N° 332

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 mai 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Denis BADRÉ sur la proposition de directive du Conseil modifiant, en ce qui concerne le taux normal, la directive 77/388/CEE relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (n° E-1193),

Par M. Denis BADRÉ,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir le numéro :

Sénat : 233
(1998-1999).


Union européenne.

Mesdames, Messieurs,

Avec l'examen de la présente proposition de résolution portant sur une proposition de directive (n° E-1193) permettant au Conseil de prendre une décision sur le niveau du taux minimum et maximum en matière de taux normal de la TVA, notre Commission des Finances poursuit un objectif.

Il s'agit en effet de réaffirmer le principe selon lequel les propositions de la Commission européenne visant à mettre en place un système commun de TVA ne pourront pas être retenues tant que toutes les conditions pour le passage au régime définitif n'auront pas été réunies .

La Commission des finances souhaite par ailleurs rappeler la constance de ses préconisations s'agissant du passage au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

En effet, ainsi que le souligne la Commission européenne dans l'exposé des motifs de sa proposition de directive, celle-ci " s'inscrit dans la logique de la Commission de 1995 sur le même sujet. La situation n'a pas fondamentalement changé depuis ".

Aussi, votre rapporteur ne peut que rappeler les propos qu'il tenait déjà, au nom de la Commission des Finances, sur cette même question en octobre 1997 : " Sous des aspects techniques, ces questions sont de nature à entraîner des bouleversements économiques et leur enjeu pour la construction européenne est important. C'est pourquoi, votre rapporteur estime qu'il convient de faire preuve à leur sujet d'une certaine prudence et du plus grand pragmatisme " 1( * ) .

Par ailleurs, si la présente proposition de directive ne vise que le niveau du taux normal de TVA, il apparaît opportun à votre rapporteur d'évoquer une nécessaire évolution de la réglementation communautaire relative au niveau et surtout au champ d'application du taux réduit de TVA. Cette situation fait en effet l'objet actuellement d'un examen par votre Commission des Finances et devrait se traduire dans les semaines à venir par des initiatives en ce sens.

LE CONTENU DU DOCUMENT N° E-1193 : LA FIXATION De TAUX MINIMUM ET MAXIMUM EN MATIERE DE TAUX NORMAL DE TVA

L'objet de cette proposition de directive est de permettre au Conseil de prendre une décision sur le niveau des taux minimum et maximum en matière de taux normal de TVA. Cette proposition conduirait à adopter une fourchette de taux, le taux normal étant fixé à 15 % et le taux plafond à 25 %.

La Commission estime, en effet, que cette décision est nécessaire " pour consolider le fonctionnement du Marché intérieur sous l'angle fiscal, aussi bien dans le cadre des dispositions transitoires actuellement en vigueur que dans la perspective du régime définitif pour le système commun de taxe sur la valeur ajoutée ".

La Commission avait déjà présenté en 1995 une proposition identique. En 1996, le Conseil avait accepté l'objectif de la Commission qui était de prévenir un accroissement de l'écart existant entre les taux normaux pratiqués par les Etats-membres, lesquels varient entre 15 % au Luxembourg et 25 % au Danemark et en Suède.

Ainsi que le dernier rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les règles relatives à la TVA , en date du 13 novembre 1997 2( * ) , l'a souligné : " le niveau des taux varie toujours considérablement : le taux normal évolue entre 15 et 25 % " . La moyenne arithmétique simple du taux normal s'établit à 19,5 % en augmentation par rapport à 1994, en raison de l'élargissement de la Communauté à 15 Etats-membres et des taux en moyenne plus élevés des trois nouveaux Etats-membres.

Une tendance analogue existe quant aux taux moyens pondérés.

 

1994

1995
UE à 12

1995
UE à 15

Taux normal moyen pondéré

17,07 %

17,28 %

17,62 %

Source : commission européenne - 1997.

Les taux moyens recouvrent par ailleurs de grandes disparités ainsi que cela ressort du tableau ci-joint retraçant l'évolution des taux normaux de TVA appliqués dans les Etats-membres entre 1994 et 1996.

 

Taux normal

Etat-membre

1994

1995

1996

Allemagne

15

15

15

Luxembourg

15

15

15

Espagne

15

16

16

Portugal

16

16

17

Pays-Bas

17,5

17,5

17,5

Royaume-Uni

17,5

17,5

17,5

Grèce

18

18

18

Italie

19

19

19

Autriche (1)

20

20

20

France

18,6

20,6

20,6

Belgique

20,5

20,5

21

Irlande

21

21

21

Finlande (1)

22

22

22

Danemark

25

25

25

Suède (1)

25

25

25

(1) Ces trois Etats sont membres depuis le 1 er janvier 1995.

Source : commission européenne - 1997.


Le Conseil à la suite du Parlement européen qui s'était refusé, de son côté, pour des motifs tenant à la subsidiarité, à fixer un taux maximum, s'était contenté d'arrêter un taux minimum de 15 %. Quant au taux maximum, il s'était engagé politiquement, dans une annexe à sa décision, à ne pas accroître de plus de dix points l'écart entre le taux normal le plus faible et le taux normal le plus élevé constaté dans la Communauté.

La proposition de la Commission européenne s'inscrit donc dans le cadre de ses réflexions sur l'introduction d'un nouveau système commun de TVA et sur l'opportunité d'améliorer l'actuel système transitoire. Ces réflexions ont déjà fait l'objet d'une communication au Conseil en date du 22 juillet 1996.

La Commission reconnaît en effet explicitement à cette occasion que sa proposition " vise à préparer l'harmonisation des taux qui est nécessaire dans le cadre du régime actuel de TVA tout en préparant également les prochaines étapes vers un rapprochement progressif des taux de façon à permettre la mise en place du système commun de TVA ".

I. LE RÉGIME COMMUN DE TVA : UNE AMBITION TOUJOURS IMPOSSIBLE

Ainsi que votre Commission l'avait déjà relevé, et sans qu'il soit besoin de revenir sur la genèse ou l'ensemble des aspects de ce problème qui ont été traités de façon approfondie par votre rapporteur notamment au travers du rapport d'information fait au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne 3( * ) ou de son rapport sur le régime de TVA présenté au nom de la Commission des Finances 4( * ) , la mise en place d'un régime commun de TVA était déjà apparue en 1997 comme une " ambition impossible ".

On rappellera en effet que si les propositions faites par la Commission européenne apparaissaient cohérentes, les conséquences semblaient difficilement soutenables.

A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

Ayant le souci de la cohérence, le projet de la Commission européenne rendu public en juillet 1997, reposait sur quatre principes essentiels, étroitement liés et découlant logiquement les uns des autres.

La suppression de toute distinction entre opérations nationales et opérations intracommunautaires, ce qui implique la taxation des produits dans leur pays d'origine.

L'instauration d'un lieu unique de taxation au sein de l'Union européenne pour un même opérateur, sans distinction selon l'État membre où seraient réalisées les opérations.

L'harmonisation quasi-parfaite des taux de TVA afin d'éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs communautaires, pouvant conduire à des détournements de flux commerciaux et des délocalisations d'activités.

La mise en place d'un mécanisme de redistribution des recettes entre les États membres, sur la base statistique de leurs consommations respectives. En effet, en l'absence d'un tel mécanisme de compensation, les Etats-membres structurellement exportateurs à l'égard du reste de l'Union capteraient les recettes de TVA facturées par leurs entreprises aux consommateurs des pays voisins .

A cette fin avait été prévu un programme de travail " ad hoc " encadré par un échéancier précis se déroulant de 1997 à la mi-1999. Cette date devait constituer la dernière étape de l'harmonisation des taux, pour aboutir à l'entrée en vigueur, dès 2001, du régime définitif, ou système commun de TVA.

B. DES CONSÉQUENCES DIFFICILEMENT SOUTENABLES

Une telle mise en place apparaissait à votre Commission prématurée. Trois grands risques avaient, en effet, alors été mis en évidence.

1. Des distorsions de concurrence majeures

Le projet présenté par la Commission européenne prévoyait un lieu unique d'imposition pour les entreprises : les biens circuleraient librement dans la Communauté, le marché communautaire fonctionnant pour les entreprises exactement comme un marché national.

La proposition de la Commission aurait donc pour conséquence d'introduire des distorsions de concurrence de nature fiscale entre les entreprises communautaires. En l'absence d'alignement des taux entre les États-membres, on assisterait alors à des détournements de flux commerciaux au bénéfice des États pratiquant les taux les plus bas ainsi qu'à des délocalisations d'entreprises motivées seulement par des raisons fiscales. En outre, ces délocalisations ne concerneraient, de fait, que les grandes entreprises pénalisant ainsi les petits établissements.

2. Les dangers d'une harmonisation rapide des taux

Dans son projet, la Commission européenne avait pris en compte ce risque de détournement des flux commerciaux et de délocalisation des entreprises en préconisant un alignement des différents taux de TVA appliqués par les États-membres.

Or, cette harmonisation n'était pas neutre au plan macro-économique car elle constituait un choc, par nature asymétrique, pour les États-membres.

L'étude alors réalisée montrait notamment que ce rapprochement des taux de TVA était difficilement compatible avec les politiques budgétaires engagées pour la réalisation de la monnaie unique.

3. La fiabilité douteuse du mécanisme de compensation

En l'absence d'une compensation, le changement dans la taxation des échanges intracommunautaires se traduirait par d'importantes modifications des recettes de TVA bénéficiant aux États-membres.

Aussi, le mécanisme de compensation proposé par la Commission européenne était indispensable afin de préserver les ressources fiscales des États-membres et de conserver un caractère national à l'attribution du produit d'un impôt, dont le fonctionnement serait devenu purement communautaire.

Toutefois la Commission avait estimé que la réattribution des recettes ne devait pas être fondée sur les données provenant des déclarations fiscales des assujettis, mais en fonction de la base statistique de la consommation fiscale taxée sur le territoire de l'État-membre. Ce mécanisme n'apparaissait pas suffisamment fiable et outre la question de la qualité des indicateurs, il incitait les États-membres commercialement excédentaires à relâcher leur vigilance fiscale, ces derniers n'ayant plus d'intérêt objectif à veiller à la bonne répartition des recettes destinées à d'autres États-membres.

Au total, en l'état actuel de la construction européenne, ce projet de système commun avait pour chacun des Etats-membres des conséquences difficilement soutenables : délocalisations d'activités, pertes de recettes fiscales et réduction des marges de manoeuvre budgétaires.

De plus, la cohérence du système proposé par la Commission européenne était telle qu'il n'était pas possible de renoncer à un seul de ses éléments sans devoir renoncer à l'ensemble du dispositif.

*

* *

En conséquence, plutôt qu'une mise en oeuvre prématurée, votre rapporteur plaidait déjà pour une amélioration du régime transitoire. Il estimait en effet que " la seule voie de progrès reste, aujourd'hui, dans l'amélioration du régime dit transitoire ".

Il vous proposera en conséquence au travers de l'examen de la présente proposition de résolution de confirmer ce jugement : " Considérant que le Sénat, dans sa résolution du 6 novembre 1997, avait demandé au gouvernement qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur un système commun de taxe à la valeur ajoutée tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies ".

Cette position est d'ailleurs celle que défend désormais la Commission européenne. Ainsi dans les considérants de cette proposition de directive, elle estime en effet que " l'expérience du fonctionnement du système de taxation actuel a démontré que le taux normal de TVA actuellement en vigueur dans les différents Etats-membres, en combinaison avec les mesures de sauvegarde inhérentes à ce système de taxation, a assuré un fonctionnement globalement satisfaisant du régime transitoire de la TVA ". Un tel jugement rejoint celui qu'elle exprimait déjà dans son rapport au Conseil et au Parlement en date du 13 novembre 1997 : " la Commission estime que, d'une manière générale, la structure actuelle des taux de TVA n'est pas, dans l'espace communautaire, un obstacle au bon fonctionnement du régime transitoire de TVA ".

Cette amélioration du régime transitoire que votre rapporteur avait déjà en son temps préconisée et à laquelle la Commission européenne s'est ralliée, reste donc toujours nécessaire.

II. LA POURSUITE DE L'AMÉLIORATION DU RÉGIME TRANSITOIRE

Dans la mesure où, jusqu'à nouvel ordre, on renonce à passer au régime définitif de TVA pour les raisons rappelées ci-dessus, il apparaît indispensable d'améliorer le système transitoire de TVA qui semble finalement appelé à durer.

Cette tâche est du ressort de la Commission européenne et doit être menée d'autant plus rapidement que lesdites améliorations apportées au régime transitoire ne pourront à terme que profiter au régime définitif.

A ce titre, votre rapporteur vous propose à l'occasion de l'examen de la présente proposition de résolution " d'insister sur la nécessité de procéder aux améliorations nécessaires du régime transitoire, en particulier pour l'élimination des lacunes et fraudes dans l'application du régime actuel de TVA en Europe ". Votre rapporteur avait en effet en 1997 déjà recensé plusieurs axes d'amélioration, des lacunes à combler ainsi que des divergences à réduire.

Il convient aujourd'hui d'essayer de tracer un premier bilan des perspectives alors ouvertes.

A. LES AMELIORATIONS PRECONISEES

1. La prévention de la fraude

a) Des possibilités de fraude accrues

Avant le 1 er janvier 1993, les modalités de contrôle étaient simples. Les entreprises devaient fournir directement les preuves pour justifier leurs déclarations fiscales en matière d'importation ou d'exportation, et cela soit au moyen du reçu de la recette des Douanes qui était délivré au moment de l'importation, soit du document administratif unique (DAU) que visaient les Douanes lors de la sortie du territoire national et qui attestait de l'exonération de TVA liée à cette opération d'exportation.

Le régime transitoire de TVA intra-communautaire a modifié de façon sensible la manière dont ces contrôles sont désormais exercés dans la mesure où il repose sur trois principes essentiels :

La fin des restrictions à l'achat pour les particuliers, qui sont imposés à la TVA dans le pays d'origine des biens qu'ils achètent, sauf pour l'achat de véhicules neufs et les ventes par correspondance.

L'abolition des contrôles aux frontières pour les entreprises.

Le maintien de la taxation dans le pays de destination, qui a permis de préserver les recettes de chaque État-membre.

La contrepartie de la disparition des formalités aux frontières se trouve dans de nouvelles obligations déclaratives pour les entreprises :

- la déclaration d'échange de biens (DEB), par laquelle les entreprises doivent communiquer chaque trimestre un état récapitulatif de leurs livraisons intracommunautaires par client et retracer dans une déclaration statistique détaillée leurs mouvements de marchandises avec les autres pays européens ;

- le numéro d'identification communautaire, attribué à chaque entreprise, qui permet au fournisseur de s'assurer que son client est bien assujetti à la TVA dans son pays et peut donc recevoir une livraison exonérée de taxe.

De ce fait, les contrôles sont devenus plus difficiles car conformément au principe de libre circulation, les biens s'échangent hors taxes et il n'y a plus d'intervention administrative à un quelconque moment de la transaction. Par voie de conséquence, il appartient désormais aux vérificateurs de faire eux-mêmes la preuve de la fraude, par exemple dans le cas d'acquisitions intra-communautaires non déclarées.

Ainsi, le régime transitoire de TVA qui constitue un système déclaratif où la taxe est automatiquement liquidée par les entreprises, se prête donc à des fraudes de trois types principalement.

La non-déclaration d'acquisitions intracommunautaires, qui permet d'alimenter un circuit de commercialisation occulte ou de déduire abusivement la TVA sur des marchandises acquises hors taxes auprès d'un fournisseur communautaire.

La déclaration d'acquisitions intracommunautaires fictives, alors que les biens concernés sont écoulés sur le territoire national. L'entreprise fraudeuse peut alors, soit s'octroyer un avantage concurrentiel en facturant les biens hors taxes, soit encaisser pour son propre compte la TVA facturée à ses clients.

La constitution de montages juridiques plus complexes. Certains de ces montages, appelés " carrousels ", reposent sur des circuits commerciaux entre entreprises éphémères établies dans différents États-membres, qui permettent de constituer des droits à déduction sans fondement. D'autres montages exploitent les failles des régimes particuliers de TVA intracommunautaire, tels que ceux des automobiles, des ventes par correspondance, ou des travaux à façon.

Il est donc nécessaire d'encadrer le régime transitoire.

b) La faiblesse des recettes de TVA

Votre rapporteur avait tenu à faire état des craintes suscitées par ces possibilités de fraudes qui semblaient alors confirmées par la faiblesse des recettes de TVA en France enregistrées depuis l'entrée en vigueur du régime transitoire intracommunautaire.

Relevant que depuis 1992 le rythme de progression des recettes nettes de TVA était inférieur à celui d'indicateurs économiques pertinents tels que le PIB ou la consommation finale des ménages, il s'était interrogé sur le point de savoir si, outre des raisons économiques, ce phénomène ne pouvait pas, le cas échéant, recouvrir un développement de la fraude fiscale dans le cadre du régime intracommunautaire. Cette situation semblait en outre confirmée par l'analyse présentée par la Cour des comptes des Communautés européennes dans un rapport de novembre 1996.

Il semble cependant, sans qu'il soit néanmoins possible de l'affirmer avec une totale certitude, que ces décalages aient eu pour origine, outre des changements de méthode de comptabilisation des rentrées de TVA, une surestimation des prévisions des recettes liées à cet impôt. Aussi la faiblesse de ces recettes alors relevée peut apparaître plus conjoncturelle que structurelle.

2. Des lacunes juridiques à combler

a) Le rétablissement d'une base taxable pour les transports de personnes internationaux

Les transports de personnes intracommunautaires étaient exonérés de TVA sans autre raison de principe que l'incapacité des États-membres à s'accorder sur une règle commune de partage. De ce fait, en l'absence d'accord les Etats-membres appliquent des solutions pragmatiques d'exonération ou de taxation qui ne sont pas satisfaisantes. Cette situation entraîne alors, outre des pertes de recettes, l'apparition de distorsions de concurrence entre les différents modes de transport.

b) La définition de règles pour les opérations intracommunautaires en chaîne

Si des règles avaient été définies pour la plus simple des opérations intracommunautaires en chaîne, l'opération triangulaire, il n'en était pas de même pour les opérations plus longues impliquant plus de deux transactions successives. Le seul moyen d'identification consistant en la désignation d'un représentant fiscal.

3. La réduction des divergences

a) L'harmonisation du statut de la représentation fiscale

Chargé de remplir les obligations fiscales aux lieu et place de l'assujetti lorsque celui-ci n'est pas établi sur le territoire d'un État membre, ce principe de la représentation fiscale s'était avéré en pratique comporter de nombreux inconvénients pour les entreprises.

b) L'harmonisation des droits à déduction et des seuils d'exonération

Une proposition de directive de janvier 1983 visait à fixer la liste des dépenses n'ouvrant pas droit à déduction conformément au principe édicté par l'article 17-6 de la directive TVA de 1977. 5( * ) Or ce texte d'harmonisation au niveau européen des règles à appliquer n'a pas été adopté.

De ce fait, en application de la clause de gel prévue par le second alinéa de cet article 6( * ) , les droits à déduction restent définis de façons différentes par les États-membres. Cela a pour effet de compliquer la procédure de remboursement de la TVA afférente aux frais engagés par les entreprises dans d'autres États membres que le leur. Ainsi, la France ne permet pas de déduire la TVA payée sur les acquisitions d'automobiles par les entreprises ainsi que sur les frais d'hébergement et de restauration. Or ces mêmes frais sont actuellement intégralement déductibles au Luxembourg et aux Pays Bas, et à hauteur de 50% en Belgique et en Grande-Bretagne.

Cette situation sera d'autant plus longue à régler qu'elle pose un problème budgétaire pour les États membres et en l'espèce s'agissant de la France en terme de moindre de rentrée fiscale. Il n'est donc pas fortuit que l'Allemagne soit, depuis le 1 er avril 1999, revenue sur le champ des droits à déduction dont bénéficiaient les entreprises, et en ait limité le champ.

Par ailleurs, le caractère variable des seuils d'exonération applicables pour les petites entreprises perturbait le fonctionnement du régime de TVA intracommunautaire, même si le niveau auquel devait s'effectuer l'harmonisation n'était pas aisé à définir.

c) L'adaptation des textes à la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE)

L'article 2 de la directive TVA de 1977 donne une définition en termes très généraux du champ d'application de la TVA qui recouvre toute livraison de bien ou prestation de service effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti en tant que tel 7( * ) .

Or, la jurisprudence de la CJCE en a progressivement réduit le champ par plusieurs arrêts, diversement interprétés par les administrations fiscales et les juridictions nationales.

Une plus grande clarté et, partant, une plus grande stabilité du champ d'application de la TVA apparaissent indispensable. Il s'agissait ainsi de préciser au sein de la directive de 1977 la notion d'activité économique, de lien direct ou d'assujetti agissant en tant que tel.

B. LES RESULTATS ENREGISTRES DEPUIS DEUX ANS

Depuis 1997, des travaux ont été engagés ainsi que nous l'avions souhaité, et à l'initiative de la Commission, pour améliorer le régime transitoire de TVA. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'a été transmise le 16 décembre 1998, une proposition de directive du Conseil modifiant la direction TVA de 1977 en ce qui concerne la détermination du redevable de la TVA, et plus spécialement le statut du représentant légal (n° E - 1191).

Ces efforts doivent être prolongés, tant au sein de chaque État qu'au niveau communautaire. Ils impliquent à ce titre une action déterminée de la Commission européenne au titre des pouvoirs d'initiative qu'elle tient de l'ex-article 99 du Traité instituant la Communauté européenne 8( * ) qui figure au sein du chapitre relatif aux dispositions fiscales concernant " les règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations " applicables aux politiques de la Communauté.

Cet article dispose en effet que, " Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête les dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur dans le délai prévu à l'article 14 ".

1. Le perfectionnement du dispositif de contrôle

Ainsi que l'avaient relevé nos collègues députés, MM. de Courson et Léonard en août 1996, " le contexte fiscal crée par le régime transitoire de TVA intra-communautaire accroît les risques de fraude " 9( * ) .

Pour en être réel, ce risque de fraude ne doit pas être exagérément surestimé d'autant plus que les progrès déjà réalisés en ce domaine apparaissent tout à fait significatifs.

En effet, la faiblesse alors relevée des recettes de TVA et leur évolution à un rythme de progression inférieur à celui d'indicateurs économiques pertinents, est apparue de nature plus conjoncturelle que structurelle. Sans qu'il soit néanmoins possible d'y apporter de réponse catégorique ou définitive, il apparaît que le décrochage alors enregistré correspond à une période de transition entre deux systèmes qui s'est traduite par une nouvelle répartition des tâches entre la DGI et les Douanes. Ces dernières percevant la TVA acquittée sur les produits pétroliers et les produits importés des pays autres que ceux de l'Union européenne. Cette position est en outre confortée par le jugement des auteurs du rapport précité sur la fraude : " il serait hasardeux de conclure à une aggravation de la fraude fiscale... Aussi, la fraude ne peut être considérée que comme l'une des explications possible de l'existence de cet écart ".

De même, les perfectionnements du dispositif de contrôle ont déjà produits des résultats dignes d'intérêt et qu'il serait opportun de pouvoir prolonger voire amplifier.

Un dispositif spécifique avait été mis en place en même temps que le régime transitoire de TVA intra-communautaire. Il reposait sur un système d'échange d'informations portant sur les transactions commerciales des États-membres, mis en oeuvre notamment par le biais d'un réseau d'information appelé " VIES " 10( * ) et destiné aux administrations.

Il apparaît encore très perfectible puisqu'il reste difficile pour l'administration fiscale de faire la preuve de la fraude, que la fréquence de ces contrôles est faible au regard de la masse des transactions intra-communautaires, et que les recoupements opérés au niveau communautaire grâce au système VIES semblent encore limités. En effet, seules sont enregistrées les déclarations d'acquisitions intra-communautaires et non les déclarations de livraisons intra-communautaires. Par ailleurs, selon certaines informations communiquées à votre rapporteur, on estime à 7% la part en volume des marchandises échappant à ce réseau d'informations, notamment compte tenu des effets de seuil qui existent s'agissant de la déclaration d'échange de bien (DEB).

Ce dispositif a été complété en France à compter du 1 er janvier 1993 par un instrument juridique de contrôle supplémentaire consistant dans le droit d'enquête 11( * ) . Celui-ci permet à la DGI et aux Douanes d'effectuer des contrôles de facturation inopinés uniquement en matière de TVA intra-communautaire 12( * ) . Un service commun à la DGI et aux Douanes avait été mis en place dès 1993 afin d'assurer l'assistance administrative due aux services fiscaux des autres Etats-membres, d'exploiter systématiquement les données intra-communautaires disponibles et de développer les échanges d'information entre les administrations des Douanes et de la DGI. A ce titre, un plan d'action commun a été conclu en février 1997 entre ces deux directions qui définissait 27 actions prioritaires en matière d'échanges d'information, de créations de nouveaux instruments et d'amélioration du fonctionnement de l'observatoire des échanges intra-communautaires.

C'est notamment dans ce cadre que s'insèrent les articles 103 et 104 de la loi de finances pour 1999, qui permettent le renforcement des contrôles en matière de TVA intra-communautaire ou la possibilité pour les agents des Douanes de se faire assister par les agents de la DGI lors des contrôles à la circulation. Votre Commission des finances s'était alors étonnée qu'un texte législatif soit nécessaire pour officialiser cette coopération tout en relevant que ce formalisme devrait permettre d'éviter toute contestation de la part des assujettis à la TVA intra-communautaire sur la régularité de la procédure, en cas de contentieux.

De même, le nouvel article L 83 A du livre des procédures fiscales institué par l'article 105 de la loi de finances précitée, a facilité les échanges de renseignements entre ces directions en permettant une communication spontanée des informations ne nécessitant plus, au préalable une demande écrite formalisée.

Ainsi, le plan global de lutte contre la fraude présenté en septembre 1997 par le gouvernement faisait, s'agissant de TVA intra-communautaire, de la coopération entre la DGI et les Douanes l'un de ses axes principaux. Il prévoyait la mise en place de structures communes spécifiques chargées de lutter sectoriellement contre la fraude.

Celles-ci apparaissent en effet particulièrement développées dans le secteur du textile, des équipements électroniques ou de la téléphonie mobile ainsi qu'a pu en témoigner la mise à jour en 1996 d'un vaste réseau international d'escroquerie à la TVA 13( * ) . Les actions spécifiques sectorielles impliquent notamment une plus grande présence et une plus grande réactivité des services fiscaux. Elles les ont donc conduits à développer les vérifications ponctuelles portant uniquement sur la TVA et non plus sur l'ensemble des impôts payés par l'entreprise entraînant alors un recours plus fréquent à la procédure de plainte pour escroquerie. Ces vérifications ponctuelles avaient été relancées à partir de 1996 et ont été renforcées dans le cadre des orientations définies au sein de la DGI pour la période 1998-2000.

Les premiers résultats enregistrés qui se traduisent par un accroissement significatif du nombre des vérifications ponctuelles ainsi que du montant des rappels sont encourageants. Entre 1996 et 1997, le nombre des vérifications ponctuelles est ainsi passé de 1.163 à 1.817 et les droits rappelés à la suite de ces vérifications de 870 millions de francs à 1,2 milliard de francs. Ces rappels portent sur l'ensemble des demandes de remboursement de TVA, qu'il s'agisse de TVA interne, de TVA intra-communautaire ou de TVA à l'exportation.

S'agissant plus spécifiquement des rappels de TVA intra-communautaire, ceux-ci sont passés au total de 1,3 milliard de francs en 1996 à 2,6 milliards de francs en 1997 même si ces chiffres ne correspondent que pour partie à des fraudes avérées. Ils reflètent cependant, outre la bonne coopération entre ces deux directions, une évolution de la nature de la fraude qui devient de plus en plus complexe à déceler, mieux organisée et affaire de véritables professionnels.

Il est alors indispensable pour l'administration fiscale d'agir rapidement avant que ne disparaissent ces réseaux, tout en respectant les droits des contribuables de bonne foi.

2. Les améliorations réglementaires déjà introduites

Des règles existaient déjà pour la plus simple des opérations intracommunautaires en chaîne, l'opération triangulaire. Elles ont été également précisées pour les opérations plus longues impliquant plus de deux transactions successives avec la mise en place à partir de 1997, notamment par instruction fiscale, des dispositions de la directive " entrepôt " de 1995 qui contenait des mesures relatives au stockage des matières premières.

De même, la proposition de directive n° E-1191 qui a été transmise au Sénat le 16 décembre 1998, a pour objet de simplifier les règles applicables à la détermination du redevable de la TVA, règles qui connaissent des exceptions et des aménagements ayant rendu son application particulièrement complexe. Cette proposition ainsi que l'a rappelé la délégation du Sénat pour l'Union européenne ne soulève pas de difficultés particulières et contribue à l'amélioration du régime transitoire telle que le Sénat l'avait souhaitée. Cette réforme suppose néanmoins également que soit renforcée l'assistance administrative pour le recouvrement, dans la mesure où tous les Etats ne pratiquent pas la taxation d'office, et cela afin de garantir les droits financiers des différents Etats-membres.

S'agissant des seuils d'exonération, les niveaux applicables en France ont été alignés sur ceux pratiqués en Grande Bretagne entraînant une très forte hausse des franchises qui a été votée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999. Ces seuils s'élèvent actuellement à 500.000 F pour les livraisons de biens, non sans que votre Commission des Finances ait alors tenu à soulever les risques de non-compatibilité avec certaines dispositions communautaires.

3. Les chantiers à relancer

S'agissant de la base taxable applicable aux transports de personnes internationaux, il appartient à la Commission européenne, en application de son pouvoir de proposition prévu par les dispositions précitées de l'ex-article 99 du Traité CE de mettre fin à cette situation qui est source de distorsions de concurrence. La Commission rappelait en effet dans son rapport au Conseil et au Parlement remis le 13 novembre 1997 en application de l'article 12-4 de la directive TVA de 1977 qu'elle était " préoccupée " par les problèmes pratiques existant pour les entreprises du secteur du transport ferroviaire, et partant, par les risques de distorsions de concurrence pouvant en résulter.

Parallèlement l'adaptation des textes communautaires à la jurisprudence de la CJCE constitue toujours un chantier important. Ainsi s'agissant de la notion d'établissement stable, les jurisprudences peuvent en effet se contredire, et déboucher sur une insécurité juridique certaine. De même, le problème du traitement des opérations financières n'est pas réglé : il suppose en effet, au préalable, également une initiative de la Commission afin de donner un contenu juridique plus précis à ces notions.

Une plus grande clarté et, partant, une plus grande stabilité du champ d'application de la TVA, apparaissent donc indispensables. Il appartient à la Commission européenne de mener cette action dans le cadre du pouvoir d'initiative que lui confèrent les traités communautaires.

Ces différents chantiers ne sont pas exclusifs de la poursuite de la réflexion relative à l'harmonisation des droits à déduction. Ceux-ci sont en effet définis de façons différentes par les États membres compliquant ainsi la procédure de remboursement de la TVA pour des frais engagés par les entreprises dans d'autres États que le leur.

Une telle harmonisation suppose néanmoins que soit définie une position commune entre des États pratiquant ces déductions très larges selon la nature des produits et d'autres ayant une approche plus restrictive. Elle se fonderait sur les dispositions déjà citées de l'article 17-6 de la directive TVA de 1977 qui, si elles permettaient aux Etats-membres de maintenir les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la directive, soit au 1 er janvier 1979, en envisageait la suppression à terme. En tout état de cause, tout compromis en ce domaine aura un impact budgétaire certain en terme de moindre rentrée fiscale.

III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

Votre rapporteur vous recommande donc d'adopter la présente proposition de résolution.

Celle-ci reprend les préconisations émises en 1997 par votre Commission des Finances tout en prenant acte des progrès déjà réalisés. En outre, cette proposition se prononce également en faveur d'une évolution du champ d'application de la TVA à taux réduit.

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
ADOPTEE PAR LA COMMISSION DES FINANCES

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition n° E 1193,

Considérant que l'objet de cette proposition de directive est de permettre au Conseil de prendre une décision sur le niveau des taux minimum et maximum en matière de taux normal de la TVA ;

Considérant que cette proposition conduirait à adopter une fourchette de taux, le taux normal étant fixé à 15 % et le taux plafond à 25 % ;

Considérant que cette proposition s'inscrit dans la perspective de la mise en place du régime définitif de TVA en Europe ;

Considérant que le Sénat, dans sa résolution du 6 novembre 1997, avait demandé au gouvernement qu'il ne retienne pas, au stade actuel, les propositions de la Commission sur un système commun de taxe à la valeur ajoutée tant que les conditions pour le passage au régime définitif ne seront pas réunies ;

Considérant par ailleurs que le Sénat avait demandé au gouvernement de négocier une amélioration du régime dit transitoire, et que la proposition n° E 1191 y contribue ;

Considérant en outre le fait qu'une révision de la liste des produits éligibles au taux réduit de la TVA et inscrits dans l'annexe H de la directive 77/388/CEE modifiée serait souhaitable :

Renouvelle le contenu de sa résolution du 6 novembre 1997 au regard des conditions de passage au régime définitif de taxe sur la valeur ajoutée en Europe ;

Insiste sur la nécessité de procéder aux améliorations nécessaires du régime transitoire, en particulier pour l'élimination des lacunes et fraudes dans l'application du régime actuel de TVA en Europe ;

Demande une révision de l'annexe H de la directive sur le régime commun de TVA, notamment au regard des travaux sur le logement, des dépenses de restauration et des supports multi-médias.

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