II. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : D'UN TEXTE IMPÉRATIF INAPPLICABLE À UN TEXTE INCITATIF D'INTENTION

A. UN TEXTE INITIAL CONTRAIRE À NOS ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX

1. La proposition de loi adoptée par le Parlement des enfants

Aux termes de son article 1 er , les fournisseurs de matériel scolaire auraient été tenus d'indiquer dans leur document de vente la provenance du matériel scolaire proposé afin que les acheteurs puissent s'assurer que ces fournitures n'ont pas été fabriquées par des enfants.

Son article 2 stipulait que lors des commandes passées directement par les écoles élémentaires pour leur fonctionnement pédagogique, dont les dépenses sont imputées sur le budget de la commune, les écoles ou les mairies devaient s'assurer qu'elles n'achetaient pas de fournitures fabriquées par des enfants.

L' article 3 visait pour sa part à interdire l'achat de telles fournitures par les communes lorsqu'elles proviennent de pays où les droits de l'enfant en général, et pas seulement l'interdiction du travail des enfants, ne sont pas respectés.

2. Une rédaction imparfaite

La rédaction initiale de la proposition de loi soulevait ainsi plusieurs objections :

- la notion de fournisseur de matériel scolaire et de catalogue n'est d'abord pas clairement définie ;

- sauf à remettre en cause le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat, on voit mal comment la France serait en mesure de vérifier le respect de la convention des Nations Unies du 20 novembre 1989 sur l'interdiction du travail des enfants qui a été ratifiée par la quasi totalité des Etats membres de l'ONU.

3. La nécessaire prise en compte de nos engagements internationaux

Compte tenu de ses engagements internationaux, la France n'a pas la faculté d'invoquer un critère de nationalité aussi bien dans ses relations commerciales que dans la passation des marchés publics.

a) Au niveau communautaire

Il convient en effet de rappeler que l'article 6 du traité de Rome interdit toute discrimination entre Etats membres de l'Union européenne qui serait fondée sur la nationalité.

En conséquence, le droit communautaire des marchés publics est fondé sur le principe de la libre circulation des marchandises et la non discrimination, ces règles s'appliquant aussi bien aux marchés publics de l'Etat qu'à ceux des collectivités territoriales et de leurs établissements.

Dans la pratique, les directives communautaires relatives aux marchés publics transposées en droit français prévoient des possibilités d'exclusion des marchés en cas de fraude fiscale, d'infractions à la réglementation sur les charges sociales et de fausse déclaration : en conséquence, un Etat membre ne peut exiger d'un soumissionnaire étranger la preuve qu'il remplit des critères autres que ceux posés par ces directives.

b) Au niveau international

Le principe de non discrimination à raison de la nationalité constitue également le fondement de l'Organisation mondiale du commerce et les seuls aménagements acceptés ne peuvent être justifiés que par des circonstances particulières (accords régionaux, avantages consentis à des pays en développement).

S'agissant des marchés publics qui sont intégrés dans le GATT depuis 1994, ceux-ci sont également soumis au principe de libre concurrence et de non discrimination, conformément à l'annexe 4 de l'accord instituant l'OMC.

Dans la pratique, la France interdit ou limite les importations de produits manufacturés seulement pour des motifs de sécurité nationale ou de santé publique. En conséquence, une loi française qui évoquerait le critère de nationalité en invoquant le non respect par une entreprise étrangère de l'interdiction du travail des enfants constituerait un obstacle non tarifaire à la libre concurrence internationale et serait donc contraire au droit communautaire comme au droit international.

L'accord du GATT sur les marchés publics de 1994 prévoit cependant une liste de dérogations (le travail forcé, par exemple, mais pas le travail des enfants) qui peuvent être invoquées par un Etat à la condition que ces dérogations ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction aux règles du commerce international.

B. LE TEXTE VOTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

1. L'article 1er : de l'interdiction d'acheter à l'incitation à ne pas acheter...

Afin de traduire le souci exprimé par les jeunes initiateurs de la proposition de loi, l'Assemblée nationale a substitué au principe général d'interdiction un dispositif incitatif destiné à dissuader les établissements d'enseignement et les collectivités concernées d'acheter de tels produits. Ce dispositif leur permettrait de s'informer des conditions de fabrication de ces produits lors de la discussion des offres et de la passation du marché sans toutefois leur permettre d'user de ce seul critère pour favoriser un candidat parmi plusieurs entreprises qui auraient présenté des offres équivalentes.

Le nouvel article premier a donc pour objet de mettre en place un mécanisme de discrimination positive permettant de favoriser, lors des marchés publics, les entreprises qui s'engageraient à ne pas recourir au travail des enfants.

Ce mécanisme reposerait sur une clause incitative introduisant un critère additionnel dans les marchés, celui-ci devant être spécifié dans l'avis d'appel d'offres et justifié par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution.

Il convient à cet égard de rappeler que le Conseil d'Etat considère que les mentions relatives à un critère additionnel constituent une simple déclaration d'intention sans que celle-ci puisse constituer un critère de choix qui se substituerait aux critères réglementaires ou même se bornerait à compléter ces critères réglementaires 3( * ) .

En conséquence, le législateur pourrait fixer un tel critère additionnel sous réserve que celui-ci ne constitue pas un obstacle non tarifaire au sens des engagements internationaux qui s'imposent à notre pays.

2. L'article 2 : l'information des élèves pour leurs fournitures scolaires qui restent à la charge des familles

Afin de compléter l'article premier, l'article 2 propose de mettre en place une information qui serait dispensée aux élèves lorsque leurs enseignants leur présentent la liste des fournitures scolaires qui demeurent à la charge des familles.

A cette occasion, les enseignants devront informer leurs élèves sur le fait que certains de ces produits peuvent avoir été fabriqués avec une main-d'oeuvre enfantine.

Ce type d'information permettrait de développer l'éducation des jeunes consommateurs qui est déjà spécifiquement visée par des circulaires de 1982, 1983, 1988 et 1990 prises par le ministre chargé de l'éducation.

3. Un enseignement spécifique sur les droits de l'enfant dans le cadre des cours d'instruction civique

Afin de compléter l'information et de développer la sensibilisation des élèves sur les droits de l'enfant, l'Assemblée nationale propose dans l'article 3 de généraliser un enseignement spécifique sur ce thème dans le cadre des programmes d'éducation civique à tous les niveaux de la scolarité.

Elle s'est inspirée à cet égard de l'article 142 de la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions qui prévoit un enseignement des droits de l'homme.

Cette préoccupation ne constitue pas, à proprement parler, une nouveauté puisque la récente circulaire interministérielle relative à la célébration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme dans l'enseignement scolaire rappelle que les droits de la personne humaine sont déjà abordés dans les programmes d'enseignement de l'école, du collège et du lycée.

C'est ainsi que le programme d'éducation civique en classe de CM2 mentionne expressément l'éducation aux droits de l'homme.

S'agissant du collège, les Déclarations des droits constituent des documents de référence obligatoires en éducation civique, tandis que les programmes d'histoire et de géographie des classes de 4 e et de 3 e consacrent une large part aux droits de la personne.

Enfin, les élèves des classes de seconde et de première au lycée étudient ce thème en histoire-géographie et l'éducation à la citoyenneté enseignée à titre expérimental cette année, comporte un volet relatif aux droits de l'homme.

C. LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION

Comme l'ont relevé de nombreux intervenants à l'Assemblée nationale, la valeur normative de ce texte apparaît des plus incertaines même si sa portée pédagogique et symbolique est évidente.

La rédaction de l'article premier résulte d'un compromis difficile entre un texte initial inspiré par un souci de générosité et de solidarité -que le Sénat ne peut que prendre en compte- et les contraintes résultant des engagements communautaires et internationaux de notre pays.

Votre commission s'interroge cependant sur les conséquences de cette rédaction, dans le cas où un établissement scolaire ou une collectivité n'aurait pas suffisamment " veillé " à ce que la fabrication des fournitures scolaires achetées par leurs soins n'ait pas requis l'emploi d'une main-d'oeuvre enfantine dans des conditions contraires aux conventions internationales.

Un tel défaut de vigilance n'est-il pas susceptible d'entraîner des recours et d'entraîner une remise en cause de certains marchés qui seraient passés par les collectivités et de susciter un contentieux ?

Votre commission souhaiterait que le gouvernement puisse apporter au Sénat des assurances sur ce point.

Il convient en outre de rappeler que les achats de fournitures destinées aux établissements scolaires, et effectués par les collectivités publiques et établissements concernés, ne nécessitent pas, dans un grand nombre de cas, de recourir à un appel d'offre, compte tenu de la modicité de leur montant.

Dans la pratique, pour ces achats de faible montant, il est d'usage que la commune s'adresse au papetier local ou à une grande surface qui ne seront pas nécessairement en mesure de s'assurer de la provenance de ces fournitures et des conditions dans lesquelles celles-ci ont été fabriquées.

S'agissant des articles 2 et 3 qui relèvent plus directement de la compétence de votre commission, et qui concernent l'information spécifique qui serait donnée aux élèves quant à la connaissance et au respect des droits de l'enfant, son rapporteur ne peut que rappeler que les modalités de cette information relèveraient au mieux d'une circulaire du ministre délégué, le contenu des programmes scolaires et les modalités de présentation d'une liste de fournitures établie par le maître ne relevant à l'évidence pas de la compétence du Parlement.

Cependant, compte tenu du caractère du message adressé par les jeunes auteurs de la proposition de loi, votre commission vous proposera de retenir le texte de l'Assemblée nationale.

Afin de compléter ce message, en s'inspirant de la démarche qui a été suivie par nos collègues députés, votre commission souhaiterait compléter ce dispositif par un article additionnel avant l'article premier.

Cet article additionnel reprendrait sous une forme légèrement modifiée la dernière phrase de l'article 2 de la charte du jeune citoyen de l'an 2000 4( * ) qui a été adoptée par les " sénateurs-juniors " dans l'hémicycle du Sénat le samedi 28 mars 1998, et qui a pour objet de combattre et de dénoncer le travail des enfants.

Il serait ainsi rédigé :

" L'exploitation des enfants par le travail doit être fermement combattue et dénoncée, y compris en refusant de coopérer avec des pays qui ne respectent pas la déclaration des droits de l'enfant ".

Sous réserve de ces observations et de cet amendement, votre commission vous demande d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée.

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