III. L'ARTICLE 65 DU PROJET DE LOI DE FINANCES RATTACHÉ AU BUDGET DE L'ÉDUCATION NATIONALE

A. LA MESURE PROPOSÉE : L'INTÉGRATION DANS L'ENSEIGNEMENT PUBLIC DE PERSONNELS EN FONCTION DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES GÉRÉS PAR L'ASSOCIATION DIWAN

1. Une mesure qui s'inscrit dans le prolongement de la signature en 1999 de la charte européenne des langues régionales et minoritaires

a) La charte européenne des langues des langues régionales et minoritaires

Le 7 mai 1999, le gouvernement a signé la Charte européennes des langues régionales et minoritaires proposée en 1992 par le Conseil de l'Europe, dont les dispositions générales prévoient notamment :

-
la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires en tant qu'expression de la richesse culturelle ;

- le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire ;

- la nécessité d'une action résolue de promotion des langues régionales ou minoritaires, afin de les sauvegarder ;

- la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ;

- le maintien et le développement de relations, dans les domaines couverts par la présente Charte, entre les groupes pratiquant une langue régionale ou minoritaire et d'autres groupes du même Etat parlant une langue pratiquée sous une forme identique ou proche, ainsi que l'établissement de relations culturelles avec d'autres groupes de l'Etat pratiquant des langues différentes ;

- la mise à disposition de formes et de moyens adéquats d'enseignement et d'étude des langues régionales ou minoritaires à tous les stades appropriés, ainsi que la mise à disposition de moyens permettant aux non-locuteurs d'une langue régionale ou minoritaire habitant l'aire où cette langue est pratiquée de l'apprendre s'ils le souhaitent.

On peut rappeler que les Etats signataires de cette Charte s'engagent :

- d'une part, à appliquer ces dispositions générales (prévues par le préambule et par les deux premières parties de la Charte) à toutes les langues régionales ou minoritaires pratiquées sur leur territoire ;

- d'autre part, à appliquer aux langues régionales ou minoritaires expressément indiquées au moment de la ratification, de l'acceptation ou de l'approbation de la Charte, un minimum de trente-cinq mesures choisies parmi celles énumérées dans la troisième partie de la Charte, dont au moins trois choisies dans chacun des articles 8 et 12 (relatifs respectivement à l'enseignement et à la culture) et un dans chacun des articles 9, 10, 11 et 13 (relatifs respectivement à la justice, à l'administration, aux médias et à la vie économique et sociale).

b) Les engagements du gouvernement lors de la signature de la charte

S'agissant des mesures proposées par l'article 8 de la charte, relatif à l'enseignement , le gouvernement français s'est ainsi engagé :

- à prévoir une éducation préscolaire assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ou à prévoir qu'une partie substantielle de l'éducation préscolaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées, pour les élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant ;

- à prévoir que l'enseignement primaire, secondaire et technique ou professionnel soit en tout ou partie assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ou que l'enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum, pour les élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant ;

- à assurer la formation initiale et permanente des enseignants nécessaire à la mise en oeuvre des paragraphes précédents ;

- à créer un ou plusieurs organe(s) de contrôle chargé(s) de suivre les mesures prises et les progrès réalisés dans l'établissement ou le développement de l'enseignement des langues régionales ou minoritaires, et à établir sur ces points des rapports périodiques qui seront rendus publics.

c) Les réserves d'interprétation du gouvernement français

Le gouvernement français avait assorti sa signature de déclarations interprétatives précisant notamment :

- que l'emploi du terme de « groupes » de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires ;

- que les dispositions de la Charte « ne vont pas à l'encontre de l'article 2 de la Constitution selon lequel l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ».

Cette réserve retranscrit en fait la décision n°96-373 du Conseil Constitutionnel du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d'autonomie pour la Polynésie française ;

- que l'article 8 de la charte relatif à l'enseignement préserve le caractère facultatif de l'enseignement et de l'étude des langues régionales ou minoritaires, ainsi que de l'histoire et de la culture dont elles sont l'expression, et que « cet enseignement n'a pas pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements du territoire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ».

Cette réserve retranscrit en fait la décision n°91-290 du Conseil Constitutionnel du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

d) La décision du Conseil constitutionnel : les dispositions générales de la Charte ne sont pas conformes à la Constitution

Saisi le 20 mai 1999 par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a décidé le 15 juin 1999 (DC n°99-412) :

- qu'il résulte des dispositions combinées de portée générale de la charte, « qu'elle porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées ;

- qu'en outre, « ces dispositions sont contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution en ce qu'elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics » ;

- qu'en revanche, « n'est contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des autres engagements souscrits par la France [dont ceux relatifs à l'enseignement] dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales ».

En conséquence, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires n'a pu être ratifiée.

2. Une mesure qui résulte du protocole d'accord signé le 28 mai 2001 entre le ministre de l'Education nationale et l'association Diwan

a) La signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires a été suivie de l'ouverture de négociations avec des mouvements d'enseignement associatifs

Dans le prolongement de la signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires, le Premier ministre a demandé au ministre de l'Education nationale d'ouvrir des négociations avec les associations gestionnaires d'écoles pratiquant l'immersion linguistique en langue régionale (c'est à dire l'enseignement principalement en langue régionale) en vue de l'éventuelle intégration du réseau de leurs écoles, collèges et lycées, dans l'enseignement public.

Les principales associations concernées étaient les associations Diwan (pour le Breton), Seaska (pour le Basque), Calandretas (pour l'Occitan langue-d'Oc), Bressolas (pour le Catalan) et A.B.C.M-Zweisprachigkeit ou association de parents pour le bilinguisme en classe de maternelle (pour les langues Alsaciennes).

b) A ce jour, seule l'association Diwan a signé un protocole avec le ministère de l'Education nationale

A ce jour, seule l'association Diwan fédérant les établissements d'enseignement privé « immersif en langue bretonne » a été intéressée par cette évolution.

Un protocole d'accord visant au passage sous statut public des établissements de l'association Diwan a été signé à Rennes le 28 mai 2001 entre le ministre de l'Education nationale et le président de l'association.

Ce protocole couvre les domaines de la pédagogie, ainsi que du recrutement, de la formation, de la gestion et du statut des personnels en fonction.

On peut préciser que l'association Diwan, fondée en 1977, a ouvert sa première école en 1980, son premier collège en 1987 et un lycée en 1994. Elle reçoit depuis 1983 des subventions de l'Etat et bénéficie de contrats d'association depuis 1994.

Les établissements d'enseignement privé sous contrat fédérés par les établissements Diwan scolarisaient ainsi en 2000-2001 environ 1500 élèves du primaire (dans 25 écoles) et 900 élèves du secondaire (dans 3 collèges et 1 lycée), répartis dans cinq départements (Côtes d'Armor, Finistère, Ille-et Vilaine, Loire atlantique et Morbihan).

c) Les aspects du protocole du 28 mai 2001 relatifs au statut des personnels en place

D'un point de vue administratif , les principales dispositions du protocole signé le 28 mai 2001 visent à intégrer dans l'enseignement public les établissements et les personnels actuellement gérés par l'association Diwan.

S'agissant des personnels , les principales modalités de ce protocole sont les suivantes :

- l es instituteurs , les professeurs des écoles et les personnels enseignants du second degré en contrat définitif ou provisoire pourront être intégrés dans les corps correspondants de l'enseignement public. Il sera tenu compte du niveau de rémunération de ces personnels lors de l'intégration ;

- l es enseignants sur contrat de droit public précaire (délégués auxiliaires et délégués rectoraux) et les personnels exerçant dans des classes hors contrat pourront être recrutés en qualité de non titulaires (instituteurs suppléants). Ils bénéficieront de formations spécifiques leur permettant de se présenter dans des conditions favorables aux sessions 2002, 2003 et 2004 du concours spécial de recrutement des professeurs des écoles chargés d'un enseignement de et en langue régionale ou du CAPES de breton en vue de leur titularisation ;

- les personnels intégrés dans un corps de titulaires seront admis au bénéfice du régime spécial de retraite des fonctionnaires et ceux qui sont placés sur contrat de droit public bénéficieront de la protection sociale des non titulaires de l'Etat et cotiseront pour les différents risques à l'IRCANTEC ;

- les personnels enseignants intégrés justifiant de 15 années en qualité de fonctionnaire cumuleront, lors de leur cessation d'activité, une pension du régime spécial des fonctionnaires, calculée à proportion de leurs années de service public et une pension du régime général de la sécurité sociale éventuellement accrue d'un régime complémentaire pour les années effectuées dans l'enseignement privé sous contrat ou dans d'autres activités privées ;

- les personnels enseignants intégrés, qui à l'âge de leur cessation d'activité ne bénéficieraient pas de 15 années en qualité de fonctionnaire, verront leurs cotisations versées au titre du régime des fonctionnaires reversées au régime général de la sécurité sociale et seront affiliés à titre rétroactif au régime général de la sécurité sociale et à l'IRCANTEC pour cette période ;

- les personnels non enseignants des établissements du premier degré pourront être « contractualisés » en qualité d'agent territorial avec l'accord des municipalités concernées ;

- les personnels non enseignants du second degré seront recrutés sur des contrats de droit public à durée indéterminée et assimilés à une catégorie et à un corps de fonctionnaires titulaire , compte tenu de leurs titres, diplômes et qualifications et selon la quotité de service travaillée antérieurement à l'intégration des établissements dans l'enseignement public ;

- enfin, les actuels personnels de direction des écoles associatives seront intégrés dans les corps d'enseignant et seront chargés de fonctions de direction.

d) Les dispositions du projet de loi de finances pour 2002 prévoyant l'intégration des personnels

Le projet de loi de finances pour 2002 comporte deux types de dispositions visant à retranscrire ces modalités d'intégration des personnels des établissements Diwan.

• En premier lieu, le budget de l'enseignement scolaire pour 2002 prévoit la création , à compter du 1 er septembre 2002, de 194 emplois , au titre de l'intégration sous statut public, des personnels exerçant dans les établissements associatifs Diwan, dont 50 non titulaires, soit :

- 105 personnels enseignants du 1 er degré ;

- 27 personnels enseignants du 2 nd degré titulaires ;

- 38 personnels enseignants du 2 nd degré non titulaires ;

- 5 personnels de direction ;

- 2 conseillers principaux d'éducation ;

- 5 ATOS ;

- 12 personnels de surveillance non titulaires.

Cette mesure s'accompagne, sur le chapitre 43-01 (Etablissements d'enseignement privés-contrats des maîtres de l'enseignement privé) de la suppression de 156 contrats à compter du 1 er septembre 2002.

Il convient de rappeler que l'inscription de ces créations d'emplois dans le budget de l'enseignement scolaire était indispensable pour des raisons de fond comme de forme.

En effet, dans sa décision n°85-203 du 28 décembre 1985 relative à la loi de finances rectificative pour 1985, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré pour vice de procédure une première tentative d'intégration des établissements Diwan , en considérant que cette disposition introduite dans la loi de finances rectificative pour 1985 était un cavalier budgétaire, puisque cette loi ne prévoyait par ailleurs ni création d'emplois, ni ouverture de crédits.

• En second lieu, l'article 65 du projet de loi de finances pour 2002, rattaché au budget de l'Education nationale, retranscrit les dispositions du protocole du 28 mai 2001 relatives à l'intégration des personnels des établissements Diwan dans l'enseignement public.

On peut rappeler à cet égard que ce type de disposition législative n'est a priori pas nécessaire à l'intégration dans l'enseignement public des personnels enseignants des établissements privés sous contrat.

En effet, cette faculté est ouverte par les disposition de la loi Debré du 31 décembre 1959, codifiées aux l'article L. 442-4 et L. 914-2 du code de l'éducation, selon lesquelles « les établissements d'enseignement privés peuvent demander à être intégrés dans l'enseignement public » et « lorsque la demande d'intégration des établissements d'enseignement privés dans l'enseignement public est agréée, les maîtres en fonction sont, soit titularisés et reclassés dans les cadres de l'enseignement public, soit maintenus en qualité de contractuels ».

Cependant, les dispositions du décret n°60-388 du 22 avril 1960 d'application de la loi Debré emportent pour l'intégration des personnels enseignants comme titulaires des conditions de titre et surtout d'ancienneté (cinq ans de services effectifs) plus restrictives que celles du protocole du 28 mai 2001.

En outre, les dispositions de ce décret ne prévoient le recrutement des personnels administratifs des établissements d'enseignement secondaire que sur des contrats de cinq ans renouvelables (et non pas sur des contrats à durée indéterminée).

On peut d'ailleurs remarquer que ce type de disposition législative ad hoc n'est pas sans précédent , puisque la plupart des opérations antérieures d'intégration d'établissements privés (comme les établissements Michelin en 1968, les écoles de la société des forges et aciéries du Creusot en 1969, les établissements d'enseignement technique de la SOLLAC et de SACILOR en 1978, le lycée d'enseignement professionnel de la société nouvelle des aciéries de Pompey et l'école hôtelière de la Martinique en 1983, etc.), ont résulté de dispositions législatives spécifiques.

Votre rapporteur s'interroge d'ailleurs dans ces conditions sur le maintien d'un dispositif législatif et réglementaire obsolète et regrette que l'intégration du réseau des établissements Diwan, qui présente une ampleur inédite, puisque les opérations d'intégration précitées ne concernaient qu'un nombre limité d'établissements répartis sur une zone géographique restreinte, n'ait pas donné lieu à une refonte du dispositif législatif et réglementaire relatif à l'intégration des établissements d'enseignement privé, de manière à ce que les règles du jeu soient à l'avenir plus transparentes.

e) La nécessité de délibérations des collectivités locales concernées

Il convient enfin de préciser que les dispositions législatures ci-dessus ne règlent que partiellement la situation des personnels , puisqu'elles ne concernent ni les personnels administratifs des écoles primaires (susceptibles toutefois d'êtres intégrés en tant qu'agent territorial par les municipalités concernées), ni les personnes employées en contrats emploi solidarité.

En outre, ces dispositions ne règlent nullement la situation des établissements eux-mêmes, qui ressort des compétences des collectivités locales.

Conformément à la loi Debré, à la demande des préfets et en liaison avec les autorités académiques, les collectivités locales concernées (communes pour les écoles, conseils généraux pour les collèges et conseil régional pour le lycée) sont donc invitées à instruire concomitamment les demandes d'intégration des établissements (vérification des locaux, détermination du cadre juridique de transfert des locaux et des biens d'équipement), à prendre si elles le souhaitent les délibérations nécessaires et, le cas échéant, à inscrire les dépenses correspondantes dans leur budget pour 2002.

Ce processus d'intégration pourrait ainsi soulever à la fois des problèmes de calendrier et des difficultés financières pour certaines communes.

B. LE DISPOSITIF D'ACCOMPAGNEMENT PÉDAGOGIQUE

1. De nouvelles orientations en faveur de l'enseignement des langues régionales

a) Les langues régionales sont déjà reconnues dans l'éducation nationale

Comme le relevait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 (DC n°99-412), l'enseignement des langues régionales est aujourd'hui largement reconnu et pratiqué en France.

On peut ainsi rappeler que la loi Deixonne n°51-46 du 11 janvier 1951 , codifiée dans les articles L. 312-10 et L. 312-11 du code de l'éducation disposait déjà « qu'un enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité » et que « les maîtres sont autorisés à recourir aux langues régionales dans les écoles primaires et maternelles chaque fois qu'ils peuvent en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l'étude de la langue française ».

En outre, la loi Jospin n°89-487 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation, codifiée notamment dans les articles L 121-1 et L. 121-3 du code de l'éducation précise que la formation dispensée dans les établissements scolaires « peut comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales » et que « la langue de l'enseignement, des examens et des concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales et étrangères... »

Enfin, la circulaire Bayrou n°95-806 du 7 avril 1995 a opéré un saut qualitatif en reconnaissant que l'enseignement des langues régionales pouvait emprunter deux modalités :

- l'initiation aux langues régionales, c'est à dire l'enseignement des langues régionales proprement dit ;

- l'enseignement bilingue, c'est à dire un enseignement partiellement en langue régionale.

Cette reconnaissance s'accompagne d'une pratique croissante.

En 2000-2001, plus de 152.000 élèves ont ainsi reçu un enseignement de langues et cultures régionales dans les écoles, collèges et lycées publics ou privés sous contrat, l'Occitan langue-d'oc (près de 71.912. élèves), devançant le Corse (27.785), le Breton (20.697), le Basque (8.969), le Catalan (8.907), les langues régionales D'Alsace (7.453), les langues régionales des pays mosellans (5.823) et le Gallo (921).

Parmi ces élèves, 29.000 (soit 19 %) suivaient un enseignement bilingue , dont 25.200 à l'école, près de 3.400 au collège et près de 800 au lycée, cet enseignement bilingue concernant principalement le Breton (2.165 dans le public, 1.455 dans le privé confessionnel et 2.347 dans les établissements Diwan) et le Basque (2.921 élèves dans le public, 1.295 élèves dans le privé confessionnel et 1881 dans le privé associatif).

b) Le ministre de l'Education nationale a annoncé en avril 2001 de nouvelles mesures en faveur de l'enseignement des langues régionales

Le ministre de l'Education nationale a annoncé le 25 avril 2001 de nouvelles orientations en faveur des langues régionales, qui consistent notamment à retranscrire et à généraliser les dispositions relatives à l'organisation pédagogique prévues dans le protocole d'accord signé avec l'association Diwan.

Ces orientations se sont d'ores et déjà traduites par les mesures suivantes :

- la création par le décret n°2001-733 du 31 juillet 2001 d'une instance consultative : le conseil académique des langues régionales . Ce conseil doit participer à la réflexion sur la définition des orientations de la politique académique des langues régionales et veiller à la cohérence des enseignements de langue régionale, notamment des enseignements bilingues mis en place dans l'académie. Il donne son avis sur l'attribution ou le retrait de la qualité d'établissement labellisé « langues régionales » dispensant un enseignement bilingue par la méthode dite de l'immersion.

Composé de représentants des collectivités territoriales, des mouvements associatifs travaillant à la promotion des langues régionales, des syndicats enseignants, des associations de parents d'élèves, ce conseil doit selon le ministère « constituer un lieu d'expression privilégié du partenariat qu'il souhaite développer dans ce domaine avec les collectivités territoriales, à l'image de celui déjà engagé avec l'Alsace, le Pays Basque, la Corse et la Bretagne » ;

- la parution d'un arrêté en date du 31 juillet 2001 qui définit le cadre général de l'enseignement des langues et cultures régionales , en clarifie les objectifs et annonce la mise en oeuvre d'un plan pluriannuel de développement , publié officiellement dans l'académie et objet d'une évaluation à mi parcours de sa réalisation.

Cet arrêté confère pour la première fois une reconnaissance réglementaire à l'enseignement bilingue en langue régionale (qui n'était auparavant prévu que par des circulaires) ;

- la parution de trois circulaires en date du 5 septembre 2001 relatives respectivement à l'enseignement des langues et cultures régionales ; aux modalités de mise en oeuvre de l'enseignement bilingue à parité horaire Français-Langue régionale ; et à l'enseignement bilingue dispensé selon la méthode pédagogique dite de l'immersion dans les établissements labellisés « langues régionales » issus du mouvement associatif, comme les établissements Diwan ;

- enfin, la mise en place d'un concours spécial de recrutement de professeurs des écoles chargés d'un enseignement de et en langues régionales. Ce concours est destiné à pourvoir, en personnels compétents, en priorité les enseignements bilingues dans les langues suivantes : Basque, Corse, Breton, Catalan, Créole, Occitan-langue d'oc, langues régionales d'Alsace, langues régionales des pays mosellans. Dès la rentrée 2001, les directeurs d'IUFM des académies concernées ont été invités à mettre en place les préparations correspondantes à ces concours dont la première session doit se dérouler en 2002.

La politique de développement des langues régionales concerne également les DOM-TOM qui bénéficient, en application de l'article 34 de la loi n°2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer, des dispositions de la loi n°51-46 du 11 Janvier 1951 dite « loi Deixonne ». Elles s'appliquent aux langues régionales en usage dans les quatre académies d'outre-mer et auront des conséquences sensibles sur l'organisation de ces enseignements et examens les sanctionnant.

Ainsi, l'insertion du Créole parmi les langues régionales figurant dans la section langues régionales du concours externe et interne du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré devrait permettre de réaliser un meilleur accompagnement de son développement dans les collèges et les lycées des académies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Guyane.

Enfin, s'agissant de la Guyane , le ministère a entrepris une réflexion visant à permettre aux langues amérindiennes présentes dans l'académie de bénéficier ultérieurement d'un traitement -et d'une reconnaissance- égal à celui qui est accordé au Créole.

2. Les questions soulevées par la reconnaissance de l'enseignement en immersion

a) L'intégration des établissements Diwan est neutre d'un point de vue budgétaire pour l'Etat

Les dispositions proposées dans l'article 65 du projet de loi de finances pour 2002 sont, à court terme, pratiquement neutres pour l'Etat d'un point de vue budgétaire.

En effet, les créations d'emplois budgétaires associées à l'intégration des personnels des établissements Diwan sont gagées à due proportion par la diminution des crédits du chapitre 43-01 (rémunération des enseignants des établissement d'enseignement privé sous contrat).

En revanche, l'intégration des établissements Diwan ne sera évidemment pas neutre pour les collectivités locales qui l'accepteraient.

b) L'intégration des établissements Diwan consacre toutefois la reconnaissance accordée à l'enseignement par immersion en langue régionale

En revanche, les dispositions portant intégration des établissements Diwan constituent de facto , sinon un écran législatif vis à vis de certains recours susceptibles d'être formulés par des organisations syndicales et des associations, du moins une reconnaissance de la méthode pédagogique d'enseignement des langues régionales par immersion et un soutien financier apporté à la diffusion de ce type d'enseignement.

c) L'avis du Conseil supérieur de l'Education

Le second alinéa de l'article L. 312-10 du code de l'éducation issu de la loi Jospin du 10 juillet 1989 prévoit que le Conseil supérieur de l'éducation, composé notamment de représentants des personnels et des parents d'élèves, est « consulté, conformément aux attributions qui lui sont conférées par l'article L. 231-1 sur les moyens de favoriser l'étude des langues et cultures régionales dans les régions où ces langues sont en usage ».

Or le Conseil supérieur de l'Education a émis le 3 mai 2001 des avis défavorables à l'ensemble des projets de textes relatifs au développement des langues régionales , en raison pour l'essentiel de la reconnaissance par ces textes de l'enseignement par immersion en langue régionale et des statuts dérogatoires accordées aux établissements pratiquant ce type de pédagogie.

Le projet de circulaire relative aux modalités de mise en oeuvre de l'enseignement par immersion fut ainsi repoussé à l'unanimité .

d) Les dispositions du protocole signé avec l'association Diwan

Il est vrai que l'intégration dans l'enseignement public de l'enseignement bilingue par la méthode dite de l'immersion, actuellement pratiqué par environ 6500 élèves au total (dont plus d'un tiers dans les établissements Diwan) et qui se caractérise par l'utilisation principale de la langue régionale, non exclusive du françai s comme langue d'enseignement, et comme langue de communication au sein de l'établissement, constitue une novation dont les extraits reproduits ci-après du protocole signé avec l'association Diwan permettent de prendre la mesure .

En effet, ce protocole dispose en matière pédagogique :

- « pour des raisons pédagogiques inhérentes à l'immersion, le breton est la langue de vie, de travail et de communication de tous les élèves et de tous les personnels de l'établissement selon les modalités définies par l'arrêté relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue en langue régionale. Ceci implique que toutes les classes de l'établissement fonctionnent selon le système immersif . Le Breton est la langue principale, mais non exclusive, d'enseignement...

- l'école maternelle correspond à la phase la plus intensive d'acquisition du Breton. Ceci justifie une pratique de l'ensemble des activités scolaires et de leur accompagnement en intégralité en breton ...

- le Français est introduit dans l'enseignement élémentaire au cours du cycle 2 [en CE1] en tenant compte de la spécificité de la pédagogie en immersion. L'apprentissage de la lecture et de l'écriture se fait d'abord en Breton. Le volume horaire réservé aux autres disciplines figurant au cursus de l'école élémentaire est identique à celui qui est appliqué dans les classes correspondantes de l'enseignement monolingue. L'introduction du Français se fait d'une façon progressive , les horaires étant modulés librement à chaque niveau ;

- comme en primaire, l'enseignement est dispensé principalement en Breton [dans l'enseignement secondaire], mais il inclut aussi deux disciplines enseignées en Français ainsi que l'utilisation d'une langue vivante étrangère selon les mêmes dispositions que celles qui sont en vigueur dans les sections européennes
».

Par ailleurs, le protocole prévoit des dispositions fortement dérogatoires en matière de recrutement et de gestion des personnels, comme celles-ci :

- « ... l'enseignement immersif en langue régionale se définit par l'utilisation de la langue régionale dans l'ensemble des activités conduites au sein de l'établissement. Cela suppose que l'ensemble des personnels (enseignants, ATOSS, agents territoriaux), utilisent la langue régionale comme langue de travail et de communication selon les modalités définies dans l'arrêté relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue en langues régionales. Les compétences en langue régionale du personnel seront prises en compte dans les opérations du mouvement...

- le taux d'encadrement est fixé selon des critères établis au niveau académique. Ces critères prennent en compte les contraintes de fonctionnement d'un établissement immersif ;

- la nomination des personnels de direction tiendra compte de la compétence en langue régionale, de la spécificité pédagogique de l'enseignement immersif, ainsi que de l'expérience acquise dans ce domaine
».

Enfin, partant de l'idée selon laquelle « le passage sous statut public des établissements pratiquant l'enseignement immersif en langue régionale ne pourra être réussi sans prendre appui sur l'expérience accumulée par les associations ayant porté cet enseignement ces dernières années », le protocole accorde un droit de regard particulier à l'association Diwan sur le fonctionnement des futurs établissements publics, ce qui ne fut pas le cas lors des précédentes opérations d'intégration dans l'enseignement public. En effet, le protocole prévoit notamment que  :

- « l'association Diwan pourra être représentée dans les conseils d'administration des E.P.L.E. et dans les conseils d'école ;

- dans le cadre du Conseil académique des langues régionales, Diwan participe au suivi et à l'évaluation du passage sous statut public ainsi qu'au développement futur de cette filière d'enseignement
;

- Diwan pourra être associé à la formation initiale et continue des enseignants en tant qu'intervenant extérieur ; les associations représentatives de l'enseignement en langue régionale (Div Yezh, Diwan et UGB) seront associées à la réflexion pour la mise en oeuvre de cette formation et l'association Diwan pourra être agréée comme association complémentaire de l'enseignement public au niveau des académies de Nantes et de Rennes après avis des CAACEP de ces académies... À ce titre, l'association Diwan pourra bénéficier de subventions et de personnels mis à disposition ;

- une convention pluriannuelle sera signée entre Diwan et l'Education nationale précisant la participation de l'association aux côtés de l'enseignement public des langues régionales en immersion. La participation de Diwan portera notamment sur : la création et l'expérimentation de matériel pédagogique ; l'appui à la formation initiale et continue des personnels enseignants et non-enseignants ; l'aide aux élèves en difficulté ; la réflexion sur l'évaluation de la filière immersive et sur son évolution pédagogique ; le conseil linguistique ; la recherche pédagogique sur les techniques de l'immersion ; la promotion de la filière d'enseignement de langue régionale en immersion ;


- enfin, un comité de suivi sera constitué afin de faire un point régulier sur la mise en oeuvre du présent protocole d'accord. Il sera composé pour moitié de représentants du Ministère de l'Education nationale et pour moitié de représentants de l'association Diwan. Il se réunira au moins deux fois par an ».

Le protocole précise toutefois que « l'enseignement par immersion doit permettre aux élèves, à l'issue de l'école primaire, de posséder une égale compétence en langue régionale et en langue française, ainsi qu'une compétence en Français identique à celle des élèves scolarisés dans l'enseignement monolingue ».

En outre, le protocole prévoit quelques gardes-fous :

- « un suivi de cohorte des élèves inscrits dans les établissements « langues régionales » sera assuré par la direction de la programmation et du développement [du ministère de l' Education nationale] ;

- un suivi des résultats de ce type d'enseignement sera réalisé par le groupe technique sur l'immersion du Conseil académique des langues régionales qui sera composé de six membres désignés par le Recteur d'Académie, dont deux seront désignés sur proposition de l'association Diwan et deux seront issus des équipes pédagogiques et de direction des établissements concernés désignés sur proposition de l'Inspecteur d'Académie
;

- la vérification des acquis dans les domaines de la formation dispensée à l'école sera effectuée à l'entrée en 6ème dans le cadre des évaluations existantes. ... Dans le cas où les résultats de cette évaluation feraient apparaître pour l'ensemble des écoles de cette filière des écarts notoires par rapport aux résultats attendus en Breton ou aux résultats des évaluations du Français et des mathématiques pratiquées à ce même niveau pour les élèves des écoles publiques et privées sous contrat, le Conseil académique des langues régionales sera saisi. Si ces écarts portaient sur les compétences exigibles en français, l'horaire consacré au Français serait renforcé dans le cadre du volume horaire hebdomadaire prévu par la réglementation »

Enfin, les premiers résultats des lycéens des établissements Diwan sont excellents, malgré des conditions matérielles parfois difficiles (notamment l'absence de manuels), mais ceux-ci sont aussi souvent issus de milieux socio-économiques favorisés et bénéficient parfois de taux d'encadrement très élevés. On peut d'ailleurs s'interroger sur les débouchés, à part l'enseignement, offerts à ce type de compétences.

e) Conclusions

On peut regretter que le débat de fond relatif à l'enseignement par immersion s'effectue dans le cadre peu adapté que constitue l'examen d'un article de circonstance introduit dans une loi de finances.

En outre, on peut s'inquiéter des risques de ségrégation induits par l'enseignement par immersion, puisque les personnels enseignants et non enseignants et les élèves francophones sont de facto , sinon de jure , exclus des établissements concernés.

Enfin, on peut s'interroger sur la constitutionnalité d'un dispositif favorisant l'utilisation dans des établissements scolaires publics d'une langue régionale comme langue d'enseignement à titre principal et comme langue de vie à titre quasiment exclusif .

On peut en effet rappeler que le Conseil à décidé dans ses deux décisions du 9 mai 1991 (DC n°91-290) et du 9 avril 1996 (DC n°96-373) qu'un enseignement de langue régionale « n'était pas contraire au principe d'égalité... dès lors qu'il n'a pas ... pour objet de soustraire les élèves scolarisés... aux droits et obligations applicables à l'ensemble [des autres élèves] » et que « la reconnaissance de la possibilité d'utiliser les langues tahitiennes et polynésiennes ne saurait aller contre le principe inscrit dans la Constitution  selon lequel la langue de la République est le Français » .