N° 38

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) sur des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées ,

Par M. Paul MASSON,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Henri Weber.

Union européenne.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Parlement français est saisi d'une proposition de directive du Conseil (E 1511 - COM (2000) 303 final) qui vise à établir des normes minimales relatives à l'octroi d'une protection temporaire , en cas d'afflux massif de personnes déplacées, ainsi qu'à définir des mesures en vue de contribuer à un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.

Cette proposition de la Commission européenne, fondée sur le Titre IV du Traité instituant la Communauté européenne, s'inscrit dans le cadre des initiatives prises et à venir en matière de politique d'asile au niveau européen , qui, à terme, devraient déboucher sur une procédure d'asile commune et un statut uniforme d'asile valable dans toute l'Union européenne.

L'Union européenne, qui accueille environ six millions de réfugiés et de personnes déplacées, selon le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), est en effet confrontée, depuis plusieurs années, à une véritable crise du droit d'asile .

D'une part, on constate une augmentation du nombre de réfugiés , notamment en raison de conflits ethniques et d'affrontements communautaires et religieux. Ainsi en 1994, en moins d'un mois, plus du tiers de la population du Rwanda a quitté le pays. Entre 1992 et 1994, près de deux millions de personnes ont été déplacées en ex-Yougoslavie et près de 500 000 ont trouvé refuge à l'étranger. Plus récemment, plus de 300 000 Albanais du Kosovo ont dû fuir les persécutions des forces de sécurité serbes.

D'autre part, la dernière décennie est marquée par l' explosion de la catégorie des personnes déplacées , qui se trouvent objectivement dans la même situation que les réfugiés au sens de la Convention de Genève de 1951, mais qui ne réunissent pas les critères de cette définition.

Il convient aussi de remarquer que l'asile est devenu un moyen , pour des étrangers qui recherchent de meilleures conditions d'existence, de contourner la politique restrictive en matière d'immigration des Etats européens, mise en oeuvre dans les années 1980.

La France est particulièrement confrontée à cette crise du droit d'asile , même si le nombre important de réfugiés vivant en France (près de 110 000) est très inférieur à celui de l'Allemagne (1,3 million). Ainsi, selon les chiffres de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le nombre de demandeurs d'asile en France a brusquement augmenté récemment pour la première fois depuis dix ans, puisqu'il est passé de 22 000 en 1998 à 30 000 en 1999 (soit une augmentation de 38 %). Cette tendance se confirme en 2000 puisque, au premier trimestre, l'augmentation par rapport à la même période de 1999 atteint 68,5 %.

Cette hausse générale du nombre de demandes d'asile en Europe met depuis plusieurs mois les administrations traitant de l'asile au bord de l'implosion.

L'opinion publique est également sensible à cette question , comme en témoigne l'élan de générosité des Européens à l'égard des réfugiés kosovars. Mais elle est aussi attentive aux réalisations concrètes qui peuvent intervenir pour limiter l'immigration clandestine et le développement des filières, à l'origine des récentes tragédies de Calais ou de Douvres.

La protection temporaire et la solidarité entre les Etats membres constituent l'une des réponses possibles à cette crise de l'asile.

L'examen de la proposition communautaire sur la protection temporaire est aussi l'occasion de faire le point sur le développement de la politique européenne en matière d'asile, alors que la France assure la présidence de l'Union européenne, et que plusieurs textes sur l'asile sont actuellement en préparation. Une proposition de résolution résume le point de vue de votre délégation sur cette proposition, dont l'importance justifie une prise de position du Sénat.

Après l'examen du contexte dans lequel intervient cette proposition, il convient d'en préciser le contenu, puis d'en mesurer les enjeux.

I. LE CONTEXTE DE LA PROPOSITION

1. La politique de l'Union européenne en matière d'asile

A la suite de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, la Commission a répertorié, dans un document de travail de mars 2000 intitulé " Vers des normes communes en matière de procédures d'asile " , huit chantiers législatifs en matière d'asile : la communautarisation de la Convention de Dublin ; Eurodac ; les normes minimales sur l'accueil des demandeurs d'asile ; les conditions pour prétendre au statut de réfugié ; les procédures d'octroi et de retrait de ce statut ; la protection complémentaire ou subsidiaire ; la protection temporaire des personnes déplacées et la répartition des charges .

Dans cette perspective, elle a proposé, en mai 1999, un projet de règlement du Conseil concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile et de certains autres étrangers (examiné par la délégation le 16 novembre 1999). En décembre 1999, la Commission européenne a soumis une proposition de directive du Conseil relative au regroupement familial , qui inclut le cas des réfugiés et des personnes sous protection subsidiaire (texte qui a fait l'objet d'un débat, lors de la réunion de la délégation du mardi 23 mai 2000, et qui a donné lieu à la proposition de résolution n° 360 du 25 mai 2000, actuellement en instance devant la Commission des Lois).

En ce qui concerne les procédures d'asile , la Commission a adopté, le 20 septembre dernier, une proposition de directive relative à l'établissement de normes minimales pour l'octroi et le retrait du statut de réfugié . Par ailleurs, la Commission européenne travaille actuellement sur les possibilités d'améliorer le fonctionnement de la Convention de Dublin , qui détermine l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile. Le problème des mineurs devrait également être abordé.

Le gouvernement français souhaite, pour sa part, faire du thème des conditions communes minimales d'accueil des demandeurs d'asile l'une des priorités de sa présidence. Il devrait présenter au Conseil un document de discussion. Il s'agit de lancer un débat d'orientation au niveau européen sur les garanties minimales qu'il convient d'accorder aux demandeurs d'asile, touchant au respect de leurs droits (séjour, circulation) et aux prestations matérielles (hébergement, éducation, santé, ...). Ce débat devrait dégager les contours du futur instrument communautaire que le Conseil sera appelé à adopter, l'objectif à terme étant d'aboutir à une répartition plus harmonieuse des demandeurs d'asile dans l'Union européenne.

S'inscrivant dans cet ensemble de textes sur l'asile, la présente proposition de la Commission est étroitement liée à la proposition de création d'un Fonds européen pour les réfugiés (texte E 1404, examinée par la délégation lors de la procédure écrite du 29 mai 2000), qui doit être adoptée prochainement.

2. L'historique de la protection temporaire

La présente proposition trouve son fondement direct à l'article 63 paragraphe 2a du traité instituant la Communauté européenne, qui dispose que le Conseil arrête, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, des mesures relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées, dans le domaine des " normes minimales relatives à l'octroi d'une protection temporaire aux personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d'origine et aux personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale ".

La protection temporaire a fait l'objet d'une première proposition de la part de la Commission européenne, dès 1997, mais les négociations autour de cette notion, menées au Conseil durant trois années consécutives, ont été très difficiles et n'ont jusque là pas abouti. Ces réunions ont principalement achoppé sur la question de la solidarité entre Etats. Le Conseil européen, réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999, a invité le Conseil à " intensifier ses efforts en vue d'arriver, sur la question de la protection temporaire des personnes déplacées, à un accord qui repose sur la solidarité entre Etats membres ". La présente proposition a donc pour objet de relancer les discussions, en tenant compte des positions exprimées lors des précédentes négociations. Mais la protection temporaire a fait l'objet d'autres développements, tant dans le cadre national, qu'européen et international.

Il convient de remarquer, tout d'abord, que, pour faire face à l'afflux massif de personnes déplacées qui fragilisait leurs systèmes internes d'asile, comme lors des conflits en ex-Yougoslavie et de la crise du Kosovo, la plupart des Etats membres ont mis en place des dispositifs exceptionnels de " protection temporaire " , de jure ou de facto . La France a ainsi défini un dispositif spécial pour ces populations déplacées. Mais ces procédures ont fait apparaître des différences majeures dans les durées maximales de la protection temporaire, dans le caractère suspensif ou non de l'examen des demandes d'asile pendant la durée de la protection temporaire, ainsi que dans les droits et bénéfices sociaux accordés aux bénéficiaires. Par ailleurs, de nombreux problèmes de coordination se sont posés entre les Etats membres .

La protection temporaire a donc fait l'objet de travaux dans le cadre de l'Union européenne. Ainsi, dans la première partie des années 1990, le flot de réfugiés en provenance de l'ex-Yougoslavie, notamment de Bosnie-Herzégovine, a incité les Etats membres de l'Union européenne à adopter une résolution, le 25 septembre 1995, puis une décision du Conseil, le 4 mars 1996, sur la répartition des charges en ce qui concerne l'accueil et le séjour à titre temporaire des personnes déplacées . Ces deux instruments n'ont toutefois jamais été mis en oeuvre.

Lors de la crise du Kosovo, en avril 1999, on se souvient que la coordination entre les Etats membres de l'accueil des personnes déplacées sur leur territoire a posé des difficultés, au sein même du Conseil. Celui-ci a toutefois adopté, le 26 avril, une action commune sur la base de laquelle l'Union européenne a pu financer des projets liés à l'accueil et au retour volontaire des Kosovars, à hauteur d'environ 17 millions d'euros. Enfin, le 27 mai 1999 , il a adopté des conclusions où il reconnaissait la nécessité d'accorder une protection temporaire à ces personnes, en indiquant, de manière générale, le niveau de protection et de droits sociaux.

Enfin, le thème de la protection temporaire a fait l'objet d'autres développements aux niveaux européen et international. Ainsi , le Conseil de l'Europe a adopté, le 3 mai 2000, une recommandation et le Haut Commissariat pour les réfugiés a pris, depuis les années 1980, de nombreuses initiatives sur ce problème.

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