ANNEXES

CONTRIBUTIONS DE LA COUR DES COMPTES
AUX RÉFLEXIONS SUR LA RÉVISION
DE L'ORDONNANCE DE 1959
RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

Première contribution de la Cour des Comptes

SOMMAIRE

Introduction

I - Améliorer la transparence et le contrôle du budget

et des comptes de l'État

- I.1 Présentation du budget

- I.2 Comptabilités de l'État

- I.3 Débudgétisations et démembrements budgétaires

- I.4 Loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale

- I.5 Loi de règlement et certification des comptes de l'État

- I.6 Prélèvements sur recettes

- I.7 Pluriannualité

- I.8 Autorisations d'emprunt

- I.9 Questions européennes

II - Améliorer les conditions d'application de l'ordonnance

du 2 janvier 1959

- II.1 Opérations budgétaires et opérations de trésorerie

- II.2 Annulations de crédits et régulation budgétaire

- II.3 Crédits évaluatifs, provisionnels et limitatifs

- II.4 Fonds de concours

- II.5 Budgets annexes et comptes de commerce

- II.6 Emplois budgétaires

- II.7 Amendements rédactionnels

Introduction

Dans son rapport annuel sur l'exécution des lois de finances, la Cour fait état des irrégularités qu'elle relève, lors de ses contrôles, dans l'application des principes et des règles du droit budgétaire et comptable énoncés par l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. La deuxième partie du rapport, intitulée " gestion des autorisations budgétaires ", traite spécifiquement de cet aspect du contrôle de régularité effectué par la Cour, mais l'ensemble du rapport, y compris les monographies consacrées à des budgets particuliers, comporte des observations de cette nature.

La Cour s'attache en priorité à dénoncer les entorses au droit en vigueur, dont elle demande qu'il soit appliqué plus strictement. Elle met plus rarement ce dernier en cause, en soulignant ses lacunes ou ses imprécisions. S'il lui arrive de constater une pratique dépourvue de fondement légal, elle recommande, soit de l'abandonner si elle lui paraît sans justification ou contraire à des règles ou à des principes essentiels, c'est-à-dire de mettre le fait en accord avec le droit, soit, moins fréquemment, de la conforter par un texte, c'est-à-dire de mettre le droit en accord avec le fait. En effet, les constats de la Cour peuvent justifier la modification de certaines dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Il en est ainsi, par exemple, des observations sur la régulation budgétaire et les annulations massives de crédits en cours d'année ou encore des développements relatifs à la modernisation de la comptabilité de l'Etat. Plus généralement, il arrive à la Cour de constater que certaines pratiques, sans être formellement irrégulières au regard de la législation ou de la réglementation en vigueur, font néanmoins obstacle à la transparence des opérations budgétaires et financières de l'Etat et à leur contrôle par le Parlement. Certaines opérations exécutées pendant la période complémentaire ou reportées à la gestion suivante, illustrent ce dernier cas de figure.

A) Portée des propositions

L'ordonnance du 2 janvier 1959 a une double finalité. Elle organise d'abord, pour les lois de finances, les rapports entre le Parlement et le Gouvernement. Elle énonce également des règles conformes aux grands principes du droit budgétaire, tel qu'il s'est progressivement façonné depuis près de deux siècles. La présente étude entend se situer exclusivement, comme il se doit, sur ce second plan. Il est clair cependant que ses suggestions visant à compléter ou à modifier l'ordonnance, fondées sur le seul souci de conforter le respect des principes essentiels du droit budgétaire et d'assurer une plus grande transparence des opérations budgétaires et comptables de l'Etat, conduisent nécessairement à améliorer l'information du Parlement et le contrôle qu'il exerce dans ce domaine. Ce faisant, cette étude s'inscrit pleinement dans le rôle que l'article 47 de la Constitution assigne à la Cour d'assister le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances.

Car, en définitive, l'objectif recherché est bien de répondre aux exigences modernes de transparence et de contrôle.

Dans son rapport public de 1990, la Cour dressait un bilan de " trente ans d'application de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ". Elle soulignait alors que ses observations ou critiques ne mettaient fondamentalement en cause " ni les conditions générales d'exécution des lois de finances, ni les principes fixés par l'ordonnance du 2 janvier 1959 ". Elle concluait que celle-ci avait dans l'ensemble rempli son office, tout en constatant que des dispositions n'étaient pas appliquées, parfois parce qu'elles étaient difficilement applicables, et qu'il conviendrait sans doute sur certains points de mettre le droit en accord avec le fait.

Dix ans après, force est de constater que l'ordonnance n'a pas été modifiée comme il apparaissait pourtant souhaitable de le faire sur certains points, en 1990. En outre, des éléments nouveaux par rapport à 1959 devraient être pris en compte. Les circonstances institutionnelles et les procédures juridiques qui ont présidé à l'établissement de l'ordonnance ne sont plus les mêmes. Par exemple, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur toutes lois organiques, alors que l'ordonnance de 1959 ne lui avait pas été soumise. Le contexte budgétaire a également changé. L'appartenance à l'Union économique et monétaire (UEM) crée des obligations supplémentaires et, en dehors même de l'Union européenne, un nombre croissant d'Etats modifient leurs normes et leur cadre budgétaire et comptable ou envisagent de le faire. Les questions relatives à la comptabilité de l'Etat revêtent aujourd'hui une actualité particulière. Enfin, le Parlement vote, depuis la réforme de 1996, une loi de financement de la sécurité sociale dont l'articulation avec la loi de finances proprement dite pose des problèmes inédits.

Plus généralement, les exigences, évoquées plus haut, de transparence et de contrôle se sont renforcées dans l'intervalle, avec pour objectif d'améliorer les conditions du débat démocratique et de répondre aux besoins croissants d'information de nombreux acteurs, en particulier de l'économie et de la finance, en France comme à l'étranger. On peut par exemple se référer au besoin, qui s'exprime de plus en plus fortement, de mieux appréhender la situation globale des finances publiques, à commencer par celle de l'Etat et de ses satellites, aussi bien " dans l'espace " que " dans le temps ":

- dans l'espace, en raison du périmètre changeant des comptes de l'Etat proprement dit, ou encore de l'articulation de plus en plus floue entre le champ de la loi de finances et celui de la loi de financement de la sécurité sociale et du besoin de la clarifier. Le recours à des démembrements budgétaires (structures de défaisance, établissements publics " écrans ", en particulier dans le domaine social...) provoque un éclatement des finances de l'Etat préjudiciable à une vision d'ensemble et crée, en retour, le besoin d'une " consolidation " budgétaire et comptable propre à dissiper le sentiment de confusion et d'opacité que suscitent un nombre et un volume croissants d'opérations;

- dans le temps, pour répondre à la nécessité d'évaluer l'importance des engagements financiers pris par l'Etat pour les années à venir (problème des engagements " hors bilan " en matière de garanties ou de retraites...).

La comptabilité budgétaire et pas seulement, comme c'est actuellement le cas, la comptabilité nationale, dans des conditions d'ailleurs non contrôlées, doit apporter une réponse à ces questions. C'est la raison pour laquelle le rapport de la Cour sur l'exécution des lois de finances pour 1998 souligne la nécessité de réformer la comptabilité publique afin qu'elle donne une image plus complète et plus exacte, en un mot plus " fidèle ", des résultats financiers et de la situation patrimoniale de l'Etat.

Les propositions qui suivent concernent, pour l'essentiel, l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances. Certaines d'entre elles portent sur d'autres textes. Dans plusieurs cas, s'agissant par exemple des questions de comptabilité, la nature juridique des textes à prendre doit être précisée, dans la mesure où il n'est pas immédiatement clair que la proposition considérée relève de la loi organique, d'une loi simple ou d'une disposition réglementaire.

B) Présentation des propositions

Les réflexions qui suivent sur la révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959 s'orientent autour de deux axes :

- 1) U n premier ensemble de réflexions et de propositions tend à répondre à des exigences nouvelles ou renforcées en matière de transparence et de contrôle du budget et des comptes de l'Etat . Elles impliquent des modifications, souvent substantielles, de l'ordonnance.

Sont abordées à ce titre les questions soulevées par la présentation du budget, les comptabilités de l'Etat, les débudgétisations et les démembrements budgétaires, l'articulation entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, les délais de la loi de règlement et la certification des comptes, les prélèvements sur recettes, la pluriannualité des autorisations et des engagements budgétaires, les autorisations d'emprunt, les exigences européennes.

- 2) Un deuxième ensemble de réflexions correspond à des observations traditionnelles des rapports de la Cour sur l'exécution des lois de finances. Les propositions présentées à ce titre visent à préciser ou à compléter les dispositions de l'ordonnance de 1959 pour en garantir une application plus conforme à ses principes essentiels.

Cette deuxième partie traite ainsi de la distinction des opérations budgétaires et des opérations de trésorerie, des annulations de crédits et de la régulation budgétaire, des différentes catégories de crédits (évaluatifs, provisionnels et limitatifs), des fonds de concours, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor, des emplois budgétaires. Il est enfin suggéré d'apporter quelques amendements d'ordre rédactionnel, pour " rafraîchir " ou actualiser un texte établi il y a plus de quarante ans.

Les développements qui suivent présentent des suggestions fondées sur l'expérience que la Cour a acquise à l'occasion de ses contrôles. Cette première réflexion s'efforce, avant tout, d'énoncer une problématique, d'évoquer des solutions et, le cas échéant, d'examiner succinctement les conditions de leur réalisation et leurs conséquences. Il est clair que ce premier travail exigera des approfondissements.

I - Améliorer la transparence et le contrôle du budget et des comptes de l'Etat

I.1 - Présentation du budget

1) Problèmes posés

A- Les articles 31 et 32 de l'ordonnance établissent, au sein des opérations du budget général et des budgets annexes, une distinction entre les services votés et les mesures nouvelles. L'article 33 définit les services votés. Enfin, l'article 41 prévoit que les dépenses du budget général font l'objet d'un vote unique en ce qui concerne les services votés, tandis que les mesures nouvelles sont votées par titre et, à l'intérieur d'un même titre, par ministère.

Le Parlement est ainsi conduit à approuver plus de 90% des dépenses du budget général, les services votés, par un seul vote. Il a certes la possibilité de les remettre en cause en adoptant des mesures nouvelles d'économies. Le problème se situe moins au niveau du vote proprement dit qu'à celui de l' examen des services votés des différents budgets et de l' information dont le Parlement dispose pour y procéder. En effet, l'information transmise par le Gouvernement met l'accent sur la justification des mesures nouvelles plutôt que sur les actions conduites avec les crédits votés les années précédentes. De sorte que la discussion budgétaire ne porte plus que sur la marge, soit 5 à 10% des prévisions. Cette procédure, si commode soit-elle pour maîtriser les délais de la discussion budgétaire, n'en est pas moins sclérosante: la plus grande masse du budget est reconduite d'année en année, sans être remise en cause, même pour les dépenses devenues inutiles. Les tentatives de " révision des services votés " n'ont guère donné de résultats significatifs.

B- Cette situation est aggravée par la nomenclature budgétaire. En effet, l'article 6 classe les dépenses essentiellement par nature: dépenses ordinaires, dépenses en capital, prêts et avances d'une part, et, en ce qui concerne les titres, charges de la dette, dépenses de personnel et de matériel, interventions..., d'autre part, avec quelques exceptions (pouvoirs publics...). Comme on sait, le principe de spécialité s'applique au niveau inférieur des chapitres, qui regroupent les dépenses soit par nature (en schématisant : cas du titre III), soit par destination (titre IV et dépenses en capital).

Il en résulte que malgré des tentatives de classement plus fonctionnel (" actions " puis " agrégats "), le Parlement n'a qu'une connaissance limitée de l'objet et de l'usage réels des crédits qu'il vote. Ceux-ci sont regroupés selon des catégories qui ne donnent aucune idée de l'activité ni des objectifs des services ni a fortiori de leurs résultats. Ainsi, quand il examine puis approuve la loi de finances initiale ou la loi de règlement, le Parlement n'est pas en mesure de porter un jugement sur l'efficacité de l'administration.

On relève également que le budget de l'Etat ne comporte pas la distinction classique entre deux sections, l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement. Cette distinction est actuellement limitée aux seules dépenses (dépenses ordinaires et dépenses en capital). Elle apporterait une clarification, au demeurant souhaitée par le Parlement. De plus, les budgets des collectivités locales et de beaucoup d'autres organismes distinguent ces deux ensembles, pour les recettes comme pour les dépenses. Cette présentation conduirait à substituer deux soldes nouveaux, celui de la section de fonctionnement et celui de la section d'investissement, aux soldes actuels, peu significatifs, des opérations définitives et des opérations temporaires.

C- Certains pays ont mis en place une procédure différente pour l'examen et le vote des crédits. Le cas de la Suède mérite d'être signalé : dans ce pays, les dépenses du projet de loi de finances sont réparties, non pas par ministère, mais en 27 " secteurs ", eux-mêmes décomposés en 500 chapitres par nature (fonctionnement, transferts, investissements). Le Parlement émet deux séries de votes : par un premier vote, il approuve la répartition des dépenses totales entre les secteurs ; ensuite, il vote les dépenses de chacun des 27 secteurs. Les commissions parlementaires jouent un rôle important. La commission des finances recommande au Parlement le montant à retenir en matière de dépenses globales, dans la limite du montant total approuvé préalablement dans la loi de printemps sur la politique budgétaire. Elle propose également la répartition du total entre les 27 secteurs. Les commissions sectorielles répartissent les crédits dans leurs secteurs de dépenses respectifs, en respectant le montant total accordé à chacun. Le Parlement suédois dispose ainsi du pouvoir de redéployer les crédits à l'intérieur des enveloppes globales : contrairement à la règle posée par l'article 40 de la constitution française, il peut proposer des amendements " compensés " en matière de dépenses. Il est également à noter qu'en Suède comme en Grande-Bretagne, les ministères sont tenus de publier des rapports annuels comportant des objectifs stratégiques et des indicateurs de moyens et de performance. Le Parlement reçoit donc une information sur l'efficacité des administrations, le débat portant actuellement sur l'amélioration de la qualité de ces informations.

Les exemples précédents - on pourrait en citer d'autres - montrent qu'il est possible de concevoir une présentation et une procédure différentes de celles que prévoit l'ordonnance de 1959.

D- Enfin, la structure même des lois de finances fait l'objet de changements fréquents (budgétisations et débudgétisations, modifications de nomenclature) qui rendent difficiles les comparaisons pluriannuelles. Une présentation des lois de finances à structure constante -sur plusieurs années- devrait être systématiquement produite par le gouvernement, par application du principe de permanence des méthodes comptables.

E- Plus largement, l'ordonnance devrait affirmer explicitement l'obligation de sincérité du budget et des comptes , principe reconnu par le Conseil constitutionnel, qui s'y réfère dans plusieurs décisions. Le problème de la sincérité peut se poser à la fois pour les comptes, mais également pour les évaluations de recettes et de dépenses en loi de finances initiale ou rectificative.

2) Propositions

Une réforme de la présentation du budget et de la procédure budgétaire peut se fixer des niveaux différents d'ambition :

A- En ce qui concerne les services votés, le vote par ministère au lieu d'un vote global sur l'ensemble constitue une première piste de réflexion. En outre, l'organisation du débat budgétaire autour d'une présentation fonctionnelle du budget contribuerait à améliorer l'information du Parlement sur l'ensemble des moyens demandés et faciliter de ce fait la remise en cause des services votés.

Le Gouvernement pourrait transmettre au Parlement, avec le projet de loi de finances, une présentation fonctionnelle du budget , comportant le maximum d'indications sur les objectifs et les résultats des administrations, regroupés par grands programmes d'activité. Cette présentation, accompagnée d es rapports d'activité des ministères, figurerait dans la liste des annexes prescrites par l' article 32 de l'ordonnance. Des innovations analogues ont été appliquées dans le passé (budget fonctionnel, budgets de programmes), mais sans texte particulier. Dépourvues de portée pratique, elles ont été finalement abandonnées. On peut espérer qu'en renouvelant leur contenu et en en faisant une obligation inscrite dans la loi organique, elles auraient une plus grande efficacité et permettraient d'enrichir réellement la discussion budgétaire.

Dans le même ordre d'idées, l'article 32 pourrait prescrire la production en annexe d' une présentation du projet de loi de finances à structure constante .

La préoccupation croissante de mieux connaître l'action de l'Etat et d'en améliorer la performance peut justifier une réforme plus profonde, visant non seulement à développer l'information du Parlement, mais aussi à organiser ses travaux et ses délibérations dans le cadre d'une approche fonctionnelle et programmatique. La Cour ne peut que suggérer la mise à l'étude d'une telle orientation, cohérente avec les travaux menés en matière de modernisation de l'Etat, en particulier dans le domaine de l'évaluation des politiques publiques et de la connaissance des coûts (réforme des systèmes comptables de l'Etat). Il est clair qu'une modification dans ce sens de l'ordonnance de 1959 donnerait à la politique de modernisation de l'Etat, notamment dans le domaine comptable, un contenu et surtout un point d'appui juridique particulièrement forts. Bien entendu, cette orientation en faveur d'une présentation fonctionnelle et d'une discussion du budget dans ce cadre n'exclut nullement le maintien, parallèlement, d'une nomenclature budgétaire par nature de dépenses. Au demeurant, la comptabilité reste fondée sur une répartition des opérations par nature.

Dans ce cas de figure, la révision de l'ordonnance devrait porter sur de nombreuses dispositions, en particulier les articles 6 (nomenclature des charges et des dépenses budgétaires), 31 (présentation de la loi de finances), 32 (documents annexes accompagnant le projet de loi de finances), 33 (services votés), 36 (documents accompagnant le projet de loi de règlement), et 41 (procédure de vote du budget).

B- La présentation de la loi de finances en deux sections, l'une pour le fonctionnement, l'autre pour les opérations en capital, pourrait être envisagée

Cette mesure impliquerait de modifier l' article 31 de l'ordonnance de 1959. Ses conséquences devraient être soigneusement étudiées, en particulier pour ce qui concerne la répartition des opérations tant en recettes qu'en dépenses, entre les deux sections, et les soldes budgétaires qui en découlent. A titre d'exemple, cette option pourrait emporter les conséquences suivantes. Les recettes fiscales et non fiscales seraient inscrites en section de fonctionnement ; la section d'investissement serait financée principalement par l'excédent éventuel de la section de fonctionnement et par l'emprunt. Le service des intérêts figurerait dans la section de fonctionnement, l'amortissement de la dette étant, soit inscrit en section d'investissement, soit laissé hors budget, le Parlement pouvant voter par ailleurs un plafond d'emprunt (cf. I.8 " autorisations d'emprunt "). Le produit des privatisations constituerait une recette de la section d'investissement et les dotations en capital une dépense de cette même section. Le compte d'affectation spéciale correspondant (compte n°902-24) serait supprimé. La distinction entre opérations définitives et opérations temporaires pourrait être abandonnée. Parmi les actuelles opérations temporaires, seules les opérations à long terme figureraient au budget, les opérations à court terme étant considérées comme des opérations de trésorerie, encadrées par des règles spécifiques. Ainsi les comptes d'avances pourraient être supprimés en tant que comptes budgétaires, les comptes de prêts étant, en revanche maintenus dans la loi de finances et inscrits dans la section d'investissement. Mais l'énumération qui précède ne constitue qu'un exemple d'options possibles ; elle ne saurait être exhaustive.

C- L'obligation de sincérité des budgets et des comptes de l'Etat serait introduite dans le texte de l'ordonnance, par exemple à l' article 18 , qui pose déjà les principes d'unité et d'universalité budgétaires.

I.2 - Comptabilités de l'Etat

1) Problèmes posés

A- L'ordonnance du 2 janvier 1959 traite aussi bien des comptes que des prévisions budgétaires de l'Etat. Son contenu est donc de nature " comptable " et pas seulement " budgétaire ". Son article 16, en particulier, fixe le mode d'imputation des recettes et des dépenses. Il pose le principe du système de la gestion et donne son fondement à la comptabilité de caisse en vigueur pour l'enregistrement des recettes et des dépenses de l'Etat.

Pour des raisons exposées notamment par la Cour dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, la réforme du système comptable de l'Etat s'impose. Le Gouvernement vient d'en annoncer les grandes lignes. En effet, les comptes de l'Etat, essentiellement conçus pour suivre l'exécution budgétaire dans une optique de caisse, ne donnent pas " une image fidèle " de la situation financière de l'Etat ni de son patrimoine.

La plupart des grands pays ont entrepris de conformer autant que possible leur système comptable public aux normes du droit commun comptable. Une révision de l'ordonnance de 1959 pourrait donc comporter un " volet comptable ", sous réserve de la qualification juridique des dispositions à prendre. L'ordonnance pourrait ainsi énoncer les principes suivants :

- les comptes de l'Etat doivent refléter une image fidèle de l'exécution des lois de finances, ainsi que de l'ensemble des opérations, de la situation financière et du patrimoine de l'Etat ;

- sous réserve des dispositions particulières prévues par décret, ils sont établis conformément aux principes et règles du plan comptable général ; ils doivent satisfaire aux obligations de régularité et de sincérité, dans le respect du principe de prudence ; ils comprennent une annexe et sont accompagnés de comptes consolidés ;

- les opérations sont comptabilisées au titre de l'exercice auquel elles se rattachent.

Seraient prévus :

- la tenue d'une comptabilité des engagements , incluse dans la comptabilité des ministres visée par l'article 35, ainsi que l'enregistrement des opérations d'une part " en droits constatés " (charges à payer, produits à recevoir), et, d'autre part , comme c'est actuellement le cas (article 16), en encaissements et décaissements ;

- la tenue d'une comptabilité générale conforme aux principes essentiels de la comptabilité de droit commun, en particulier le principe de spécialisation ou d'autonomie des exercices, la comptabilisation de la dépréciation des immobilisations et la constitution de provisions pour risques et charges. L'enregistrement des opérations en droits constatés permettrait de satisfaire à cette exigence.

B- L'information du Parlement nécessite d'être complétée en matière comptable , notamment en matière de comptabilité patrimoniale (bilan de l'Etat et résultat patrimonial, modification des méthodes et des règles comptables introduite pour l'exercice considéré, engagements " hors bilan " : engagements de retraites, garanties...).

2) Propositions

A- La rédaction actuelle de l' article 16 de l'ordonnance pourrait être modifiée afin d'y introduire les principes comptables mentionnés ci-dessus.

B- Les articles 35 et 36 de l'ordonnance, relatifs au projet de loi de règlement et à ses annexes, devraient faire explicitement mention du résultat patrimonial (article 35) et de la comptabilité générale de l'Etat (article 36). Celle-ci serait assortie d'une annexe, explicitant les modifications apportées aux règles comptables de l'Etat et justifiant leurs différences par rapport au plan comptable général. Cette annexe ferait apparaître également les engagements hors bilan de l'Etat.

I.3 - Débudgétisations et démembrements budgétaires

1) Problèmes posés

Cette question importante exige une étude approfondie. On se bornera ici à la mentionner.

Les débudgétisations, ou le recours fréquent à des démembrements de l'Etat pour l'exécution d'opérations qui devraient être réalisées dans le cadre de la loi de finances, constituent parmi les infractions les plus graves aux principes budgétaires. La Cour en dénonce de nouveaux exemples pratiquement chaque année, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances. Les structures extrabudgétaires, généralement des établissements publics, qui exécutent des opérations d'intérêt général avec des ressources et pour le compte de l'Etat, tendent à se multiplier, faisant ainsi varier, de manière fréquente et pour des montants très importants, le " périmètre " des lois de finances. Les établissements de défaisance (EPFR,EPRD) ou la création de sociétés-écrans pour réaliser certaines opérations en dehors du budget de l'Etat (cf. dans le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, les développements consacrés aux opérations de privatisation du GAN) en fournissent des exemples. Il en est de même dans le domaine social, dans le cadre de la politique de l'emploi mais aussi en raison de la fiscalisation croissante du financement de la protection sociale (cf. I.4 ci-après).

Cette situation est d'autant plus anormale que l'ordonnance de 1959 prévoit des procédures d'affectation, en particulier les comptes spéciaux du Trésor, qui, tout en étant dérogatoires, présentent l'avantage de s'exécuter dans le cadre des lois de finances.

En outre, il n'existe aucune vue d'ensemble sur ces financements éclatés entre des structures diverses qui perçoivent des ressources publiques, pour l'essentiel de nature fiscale, et financent des dépenses également publiques. La coexistence des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale favorise cet émiettement et cette opacité (cf. I.4).

Pour remédier à cette situation, le gouvernement devrait fournir au Parlement, avec le projet de loi de règlement, une présentation consolidée des comptes de l'Etat et de ses " satellites " . Dans le même sens, mais cette fois au stade des prévisions, la possibilité d'annexer au projet de loi de finances une présentation agrégée du budget de l'Etat et de ces démembrements devrait être étudiée.

2) Propositions

L'obligation d'annexer des comptes consolidés à la loi de règlement pourrait être introduite dans la loi organique à l' article 36 de l'ordonnance de 1959.

La transmission au Parlement d'une présentation budgétaire " agrégée " , accompagnant le projet de loi de finances initiale, pourrait être également envisagée. Dans ce cas, il y aurait lieu de compléter la liste des annexes figurant à l' article 32 de l'ordonnance.

I.4 - Loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale

1) Problèmes posés

La création des lois de financement de la sécurité sociale en 1996 (révision de la Constitution du 19 février 1996 et loi organique du 22 juillet 1996) crée un nouveau contexte qui ne peut être ignoré dans une réflexion sur l'ordonnance de 1959.

a/ Les relations entre l'Etat et la sécurité sociale sont caractérisées par une contribution croissante de l'Etat, dont les circuits sont multiples, complexes, et fréquemment modifiés. Les dernières années ont notamment été marquées par la multiplication de fonds (FSV, CADES, et plus récemment CMU et Fonds de financement des allégements de charges sociales) qui, s'il peuvent clarifier le financement de la sécurité sociale, constituent, au moins pour les derniers, des démembrements de l'Etat en ce sens qu'ils reprennent des recettes et des transferts aux organismes de sécurité sociale qui figuraient auparavant dans le budget de l'Etat.

Au-delà de cette multiplication de structures extrabudgétaires, l'ensemble des relations complexes et mouvantes entre l'Etat et la sécurité sociale doivent être clarifiées et il importe de définir un cadre qui permette de suivre dans le temps de manière pertinente, c'est-à-dire à périmètre constant, les transferts à la sécurité sociale fondés sur des prélèvements de nature fiscale.

b/ Les frontières entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale gagneraient à être précisées dans plusieurs domaines :

- Ainsi la présentation des recettes de la sécurité sociale souffre d'une certaine confusion puisque celles-ci figurent dans l'une ou l'autre loi ou dans les deux à la fois (droits sur les tabacs et sur les alcools, création de la CSG déductible, ...).

- La distinction entre les prestations sociales et certaines dépenses sociales de l'Etat devrait être reconsidérée dans un but d'harmonisation. Ainsi le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui sont deux prestations servies par les caisses d'allocations familiales et remboursées par l'Etat, ne sont pas traités de la même façon. L'AAH, considérée comme une prestation de sécurité sociale, figure bien dans les comptes présentés en loi de financement, alors que le RMI n'y apparaît pas.

2/ Propositions

Les questions qu'appelle cette situation requièrent une réflexion complémentaire à laquelle la Cour entend se livrer. A titre d'illustration, cette réflexion pourrait porter sur les points suivants :

-  permettre le suivi dans le temps des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale grâce à une présentation agrégée de l'Etat et des structures nouvellement créées pour contribuer au financement de la sécurité sociale. Un tel souci pourrait s'articuler avec la forme d'agrégation déjà existante que constitue la comptabilité nationale ;

- faire figurer les recettes affectées aux régimes de sécurité sociale exclusivement dans les lois de financement de la sécurité sociale ;

- reconsidérer la distinction entre prestations de sécurité sociale et dépenses sociales de l'Etat, dès lors que ces dernières constituent des revenus de remplacement ;

- prévoir une procédure s'apparentant à la loi de règlement permettant d'approuver les conditions dans lesquelles ont été respectés les objectifs de la loi de financement et notamment l'ONDAM.

I.5 - Loi de règlement et certification des comptes de l'Etat

1) Problèmes posés

A- L'article 38-2 ème alinéa de l'ordonnance du 2 janvier 1959 précise que " le projet de loi règlement est déposé et distribué au plus tard à la fin de l'année qui suit l'année d'exécution du budget ".

Or, conformément à l'objectif des initiateurs de cette loi au XIXème siècle, il serait logique et pourrait être intéressant que le Parlement examine le dernier budget exécuté avant de s'emparer du projet de budget de l'année suivante. C'est dans cette perspective que depuis quelques années, le gouvernement a réduit la période complémentaire d'exécution du budget ainsi que les délais de reddition des comptes. La Cour a pu ainsi transmettre au Parlement son rapport annuel sur l'exécution des lois de finances au mois de juillet, afin que celui-ci en dispose avant la discussion budgétaire. Des progrès ont été réalisés également, mais dans une moindre mesure, pour le dépôt du projet de loi de règlement et de la déclaration générale de conformité des comptes, établie par la Cour, qui l'accompagne. C'est ainsi qu'en 1999, le gouvernement a déposé le projet de loi de règlement fin septembre, soit trois mois avant le terme ultime prévu par l'ordonnance. En 2000, le calendrier sera de nouveau avancé, pour la loi de règlement du budget de 1999.

Une modification de l'ordonnance devrait consacrer cette évolution, en avançant à la fin du premier semestre au lieu de la fin de l'année, le terme prévu pour le dépôt du projet de loi de règlement, et par voie de conséquence de la déclaration générale de conformité.

B- L'article 36 de l'ordonnance prévoit que le projet de loi de règlement est accompagné " d'un rapport de la Cour des comptes et de la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et la comptabilité des ministres ".

Les autres textes qui traitent de la déclaration générale de conformité font apparaître des incertitudes quant à l'objet de cette dernière. Ainsi, le décret de 1962 sur la comptabilité publique (article 150) précise que la Cour rend sa déclaration " au vu des comptes des comptables et du compte général de l'administration des finances ". Quant à l'article LO 132-1 du code des juridictions financières , de même niveau que l'ordonnance mais d'une date postérieure, il mentionne que " la Cour établit la déclaration générale de conformité entre les comptes individuels des comptables et les comptes généraux de l'Etat ".

Il convient donc de revoir la rédaction de cet article en fonction des décisions qui seront prises concernant l'introduction d'un volet comptable plus important dans l'ordonnance (cf I.2).

Les remarques précédentes conduisent à deux séries de considérations :

- l'objet actuel de la déclaration générale de conformité consiste à rapprocher les écritures de centralisation des comptables supérieurs du Trésor et celles de l'Agence comptable centrale du Trésor, qui relève de la même hiérarchie, celle de la direction générale de la comptabilité publique. Dès lors, le rôle de la Cour, lorsqu'elle rend la déclaration générale de conformité, est seulement d'assurer le Parlement de la cohérence de deux séries de comptes établies par deux entités qui opèrent dans le cadre du même réseau et relèvent d'une hiérarchie unique. On est loin d'une véritable certification des comptes de l'Etat;

- une certification des comptes impliquerait que la Cour soit en mesure de vérifier, non seulement la " cohérence " des comptes, mais surtout leur régularité, leur sincérité et la fidélité de l'image qu'ils donnent du résultat, de la situation financière et du patrimoine de l'Etat. Or les règles qui s'appliquent actuellement aux comptes de l'Etat ne permettent pas une véritable certification. Celle-ci est donc subordonnée à la réforme de la comptabilité de l'Etat, en particulier à l'institution d'une authentique comptabilité patrimoniale (cf. II.2). Elle impliquerait également une organisation et des moyens dont la Cour ne dispose pas aujourd'hui. En revanche, l'émission par la Cour d'une " déclaration d'assurance ", comparable à celle que prévoit l'article 248 §1 2 ème alinéa du Traité instituant la Communauté européenne, pourrait être envisagée.

2) Propositions

- modifier l' article 38 2 ème alinéa de l'ordonnance, en prévoyant que " le projet de loi de règlement est déposé et distribué au plus tard à la fin du premier semestre de l'année qui suit l'année d'exécution du budget " (au lieu de la fin de l'année).

- mettre à l'étude, parallèlement à la réforme de la comptabilité de l'Etat, les conditions de délivrance, par la Cour, d'une " déclaration d'assurance " au sens indiqué ci-dessus

I.6 - Prélèvements sur recettes

1) Problèmes posés

Les prélèvements sur recettes consistent à déduire du montant des recettes brutes de l'Etat un certain montant, évalué par la loi de finances et reversé à des tiers, actuellement l'Union européenne ou les collectivités territoriales. Bien que le Conseil constitutionnel ait admis cette procédure sous certaines conditions (cf. décision n° 82-154 DC), celle-ci, mise en oeuvre à partir de 1969, n'est pas prévue par l'ordonnance de 1959 et son usage n'apparaît pas pleinement conforme à ses principes. La Cour a formulé de nombreuses observations sur les prélèvements sur recettes, notamment dans ses plus récents rapports sur l'exécution des lois de finances.

En particulier, certains prélèvements effectués au profit des collectivités territoriales ont un caractère manifeste de subventions. Ils devraient figurer en dépenses au titre IV du budget général (cf. rapport pour 1998, p. 71).

Il conviendrait donc d'introduire dans l'ordonnance de 1959 une disposition nouvelle qui donnerait un fondement légal aux prélèvements sur recettes tout en encadrant leur usage. Ainsi pourraient être admis les prélèvements européens, qui font l'objet d'un vote particulier du Parlement, et ceux qui compensent des exonérations relatives à la fiscalité locale 36 ( * ) .

Pour mettre un terme au débat sur la présentation " contractée " des ressources et des charges, l'ordonnance pourrait préciser que la loi de finances, en particulier à " l'article d'équilibre " qui clôt la première partie, doit indiquer les ressources et les charges brutes , avant prélèvements sur recettes, remboursements et dégrèvements et déduction des recettes venant en atténuation des dépenses (en fait en déduction des charges de la dette).

2) Propositions

Introduire dans l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances une disposition nouvelle sur les prélèvements sur recettes.

Préciser, soit à l' article 2, 2 ème alinéa, soit à l' article 31, 2 ème alinéa , que les ressources et les charges sont présentées dans la loi de finances (définie par l'article 2 de l'ordonnance), et plus particulièrement dans la disposition de la première partie (définie par l'article 31 de l'ordonnance) qui " fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l'équilibre financier " (article dit " d'équilibre "), pour leur montant brut, avant déduction des prélèvements sur recettes, des remboursements et dégrèvements et des recettes en atténuation de dépenses .

I.7 - Pluriannualité

1) Problèmes posés

A- L'ordonnance de 1959 prévoit des exceptions au principe de l'annualité budgétaire . Il s'agit des autorisations de programme (articles 1, 2 et 12), des conventions financières , des garanties , de la gestion de la dette et des autorisations d' engagements par anticipation (article 2) ainsi que des reports (article 17 et, pour les soldes des comptes spéciaux du Trésor, article 24). L'application de ces dispositions présente parfois des difficultés, signalées à maintes reprises par la Cour. Il est ainsi des autorisations de programme (AP), en raison notamment de l'accumulation d'AP non utilisées, ainsi que des reports de crédits, en particulier pour les fonds de concours (cf. II.4).

1. Les reports

Les reports de crédits posent plusieurs problèmes. Pris par la voie réglementaire et d'un montant non négligeable (de l'ordre de 50 milliards), ils faussent la comparaison entre l'exécution et la loi de finances initiale. Ils ont également fortement retardé jusqu'ici la reddition des comptes définitifs de l'Etat : les derniers arrêtés de report de 1997 sur 1998 ont été publiés...le 28 octobre 1998 et ceux de 1998 sur 1999 le 26 juin 1999, date qui demeure tardive tout en étant plus précoce que l'année précédente. Dans la pratique, les reports constituent une souplesse nécessaire pour les administrations, bien que leur effet soit ambigu : positif, dans la mesure où ils évitent des dépenses précipitées en fin de gestion pour éviter de perdre des crédits, négatif, car ils n'incitent guère les services à être diligents. Les retards sont encore aggravés par le caractère tardif, souligné ci-dessus, des arrêtés de report, qui s'explique par des raisons d'inertie administrative, mais aussi parce que la direction du budget les utilise comme moyen de régulation de la dépense en cours d'année. Enfin, il y aurait lieu de préciser, à l'article 17 de l'ordonnance, la portée de " la limite du dixième de la dotation du chapitre intéressé ", en retenant par exemple la dotation de la loi de finances initiale de l'année n-1, celle à partir de laquelle les crédits sont reportés, avant les modifications susceptibles d'intervenir en cours d'année.

2. Les autorisations de programme

Il n'est pas davantage proposé de supprimer les autorisations de programme, concept qui permet, avec celui de crédits de paiement (CP) qui lui est associé, de concilier l'engagement pluriannuel des opérations d'investissement avec le respect de l'annualité budgétaire. Force est de constater cependant que la notion d'autorisation de programme a été trop souvent vidée de son contenu, notamment pour des raisons de " régulation " ou d'économies budgétaires, en réduisant la portée de l'engagement au montant des crédits de paiement ouverts. Plus précisément, parmi les difficultés qui caractérisent la pratique des autorisations de programme, on relève:

- le découpage des AP en un nombre excessif de tranches,

- le report indéfini des AP et par voie de conséquence la constitution de stocks d'AP non utilisées (" AP dormantes "),

- la subordination des AP aux CP (" régulation des AP par les CP "),

- la lourdeur du système AP-CP pour les petites opérations d'équipement

B- En second lieu, le contrôle des engagements pluriannuels de l'Etat devrait être renforcé. Il fait particulièrement défaut pour les garanties et les conventions financières. Il conviendrait de prévenir des situations comme celle du protocole du 5 avril 1995 par lequel le ministre des finances a engagé l'Etat dans la prise en charge de la défaisance du Crédit lyonnais (120 milliards de francs) sans autorisation du Parlement, celle-ci n'étant intervenue qu'en décembre 1995. En outre, l'importance des engagements ainsi pris par l'Etat pour plusieurs années est mal connue, donc mal contrôlée par le Parlement.

C- Enfin, un autre thème de réflexion porte sur le cadre pluriannuel dans lequel il paraît souhaitable d'inscrire l'examen de la loi de finances . Par exemple, l'Allemagne soumet au Parlement, à titre d'information, un plan sur 5 ans (le " Finanzplan "), qui n'engage pas le gouvernement et ne fait pas l'objet d'un vote. Son principal mérite est d'être élaboré de manière concertée avec les Länder et les communes. Aux Etats-Unis, le Congrès vote également une " résolution budgétaire " (" budget resolution ") qui évalue sur 5 ans les principaux objectifs du budget, les grandes masses en autorisations et en ouvertures de crédits ainsi que des objectifs de solde budgétaire et de plafond d'encours de la dette fédérale. Cette résolution est également indicative. En Suède, le cadre triennal dans lequel s'inscrit le budget annuel a force de loi. Il est établi sur une base glissante et préserve une marge budgétaire.

En France, comme dans les autres pays de l'Union européenne, le problème est désormais réglé par l'établissement d'un programme pluriannuel de " convergence " ou de " stabilité ", transmis chaque année à la Commission. Le problème n'est plus " technique " ; il est devenu institutionnel : dans quelle mesure le gouvernement doit-il soumettre le programme pluriannuel au Parlement avant de le transmettre à Bruxelles ? Il n'appartient pas à la Cour de faire état d'une opinion sur ce point. Ce dernier est, en effet, étroitement lié au contenu et surtout à la date du débat d'orientation budgétaire qui, depuis quatre ans, permet au Parlement d'examiner, au mois de juin, les grands choix économiques et financiers du gouvernement avant la discussion budgétaire proprement dite. On notera que le rapport préliminaire de la Cour pour 1998 se réfère au programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002, transmis en décembre 1998 par le gouvernement à la commission européenne.

2) Propositions

A- Reports :

- prévoir à l' article 17 de l'ordonnance une date limite pour la publication des arrêtés de report (par exemple la fin du mois de mars) ;

- préciser, au même article, la base du " dixième de la dotation du chapitre intéressé " pour les reports de crédits correspondant à des dépenses engagées mais non encore ordonnancées : il s'agit de la dotation initiale de l'année sur laquelle les crédits sont annulés pour être reportés à l'année suivante;

- une autre solution consisterait à étendre la procédure en vigueur pour les crédits de paiement, c'est-à-dire à autoriser un report automatique pour d'autres catégories de crédits, afin de permettre leur engagement dès le début de l'exercice et d'éviter ainsi les retards constatés traditionnellement dans la gestion de ces crédits. Cette disposition serait applicable, au-delà des crédits de paiement, aux crédits des chapitres inscrits à l'état H. En contrepartie de cette souplesse, la suppression des reports " au dixième " pourrait être envisagée;

- individualiser les fonds de concours reportés pour permettre de s'assurer que leur utilisation correspond aux intentions de la partie versante (cf. II.4).

B- Autorisations de programme :

- envisager, à l' article 12 de l'ordonnance, l'annulation automatique des AP qui n'auraient pas été engagées pendant une durée excessive (à préciser).

C- Engagements pluriannuels :

- modifier la rédaction du 4 ème alinéa de l'article 1 er de l'ordonnance pour en rendre l'application plus effective. Il pourrait être écrit : 1) qu'aucune disposition d'ordre législatif ou réglementaire devant entraîner des charges nouvelles ne peut être définitivement adoptée sans que ces charges aient été préalablement évaluées, ceci à peine de nullité ; 2) que les charges correspondantes devront être autorisées par la loi de finances. En outre, il pourrait être précisé, à l' article 2 de l'ordonnance, que les engagements résultant de l'octroi de garanties d'emprunt ou de passif doivent être autorisés par une loi de finances.

I.8 - Autorisations d'emprunt

1) Problèmes posés

Le Parlement n'exerce actuellement qu'un contrôle restreint sur les opérations d'emprunt de l'Etat.

Les préoccupations exprimées à plusieurs reprises par le Parlement dans ce domaine sont essentiellement de trois ordres:

- améliorer son information et son contrôle sur la politique d'emprunt et les charges de la dette qui en résultent ;

- étendre l'autorisation parlementaire au montant global des emprunts et pas seulement à la couverture du déficit annuel. En effet, la pratique actuelle conduit à s'interroger sur la portée réelle de l'autorisation parlementaire en matière d'emprunt et de charges de la dette. L'article 31 de l'ordonnance, qui prévoit que le projet de loi de finances " évalue le montant des ressources d'emprunts et de trésorerie ", n'est pas appliqué. La loi de finances se borne à autoriser le gouvernement à lever les emprunts nécessaires, mais elle ne comporte aucune évaluation de leur montant ni aucune précision sur les conditions de leur réalisation. A l'inverse, dans de nombreux pays, le Parlement autorise un plafond d'emprunt. Aux Etats-Unis, le Congrès fixe un plafond impératif pour l'encours de la dette fédérale. En Allemagne, le recours à l'emprunt ne peut être autorisé que par une loi fédérale " qui en fixe ou permet d'en fixer le montant " (article 115 de la Loi fondamentale) ;

- réduire ou mieux maîtriser l'endettement de l'Etat en limitant l'autorisation d'emprunt au montant des crédits d'investissement, à l'exemple de la règle, dite " règle d'or ", également prévue en Allemagne par le même article 115 de la Loi fondamentale. Cette proposition a été formulée à l'Assemblée nationale par le " groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire " et, à plusieurs reprises par le Sénat.

2) Propositions

Les solutions suivantes pourraient être étudiées:

- transmettre au Parlement, d'une part, annexé au projet de loi de finances, le programme indicatif de financement du Trésor pour l'exercice à venir, d'autre part, annexé au projet de loi de règlement, la situation de la dette de l'Etat (montant, caractéristiques, évolution). Il y aurait lieu de compléter sur ce point les articles 32 (documents annexes au projet de loi de finances initial) et 36 (projet de loi de règlement) de l'ordonnance de 1959 ;

- évaluer les ressources d'emprunt dans la loi de finances, afin que le Parlement puisse exercer pleinement son pouvoir de contrôle sur les ressources nécessaires à la couverture de l'ensemble des besoins financiers de l'Etat (financement du déficit de l'année mais aussi refinancement des emprunts antérieurs). Il conviendrait, sur ce point, de modifier l' article 31 2ème alinéa en précisant que le projet de loi de finances " évalue et autorise le plafond des ressources d'emprunts ". Ainsi, le Parlement, non seulement serait informé du montant des emprunts, mais le voterait. Concrètement, cela signifie qu'en cas de dépassement, le gouvernement devrait retourner devant le Parlement pour demander une autorisation complémentaire ;

- limiter l'autorisation d'emprunter, au-delà du remboursement des emprunts antérieurs, au montant des investissements. L'idée qui sous-tend cette mesure est que le financement par l'emprunt de dépenses de fonctionnement conduit à en reporter indûment la charge sur les générations futures.

La Cour ne propose pas une telle mesure. Elle traduit un choix de politique économique qui ne découle pas nécessairement de la distinction, au sein du budget, d'une section de fonctionnement et d'une section d'investissement (cf. I.1 " présentation du budget "). Indépendamment des incertitudes qui affectent la notion d'investissement public au plan économique 37 ( * ) , la limitation des emprunts nouveaux au montant des investissements peut créer une contrainte excessive dont les conséquences sont incertaines. En Allemagne, la " règle d'or " est aujourd'hui contestée, comme le prouve une étude récente de la Bundesbank qui dénonce ses effets pervers et considère qu'elle ne garantit nullement des " finances soutenables ".

I.9 - Questions européennes

1) Problèmes posés

A- Quand l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances a été rédigée, la Communauté économique européenne fonctionnait depuis moins d'un an. De fait, tant en ce qui concerne les recettes que les dépenses européennes, des procédures ont été mises en place qui présentent l'inconvénient de ne pas être conformes aux dispositions de l'ordonnance de 1959, sans satisfaire pour autant aux exigences de transparence, de contrôle et d'efficacité.

Ainsi, la procédure des prélèvements sur recettes utilisée pour les versements au budget communautaire n'est pas, on l'a vu, prévue par l'ordonnance (cf. I.6). En outre, l'essentiel des financements apportés par les fonds structurels européens (FEOGA-Orientation, FEDER, FSE, Instrument financier pour la pêche) est rattaché au budget par voie de fonds de concours, alors que contrairement aux dispositions de l'article 19 de l'ordonnance, ces fonds sont loin de concourir en totalité à des actions de l'Etat. En effet, l'Etat ne participe pas aux dépenses correspondantes qui, pour la part nationale, incombent à des collectivités territoriales ou à d'autres organismes (organismes consulaires, associations, entreprises, voire particuliers). De plus, la première année passée, les fonds communautaires ne sont plus identifiables (cf. II.4), les reports étant globalisés. Enfin, l'utilisation des fonds rattachés doit obéir aux règles nationales qui, sur certains points, divergent de la réglementation communautaire. Le contrôle est également compliqué par le nombre élevé d'administrations de rattachement (une dizaine), de lignes budgétaires concernées (une trentaine), et le caractère tantôt centralisé, tantôt déconcentré de la gestion.

Il est nécessaire de trouver une solution pour améliorer cet état de fait. Celle-ci pourrait consister, par exemple, dans la création d'une nouvelle catégorie de " comptes d'opérations communautaires ". Ces comptes retraceraient, s'agissant des opérations actuellement rattachées par voie de fonds de concours, l'ensemble des opérations financées, dans un domaine donné, par les fonds communautaires ; ils seraient régis par des règlements particuliers conformes aux règlements communautaires. Mais d'autres solutions sont peut-être envisageables : une révision de l'ordonnance de 1959 donnerait l'occasion de les explorer.

B- L'encadrement de la politique budgétaire nationale par l'Union européenne doit conduire à prévoir une information et un contrôle spécifiques du Parlement dans ce domaine. Certes, il ressort d'une lecture combinée des articles 34, 37, 47 et 47-1 de la Constitution que c'est au gouvernement qu'il appartient d'adopter les objectifs budgétaires à moyen terme que la France doit présenter annuellement au Conseil et à la Commission, dans le cadre de la coordination des politiques économiques et budgétaires. Mais il revient au Parlement, dans des conditions fixées par une loi organique, d'adopter les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale qui mettent en oeuvre, année après année, cette politique à moyen terme.

Indépendamment des problèmes évoqués au A ci-dessus, il serait justifié d'introduire dans l'ordonnance sur les lois de finances, un volet européen traitant de ces questions qui ne se posaient pas, et pour cause, en 1959.

Il s'agit en particulier :

- d'indiquer dans l'ordonnance la liste des documents à fournir au Parlement pour son information : les notifications des comptes budgétaires transmis à Bruxelles deux fois par an par le gouvernement, les programmes de stabilité, ainsi que les synthèses élaborées par la Commission européenne ;

- de prévoir la transmission - et la publication ?- des " recommandations " qui pourraient être adressées à la France par le Conseil en vertu des articles 103-4 et 104 C§7 du Traité de l'Union européenne (cas de politiques économiques risquant de compromettre le bon fonctionnement de l'UEM et de déficits excessifs);

- de saisir ou d'informer le Parlement des mesures correctrices à prendre en cas de telles recommandations ;

- plus généralement d'informer systématiquement le Parlement du fonctionnement de la procédure des déficits publics excessifs.

2) Propositions

- Envisager la création de " comptes d'opérations communautaires " pour retracer les opérations financées sur fonds européens, qui font actuellement l'objet de rattachements de fonds de concours , ou étudier toute autre solution permettant d'enregistrer et de suivre ces opérations de manière exhaustive, rapide et en conformité avec la réglementation européenne.

- Introduire dans l'ordonnance de 1959 une nouvelle disposition prévoyant la transmission par le Gouvernement au Parlement , d'une part des notifications de la France au Conseil et à la Commission, d'autre part des documents établis par ces derniers au titre de l'application de l'article 103 et 104-C du Traité de l'Union européenne.

II - Améliorer les conditions d'application de l'ordonnance du 2 janvier 1959

II.1 - Opérations budgétaires et opérations de trésorerie

1) Problèmes posés

La Cour, à de nombreuses reprises, a relevé la confusion pouvant exister entre les opérations budgétaires et celles de trésorerie, affectées, selon l'article 30 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, " à des comptes de trésorerie distincts ". Cette confusion peut conduire à fausser le solde budgétaire, bien entendu pour le réduire, en contradiction avec les principes budgétaires fondamentaux. Les rapports sur l'exécution des lois de finances en donnent de nombreux exemples (cf. les remboursements effectués par la Caisse d'amortissement de la dette sociale - CADES - ou l'imputation de la charge consécutive à la suppression du décalage d'un mois pour les déductions de TVA) et les rapports publics annuels de la Cour ont eux-mêmes abordé cette question à plusieurs reprises (voir notamment les rapports publics de la Cour pour 1990, 1992 et 1995).

Les problèmes se situent à plusieurs niveaux:

- il résulte d'une lecture combinée des articles 3, 6 et 15 de l'ordonnance que les opérations de trésorerie, définies par l'article 15, ne constituent pas des ressources ni des charges permanentes de l'Etat et n'ont donc pas à figurer au budget ;

- par voie de conséquence, les opérations de trésorerie ne figurent pas au tableau d'équilibre de la loi de finances. La Cour a critiqué (rapport public de 1992) la distinction entre charges et produits d'exploitation d'une part, pertes et profits d'autre part, distinction faite par le plan comptable de 1957, mais abandonnée par celui de 1982. Les pertes sur emprunts constituent bien des charges, du moins celles qui équivalent à des charges d'intérêts, comme les pertes résultant des écarts de taux (entre le taux nominal et le taux du marché) lors des adjudications d'obligations assimilables du Trésor (OAT). Il conviendrait donc de traiter ces pertes et profits de trésorerie comme des charges ou des ressources budgétaires ;

- on ne peut que constater également une asymétrie dans le traitement, par l'ordonnance de 1959, des opérations d'emprunt et des opérations de prêts. Ainsi, l'article 15 range tous les emprunts de l'Etat, même à long terme, dans les opérations de trésorerie, alors qu'en vertu des articles 28 et 29, tous les prêts et avances, même à court terme, entrent dans les opérations budgétaires. De fait, l'article 3 de l'ordonnance inclut les remboursements de prêts et d'avances dans les ressources permanentes, mais non les emprunts émis. De même, l'article 6 classe les prêts et avances dans les charges permanentes de l'Etat, mais en exclut implicitement les remboursements d'emprunt;

- les budgets annexes illustrent également la confusion entre les opérations budgétaires et celles de trésorerie puisqu'ils peuvent comprendre des ressources d'emprunt (cf. I.8);

- il conviendrait, enfin, de considérer la reprise par l'Etat de la dette d'un organisme tiers -et donc les charges correspondantes d'intérêts sinon de capital- non pas comme une opération de trésorerie mais comme une opération budgétaire, devant figurer comme telle en loi de finances. Il s'agit en effet de dépenses définitives, effectuées sans contrepartie, à l'instar des dépenses de garanties lorsque celles-ci sont appelées. Une disposition dans ce sens éviterait des pratiques aussi condamnables, du point de vue de la sincérité budgétaire, que celles qui ont présidé à la reprise de la dette de l'ACOSS ou à la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de déduction de TVA.

2) Propositions

Deux séries de mesures sont envisageables (par ordre croissant d'exigence) :

- inclure dans les opérations budgétaires et donc dans le solde budgétaire d'exécution (et pas seulement dans " le résultat de l'année " tel que défini à l'article 35 de l'ordonnance), les pertes et profits sur emprunts. Cette mesure implique la modification des articles 3, 6 et 35 de l'ordonnance ;

- interdire plus nettement le classement de charges manifestement budgétaires en opérations de trésorerie ou inversement de ressources de trésorerie en opérations budgétaires. Préciser, en particulier, à l' article 6 , que la reprise par l'Etat de la dette d'un organisme tiers constitue une opération budgétaire correspondant à une charge permanente qui doit être autorisée par une loi de finances. Ceci conduirait également à modifier les dispositions des articles 113 et 124 du décret du 29 décembre 1962 qui permettent de considérer cette reprise comme une opération de trésorerie.

Au-delà de ces propositions, d'autres mesures peuvent être envisagées (Cf. I.8 " Autorisations d'emprunt ").

II.2 - Annulations de crédits et régulation budgétaire

1) Problèmes posés

Il s'agit d'un thème traditionnel des rapports de la Cour, même si, sur ce point, l'exécution du budget de 1998 marque un net progrès sur les années précédentes.

Cette question présente deux aspects.

A- En premier lieu, la notion, à l'article 13 de l'ordonnance, de " crédit qui devient sans objet en cours d'année " mériterait d'être précisée. La Cour considère que les crédits devenus sans objet, et donc susceptibles d'annulation par simple arrêté, sont ceux qu'il est impossible et pas seulement inopportun, d'utiliser, en raison soit de prévisions excessives, soit d'événements imprévus lors du vote de la loi de finances initiale (voir notamment le rapport public de 1990). Les annulations pour d'autres motifs ne devraient être effectuées que par une loi de finances rectificative.

B- Les " régulations " de crédits, à la fois massives dans leur montant et précoces dans l'année - elles interviennent souvent alors que la loi de finances vient à peine d'être votée - affectent la valeur de l'autorisation demandée au Parlement. Le pouvoir du gouvernement de modifier les crédits en cours d'année devrait être plus strictement encadré.

2) Propositions

A- Sur le premier point, la notion de crédit devenu sans objet pourrait être précisée à l' article 13 de l'ordonnance, dans le sens des observations de la Cour (prévisions manifestement excessives ou survenance d'évènements imprévus).

B- S'agissant du second aspect, plus politique, plusieurs solutions sont envisageables :

1 - Constitution d'une réserve dans la loi de finances . Le rapport de la Cour sur l'exécution des lois de finances pour 1995 suggère que le montant et les modalités de la régulation soient débattus dans le cadre de la discussion budgétaire. Une " dotation de réserve " pourrait être ainsi constituée dans la loi de finances initiale. Elle serait alimentée par des crédits exclusivement limitatifs, prélevés sur des chapitres précisés à l'avance, notamment sur ceux qui font couramment l'objet d'annulations dans le cadre de la régulation budgétaire. Le gouvernement pourrait débloquer ces crédits en cours d'année en fonction de la conjoncture économique.

On peut cependant s'interroger sur le réalisme d'un dispositif consistant à constituer une réserve au sein d'un budget dont les pouvoirs publics s'efforcent de contenir la progression (cf. les perspectives tracées par le programme pluriannuel de finances publiques pour les prochaines années).

2 - Vote par le Parlement d'un article de la loi de finances habilitant le gouvernement à appliquer un plan d'économies dans la limite d'un plafond fixé à l'avance. La répartition des économies effectuées serait ratifiée par une loi de finances rectificative. Pas plus que la précédente, cette solution n'implique la modification de l'ordonnance de 1959.

3 - Obligation pour le gouvernement de déposer en urgence un projet de loi de finances rectificative lorsque le montant cumulé des annulations depuis le début de l'année dépasse un certain pourcentage des crédits initiaux. L' article 13 de l'ordonnance serait à compléter dans ce sens. Une telle disposition semble de nature à concilier le respect des prérogatives du Parlement et la latitude d'action nécessaire au Gouvernement pour répondre à des contraintes conjoncturelles.

II.3 - Crédits évaluatifs, provisionnels et limitatifs

1) Problèmes posés

A- Les crédits évaluatifs sont souvent, manifestement et de manière récurrente, sous-évalués. Une obligation d'effectuer en loi de finances initiale ou à tout le moins en loi de finances rectificative, la remise à niveau de dotations manifestement insuffisantes, à la lumière des dépenses constatées, pourrait figurer dans l'ordonnance de 1959.

B- Les crédits provisionnels se distinguent mal des crédits limitatifs. La seule différence tient à ce qu'ils peuvent être abondés en cas d'insuffisance en cours d'année à partir d'un crédit global dit de " dépenses éventuelles ". Mais les crédits limitatifs peuvent l'être tout autant, à partir d'un autre crédit global, " pour dépenses accidentelles ". De plus, la procédure des décrets d'avance peut s'appliquer aux crédits provisionnels (article 10) comme aux crédits limitatifs (article 11). La Cour a pu qualifier cette distinction de " byzantine " (cf. rapport public de 1990). Par souci de simplification, la catégorie des crédits provisionnels pourrait être supprimée.

C- Les crédits limitatifs sont parfois ouverts et consommés en cours d'année, au-delà des dotations initiales, dans des conditions irrégulières. Cependant, à la suite des observations de la Cour, la pratique la plus critiquable, celle des " visas en dépassement ", autrefois relativement courante, a pratiquement disparu.

En matière de décrets d'avance, la Cour a constaté, à de nombreuses reprises, que les conditions posées par l'article 11 de l'ordonnance, en particulier la condition d'urgence, n'étaient pas toujours respectées. Cet article prévoit deux sortes de décrets d'avance : ceux de l'article 11-2°, pris en cas d'urgence, si l'équilibre financier prévu à la dernière loi de finances n'est pas affecté, et ceux de l'article 11-3° " en cas d'urgence et de nécessité impérieuse d'intérêt national ", sans autre condition que de déposer immédiatement un projet de loi de finances de ratification. Cette distinction pourrait être supprimée, la condition d'équilibre étant maintenue dans tous les cas ainsi que le dépôt immédiat d'un collectif.

2) Propositions

A- Crédits évaluatifs : compléter l' article 9 de l'ordonnance dans le sens indiqué précédemment (obligation de mise à niveau dans les lois de finances initiale et rectificative).

B- Crédits provisionnels : revoir la rédaction de l' article 8 qui les mentionne et supprimer l' article 10 .

C- Crédits limitatifs : revoir la rédaction de l' article 11 en ne prévoyant qu'un seul cas de décret d'avances, en cas d'urgence, dans le respect de l'équilibre financier prévu par la dernière loi de finances et avec dépôt immédiat d'un projet de loi de finances rectificative.

Il y aurait lieu, également, de préciser à l' article 35 , que la loi de règlement annule les crédits non utilisés après que les reports sur l'exercice suivant ont été effectués.

II.4 - Fonds de concours

1) Problèmes posés

A- En dépit de la règle de l'unité budgétaire, les fonds de concours (de l'ordre de 65 milliards de francs) ne sont ni prévus ni évalués dans la loi de finances initiale, alors que l'essentiel de ces recettes, et des dépenses qu'elles financent, est reconduit d'une année sur l'autre. La production d'un document d'information (annexe " jaune " sur les fonds de concours) ne saurait combler cette lacune.

B- La Cour a critiqué la possibilité ouverte au gouvernement par l'article 19 de l'ordonnance, d'assimiler à des fonds de concours pour dépenses d'intérêt public, le produit de recettes à caractère non fiscal ou certains rétablissements de crédits. Une remise en ordre est intervenue récemment, notamment pour les " crédits d'article " rattachés au budget des services financiers. On peut néanmoins s'interroger sur le bien-fondé de cette latitude ouverte au gouvernement. A défaut d'être supprimée, en admettant qu'elle permette à certains services, par une procédure d'affectation simplifiée, de bénéficier de recettes dont ils sont les créateurs, cette faculté d'assimilation devrait être soumise à l'autorisation du Parlement.

C- Les reports de fonds de concours posent un problème particulier. En effet, les crédits reportés étant fongibles, il n'est plus possible de suivre les fonds de concours reportés et donc de vérifier qu'ils sont utilisés conformément aux souhaits des parties versantes.

2) Propositions

A- Une disposition prévoyant que les fonds de concours sont prévus et évalués dans la loi de finances initiale devrait être introduite dans l'ordonnance, en modifiant dans ce sens la rédaction de l' article 19.

B- L' article 19 doit prévoir que l'extension de la procédure des fonds de concours à des recettes non fiscales ou à des rétablissements de crédits ne peut être effectuée que par une loi.

C- Enfin le même article devrait spécifier que les fonds de concours doivent être individualisées clairement dans la nomenclature budgétaire, en prévision comme en exécution.

II.5 - Budgets annexes et comptes de commerce

1) Problèmes posés

Les budgets annexes posent trois séries de questions:

A- Certains budgets annexes (budget annexe des prestations sociales agricoles -BAPSA-, Légion d'honneur, Ordre de la libération) ne correspondent pas à la définition de l'article 20 de l'ordonnance de 1959.

La solution relève, dans ce cas, d'une application plus stricte de l'article 20 plutôt que d'une modification de cet article visant à élargir la définition des budgets annexes. Les budgets annexes précités pourraient être transformés en comptes d'affectation spéciale.

B- Les budgets annexes sont présentés obligatoirement en équilibre, alors qu'ils ne le sont pas toujours réellement, ce qui fausse le résultat global. Cette présentation crée également une confusion entre les opérations budgétaires et les opérations de trésorerie, puisque les ressources d'emprunt figurent en recettes de la section des opérations en capital. Il conviendrait de modifier le 2 ème alinéa de l'article 35 de l'ordonnance, en prévoyant que le résultat de l'année, établi par le projet de loi de règlement, comprend le déficit ou l'excédent résultant de la différence nette entre les recettes et les dépenses des budgets annexes, et pas seulement du budget général.

C- La catégorie des budgets annexes et celle des comptes de commerce font à bien des égards double emploi. La distinction entre les deux paraît ténue, même si les activités industrielles et commerciales exercées le sont, selon l'ordonnance, à titre principal dans le cas des budgets annexes et à titre accessoire dans celui des comptes de commerce . On comprend mal pourquoi les Journaux officiels ont été constitués en budget annexe, alors que les fabrications d'armement de la Direction des constructions navales ont été décrites jusqu'ici dans un compte de commerce. Enfin, comme le montrent des exemples récent, le recours à la formule de l'établissement public, administratif ou industriel et commercial, voire à celle de la société nationale (cf. Imprimerie nationale), peut paraître plus approprié dans certains cas (Monnaies et médailles, Journaux officiels ?). La suppression de l'une ou l'autre catégorie pourrait donc être envisagée.

2) Propositions

A- Supprimer soit la catégorie des budgets annexes, soit celle des comptes de commerce.

B- Si les budgets annexes sont maintenus, préciser à l'article 35-2 ème alinéa de l'ordonnance du 2 janvier 1959, que le compte de résultat de l'année, établi par la loi de règlement, comprend le déficit ou l'excédent des budgets annexes, outre celui du budget général.

II.6 - Emplois budgétaires

1) Problèmes posés

L'article 1er 5 ème alinéa , de l'ordonnance de 1959 précise que " les créations et transformations d'emplois ne peuvent résulter que de dispositions prévues par une loi de finances ". L'article 32 prévoit que le projet de loi de finances est accompagné d'annexes explicatives, faisant connaître notamment " les crédits afférents aux créations, suppressions et transformations d'emplois ", tandis que l'article 43 indique que les créations, suppressions et transformations d'emplois effectuées par la loi de finances ne peuvent résulter que des modifications de crédits correspondantes " dûment explicitées par les annexes ". Les dotations en emplois figurent ainsi, au stade du projet de loi de finances, dans les annexes ou " bleus budgétaires ", et après le vote de cette loi, dans les annexes aux décrets de répartition, dites " verts " budgétaires. Les " emplois budgétaires " sont donc les emplois décrits dans ces documents.

Les effectifs réels des administrations de l'Etat diffèrent sensiblement des emplois budgétaires. Ces différences sont liées notamment au temps partiel (un emploi à plein temps peut servir à rémunérer plusieurs agents à temps partiel), aux gels d'emplois, aux personnels recrutés sur crédits, principalement pour effectuer des tâches temporaires ou saisonnières, ou encore à la pratique, irrégulière, des surnombres. Cette déconnexion entre emplois et effectifs, la difficulté pratique à connaître le nombre exact de ces derniers, la diversité des pratiques de gestion, leur manque de cohérence et les irrégularités qui les caractérisent souvent, peuvent inciter à modifier, dans l'ordonnance de 1959, les dispositions relatives aux emplois.

On peut estimer, cependant, que pour assurer la maîtrise des recrutements et des dépenses de personnel, et asseoir la compétence normale du Parlement dans ce domaine, le système de la double autorisation parlementaire, prévu par l'ordonnance, sur les emplois et sur les crédits, offre un moyen de contrôle efficace.

Des assouplissements pourraient être apportés à la rédaction actuelle de l'ordonnance sur deux points :

- l'autorisation budgétaire pourrait porter sur des ensembles plus vastes que le grade ou l'emploi fonctionnel, à savoir le nombre d'emplois par corps, voire par catégories ;

- les créations et transformations d'emplois par le pouvoir réglementaire pourraient être opérées par un décret simple et non plus par un décret pris en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. L'article 1er de l'ordonnance pourrait être modifié dans ce sens.

Ces assouplissements devraient favoriser l'abandon du procédé irrégulier des surnombres.

2) Propositions

A- L'information transmise au Parlement, dans le cadre du projet de loi de finances, sur les effectifs et les rémunérations des personnels- et pas seulement sur les emplois- des administrations devrait être améliorée. Elle pourrait être fournie par les rapports d'activité des ministères, déjà évoqués (cf. I.1).

B- Les assouplissements évoqués ci-dessus pourraient être étudiés et les dispositions de l'ordonnance modifiées en conséquence.

II.7 - Amendements rédactionnels

Indépendamment des modifications suggérées dans les différentes fiches, une révision de l'ordonnance de 1959 devrait être mise à profit pour actualiser certaines dispositions et en améliorer la rédaction. On peut citer à cet égard :

- à l' article 6 , s'agissant de la nomenclature des dépenses en capital, la suppression du titre " réparation des dommages de guerre " (titre VII), devenu inutile pour des raisons évidentes ;

- à l' article 16 , la rédaction de l'alinéa 1 devrait être revue : elle donne une définition inexacte du budget . Le budget, document prévisionnel, n'est pas " un ensemble de comptes ". Il y aurait lieu de se référer, soit à la définition donnée par la Constitution (cf. article 34 : " Les loi de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat "), soit à celle du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (cf. article 4 "  Le budget... est l'acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses...) ;

- à l' article 18, il conviendrait de donner une définition plus claire des principes d'unité et d'universalité .

. le principe d'unité pourrait être formulé ainsi: "Il n'existe qu'un seul budget. Toutefois, certaines recettes peuvent être affectées directement à certaines dépenses. Ces affectations... " (cf. suite du 2 ème alinéa de l'article 18) ;

. pour le principe d'universalité , il est proposé la rédaction suivante : " Le budget comporte toutes les recettes et toutes les dépenses. Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses " ;

. enfin, la dernière phrase de l'article 18 , totalement méconnue, devrait être supprimée (" Aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi ").

Deuxième contribution de la Cour des Comptes

SOMMAIRE

I - Fonctionnement et investissement

- I.1 Comment répartir les dépenses de l'Etat

entre le fonctionnement et l'investissement ?

- I.2 Faut-il présenter le budget de l'Etat en deux sections,

l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement ?

II - Budget de l'Etat et budget de la Sécurité sociale

- II.1 Aller vers une symétrie des deux lois, loi de finances de l'Etat

et loi de financement de la Sécurité sociale

- II.2 Clarifier les relations financières entre l'Etat et la Sécurité sociale

- II.3 Les problèmes posés par l'existence de deux systèmes de comptes

- II.4 La création de fonds spécifiques pour le financement des

dépenses sociales

- II.5 Les relations de caisse

- II.6 Le bilan d'exécution de la loi de financement

III - Principe de sincérité des comptes publics

- III.1 L'obligation de sincérité des comptes tend à se développer

dans les textes et dans la pratique

- III.2 L'introduction de l'obligation de sincérité dans la loi organique rendrait plus nécessaire encore la modernisation des comptes de l'Etat et conduirait à transformer la déclaration générale de conformité

IV - Comptabilité publique et système comptable de droit commun

- IV.1 Remarques liminaires

- IV.2 Des dérogations excessives au droit commun et un respect

insuffisant des finalités assignées au système comptable de
l'Etat

IV.3 Un outil encore mal adapté pour une gestion publique moderne

I - Fonctionnement et investissement

" Comment mettre en oeuvre, concrètement, la distinction, pour le budget de l'Etat, entre dépenses d'investissement et de fonctionnement? "

Cette question sera examinée successivement sous deux aspects :

- comment répartir les dépenses de l'Etat entre le fonctionnement et l'investissement ?

- au-delà de la distinction portant sur les seules dépenses, faut-il présenter le budget en deux sections, l'une de fonctionnement, l'autre d'investissement, et quelles en seraient les conséquences ?

* 36 On note à cet égard que dans sa décision n°98-405DC du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel considère que " si, en principe, les concours apportés par l'Etat aux collectivités locales en compensation d'exonérations, de réductions ou de plafonnements d'impôts locaux constituent bien des dépenses de l'Etat, et devraient figurer au budget général en application de l'article 18 de l'ordonnance précitée, de tels concours peuvent néanmoins, sans méconnaître les principes d'universalité et de sincérité budgétaires, donner lieu à un mécanisme de prélèvements sur recettes, dès lors que celui-ci est, dans son montant et sa destination, défini de façon distincte et précise dans la loi de finances, et qu'il est assorti, tout comme les chapitres budgétaires, de justifications appropriées... ". On peut en déduire, a contrario, que les autres concours aux collectivités territoriales ne sauraient revêtir la forme de prélèvements sur recettes, ce qui correspond à la clarification proposée par la Cour.

* 37 Les équipements militaires constituent-ils des investissements ? Ne s'apparentent-ils pas plutôt à des dépenses de consommation ? A l'inverse, les dépenses d'éducation et de recherche, financées pour l'essentiel par des crédits de fonctionnement, ne contribuent-elles pas à préparer l'avenir de la Nation ?

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