II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
Le
présent budget, en dépit de dotations apparemment flatteuses,
surtout lorsqu'on les rapporte à celles de 1997, ne donne pas aux
sociétés nationales de programmes des moyens à la mesure
des ambitions audiovisuelles qu'on leur assigne.
Il s'inscrit dans une politique qui, en particulier en matière de
numérique terrestre, ne prend pas assez en compte les impératifs
économiques, même si votre rapporteur spécial estime qu'il
faut être attentif à ce que le numérique n'aboutisse pas
à la dissolution de notre identité culturelle.
1. Le numérique terrestre sans perspectives immédiates
A peine
adoptée, la nouvelle loi audiovisuelle apparaît
dépassée. Tout se passe comme si, malgré les
avertissements du Sénat, le Gouvernement avait du mal à tenir
compte des réalités économiques.
La conjoncture ambiante a profondément changé. La bulle Internet
et l'économie virtuelle ont éclaté ; le marché
publicitaire régresse après des années d'expansion
exceptionnelle et n'est plus forcément cette manne qui allait permettre
de financer sans efforts tous les nouveaux développements
numériques ; les valeurs TMT résistent, mais perdent,
elles-aussi du terrain dans le climat d'incertitude, qui a suivi les attentats
du 11 septembre.
Bref, la télévision numérique n'est plus ce nouvel
Eldorado de l'audiovisuel, propice à toutes les initiatives et de nature
à supporter les contraintes de service public ou de mise en concurrence
systématique que le législateur emporté par l'ivresse
nouvelles technologies avait voulu imposer.
L'affaire des « 49 % » est tout à fait
significative du temps mis à se rendre à l'évidence :
il était illusoire de croire que les actionnaires de certaines
chaînes thématiques allaient renoncer au contrôle des
chaînes qu'ils avaient créées sur le câble ou le
satellite pour venir sur le numérique terrestre.
Le changement de climat est tel que l'on voit les opérateurs historiques
du satellite envisager de « réduire la voilure » et
ne pas refuser d'évoquer un rapprochement voire une fusion des bouquets
hier encore impensable tant la concurrence était vive entre les deux
« frères ennemis ».
En dépit de la sérénité affichée des
pouvoirs publics, les hésitations des opérateurs privés se
font de plus en plus manifestes au point d'alimenter un climat
d'attentisme.
Tous les éléments recueillis par votre rapporteur spécial
viennent à l'appui de ce qui semble une décision de prudence,
voire de bon sens : quand le marché hésite, quand les
opérateurs historiques privés traînent les pieds pour
alimenter une offre adaptée, quand le service public n'a pas les moyens
de se déployer et d'occuper sa place sur ce nouveau créneau,
quand les industriels, enfin, tardent à se mettre d'accord sur un
standard commun, on ne peut qu'en tirer les conséquences et
réexaminer le processus de mise en oeuvre de la télévision
numérique de terre.
A la
question fondamentale
:
qui a intérêt au
numérique de terre ?
La réponse est simple : le
secteur public, c'est-à-dire France Télévision et TDF.
Mais est-ce suffisant pour garantir la réussite d'un projet qui suppose
l'adhésion de tous les acteurs de cette aventure technologique et
économique ? Méconnaître cette évidence, et en
l'occurrence, « aller plus vite que la musique », c'est non
seulement risquer de gaspiller l'argent public mais encore faire perdre
à l'économie nationale le bénéfice d'un pari sur
l'avenir comme cela déjà été le cas par le
passé avec les expériences malheureuses du plan câble ou
des satellites de télédiffusion directe.
(a) L'ébauche du paysage de la télévision numérique de terre par le CSA
Conformément aux dispositions de l'article 30-1 de la
loi du
30 septembre 1986 modifiée, le Conseil supérieur de
l'audiovisuel a conduit en septembre 2000 une large concertation avec
l'ensemble des acteurs publics et privés concernés sur
l'aménagement du spectre hertzien dans la perspective d'un
développement optimal de la télévision numérique de
terre et a publié les résultats de cette concertation à la
fin du mois d'octobre 2000. Le Conseil s'est largement appuyé sur les
résultats de cette consultation dans ses travaux de planification des
fréquences. A la
fin du premier semestre 2001
, le Conseil,
conformément aux dispositions de l'article 53 de la loi n° 2000-719
du 1
er
août 2000, a publié une
première liste
de fréquences disponibles
pour les services de
télévision à vocation nationale et à vocation
locale diffusés par voie hertzienne terrestre.
Par ailleurs, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a
procédé à la rédaction du texte de l'appel aux
candidatures pour la diffusion de services de télévision à
vocation nationale. Afin de donner la plus large lisibilité à la
procédure engagée, le projet d'appel aux candidatures a
été mis en ligne, au printemps 2001, sur le site Internet du
Conseil de façon à permettre à tous les acteurs
intéressés de faire parvenir leurs observations à
l'instance de régulation. Le texte définitif a tenu compte des
différentes contributions et été approuvé par
l'assemblée plénière du Conseil lors de sa réunion
du
24 juillet 2001, date officielle du lancement de l'appel aux
candidatures.
Le Conseil avait fixé au 29 novembre 2001 la date
limite à laquelle les dossiers de candidature doivent être remis .
Mais avec le report de la parution des décrets
« production » tout est reporté, à commencer
par cette date limite, qui pourrait se trouver fixée à la fin
janvier. Le démarrage des émissions de la
télévision numérique de terre pourra-t-il bien commencer
comme prévu à la fin de l'année prochaine ? La
question peut être posée.
Une préoccupation essentielle du Conseil supérieur de
l'audiovisuel a été de déterminer le
nombre de
services
susceptibles d'être présents sur chaque multiplex. II
convient en effet de tenir compte du besoin en bande passante pour la diffusion
de chaque service et de la nécessité de veiller à une
qualité suffisante du signal. Dans l'appel lancé le 24 juillet
dernier, le Conseil a retenu le principe de la diffusion de
trente-trois
services de télévision
répartis sur les
six
multiplex
prévus par site de diffusion. Cela signifie donc que
trois multiplex pourront contenir six services
chacun alors que les
trois autres multiplex ne comprendront que cinq services à la
fois
. Le Conseil a en effet souhaité faire preuve de prudence et a
voulu tenir compte du fait que certains services, en raison de leur format,
seront appelés à utiliser davantage de bande passante pour
assurer convenablement la diffusion de leurs émissions.
L'interopérabilité des systèmes
de réception
représente également un enjeu important pour la réussite
de la télévision numérique de terre. Le niveau
d'interopérabilité doit être fixé, aux termes de la
loi, par des arrêtés interministériels. Dans son avis du 24
juillet 2001, le Conseil a pris acte de la portée limitée des
projets dans la mesure où ils ne permettent qu'une
interopérabilité réduite des signaux émis et des
terminaux de réception des services diffusés.
Le Conseil
considère, dès lors, qu'il faudra poursuivre avec les
différents acteurs la recherche de moyens de nature à assurer une
interopérabilité optimale
. II convient, à cet
égard, de rappeler que l'article 30-3 de la loi du 30 septembre 1986
modifiée impose aux éditeurs autorisés pour l'exploitation
de services faisant appel à une rémunération de la part
des usagers de conclure les accords permettant l'interopérabilité
de leurs systèmes d'accès conditionnel et de leurs moteurs
d'interactivité. Ces accords devront intervenir dans les deux mois
suivant la délivrance par le Conseil supérieur de l'audiovisuel
de leurs autorisations aux distributeurs commerciaux.
Au delà des aspects techniques, il est évident que le
succès de la télévision numérique de terre
dépendra largement de l'équilibre économique de cette
nouvelle télévision et en particulier celui des
dix-huit
nouveaux services privés de télévision.
Afin d'analyser les
facteurs de cet équilibre économique
,
certains experts et en particulier ceux de la Direction du développement
des médias, ont avancé un certain nombre d'hypothèses
qu'il convient préalablement de présenter.
Les coûts de diffusion sont estimés entre 20 et 25 MF pour 80 % de
couverture. En revanche, pour passer de 80 % à 85 %, le nombre
d'émetteurs devra augmenter substantiellement et le coût pour la
couverture de la quasi-totalité du territoire avoisinerait, dans ces
hypothèses, les 50 MF par an.
Le coût de grille moyen retenu pour les nouvelles chaînes, qu'elles
soient publiques ou privées, en clair ou payantes, est de 100 MF, tout
au moins les premières années. Cette hypothèse est un
minimum au regard du niveau de qualité attendu pour la
télévision numérique de terre et semble cohérent
avec ce qui se pratique pour les chaînes thématiques actuelles.
L'équilibre économique des télévisions associatives
sera, quant à lui, à rechercher en référence
à un coût de grille unitaire nettement inférieur.
(b) Les hésitations des opérateurs historiques privés
En
dépit de leurs différends en ce qui concerne l'émission
Loft Story, les deux grands opérateurs historiques se rejoignent pour
critiquer la façon dont est conduit le lancement du numérique de
terre.
Ainsi, M. Patrick Le Lay, président-directeur général de
TF1, a-t-il fait savoir dans le quotidien La Tribune qu'il espérait que
le gouvernement allait « renoncer » au numérique
terrestre. Les formules employées sont particulièrement
fortes ;
« Il n'est pas interdit, quand on est responsable,
d'arrêter une catastrophe
», a-t-il déclaré,
dénonçant «
l'écart entre les discours
politiques et la réalité évidente du
marché ».
Son analyse économique est non moins radicale :
« Sur
les cinq dernières années, quelque 80 chaînes
thématiques ont été créées en France. Il y
en a 60 de trop
». Pour lui,
«il ne faut pas se voiler la face,
la télévision payante perd de l'argent
». «
On
peut chiffrer à 26 milliards d'euros les pertes des chaînes du
satellite et du câble, dans l'ensemble des pays
européens ».
De son côté, M. Nicolas de Tavernost a développé des
positions analogues dans des termes tout aussi directs.
« Nous allons vers de graves déceptions. Il faut confier
cette technologie aux opérateurs existants. Pas pour protéger
leur monopole, mais pour que le numérique terrestre, le câble et
le satellite soient complémentaires (...) Ce n'est pas la peine
d'autoriser tout un tas de chaînes si elles ne correspondent pas à
un marché. Avant d'autoriser, le CSA doit regarder la composition de
l'offre
». Il conclut :
« le marché
publicitaire a changé et ça s'est accéléré
avec les événements aux États
-
Unis. La sagesse
serait de réfléchir aux conséquences de l'arrivée
de la TNT sur les autres supports avant le lancement
».
Certes, les thèses développées ont tendance à
faire coïncider l'intérêt collectif avec les
intérêts acquis. Mais la question de l'équilibre
économique de la télévision numérique de terre
mérite bien d'être posée.
De fait, les
« nouveaux entrants
»,
c'est-à-dire les opérateurs qui ne sont pas aujourd'hui
présents dans la télévision hertzienne nationale, n'ont
pas la même analyse :
« Ce serait un sacrilège de ne
pas présenter un certain nombre de dossiers
», a
déclaré de son côté, Arnaud Lagardère, PDG de
Lagardère Média : «
Qu'il y ait ce lobbying des
grandes chaînes hertziennes contre le numérique terrestre est
plutôt encourageant pour certains entrants »
, même
s'il a clairement signifié «
qu'il n'acceptera pas «de
perdre beaucoup d'argent sur la TNT
».
La France a besoin d'entreprises privées fortes sur leur
marché national. Elle doit leur offrir un cadre législatif stable
et de nature à assurer la rentabilité de leurs investissements.
Une telle préoccupation doit être présente à
l'esprit des pouvoirs publics au moment où l'on voit se poursuivre des
grandes manoeuvres audiovisuelles à l'échelle mondiale,
même s'il convient de les apprécier au regard des exigences du
service public et du maintien d'une nécessaire concurrence.
Les opérateurs privés (TF1, Canal, M6 et les autres),
réticents à se lancer dans cette aventure qu'ils jugent sinon
hasardeuse du moins pas vraiment lucrative, souhaitent s'allier pour
contrôler la distribution des 18 chaînes qui leur sont
dévolues sur les 33 actuellement prévues.
Dans le cas particulier, la ministre de la culture et de la communication, a
déclaré «
s'agissant du développement d'un
nouveau marché, la question est ouverte
». Elle a ainsi
demandé à M. Laurent Fabius, ministre de l'Économie, des
Finances et de l'Industrie, de faire examiner ce projet par la Direction
générale de la concurrence les conditions «pour respecter
à la fois les règles de la concurrence et celles du pluralisme,
sans compromettre la viabilité économique du projet».
(c) La sérénité des pouvoirs publics en dépit des observations du CSA
Les
pouvoirs publics affichent une confiance sans faille dans le caractère
équilibré du processus programmé, dans lequel les enjeux
économiques restent subordonnés aux enjeux culturels.
Mme Catherine Tasca s'est élevée contre les critiques reprochant
au Gouvernement le caractère « trop volontariste »
de sa politique en matière de numérique de terre. Pour elle, le
Ministère de la Culture et de la Communication «
a toujours
avancé, à chaque étape de ce projet, avec
pragmatisme et réalisme et su adapter les règles aux
nécessités économiques. Mais, il est clair ... qu'elles ne
sauraient occulter les enjeux de la création »
: [...] de
fait,
« l'intérêt de la TNT est évidemment
qu'elle contribue à la pluralité de la diffusion des oeuvres et
à l'accroissement des sources de financement vers la
création
».
Cette confiance dans la politique actuelle repose sur une analyse du
marché exposée à plusieurs reprises par M. Marc
Tessier
1(
*
)
. Estimant que
« la France est le pays qui a le moins de chaînes de
télévision généralistes », il
considère que la télévision numérique terrestre
constitue «
l'opportunité de sortir de cet engrenage pour
le moins malthusien qui limite dans notre pays l'offre de
télévision et ralentit l'essor de chaînes
thématiques
». Pour lui, l'offre nouvelle de chaînes
thématiques est avant tout payante, chère, et donc limitée
à une part très minoritaire de la population française.
Par manque d'oxygène, ces chaînes thématiques ont une
rentabilité précaire : l'assiette de leur diffusion est trop
étroite et leurs ressources sont trop dépendantes des choix d'un
petit nombre d'opérateurs commerciaux, CanalSatellite, TPS, les
câblo-opérateurs, eux-mêmes liés aux groupes
télévisuels historiques privés comme publics.
Pour les partisans de la procédure actuelle, c'est clairement le public
qui est au coeur du projet de numérique terrestre. Celui-ci doit
permettre
« aux chaînes thématiques qui le
souhaiteront d'étendre leurs zones de diffusion, donc leurs ressources,
et par voie de conséquence améliorera la qualité des
programmes pour les téléspectateurs... L'essentiel sera le
doublement de l'offre de télévision en clair et la
création pour la première fois dans notre pays de chaînes
locales et régionales de plein exercice... A terme, c'est bien la fin du
mode analogique qui est visée. Le saut qualitatif pour le
téléspectateur sera décisif
. »
Bref, qu'apporte en définitive, la télévision
numérique de terre ?
« Tout simplement l'opportunité
de sortir de cet engrenage pour le moins malthusien qui limite dans notre pays
l'offre de télévision et ralentit l'essor des chaînes
thématiques. Ce résultat, elle l'atteint non pas en concurrence,
mais en complémentarité avec les programmes proposés sur
le câble et le satellite, ainsi qu'avec les télévisions
hertziennes existantes.
».
C'est autour de cette idée de complémentarité et
d'articulation des offres entre télévision hertzienne en clair,
numérique terrestre - qu'il soit gratuit ou payant - et câble et
satellite, qu'il faut chercher à définir la politique du
numérique terrestre.
L'avis du CSA sur le projet de décret relatif à la production qui
fixera les obligations des futures chaînes de la TNT, rendu public au
début du mois d'octobre dernier, peut ainsi être
interprété comme demandant plus de souplesse, de
simplicité et de flexibilité afin d'assurer « la
viabilité économique » du numérique terrestre.
Et lui permettre de trouver sa place à côté du câble
et du satellite.
En premier lieu, le CSA préconise la possibilité pour les
chaînes du numérique terrestre de diffuser de la publicité
toute la journée, contrairement à ce qui avait été
prévu dans le projet de décret, qui ne la prévoyait comme
c'est le cas de Canal+, que six heures par jour au maximum sur des programmes
en clair. On note que se pose la question de l'ouverture de la publicité
des secteurs jusqu'ici interdits (distribution, cinéma, presse et
édition). Le CSA estime également qu'il faut plus de souplesse
dans les quotas de production.
A la différence du projet de décret qui prévoit que la
production d'oeuvres françaises doit atteindre, au bout de cinq ans, 16
% du chiffre d'affaire des chaînes, l'instance de régulation est
favorable à la fixation d'une durée de sept ans, souhaitant
à ce sujet des modifications du texte sur la définition de la
production indépendante ou sur les quotas de diffusion d'oeuvres
européenne ou d'expression originale française.
(d) Des inconnues économiques et juridiques
L'équilibre économique du paysage audiovisuel
reste
incertain. Indépendamment des inconnues techniques
2(
*
)
, il faut tenir compte des coûts
et de recettes dont il faut admettre qu'elles sont problématiques ;
qu'il s'agisse des péages ou de la ressource publicitaire, voire des
incertitudes juridiques issues du projet de certains opérateurs de
joindre leurs forces pour la commercialisation de la télévision
numérique de terre. En tout état de cause, il est évident
le succès de l'opération dépend en grande partie de
l'engagement des opérateurs commerciaux, qu'il s'agisse des
constructeurs d'appareils ou gestionnaires de bouquets
3(
*
)
.
D'une façon générale, les experts semblent s'accorder pour
considérer que le numérique terrestre a un potentiel de
marché. Avec moins d'un foyer sur trois abonné à au moins
une offre de télévision payante (7 millions de foyers souscrivent
aujourd'hui 9 millions d'abonnements), la France reste loin de la plupart de
ses voisins européens à haut revenu, notamment lorsqu'ils
disposent historiquement d'une forte implantation des réseaux
câblés (Allemagne, Benelux, Suisse, Europe du Nord).
Avec un prix adapté de l'ordre de 100 Francs par mois hors location de
décodeur, les experts du ministère estiment que près de la
moitié des foyers pourraient être abonnée à la
télévisions numérique de terre à horizon 2012, pour
un accès à une quinzaine de chaînes payantes - de type
« best of » des chaînes thématiques du
câble, hors cinéma-sport -, et, bien sûr, à la
quinzaine de chaînes gratuites y compris les chaînes historiques
actuelles.
Les nouvelles chaînes en clair de la télévision
numérique de terre, publiques et privées, s'inscriront dans un
schéma économique fondé sur la ressource publicitaire,
dont l'élasticité par rapport à la croissance globale
peut-être estimé à long terme à 1,5%. Mais à
court terme, en période d'incertitude, on peut craindre que les recettes
de publicité ne soient pas au rendez-vous, surtout que le fonctionnement
du marché publicitaire qui privilégiant les audiences de masse
est plus favorable aux grosses chaînes qu'aux petites.
Enfin, il convient de sécuriser l'environnement juridique des
opérateurs notamment en ce qui concerne la distribution. Peut-il y avoir
ou pas un seul opérateur de la future télévision de terre
ou bien, le droit de la concurrence oblige-t-il de garantir plusieurs
opérateurs ? Face à l'initiative des opérateurs, le
Gouvernement semble hésiter, non sans raisons, tant la matière
est délicate.
D'un côté, il convient d'évoquer le contexte politique et
administratif de cette affaire, dans la mesure où nombre d'observateurs
ont vu dans cette initiative la volonté de M.Laurent Fabius, de se poser
en interlocuteur. Aucun texte législatif ou réglementaire ne
prévoyant de règles en la matière, cette liberté a
priori pourrait se révéler un handicap, en inhibant les
opérateurs peu enclins à prendre le risque d'une remise en cause
de leurs accords ou de contentieux interminables entre opérateurs
eux-mêmes.
La Direction générale de la concurrence de la consommation et de
la répression des fraudes s'est ainsi vu confier «
une
mission d'analyse et de concertation
». Pour déterminer si
«
l'éventualité d'un seul opérateur
commercial est pertinente et compatible avec les règles du droit de la
concurrence français, voire européen »
,
étant entendu qu'il est a priori peu probable que même si la
DGCCRF concluait à la possibilité d'un opérateur unique,
il est probable qu'elle assortirait son aval d'un certain nombre d'exigences et
de contreparties.
Bref, que le numérique de terre soit une nécessité,
personne n'en doute. Mais, faut-il dans la conjoncture actuelle, y aller
à marche forcée, toute la question est là.
2. Le secteur public sans marge de manoeuvre
Sans
moyens adaptés aux objectifs multiples qu'on lui assigne, sans
véritable doctrine, l'audiovisuel public est devenu avec la
réforme de 2000, une sorte de colosse aux pieds d'argile. Il souffre de
handicaps inutiles et d'un sous financement chronique, se voit saper les
ressources qui lui sont affectée, et n'est pas incité à
entreprendre les réformes de structures à défaut
desquelles l'ensemble nouvellement créé ne trouvera les
capacités réactives nécessaires dans un contexte
concurrentiel.
La formule de Greg Dyke, directeur général de la BBC, selon
laquelle «
il faut choisir entre le changement et la mort
lente
, » vaut également pour France
Télévision.
(a) La réduction de la durée de la publicité : un handicap inutile
La
cristallisation du débat sur la question des ressources publicitaires
apparaît à votre rapporteur spécial comme un débat
daté. Comment ne pas rattacher l'invention de la réduction
à huit minutes en heure glissante de la durée maximale des spots
à l'euphorie ambiante des années 1999-2000 au cours desquelles le
marché de la publicité télévisée connaissait
une croissance à deux chiffres.
Aujourd'hui, quand les temps s'annoncent sinon nécessairement plus
difficiles, du moins plus incertains notamment sur le plan budgétaire,
une telle décision teintée d'idéalisme, ne devrait pas
vraiment réduire la pression de l'audimat sur les programmes.
Au nom de l'idéal nostalgique voire régressif d'une
télévision sans publicité, le gouvernement prive le
secteur public de recettes, alors qu'il a besoin de toutes les ressources
disponibles pour faire face aux investissements qu'exigent le numérique
et la situation financière toujours fragile dans laquelle se trouvent un
certain nombre des sociétés qui composent l'audiovisuel public.
La stabilisation de l'audience ne fait qu'accroître le manque à
gagner pour le service public. Certes sur le plan de la qualité, on ne
peut que se féliciter de ce que France télévision ait
raflé 14 trophées lors des derniers 7 d'or, mais cela
suffira-t-il à relâcher la pression de l'audimat ?
(b) Des besoins de financement insatisfaits
S'il ne
veut pas être marginalisé, le secteur public doit
bénéficier de ressources courantes
- indépendamment
de ses besoins d'investissements propres pour acheter des programmes mais aussi
se placer sur le marché de l'interactivité -, dont la
croissance reste du même ordre de grandeur que celle de ses
concurrents
.
Il lui faut investir dans des programmes suffisamment attractifs qu'il s'agisse
de payer les droits de plus en plus lourds exigés pour les
retransmissions sportives ou de conserver leurs animateurs vedettes - ce qui
est un problème pas seulement pour la télévision mais
également pour la radio - ou de faire réaliser des
émissions de fiction de prestige.
Ainsi, en ce qui concerne la
Coupe du monde de football en 2002
et en
2006, dont les droits reviennent non pas à l'UER mais au groupe Kirch,
la France et l'Italie sont les seuls grands pays n'ayant pas encore acquis
leurs droits de retransmission
, estimant le prix actuel de 100 M€ trop
cher.
En outre, il faut noter qu'en vue de maîtriser
l'inflation des droits
sportifs,
la BBC, France Télévision, la RAI, RTVE et ZDF sont
parvenues à un accord dans la perspective de l'achat des droits de
retransmission du Championnat d'Europe de football en 2004 pour demander
à l'UER de réduire leur part de financement, qui atteint 80 % du
total lors des grands événements. Les grands opérateurs
publics auraient par ailleurs mis au point une répartition des charges
entre eux, tenant davantage compte de leur audience respective.
Cette montée des charges ne fait que renforcer votre rapporteur
spécial dans la conviction que France télévision ne
dispose pas des marges de manoeuvre nécessaires sur le plan
financier : il ne peut que rappeler qu'il a estimé, à la
suite des travaux du groupe de travail de la commission des finances qu'il a eu
l'honneur de présider, le besoin de financement global de France
télévision pour l'horizon 2004, à entre 5 et 600 M€
de ressources publiques courantes annuelles, auxquelles il faut ajouter entre
125 et 275 M€ de dotations en capital.
Les données à long terme du problème n'ont pas
changé : TF1 voit ses dépenses d'exploitation et
d'investissement croître de plus de 10 % par an, tandis que le
budget de France Télévision, lui, ne progresse que de la
moitié environ. Il faut rappeler qu'en 2000 TF1 et M6 ont respectivement
connu des croissances de leur chiffres d'affaires de 22,5 % et 18 %,
à comparer à une hausse des produits d'exploitation de
12,7 % des sociétés du groupe France
Télévision, année où, pourtant, les ressources de
redevance avaient crû de plus de 1,27 Mds de F. Même quand
l'État fait un effort exceptionnel, il est encore distancé par le
secteur privé qui réalise des performances commerciales encore
supérieures.
Certes le ralentissement du marché se profile avec une croissance des
ressources sans doute inférieure à 5 % en 2001. Mais
l'analyse générale reste selon votre rapporteur spécial
tout à fait valable : l'évolution du budget de l'audiovisuel
public tend à suivre celle du budget de l'État, alors que ceux de
ses concurrents privés augmentent à la vitesse d'un marché
en plein développement.
Les projets de développement de France Télévision dans le
numérique sont actuellement évalués à
580 M€ (3,8 MdsF) pour la période 2001-2006. Le
président de France Télévision avait évalué
ces besoins en capitaux à 1,5 MdF sur cinq ans. Le Gouvernement lui
en a accordé 1 milliard, soit 152,45 M€ financés sur
les ressources de privatisations.
Par ailleurs, 800 MF, soit 122 M€ devraient provenir de la cession
d'actifs non stratégiques dont la plus grande part viendrait de la vente
de la participation que le groupe détient dans le bouquet TPS. Ce
montant pourrait se révéler difficile à obtenir dès
lors que, si l'on se base sur les évaluations données par la
presse en ce qui concerne la valeur de la participation de France
Télécom, la valeur de celle de France Télévision ne
serait que de 85 M€.
En tout état de cause, ce décalage entre les besoins de
financement des nouvelles chaînes que veut créer France
Télévision dans le domaine de l'information et du sport, suppose
soit que l'Etat trouve encore des ressources complémentaires, soit qu'on
autorise France Télévision à trouver des partenaires
privés.
A l'heure actuelle, les projets des chaînes « Info »
et de chaînes « sport » en particulier,
créneau déjà occupé avec succès par le
secteur privé, sont en panne de financement, alors que la loi a
réservé au secteur public une douzaine de chaînes.
Certes, France télévision peut compter sur la réalisation
de sa participation dans TPS évaluée aux alentours d'un milliard
de francs, mais ce montant reste d'autant plus limité que des
informations de presse relatives à la cession de la participation de
France Telecom, valoriserait à 85 M€ soit 560 MF.
(c) La redevance diminuée dans son volume et affaiblie dans son principe
L'année dernière, alors que le débat sur
le
principe même de la redevance pour droit d'usage d'un appareil de
télévision continuait d'agiter les mondes de la politique comme
des médias, on a vu surgir, au cours des débats à
l'Assemblée nationale à l'initiative du rapporteur
général du budget, un amendement prévoyant une
exonération de redevance au profit de personnes âgées de
plus de 70 ans non imposables à l'impôt sur le revenu et à
l'impôt sur la fortune.
Cette année, l'Assemblée nationale fait un pas de plus dans la
même voie en abaissant à 65 ans la limite d'âge ouvrant
droit à cette exonération.
Certes, le régime actuel des exonérations n'est pas parfaitement
satisfaisant, au regard de l'égalité entre les citoyens, mais on
peut se demander s'il est souhaitable de le modifier à la marge dans un
sens où il sera sans doute encore plus difficile voire impossible d'en
rationaliser l'assiette.
Plutôt qu'un replâtrage plus ou moins opportuniste qui pourrait
hypothéquer les chances d'une réforme à venir, votre
rapporteur spécial estime qu'il serait préférable de
revoir globalement l'assiette de la taxe et son mode de recouvrement.
Ce que l'initiative a d'inquiétant, c'est qu'elle semble constituer
l'amorce d'un processus de désagrégation de la redevance, qui ne
laissera dans l'avenir d'autre issue que sa disparition.
Pourtant le rapport de l'inspection générale des finances de
novembre 1999, intitulé
« rapport d'enquête sur le
coût, l'efficacité et les perspectives d'évolution du
service de la redevance audiovisuelle
», explorait des voies
intéressantes.
Défavorable
comme l'inspection des finances à
une
budgétisation des ressources de l'audiovisuel public
ainsi
qu'à son
financement par le produit des jeux
, dans la mesure
où il est essentiel de conserver au travers de la redevance un lien
citoyen entre les Français et leur télévision, votre
rapporteur spécial, estime que l'on pourrait effectivement
adosser la
redevance
sur la taxe d'habitation
mais
sans les
confondre
: il s'agirait d'envisager une identité du fait
générateur - disposer d'un local à usage d'habitation - et
donc de l'identifiant informatique du contribuable/redevable, tout en
distinguant les avis d'imposition et les modalités de perception de
façon à
ne pas créer de confusion des
responsabilités entre l'État et les collectivités
territoriales
.
Une telle réforme, qui passe aussi par un
renforcement des pouvoirs
juridiques des services compétents
- droit de communication
amélioré, utilisation de l'avis à tiers détenteur
-, permettrait à la fois d'augmenter substantiellement les ressources de
l'audiovisuel public et de
régler le problème des
exonérations
.
Le service de la redevance, dont votre rapporteur a pu apprécier
l'efficacité, ne serait pas supprimé mais simplement
restructuré pour ne plus avoir à traiter que l'émission
des avis d'imposition et du contentieux, déchargeant en ce qui concerne
cette dernière tâche les services de la comptabilité
publique, ce qui devrait limiter les réaffectations et donc le
coût social de la réforme.
Quant au niveau de la redevance, dont on a vu qu'il était nettement
inférieur à celui des autres grands pays européens, votre
rapporteur spécial estime que, surtout à défaut d'une
réforme d'envergure de la redevance en augmentant sensiblement le
produit, il faudrait en augmenter le montant, non seulement pour rattraper le
retard pris sur l'évolution des prix et du SMIC, mais encore pour
permettre le financement de toutes les activités qui vont aller de pair
à l'expansion des marchés de l'Internet et du numérique de
terre.
Pour sauver le modèle audiovisuel français, il faut y mettre
les moyens financiers. Le rapporteur spécial ne peut que
, surtout
à l'orée d'une nouvelle période de vaches maigres
budgétaires
, réitérer sa position de principe : il
faut non seulement conserver la redevance mais encore avoir le courage de
l'augmenter pour la mettre au niveau de celle des grands pays européens.
(d) Les questions de productivité différées avec la priorité aux mesures salariales
Productivité et responsabilité sont des
impératifs catégoriques faute desquels l'argent public que l'on
s'apprête à injecter, a toutes les chances de
s'évaporer
.
Le poids des mesures salariales, qui doivent absorber plus de la moitié
des moyens nouveaux accordés aux organismes de l'audiovisuel public
indique clairement où sont les priorités du présent budget.
(en millions d'euros)
Programmes |
39,45 |
42,25 % |
Mesures salariales |
46,94 |
50,27 % |
Diffusion |
0,53 |
0,57 % |
Impôts, taxes et prélèvements divers |
3,48 |
3,73 % |
Dotations aux amortissements |
2,84 |
3,04 % |
Autres charges |
0,13 |
0,14 % |
Total |
93,38 |
100 % |
Le tableau ci-dessus montre que sur les 47 M€ de mesures nouvelles allant aux mesures salariales, la moitié correspond en fait aux créations d'emplois rendues nécessaires dans le cadre de la réduction du temps de travail au sein du groupe France Télévision.