IV. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION : PRIORITÉ AUX MAISONS D'ARRÊT
Le
constat effectué par la commission resterait vain s'il n'était
pas assorti de propositions : le personnel de surveillance est aujourd'hui
désabusé, parfois blessé par les attaques dont il estime
être l'objet. S'occuper des prisons est une urgence républicaine.
Certains évoquent la nécessité d'une " grande loi
pénitentiaire ". Mais de même " qu'on ne change pas la
société par décret ", la commission est
persuadée qu'on ne changera pas les prisons par la seule loi.
Certes, la proposition d'une " grande loi pénitentiaire "
présente l'avantage d'ouvrir un large débat public sur la prison
aujourd'hui en France.
Mais sa discussion, compte tenu de l'ordre du jour chargé du Parlement
pour la session à venir, serait nécessairement longue. Bon nombre
des dispositions à modifier sont de nature réglementaire. Enfin,
la situation précédemment décrite par votre commission
montre que la majorité des problèmes s'explique non pas en raison
de
l'application du droit existant
, mais par
l'inapplication de ce
droit
, confronté à l'épreuve des faits.
Aussi la commission propose-t-elle une solution permettant à la fois un
débat devant la représentation nationale, et d'agir
rapidement : celle d'un
débat d'orientation sur la politique
pénitentiaire à l'automne prochain
, au Parlement. Ce
débat d'orientation autoriserait une vision " pluriannuelle "
de cette politique, à travers un plan d'urgence, distinguant entre les
actions à court terme (moins d'un an) et les actions à plus long
terme, notamment en ce qui concerne les bâtiments.
Ce plan d'urgence se déclinerait selon les mesures suivantes :
A. LUTTER CONTRE LA SURPOPULATION DES MAISONS D'ARRÊT
S'il
y a beaucoup à faire pour améliorer les conditions de
détention dans les établissements pénitentiaires
français, la commission d'enquête estime que priorité doit
être donnée au désengorgement des maisons d'arrêt,
dont la situation est aujourd'hui indigne d'une grande démocratie.
Il n'est plus acceptable que les prévenus soient les détenus les
moins bien traités de France, au motif que le grand nombre
d'entrées et de sorties dans les maisons d'arrêt permet de leur
faire supporter des conditions de détention déplorables sans
risque d'explosion.
Le Parlement a déjà pris ses responsabilités, en adoptant
la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence.
Il s'agit désormais de mettre en oeuvre ses dispositions afin de limiter
le recours à la détention provisoire, d'accélérer
le déroulement des informations judiciaires et de raccourcir les
délais d'audiencement. Il conviendra d'examiner attentivement les
conditions d'application de la loi, afin de vérifier que les objectifs
du législateur sont atteints.
1. A court terme
a) Affecter les détenus condamnés à plus d'un an en établissements pour peine
La
commission propose une mesure immédiate, ne nécessitant pas de
modification législative, puisqu'elle consiste à appliquer le
droit existant :
le transfert en établissements pour peine des
personnes condamnées à plus d'un an de détention.
Les maisons d'arrêt ont pour vocation d'accueillir les
prévenus ; ce n'est qu'à titre exceptionnel que les
condamnés à une courte peine, ou ceux à qui il reste une
courte peine à effectuer, peuvent y être incarcérés.
Il faut, dans les meilleurs délais, ne plus maintenir en maison
d'arrêt des condamnés à des peines supérieures
à un an, qui peuvent parfois y passer plusieurs années avant
d'être affectés en établissements pour peine.
Par ailleurs, la commission d'enquête estime souhaitable de
prévoir la possibilité d'affecter en établissements pour
peine les prévenus lorsque leur instruction est achevée ou
lorsqu'ils sont en attente d'appel ou de cassation.
Au 1
er
janvier 2000, environ 1.800 places étaient disponibles
en centres de détention et en maisons centrales.
Certes, il ne faudrait pas reporter sur les centres de détention le
problème de surpopulation des maisons d'arrêt. Cette
décision nécessitera probablement de construire, à terme,
de nouveaux établissements pour peine, et non des maisons d'arrêt.
Mais la surpopulation relative en centre de détention serait infiniment
moins difficile à supporter qu'en maison d'arrêt. Les locaux, et
le régime des établissements pour peine, offrent des
activités collectives très larges, alors que celles-ci sont
aujourd'hui presque inexistantes en " régime maison
d'arrêt ". Les effets d'une surpopulation seraient plus
aisément supportés en centres de détention car les
détenus ne sont pas soumis à l'encellulement au cours de la
journée.
Ces mesures devraient être expérimentées dans l'une des
neuf régions pénitentiaires, afin d'en évaluer les
conséquences.
Il est en tout état de cause indispensable que l'encellulement
individuel des prévenus puisse être assuré le 15 juin 2003
comme le prévoit la loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes. Il ne devrait y
avoir de dérogation à l'encellulement individuel qu'à la
demande des prévenus ou pour des raisons liées à leur
fragilité psychologique.
Par ailleurs, la commission s'est interrogée sur l'opportunité
d'interdire le dépassement de la capacité des maisons
d'arrêt. Nombre de personnes entendues par la commission avaient en effet
proposé cette solution.
En apparence, elle a le mérite de la simplicité et de
l'efficacité. En réalité, elle soulève de
redoutables difficultés qui ont conduit la commission à
l'écarter.
Il conviendrait tout d'abord de préciser si cette mesure s'appliquerait
aux seuls prévenus ou également aux condamnés. Surtout, il
faudrait déterminer une autorité compétente pour
libérer un détenu lorsqu'il apparaît indispensable
d'incarcérer une autre personne. En ce qui concerne les prévenus,
on pourrait concevoir qu'un juge des libertés et de la détention
décidant un placement en détention provisoire soit obligé
d'ordonner la libération d'un autre prévenu dont il aurait
décidé auparavant l'incarcération.
La mise en oeuvre d'une telle disposition poserait de
redoutables
problèmes d'égalité devant la loi
,
particulièrement choquants dans une telle matière.
Votre commission d'enquête souhaite en tout état de cause que soit
organisée
une véritable coopération entre magistrats et
responsables d'établissements pénitentiaires, afin que les
premiers aient toujours à l'esprit la situation, notamment en termes de
surpopulation, des établissements de leur ressort.