III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : APPROUVER ET COMPLÉTER UN TEXTE QUI CONCILIE PLEINEMENT LE RESPECT DES CROYANCES ET LA NÉCESSITÉ DE RÉPRIMER EFFICACEMENT DES COMPORTEMENTS DANGEREUX

A. APPROUVER LES DISPOSITIONS ESSENTIELLES DE LA PROPOSITION DE LOI

1. La loi du 10 janvier 1936 : un instrument utile dans des situations d'urgence

La proposition de loi n° 79 soumise à l'examen du Sénat, et notamment son article premier , présente le grand mérite de respecter totalement la liberté de conscience ainsi que toutes les croyances. L'exposé des motifs de la proposition précise à cet égard : " Certes, il n'est pas aisé de définir juridiquement une secte, ni d'établir une législation antisectes. Pour autant, cette difficulté ne doit pas nous faire renoncer à légiférer ou à protéger efficacement la société et les citoyens. Nous pouvons nous prémunir des sectes en nous référant aux comportements illégaux et délictueux dont elles se rendent coupables ".

La proposition de loi part donc du principe que toutes les croyances sont respectables, à condition qu'elles prennent place dans le respect de la loi . La référence à des condamnations subies par des groupements plutôt qu'à des activités s'apparentant à la manipulation mentale, notion difficile à cerner, permet d'éviter tout risque d'arbitraire dans l'application de la loi.

Aucune croyance n'est coupable en elle-même, mais elle doit s'exercer dans le respect de la loi. Pour votre rapporteur, cette distinction permet d'isoler de manière très sûre les dérives sectaires.

Au cours d'un récent colloque, M. Jacques Michel, professeur à l'Université de Lyon II s'est exprimé ainsi : " (...) ces groupes opposent, à l'accusation qui leur est faite d'abuser des personnes et aussi de leurs biens, le principe de la liberté de conscience, se promouvant alors au rang de mouvements moraux, " philosophiques " ou religieux, empruntant il est vrai souvent et spécialement aux religions des éléments de leurs motifs, de leurs règles ou même de leurs cultes. En bref, se plaçant sous la protection des principes de liberté de conscience et de culte, et plus généralement sous celle des droits de l'homme, ils opposent à leur examen par le droit positif une sorte de fin de non-recevoir, considérant qu'ils ne relèvent pas du jugement profane. Et c'est bien sur ce point que se forme la question sectaire : dans le rapport au droit . " 8 ( * )

Après avoir pris connaissance des informations disponibles relatives aux condamnations subies par les dirigeants de sectes, votre rapporteur propose de modifier la liste des infractions pouvant justifier, après des condamnations définitives, la dissolution d'un groupement.

En ce qui concerne les condamnations subies par les groupements eux-mêmes , il n'est naturellement possible de retenir que des infractions pour lesquelles la responsabilité des personnes morales peut être mise en cause. En effet, aucune condamnation d'une association ou d'un groupement ne peut intervenir lorsque la responsabilité des personnes morales n'est pas prévue. Votre commission propose donc de retenir les infractions suivantes :

- homicide involontaire (article 221-7 du code pénal) ;

- blessures involontaires (article 222-21) ;

- mise en danger d'autrui (article 223-2) ;

- recherche biomédicale sans consentement libre (article 223-9) ;

- proxénétisme (article 225-12) ;

- travail et hébergement indignes (article 225-16) ;

- atteintes à la vie privée (article 226-7) ;

- dénonciation calomnieuse (article 226-12) ;

- atteinte à la filiation (article 227-14) ;

- instruction scolaire non conforme (article 227-17-2) ;

- mise en péril des mineurs (article 227-28-1) ;

- vol (article 311-16) ;

- extorsion et chantage (article 312-15) ;

- escroquerie et abus de faiblesse (article 313-9) ;

- abus de confiance (article 314-2).

- exercice illégal de la médecine et de la pharmacie (sur ce point, voir p. 25).

En ce qui concerne les condamnations subies par les dirigeants et susceptibles de justifier la dissolution du groupement, votre commission propose de retenir l'intégralité de la liste précédente et d'y ajouter certaines infractions pour lesquelles la responsabilité des personnes morales n'est pas prévue par notre droit :

- les atteintes volontaires à la vie (articles 221-1 à 221-5 du code pénal) ;

- les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne (articles 222-1 à 222- 18) ;

- les agressions sexuelles (articles 222-22 à 222-32) ;

-  le délaissement d'une personne hors d'état de se protéger (articles 223-3 et 223-4) ;

- l'entrave aux mesures d'assistance et l'omission de porter secours (articles 223-5 à 223-7) ;

- la provocation au suicide (articles 223-13 à 223-15) ;

- l'enlèvement et la séquestration (articles 224-1 à 224-5) ;

- la mise en péril des mineurs (articles 227-15 à 227-28) ;

- la pratique illégale de la médecine (article L. 376 du code de la santé publique) ;

- la pratique illégale de la pharmacie (article L. 517 du code de la santé publique) ;

- la fraude fiscale.

En revanche, votre commission n'a pas retenu les références à des condamnations pour violation du code du travail ou du code de la sécurité sociale, ces références lui ayant paru trop larges.

Par ailleurs, votre commission a estimé que la référence aux groupements qui porteraient atteinte à la sûreté de l'Etat était inutile, d'autres dispositions de la loi de 1936 permettant déjà la dissolution de tels groupements.

Ainsi, dans le dispositif proposé, le fait qu'un groupement ou ses dirigeants soit condamné à plusieurs reprises (c'est-à-dire au moins deux fois) pour les faits énumérés précédemment pourrait justifier une dissolution par décret dudit groupement, à condition qu'il constitue un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine.

Plusieurs objections peuvent être formulées face à ce dispositif, mais aucune ne paraît décisive :

•  Il est possible de noter que la dissolution de mouvements sectaires est d'ores et déjà envisageable, comme l'a indiqué précédemment votre rapporteur, soit en utilisant les dispositions de la loi du 1 er juillet 1901, soit en faisant usage de la responsabilité des personnes morales prévue par le code pénal. Toutefois, il apparaît clairement que ces dispositions ne sont que fort peu utilisées. Aucune personne morale n'a, depuis l'entrée en vigueur du code pénal, été condamnée à la dissolution et l'on a vu que les plaintes relatives aux mouvements sectaires sont le plus souvent formées contre des personnes physiques.

Par ailleurs, d'après les informations transmises à votre rapporteur, il semble que les associations non déclarées ou non publiées, dans la mesure où elles n'existent pas en tant que personnes juridiques, ne puissent être mises en cause au titre de la responsabilité pénale des personnes morales.

La présente proposition de loi doit notamment permettre de faire face à des situations d'urgence. Rappelons que des événements très graves survenus dans notre pays ou à l'étranger ont impliqué des sectes. En 1995, 16 corps carbonisés de personnes appartenant à l'ordre du temple solaire ont été retrouvés dans le Vercors ; en 1995 également, la secte Aum a répandu dans le métro de Tokyo du gaz sarin, provoquant 11 morts et plus de 5.000 intoxications. En 1993, aux Etats-Unis, 88 adeptes davidiens ont péri autour de David Koresh. Dans certaines circonstances, il paraît indispensable de disposer d'un instrument radical permettant de mettre fin aux activités d'un groupe dangereux. La loi du 10 janvier 1936 répond à cet objectif et mérite d'être complétée pour pouvoir être appliquée à des mouvements sectaires régulièrement condamnés par la justice.

Votre rapporteur est convaincu que la présente proposition de loi permettra une prise de conscience et facilitera la mise en cause judiciaire des sectes elles-mêmes et non plus seulement de leurs dirigeants.

•  Une autre objection pourrait être formulée à l'encontre de la proposition de loi, à savoir que la rédaction retenue risque de concerner d'autres types de groupements ou d'associations que les sectes. Aussi, la proposition prévoit-elle non seulement le caractère définitif des condamnations, mais aussi que ces condamnations doivent au moins être au nombre de deux, enfin que le groupement concerné doit porter atteinte à l'ordre public ou mettre en péril la personne humaine. En tout état de cause, le Président de la République et le Gouvernement conservent un pouvoir d'appréciation. Enfin, le groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 dispose de la possibilité d'effectuer un recours devant le Conseil d'Etat.

2. Un renforcement des sanctions en cas de reconstitution d'association dissoute

Si l'article premier est l'élément essentiel de la proposition de loi, son article 3 n'en présente pas moins un grand intérêt. L'article 431-15 du code pénal punit de 3 ans d'emprisonnement et de 300.000 F d'amende le fait de participer au maintien ou à la reconstitution d'une association ou d'un groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936. En revanche, ce texte n'incrimine pas la reconstitution d'association dissoute en application de la loi du 1 er juillet 1901. L'article 3 de la proposition de loi tend donc à le compléter pour combler cette lacune.

Votre rapporteur a constaté que l'article 8 de la loi du 1 er juillet 1901 punit d'ores et déjà la reconstitution d'association dissoute en application de cette loi, mais que les peines encourues (30.000 F d'emprisonnement et un an d'emprisonnement) sont beaucoup plus faibles que celles prévues par le code pénal.

Votre commission a donc décidé de modifier l'article 3 de la proposition de loi, afin de maintenir dans la loi du 1 er juillet 1901 les dispositions relatives aux peines encourues en cas de reconstitution d'association dissoute en application de cette loi, tout en portant les peines à trois ans d'emprisonnement et à 300.000 F d'amende, afin qu'elles soient identiques à celles encourues en cas de reconstitution de groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936.

B. ÉCARTER DES DISPOSITIONS INUTILES

Après les avoir examinés, votre commission a décidé de ne pas retenir les articles 2 et 4 de la proposition de loi initiale pour les raisons suivantes :

- l'article 2, qui tend à rendre nulle toute association qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité de la personne paraît déjà satisfait par la rédaction actuelle de l'article 3 de la loi du 1 er juillet 1901 qui considère comme nulle toute association " fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs ". Vouloir porter atteinte à l'intégrité de la personne humaine est manifestement contraire aux lois et aux bonnes moeurs ;

- l'article 4 de la proposition, qui tend à permettre aux associations de lutte contre les sectes d'exercer les droits reconnus à la partie civile, a été inscrit sous une forme différente dans le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes et a été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Il convient toutefois de noter que la rédaction retenue ne satisfait pas les associations concernées, qui ne se voient reconnaître que la faculté de joindre leur action à celle du ministère public ou de la victime et non de mettre en mouvement l'action publique.

C. COMPLÉTER LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Votre commission a décidé de remplacer l'article 2 de la proposition de loi, qu'elle a jugé inutile, par une nouvelle disposition complétant le dispositif proposé.

1. Etendre les possibilités de mise en cause de la responsabilité des personnes morales

Votre rapporteur, conduit à recenser toutes les infractions pour lesquelles la mise en oeuvre de la responsabilité des personnes morales est possible, a pu constater que cette responsabilité n'était pas prévue pour un très grand nombre d'infractions, sans que cela paraisse pleinement justifié.

Ainsi, la responsabilité des personnes morales ne peut être engagée en cas de meurtre, de violences volontaires, de menaces, d'agressions sexuelles... Les rédacteurs du code pénal ont probablement considéré qu'une entreprise ou une association ne pouvait être directement responsable de ce type d'infractions, mais le comportement de certains mouvements sectaires montre qu'une telle responsabilité est pourtant possible.

Il serait sans doute souhaitable d'examiner l'ensemble des infractions pénales existantes afin de déterminer si la responsabilité des personnes morales ne devrait pas être étendue à de nouvelles infractions. Un tel examen dépassant largement l'objet de la présente proposition de loi, votre commission ne vous propose pas de bouleversement majeur en ce domaine.

Elle propose néanmoins de prévoir la responsabilité des personnes morales pour deux infractions qui donnent lieu à de nombreuses poursuites contre les dirigeants de mouvements sectaires : l'exercice illégal de la médecine (article L. 376 du code de la santé publique) et l'exercice illégal de la pharmacie (article L. 517 du code de la santé publique). Tel est l'objet de l'article 2 du texte proposé par votre commission des Lois.

A partir du moment où elle propose que la responsabilité des personnes morales puisse être mise en cause pour ces infractions, votre commission estime souhaitable que les condamnations de groupements pour exercice illégal de la médecine et de la pharmacie fassent partie de celles pouvant justifier la dissolution, par décret du Président de la République en Conseil des ministres, d'associations ou groupements de fait.

2. Souligner les dérives que peut entraîner l'exercice des droits reconnus à la partie civile par les associations

Au cours des dernières décennies, un très grand nombre d'associations se sont vu reconnaître la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile. Cette évolution s'est faite de manière très désordonnée, de sorte que les règles entourant l'exercice de l'action civile par les associations sont très disparates.

Ainsi, " (...) l'action civile de certaines catégories d'associations ne peut trouver à s'exercer devant le juge pénal que si l'action publique a été mise en mouvement, soit par le ministère public, soit par la partie lésée. Telle est la situation, par exemple, des associations de défense de l'enfance martyrisée (art. 2-3), de lutte contre le terrorisme (2-9), la délinquance routière (2-12) ou encore la toxicomanie et le trafic de stupéfiants (2-16). Celles-ci ne peuvent donc que se joindre au parquet ou à la victime dont elles accompagnent alors la démarche. Dans les autres cas, globalement équivalents en nombre, le législateur n'ayant posé aucune limite tenant à l'accord de la victime ou au déclenchement préalablement des poursuites, la capacité associative est potentiellement plus ouverte. " 9 ( * )

Les associations de lutte contre les sectes viennent de se voir reconnaître le droit de joindre leur action à celles du procureur et de la victime dans le cadre du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Au cours de la préparation du présent rapport et des auditions auxquelles il a procédé, votre rapporteur a constaté que les conditions très libérales dans lesquelles les associations peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile peuvent dans certains cas conduire à de graves dérives.

Ainsi, une association portant le titre de " Commission des citoyens pour les droits de l'homme en France ", fondée par l'Eglise de scientologie, et qui prétend dénoncer les atteintes aux droits de l'homme dans le domaine de la psychiatrie, a fait figurer dans son objet un très grand nombre de missions qui, en vertu des articles 2-1 à 2- 16 du code de procédure pénale, ouvrent le droit d'exercer les droits reconnus à la partie civile. Ainsi, cette association prétend lutter contre toute atteinte aux droits de l'homme, contre les violences sexuelles, contre la fraude sous toutes ses formes, mais aussi défendre l'enfance martyrisée, combattre les crimes contre l'humanité, défendre les consommateurs...

Un objet défini aussi largement lui permet de se constituer partie civile dans un très grand nombre de procès.

Il paraît être temps aujourd'hui de revoir entièrement la question de l'exercice de l'action civile par les associations. M. Pierre Albertini, dans le rapport qu'il a présenté au nom de l'Office d'évaluation de la législation, a formulé des propositions très intéressantes afin de rendre plus cohérent le régime d'exercice de l'action civile par les associations.

M. Albertini a ainsi notamment proposé que la mise en mouvement de l'action publique ne soit ouverte qu'aux associations reconnues d'utilité publique en indiquant dans son rapport : " Contrepartie du déclenchement de l'action publique, cette reconnaissance, qui dépend d'un examen préalable par le Conseil d'Etat, aurait l'avantage de soumettre à un régime plus rigoureux les associations ainsi distinguées ".

Votre commission a constaté que la présente proposition de loi ne constituait pas un cadre adapté pour entreprendre des modifications d'ampleur du régime de l'exercice des droits reconnus à la partie civile par les associations mais qu'une réflexion approfondie pouvait devenir nécessaire sur ce sujet.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant ci-après.

* 8 " Les enfants sans enfance ", colloque organisé par l'association Louis Chatin, Les petites affiches, n° 237, 29 novembre 1999, p38.

* 9 " L'exercice de l'action civile par les associations ", rapport n° 343 (Sénat) et n° 1583 (Assemblée nationale) de M. Pierre Albertini, député, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation.

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