environ. La situation actuelle, certes toujours difficile, est rendue moins délicate par le fait que les transferts de fonds ne sont plus bloqués, sous réserve de la communication d'un dossier à la Banque centrale de Tunisie, et de la délivrance d'un quitus fiscal attestant que le vendeur a acquitté tous ses impôts.

Rappelons que les lacunes du dispositif mis en place à partir de l'accord de 1984 avaient conduit le Sénat à rejeter le projet de loi autorisant l'approbation de celui-ci 2( * ) .

- Reste un contentieux lié à la nationalisation des terres agricoles . Une loi tunisienne de 1964 permet, en effet, de procéder à l'expropriation pure et simple, sans indemnisation, des propriétaires de terres agricoles . Or la détermination de la nature agricole d'un bien dépend, selon la loi tunisienne, de la situation de celui-ci non seulement au moment de la décision de nationalisation, mais aussi en fonction de sa vocation à l'époque où a été adoptée ladite loi. C'est ainsi que les autorités tunisiennes ont nationalisé des terrains devenus urbains.

Ce contentieux sur les terres agricoles ne paraît pas résolu à ce jour, à la différence des difficultés précédemment évoquées.

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Il est clair que le règlement des difficultés posées par la vente des biens immobiliers français en Tunisie conditionnait la signature de l'accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements. En effet, celui-ci invite les deux Parties à appliquer aux sociétés et nationaux de l'autre Partie un "traitement non moins favorable que celui accordé à ses nationaux ou sociétés", ce que ne permettait pas, par exemple, l'exigence de double autorisation de vente.

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