VII. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Votre rapporteur spécial est amené à formuler quatre observations sur le budget des charges communes pour 2002.

A. UN BUDGET « FOURRE-TOUT »

1. Un caractère paradoxal et hétéroclite

Votre rapporteur spécial insiste sur le caractère paradoxal du budget des charges communes : premier budget de l'Etat puisqu'il représente plus de 40 % des dépenses brutes du budget général, il est cependant le plus méconnu, quoique le plus varié par les thèmes abordés.

Il avait également insisté sur son caractère hétéroclite puisqu'il comprend les crédits destinés à l'ensemble des services de l'Etat ou à plusieurs d'entre eux, et qui ne peuvent être inscrits dans le budget d'un ministère particulier.

2. L'évaluation non justifiée de certaines dépenses

Au moins deux exemples peuvent illustrer le caractère extrêmement vague de la budgétisation initiale de certains crédits :

- les dépenses éventuelles et accidentelles : il apparaît en effet que les dotations inscrites aux chapitres 37-94 et 37-95 constituent, en réalité, une réserve de crédits à l'utilisation aléatoire destinée à faire face aux besoins du moment . Ainsi, en 2002, les crédits pour dépenses accidentelles augmenteraient de 78,59 millions d'euros (515,52 millions de francs), sans la moindre justification, alors qu'ils avaient diminué de plus de 105 millions d'euros (690 millions de francs) l'année dernière ;

- les dépenses de garantie : elles sont, selon le gouvernement, « difficilement prévisibles », ce qui lui permet de moduler ces crédits en fonction de ses propres contraintes.

En effet, lorsque des événements « imprévus » surviennent, les estimations de dépenses sont rarement ajustées en conséquence. Dans son rapport relatif à l'exécution des lois de finances pour 2000, la Cour des comptes note que « l'année 2000 ne déroge pas au caractère erratique des dépenses de garantie observé depuis 1994 » : si seulement 140 millions d'euros (920 millions de francs) étaient inscrits sur le chapitre 14-01 l'année dernière, en revanche, le même chapitre était doté de 2,23 milliards d'euros (14,6 milliards de francs) en 1999.

3. Un effort de présentation

Votre rapporteur spécial souhaite évoquer l'effort de présentation du budget des charges communes réalisé depuis trois ans .

En 2000, il avait fait l'objet d'un effort indéniable de clarification, en raison de la suppression de 44 chapitres. Ces mesures de simplification de la présentation étaient d'autant plus appréciables que ledit budget souffre d'un manque évident de lisibilité, résultant de son caractère hétéroclite mais accentué par les incertitudes pesant sur l'évaluation de certaines dotations.

Cet effort est poursuivi par le présent projet de loi de finances.

Outre des modifications utiles au sein des agrégats, il convient de noter la création d'un nouvel agrégat isolant les dépenses en atténuation de recettes, constituées essentiellement des dégrèvements et remboursements d'impôts, qui n'avaient effectivement que peu de lien avec les charges de la dette, avec lesquelles elles étaient néanmoins rangées auparavant.

En outre, la présentation d'un programme relatif à la gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat, par anticipation de l'application - effective au 1 er janvier 2006 - de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, est extrêmement intéressante. Elle traduit un engagement pris par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie au cours des débats au Sénat consacrés à l'examen de la loi organique susmentionnée.

Certes, il ne s'agit que d'un exemple dépourvu de portée normative, puisque le Parlement ne sera pas appelé à se prononcer sur ce programme, contrairement à ce qui se passera à compter de l'entrée en vigueur de la loi organique. Mais il convient d'y voir un exercice pédagogique traduisant une marque d'intérêt - une fois n'est pas coutume... - pour la représentation nationale et une occasion d'en tirer quelques enseignements.

D'une part, la présentation des dépenses de l'Etat par programme permettra de donner un aspect plus dynamique à l'appréciation portée sur l'efficacité et l'efficience de la dépense publique, puisque cette dernière sera accompagnée d'objectifs à atteindre et de l'évaluation des résultats initialement fixés. Votre rapporteur spécial ne peut que se féliciter de ce que ce « préalable à la réforme de l'Etat » soit une initiative parlementaire.

D'autre part, il convient toutefois de veiller à ce que cette réforme soit mise en oeuvre de façon optimale par le gouvernement. Ainsi, si l'esquisse de programme présentée est bienvenue et intéressante, elle ne manque pas de susciter une interrogation relative aux modalités retenues pour élaborer les futurs programmes tels qu'ils seront présentés au vote du Parlement à partir de 2006. En effet, les programmes , dans l'esprit de la loi organique du 1 er août 2001, ne sauraient , sauf à perdre tout caractère d'innovation, être que le simple regroupement des chapitres budgétaires existants .

Or, c'est un peu l'impression laissée par le « pré-programme » relatif à la dette de l'Etat. A cet égard, il convient donc d'être vigilant sur le processus d'élaboration des indicateurs de résultats et de performances au regard desquels l'utilisation de la dépense publique sera appréciée à l'avenir.

B. UN BUDGET EXTRÊMEMENT CONTRAINT

Les crédits inscrits sur le budget des charges communes correspondent le plus souvent à des dépenses de constatation , ce qui lui donne un caractère extrêmement contraint , dont le Parlement est, le plus souvent, obligé de prendre acte.

1. La charge de la dette

La charge budgétaire de la dette poursuit son évolution haussière, même si elle devrait être plus limitée qu'en 2001.

Or, la dette résulte des déficits budgétaires annuels, eux-mêmes engendrés par un niveau trop élevé de la dépense publique : il est donc urgent d'engager une politique engageant le reflux de cette dernière.

Cette orientation, si elle se confirmait, serait en effet extrêmement préoccupante pour nos finances publiques, car elle signifierait que, une fois encore, le budget de l'Etat verrait ses faibles marges de manoeuvre réduites par des dépenses stériles progressant de façon quasiment automatique.

A cet égard, il convient de rappeler que, sur l'ensemble de la législature, 181,3 milliards d'euros (1.189,25 milliards de francs) ont été consacrés au paiement de la charge nette de la dette , cette évolution démontrant la rigidité croissante de la dépense publique et, par conséquent, les marges de manoeuvre de plus en plus réduites au sein du budget général :

La baisse constatée sur ce poste de dépenses en 2000, qui résultait de la baisse des taux d'intérêt observée cette année-là 5( * ) - élément exogène totalement indépendant de la politique gouvernementale -, ne constitue qu'une exception au sein d'une tendance de hausse continue du poids de la charge de la dette.

Du reste, comme l'indique la Cour des comptes dans son rapport précité, « la dette de l'Etat a continué de se situer, en 2000, dans une dynamique d'accroissement, certes ralenti, mais ininterrompu ».

Le tableau ci-dessous illustre ce phénomène :

2. Les dépenses en atténuation de recettes

Les dépenses en atténuation de recettes, et les remboursements et dégrèvements d'impôts en premier lieu, présentent elles aussi un caractère contraint extrêmement affirmé.

En effet, elles représentent plus de la moitié (53,7 %) des crédits inscrits au budget des charges communes .

Or, leur montant résulte essentiellement de mesures législatives proposées par le gouvernement, qu'il s'agisse de l'incidence de la réforme de la taxe professionnelle, de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, de l'instauration de la prime pour l'emploi, des mesures de baisse du taux de TVA, ou encore des mesures proposées en matière de fiscalité pétrolière.

3. Les dépenses de personnel

Les dépenses de fonction publique inscrites sur le budget des charges communes, qu'il s'agisse des rémunérations d'activité ou des charges de pension, sont également, par nature, peu sujettes à de réelles inflexions , à moins d'engager une réduction significative des effectifs des agents publics.

Il convient toutefois de rappeler qu'une faible part seulement de l'ensemble des dépenses de fonction publique figure au budget des charges communes, 10,65 milliards d'euros (69,86 milliards de francs) sur un total de 112,5 milliards d'euros (737,95 milliards de francs), soit 9,5 % (8,8 % en 2001).

C. POUR UNE INFORMATION BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE DE MEILLEURE QUALITÉ

1. Mieux appréhender les charges budgétaires de la dette

Rappelant que, depuis 1994, la notion de charge nette de la dette est utilisée dans les documents accompagnant le budget et les comptes d'exécution, la Cour des comptes se montre assez critique à l'égard de la prise en compte des charges budgétaires brute et nette.

Elle formule en effet quatre observations :

1°) « la qualification de « recettes d'ordre » [...] est impropre, car il s'agit d'encaissements effectifs et bien distincts des décaissements d'intérêts censés leur correspondre » ;

2°) « la référence à la charge nette, ne fût-ce que dans la présentation et les commentaires du budget, entretient une fâcheuse ambiguïté », car la déduction de recettes du montant de la charge brute de la dette dissimule l'évolution réelle de la dépense ;

3°) « du point de vue de l'analyse économique du coût de la dette, qui en est la justification donnée, cette contraction extra-comptable de dépenses et de recettes n'apparaît pas pertinente, du moins en l'état actuel de la comptabilité d'exécution budgétaire » ;

4°) « ainsi, seule une comptabilité en droits constatés de tous les produits et charges de la dette - budgétaires et extrabudgétaires - peut fournir des éléments économiquement significatifs du coût de la dette, et au-delà de la qualité de sa gestion ».

2. La problématique du « hors-bilan »

Il existe des « garanties implicites » à la charge de l'Etat, c'est-à-dire des engagements à plus ou moins long terme auxquels l'Etat et le secteur public devront faire face, et qui ne sont pas retracés en tant que tels dans le budget général.

C'est tout le problème du « hors-bilan », ou « dette publique invisible », qui fait l'objet d'une grande imprécision , le flou dont il est entouré empêchant la représentation nationale et les citoyens de connaître précisément la situation financière exacte de l'Etat.

La représentation nationale ne dispose ainsi que d'une vision tronquée de la dette de l'Etat.

Toutefois, le compte général de l'administration des finances (CGAF) 1999 avait apporté de réelles améliorations.

Le CGAF 1999

Le compte général de l'administration des finances pour 1999 , annexé au projet de loi de règlement de ladite année, comportait des premiers éléments répondant à des objectifs de meilleure information et donc de plus grande transparence : il continuait de reposer sur une comptabilité de caisse, mais était enrichi d'éléments patrimoniaux grâce à l'introduction d'éléments exprimés en termes de bilans et de comptes de résultat .

Il s'agit notamment de :

- la meilleure valorisation des immobilisations non financières et l'introduction, pour la première fois concernant les matériels et les équipements, de dotations aux amortissements : par exemple, les avancées réalisées en 1999 ont permis de valoriser de 76,22 milliards d'euros (500 milliards de francs) les immeubles détenus par l'Etat, et recensés au Tableau général permanent des propriétés de l'Etat (TGPE) ;

- l'amélioration de la lisibilité du compte qui retrace les dotations et participations de l'Etat, les comptes consolidés et pas seulement les comptes sociaux des principales entreprises publiques étant prises en considération ;

- la comptabilisation de la dette en droits constatés en non plus en encaissements/décaissements ; ainsi, la totalité des charges de la dette inscrites au budget de l'Etat est retraitée en droits constatés, en vertu du règlement communautaire relatif à la comptabilité européenne - le SEC 95 -, les intérêts courus non échus étant pris en compte ;

- la création d'une provision pour dépréciation des créances fiscales ;

- la présentation, pour la première fois, dans une annexe relative au hors-bilan, d'engagements à moyen et long terme de l'Etat. Trois secteurs d'intervention avaient été retenus :

1)° les retraites des fonctionnaires de l'Etat des régimes spéciaux, mais aucune indication chiffrée ne figurait dans l'annexe, seule une méthodologie étant précisée ;

2°) les engagements de l'Etat en matière d'épargne-logement, l'engagement potentiel maximal ayant été estimé à 7,62 milliards d'euros (50 milliards de francs) ;

3°) les garanties accordées par l'Etat aux entreprises, ainsi que les garanties à l'exportation passant par l'intermédiaire de la COFACE, ces engagements représentant 37,65 milliards d'euros (247 milliards de francs) pour les premières et 81,41 milliards d'euros (534 milliards de francs) pour les secondes.

Soit un total, hors pensions publiques, de 126,69 milliards d'euros (831 milliards de francs).

Toutefois, la Cour des comptes, dans son rapport précité relatif à l'exécution des lois de finances pour 2000, formule un certain nombre de critiques sur la façon dont sont appréhendés les engagements « hors-bilan » de l'Etat.

Elle relève notamment que « le niveau de risque associé aux engagements mentionnés dans le rapport de présentation du CGAF n'est pas actuellement évalué, à l'exception des engagements en matière d'épargne-logement :

- les engagements pour lesquels la réalisation du risque est probable devraient faire l'objet de provisions pour risques inscrites au passif ;

- les engagements pour lesquels la réalisation du risque est certaine devraient être inscrits au passif en charges à payer
».

Sans entrer dans les détails, la Cour des comptes estime que « le recensement des engagements hors-bilan de l'Etat effectué dans le rapport de présentation du CGAF reste incomplet ».

Elle rappelle également que « certaines charges futures d'une importance majeure, qui sont comptabilisées dans les engagements hors-bilan d'entreprises publiques, devraient figurer dans les engagements et risques hors-bilan de l'Etat, parce qu'elles présentent un risque pour l'Etat ». Et de citer les charges futures de démantèlement, de traitement et de stockage des déchets du CEA, soit plus de 6,10 milliards d'euros (40 milliards de francs), ainsi que les charges dites spécifiques de Charbonnages de France relatives aux voiries et aux sites arrêtés et aux prestations dues aux anciens mineurs, soit plus de 8,38 milliards d'euros (55 milliards de francs).

Elle a également regretté que les engagements de l'Etat au titre des retraites publiques ne fassent l'objet d'aucun chiffrage, même si elle a obtenu des informations sur ce point.

Les engagements au titre des retraites des fonctionnaires :

entre 595 et 686 milliards d'euros

Dans son rapport relatif à l'exécution des lois de finances pour 2000, la Cour des comptes a approfondi son analyse des engagements hors-bilan de l'Etat.

« La Cour a souhaité que lui soit communiqué le chiffrage des engagements de l'Etat au titre des pensions des fonctionnaires », dans le cadre du contrôle de l'exécution des lois de finances.

La Cour des comptes a ainsi été destinataire d'un courrier de la secrétaire d'Etat au budget, dont il ressort que, « en fonction du taux d'actualisation retenu (6 ou 5 %), l'ordre de grandeur des engagements hors bilan de l'Etat au titre des retraites des fonctionnaires peut être estimé comme s'inscrivant dans une fourchette d'évaluation comprise entre 594,55 milliards d'euros (3.900 milliards de francs) et 686,02 milliards d'euros (4.500 milliards de francs) ».

Des améliorations ont été apportées au CGAF 2000 :

- la valorisation des immobilisations non financières ;

- la valorisation des dotations et participations ;

- le rattachement de la TVA à l'exercice 2000 ;

- l'estimation de l'impact d'une intégration des budgets annexes dans les comptes de l'Etat.

D. QUEL AVENIR POUR LE BUDGET DES CHARGES COMMUNES ?

Votre rapporteur spécial s'interroge sur la façon dont le budget des charges communes va s'adapter aux dispositions de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.

Il convient en effet de rappeler que celle-ci prévoit un certain nombre de modifications qui vont avoir un impact direct sur une partie conséquente des crédits aujourd'hui inscrits au budget des charges communes .

Au moins trois de ces nouvelles dispositions peuvent être citées :

- l'article 7 prévoit une dotation pour dépenses imprévisibles ;

- l'article 21 prévoit un compte d'affectation spéciale des charges de retraites ;

- l'article 22 crée un compte de commerce pour la charge budgétaire de la dette et pour la dette publique elle-même.