CHAPITRE V

LA MODULATION DES AIDES : UNE BONNE IDÉE MAL APPLIQUÉE

I. LE PRINCIPE EST INTÉRESSANT

Le 28 juillet 1999, le ministre a présenté un projet de nouveau mode de répartition des aides à l'agriculture qui " met l'accent sur la solidarité (et) la justice sociale ".

En effet, l'accord de Berlin du 26 mars 1999 autorise les Etats de l'Union européenne à effectuer un prélèvement sur les aides directes perçues par les agriculteurs, dans la limite de 20 % de leur montant total, et à l'utiliser pour augmenter les crédits destinés au développement rural. Le règlement européen prévoit l'utilisation de trois critères de modulation : le montant total des aides directes, la marge brute standard et l'emploi.

La France est le premier pays de l'Union européenne à mettre en place ce nouveau dispositif.

II. L'APPLICATION EST HASARDEUSE

Le ministre a donc décidé de dégager ainsi environ 1 milliard de francs pour financer les futurs CTE dès la perception des aides distribuées en novembre-décembre 2000. En pratique, les crédits supplémentaires issus de la modulation ne seront donc disponibles qu'en 2001.

Deux projets de modulation ont été successivement présentés : le premier en juillet et le second, suite aux protestations déclenchées par le précédent, lors de la " table-ronde " sur l'agriculture qui s'est tenue le 21 octobre dernier.

A. LE PROJET INITIAL

La répartition des aides devait être modulée selon deux critères. Le critère de la marge brute standard ayant été jugé trop complexe, avaient donc été retenus les deux critères suivants :

le montant total des aides actuelles : seuls les agriculteurs recevant plus de 250.000 francs d'aides directes par an auraient vu le montant de celles-ci diminuer (ce qui correspond à des exploitations d'au moins 100 hectares de céréales, protéagineux et oléagineux). Un barème progressif devait fixer le taux de modulation avec un maximum de 20 % pour les exploitations bénéficiant de plus de 700.000 francs d'aides annuelles.

l'emploi : pour les groupements, le montant des aides aurait été divisé par le nombre d'associés actifs (principe de la transparence des sociétés). Des réductions forfaitaires sur le montant du prélèvement auraient aussi été prévues : 15.000 francs par emploi salarié à temps plein et 5/12 e des charges sociales (plafonné à 15.000 francs) pour la main d'oeuvre familiale.

Sur les 680.000 exploitations françaises, 30.000 auraient été concernées, soit 4 %. Le prélèvement n'aurait pas représenté en moyenne plus de 3 % du total des aides accordées aux exploitations françaises. Dans 80 % des cas le prélèvement aurait été inférieur à 6 % et seuls 1.400 exploitants auraient subi un prélèvement de 20 %.

Mais à bien des aspects la modulation des aides telle que prévue pour 2000 entraînait des inéquités et des effets pervers :

• ce sont les zones intermédiaires, là où les rendements sont faibles ou moyens, qui auraient été les plus touchées (Lorraine, Bourgogne, une partie du Centre, Poitou-Charentes) ;

• certaines productions étaient très sensibles à la modulation en raison de leur montant d'aides à l'hectare très élevé (pomme de terre à fécule et tabac par exemple ; pour cette dernière production, la modulation risquait de mettre en cause la survie des tabaculteurs puisque la moitié du revenu tabacole pourrait être amputée) ;

• les " scopeurs " (exploitants de surfaces en céréales, oléagineux et protéagineux) auraient également été fortement mis à contribution (leur bénéfice après modulation aurait pu diminuer de 77 % dans certains cas).

Les critères retenus ne reflétaient absolument pas le niveau de revenus de l'exploitation : ce mécanisme s'apparentait à un impôt sur le chiffre d'affaires.

Le dispositif proposé n'était donc pas acceptable en l'état.

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