C. L'ARBITRAIRE CARCÉRAL
Au-delà des conditions matérielles de
détention, les détenus pâtissent également des
dysfonctionnements des différentes administrations, dont celle de la
justice.
La commission a constaté que le " droit de la prison " restait
largement illusoire ; elle a, en outre, été frappée
par l'extraordinaire diversité des règlements intérieurs
et de leur mise en oeuvre dans les maisons d'arrêt.
1. Dans l'attente d'un jugement...
Hébété par quarante-huit heures de garde
à vue où il n'a presque pas dormi et où il n'a eu pour
seule nourriture qu'un sandwich ou deux
42(
*
)
, le détenu arrive dans une
maison d'arrêt dont il ne connaît parfois pas le nom. Le temps
pénitentiaire devient alors " indéfini ", car sans
limites : à tout moment, le prévenu peut, en effet, quitter
la maison d'arrêt.
Le détenu devient alors le double usager du service public de la
justice et du service public pénitentiaire.
L'arbitraire carcéral, pour les détenus, résulte d'abord
et avant tout du manque d'information sur leur " affaire ". Ils sont
très demandeurs, la commission l'a constaté à chacun de
ses déplacements, d'informations sur le déroulement de leur
instruction, alors que paradoxalement leurs conditions de détention
passent au second plan.
Une fois l'instruction terminée, la date du procès est alors
attendue : bon nombre de détenus ont expliqué à la
commission:
" C'est fini, le juge d'instruction, on ne le voit plus. On
attend d'être jugé "
.
Comme la plupart des juges d'instruction ne se rendent jamais en maison
d'arrêt et que l'administration pénitentiaire n'est pas
informée de l'instruction, le prévenu n'a personne pour
répondre à ses questions, en dehors de son avocat. Les lenteurs
de la justice en France sont ici en cause.
Une fois condamné, il peut attendre très longtemps en maison
d'arrêt, sans disposer d'informations sur son placement dans tel ou tel
centre pénitentiaire. La lourdeur et la bureaucratie de l'administration
pénitentiaire sont là en position d'accusées.
La commission tient, en outre, à souligner l'absence de coordination
entre la justice et l'administration pénitentiaire.
Le juge d'instruction ne dispose, quant à lui, que de très peu
d'informations sur les prévenus ; il ne sait pas, par exemple, si
le détenu n'a pas de visites alors qu'il se propose de l'entendre. Le
jour où le mandat de dépôt est prononcé, une sorte
de fiche individuelle du détenu est adressée par le juge à
la maison d'arrêt. Mme Sophie-Hélène Château, de
l'association française des magistrats instructeurs, a indiqué
à la commission :
" à partir de ce jour là,
il n'y a absolument plus d'échange entre la maison d'arrêt et le
juge d'instruction, à l'exception des rapports d'incident disciplinaire.
(...) Nous donnons quelques consignes sur la gestion du courrier, savoir si
nous voulons que le courrier du prévenu passe par nous ou pas, mais
c'est tout ce dont nous sommes informés. On nous demande l'autorisation
pour une hospitalisation ou pour que le détenu puisse travailler, pour
une opération également "
. Le juge peut ainsi demander
l'extraction d'un prévenu, alors qu'il n'est pas au courant d'un
problème de santé, ou d'une visite familiale attendue depuis
longtemps. En effet, si le juge délivre les permis de visite, il n'est
pas informé s'il y a visite ou non et des dates de ces visites.