D. L'ÉLARGISSEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

M. Alain Barrau, Président - Hubert Haenel et moi-même avons souhaité faire de l'élargissement un des thèmes de débat de la COSAC car il s'agit d'une priorité pour notre pays et d'une question d'importance politique pour l'Europe de demain. De même que nous affirmons la nécessité de réformer les institutions européennes afin que l'Union soit en mesure d'accueillir de nouveaux Etats membres, de même nous estimons que l'élargissement ne doit pas dénaturer la construction européenne mais permettre aux pays candidats d'adhérer à une véritable union politique, économique et monétaire.

Je vous donne la parole, Monsieur le ministre.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Vous avez bien fait, messieurs les présidents, de consacrer une part importante des travaux de la XXIIIe réunion de la COSAC à la question de l'élargissement. Je vous remercie de m'y avoir invité.

Il importe en effet que les parlements nationaux soient très bien informés et débattent plus souvent des grandes questions européennes, en particulier de l'élargissement. Cela ne peut que renforcer leur rôle dans la construction européenne.

L'élargissement n'est certes pas la seule priorité de l'Union européenne, mais c'est pour elle un horizon politique majeur qui justifierait, à lui seul, la réforme des institutions à laquelle nous travaillons.

L'heure n'est plus à se prononcer pour ou contre l'élargissement. C'est désormais chose faite : tout le monde est pour, puisque les négociations d'adhésion sont engagées. Il faut maintenant réussir l'élargissement, pour les pays candidats et pour l'Union européenne.

De nombreux responsables européens ont récemment souligné à juste titre que des efforts doivent être consentis pour que les enjeux et les résultats des négociations en cours soient mieux compris. Ce n'est pas toujours le cas. On assiste parfois à une certaine confusion. L'explication doit être notamment le fait des parlements nationaux, qui devront dans la plupart des pays, ratifier les traités d'adhésion.

Comment la présidence française entend-elle, dans les mois qui viennent, exercer son influence pour faire avancer les choses ?

L'Union mène aujourd'hui de front pas moins de douze négociations, six entamées en 1998 et six cette année. Il n'y a donc aucune commune mesure entre le processus en cours et ceux qui avaient été précédemment engagés. Jamais l'Union n'avait ouvert autant de négociations simultanées. En vertu du principe de différenciation consacré par le Conseil européen d'Helsinki, les négociations sont conduites en fonction des mérites propres de chaque pays candidat. Le déroulement des négociations ne dépend pas de telle ou telle sympathie ou affinité politique, mais de la capacité de chaque pays candidat à reprendre et à appliquer l'acquis communautaire, lequel est divisé en 31 chapitres. L'ensemble des chapitres - à l'exception de celui sur les institutions - ont été ouverts avec six des douze candidats : la Pologne, la République Tchèque, la Slovénie, l'Estonie, la Hongrie et Chypre.

L'Union considère les négociations sur plusieurs chapitres
- entre quatre et seize - comme " provisoirement closes ", ce qui est une commodité de langage, le principe de base étant que rien n'est agréé tant que tout n'est pas agréé.

Ainsi avons-nous achevé, à titre provisoire, les discussions sur la libre circulation des marchandises avec la République tchèque et celles sur la libre circulation des capitaux avec l'Estonie. Ce sont deux des quatre libertés du marché unique. Dans le domaine de la politique sociale européenne, auquel la France est très attentive, nous avons abouti avec Chypre et l'Estonie et sur l'énergie avec la Hongrie.

Ce ne sont que quelques exemples. Que les délégués des pays qui ne sont pas cités ne s'inquiètent pas !

Il faut poursuivre les négociations dans les domaines très sensibles de la PAC, de l'espace Schengen ou de l'environnement.

La seule solution consiste, dans un premier temps, à procéder à une analyse objective des difficultés. Des négociations conduites avec rigueur et sérieux sont à ce prix. On ne peut laisser de côté des problèmes par amitié ou par facilité. Il faut aller au fond des choses, sinon toutes les questions non traitées seront autant de bombes à retardement, qui se retourneraient tragiquement contre les pays concernés et contre l'Union. Le sérieux et la rigueur sont, dans cette phase de négociations, la meilleure réponse à l'impatience, parfois légitime, des pays candidats et aux préoccupations non moins légitimes des pays membres de l'Union. La seule réponse est de négocier sérieusement et le plus vite possible.

Dans cet esprit, la présidence française travaillera avec la Commission afin d'évaluer les progrès des pays candidats dans la reprise de l'acquis communautaire et leur capacité à l'appliquer de manière effective.

La présidence française compte donc donner une nouvelle impulsion aux négociations en entrant dans le vif du sujet. A la fin de la présidence française, les négociations seront ouvertes sur quarante-deux nouveaux chapitres avec chacun des six pays entrés en négociations cette année. Ce sera donc plus de la moitié du domaine de l'acquis qui sera ainsi examiné. Nous allons aussi aborder ce problème de fond que constituent les demandes de périodes transitoires. Quand elles sont réalistes, de telles demandes sont préférables à une reprise imparfaite de l'acquis. Mais certains de ces demandes, par leur ampleur, pourraient porter atteinte au principe de base de l'adhésion : la reprise de l'acquis communautaire. Elles nécessiteront des arbitrages politiques dans la phase finale des négociations. Nous essaierons d'en traiter le plus grand nombre, afin de préparer le terrain à l'accord d'ensemble qui conclura chaque négociation d'adhésion.

Nous voulons aussi dégager des perspectives et mettre au point une méthode pour la suite du processus. Tel est le sens de la " vue d'ensemble " que nous préparons pour le Conseil européen de Nice. Il s'agit de faire le point, de manière précise et synthétique, sur les douze négociations en cours. Où en est chaque pays dans la reprise de l'acquis ? Respecte-t-il ses engagements ? Comment aboutir ? L'Union européenne elle-même a-t-elle des points à clarifier ? De la sorte, nous pourrons proposer à chaque pays candidat un scénario d'adhésion. Nous disposerons de tableaux synthétiques donnant une photographie de la situation pour le Conseil Affaires générales du 20 novembre.

L'Union européenne ne fixera pas pour autant une date d'adhésion, même si certains pays le souhaitent, estimant que ce serait un facteur de mobilisation interne. Il serait arbitraire de fixer la date à laquelle devraient prendre fin les négociations. Du reste, cela ne s'est jamais fait. Quand nous sommes passés de six à neuf, de neuf à dix, de dix à douze puis à quinze, nous avons négocié jusqu'à ce que soient trouvées des solutions. C'est plus honnête et plus satisfaisant.

Au demeurant, comment pourrait-on fixer la même date pour tous ? Personne ne le souhaite. Il faudrait en réalité fixer une date par pays : on imagine les polémiques sans fin, les comparaisons déplaisantes que cela susciterait.

En fait, il existe déjà une date cible, qui peut mobiliser les pays membres comme les pays candidats : celle du 1er janvier 2003, fixée au Conseil européen d'Helsinki, date à laquelle l'Union devra être prête à accueillir les candidats qui rempliront les conditions. Il s'agit, pour l'Union européenne, d'une date contraignante. Respecter cette obligation suppose d'achever à Nice la négociation sur les quatre sujets de la conférence intergouvernementale.

S'agissant de la Turquie, l'Union européenne a admis sa candidature à l'adhésion, après de longues discussions, au conseil européen d'Helsinki, mais sans engager la négociation. On ne peut méconnaître le chemin qui reste à parcourir. La présidence française s'efforcera de faire avancer le partenariat de pré-adhésion conclu avec ce pays.

L'Union européenne doit tout faire pour réussir l'élargissement : cela implique une vision commune aux Etats membres et aux futurs adhérents de la construction européenne. C'est pourquoi la France a lancé en 1997 l'idée d'une conférence européenne - idée d'ailleurs reprise d'une initiative antérieure qui n'avait malheureusement pas pris corps - afin que les Etats membres et les Etats candidats puissent discuter de tous les sujets relatifs à l'Europe. Deux réunions de la Conférence européenne vont se tenir : la première à Sochaux, le 23 novembre, au niveau ministériel, et la seconde à Nice, le 7 décembre, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. Nous établirons à cette occasion un état des travaux relatifs à la réforme des institutions et pourrons engager une réflexion politique commune sur le fonctionnement de l'Europe élargie.

Nous avons la volonté d'aboutir, c'est-à-dire de réussir, de résoudre tous les problèmes, de sorte que l'Europe élargie soit forte et puisse développer son formidable potentiel.

M. Alain Barrau, Président - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir introduit nos débats de manière particulièrement claire et franche.

Je donnerai la parole en priorité aux représentants des pays candidats.

M. Tunne Kelam (Estonie) - Monsieur le ministre, j'apprécie l'implication de la présidence française sur la question de l'élargissement. On le sait d'expérience, les réformes institutionnelles vont de pair avec l'élargissement. La question est donc de savoir dans quelle mesure le conseil de Nice pourra être considéré comme une réussite.

On ne doit pas tirer prétexte d'un retard dans les réformes institutionnelles pour ralentir l'élargissement. Il serait trop facile de le différer au motif que des problèmes n'ont pas encore été résolus. Notre intérêt commun est que les deux processus s'encouragent mutuellement.

Il existe en Europe des mouvements populistes et extrémistes qui cherchent une troisième voie et veulent empêcher la construction d'une Europe unie, prospère, stable et pacifique. Il faut dissiper les ambiguïtés.

La COSAC permet aux pays candidats de s'impliquer dans la construction d'une zone de paix respectueuse des droits de l'homme. C'est un bon forum.

M. Dimitar Abadjiev (Bulgarie) - Il ne fait aucun doute que nous sommes tous d'accord pour approuver la déclaration faite par Romano Prodi, le 6 septembre dernier, devant le Parlement européen : l'élargissement, a-t-il déclaré, constitue " le défi historique de notre génération ".

En Bulgarie, nous nous préparons à le relever, comme l'a indiqué notre ministre des affaires étrangères à Luxembourg. Nous espérons que la présidence française adoptera une attitude positive sur l'ouverture des négociations avec la Bulgarie comme avec les autres candidats qui ont accompli des progrès en vue de l'adhésion. Il est équitable de juger chaque candidat selon ses mérite propres.

La liberté de circulation est un grand acquis communautaire. J'espère donc que le Conseil européen se mettra rapidement d'accord sur une liste des pays tiers dont les citoyens n'ont pas besoin de visa pour pénétrer dans l'Union européenne. Exempter la Bulgarie et la Roumanie de cette obligation conforterait la stabilité de ces Etats. Compte tenu des progrès accomplis en ce qui concerne la justice, les affaires intérieures, notre pays attend une décision politique sur ce point.

Mme Rosa Dovydeniene (Lituanie) - Nous sommes heureux que la discussion sur l'élargissement s'intensifie au niveau parlementaire.

Nos progrès nous ont permis de rejoindre le groupe de Luxembourg. Depuis que la négociation d'adhésion a été engagée, le soutien de l'opinion à l'adhésion a augmenté dans notre pays pour atteindre 70 %. Il est désormais indispensable que le Conseil européen de Nice aboutisse à un accord sur une série de réformes substantielles, propres à accélérer le processus.

Nous sommes cependant inquiets devant le scepticisme qui se manifeste dans l'Union européenne à propos de l'élargissement. Espérons que la campagne d'information lancée par la Commission y portera remède. Nous apprécions également que le Parlement européen ait demandé à la Commission de faire une étude sur le coût du " non-élargissement ".

L'élargissement est un processus mutuellement avantageux. Mais il subsiste des préjugés concernant l'agriculture, la libre circulation des personnes et les périodes de transition. Les citoyens de nos pays veulent être des citoyens européens à part entière dans l'adhésion, non des citoyens de seconde classe.

Beaucoup de questions restent à résoudre. La Lituanie progresse rapidement dans cette préparation à l'adhésion à l'Union européenne.

Mme Dolores Cristina (Malte) - Certaines informations parues dans la presse pouvaient laisser l'impression qu'il y avait eu à Biarritz certaines dissensions entre Etats membres sur la question de l'élargissement. Les propos optimistes tenus hier par M. Jospin et M. Moscovici ont contribué à dissiper cette impression.

Malte partage l'attente - l'espoir même - des autres candidats. Nous espérons que la CIG aboutira cette année, de façon que la présidence suédoise puisse mettre l'accent sur l'élargissement.

Il faut compléter l'oeuvre d'Amsterdam et ne pas freiner le dynamisme du processus. En septembre dernier dans la déclaration commune de Vilnius, les douze pays candidats ont insisté sur l'importance de l'élargissement et sur le fait que chacun doit être jugé selon ses mérites.

La procédure d'élargissement suit un schéma prévisible. Certains font pression pour qu'on raccourcisse les délais pour éviter une montée de l'instabilité. L'élargissement .est sans doute le projet le plus ambitieux pour le destin de l'Europe. Il est indispensable que des décisions soient prises à Nice.

M. Frantisek Sebej (Slovaquie) - L'élargissement présente certains risques pour les pays membres comme pour les pays candidats. Certains groupes politiques font campagne contre l'élargissement. Les observateurs oscillent entre scepticisme et espoir. Le retard pris dans le processus ne fait que renforcer ses adversaires notamment dans des pays comme la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie, où le soutien à l'adhésion est très fort. Si celle-ci n'intervenait pas dans un délai de 3 ou 4 ans, ce soutien risquerait de s'affaiblir. On ne peut rester enthousiaste éternellement. Dans l'Union européenne même, les opinions se diraient que de tels retards traduisent de vrais problèmes.

Nos pays, qui ne sont pas membres de l'Union européenne, partagent cependant certains problèmes de l'Europe occidentale. Leur monnaie est liée à l'Euro, qui est au plus bas et ils paient leur pétrole en dollars, au même prix que les autres pays d'Europe occidentale.

Notre Parlement comme notre Gouvernement éprouvent un certain malaise devant le retard que prend la négociation. Nous savons que l'administration communautaire est surchargée de travail mais pour garder espoir, nous aimerions que se manifeste une impulsion nouvelle.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Sur la question précise des visas, la présidence française est favorable à ce que la Bulgarie ne fasse plus partie des pays soumis à visas, étant donné les efforts qu'elle a accomplis dans les domaines de la police, de la justice et de l'administration. En adoptant ces réformes, la Bulgarie a en quelque sorte reconnu que les problèmes étaient réels avant.

Cela dit, pour supprimer l'obligation des visas, il faut une décision à la majorité qualifiée. La France essaie de l'obtenir mais certains autres Etats considèrent que les progrès accomplis sont insuffisants.

Sur un plan plus général, l'une des difficultés que pose l'élargissement est qu'il prête à la démagogie. Pas plus aujourd'hui que pour les adhésions précédentes il n'a été question de calendrier précis et fixe. Dès lors, comment parler de retard, sinon par rapport à des promesses démagogiques faites ici ou là ? Il faut être plus respectueux des peuples, donc leur dire la vérité, à savoir que les négociations d'adhésion sont compliquées. Que les pays candidats s'informent auprès des Espagnols et des Portugais...

Nous devons être francs. Faire des déclarations sur un calendrier ne sert à rien sauf à compliquer les choses. Du reste, les candidats eux-mêmes ne se mettraient pas d'accord sur une date unique d'adhésion. Désormais, il n'y a plus de groupes. La seule façon de procéder est de traiter chacun selon ses mérites.

Il me semble qu'on aborde cette question de façon trop émotionnelle, certains soupçonnant l'Union européenne de ne pas vouloir l'élargissement. Si tel était le cas, elle n'aurait pas ouvert les négociations d'adhésion. L'Union est consciente de la signification historique de l'élargissement et de la nécessité de s'ouvrir à des pays qui sont européens et qui sont redevenus des démocraties. Négocier prouve que nous sommes vraiment favorables à l'élargissement.

Durant cette phase, ce n'est pas d'avocats que les pays candidats ont besoin, mais de réformateurs et de négociateurs. Ils entreront quand tous les problèmes auront été réglés. C'est simple. Ils le savent d'ailleurs, puisqu'ils mettent en avant les réformes qu'ils ont accomplies, réformes dont nous n'ignorons pas ce qu'elles leur coûtent et que nous soutenons d'autant plus vigoureusement. Les candidats doivent en outre reprendre tous les acquis communautaires, lesquels sont de plus en plus nombreux à mesure que le temps passe. Mais c'est bien dans l'Union de 2000 qu'ils veulent entrer, pas dans celle de 1957 ! Donc, les candidats ont un gros effort à faire, nous le savons et ne voulons pas nous en tenir à un discours démagogique ; il faut négocier et négocier encore.

Dites-vous que les pays membres ont aussi des raisons de se préoccuper de l'avenir de l'Union. Si l'on avait accepté d'emblée tous les pays candidats, sans faire auparavant de réforme institutionnelle, ils seraient entrés dans une Union paralysée. L'Union les attire parce qu'elle est riche et vivante ; une Union paralysée n'aurait aucun attrait pour eux. Nos intérêts convergent donc ; ne vous persuadez pas que ce ne seraient de notre part que manoeuvres dilatoires. L'idée d'élargissement figurait déjà dans le traité de Rome, qui prévoyait d'accueillir tous les pays européens démocratiques. Si nous ne voulions pas de l'élargissement, nous n'aurions pas lancé la CIG aussi tôt, nous ne ferions pas le forcing pour aboutir à un bon traité lors du Conseil européen de Nice.

Je peux comprendre l'impatience des candidats mais c'est à leurs responsables politiques de faire un travail approfondi d'explication, pour faire comprendre chez eux ce qu'est l'Union et en quoi tous ont intérêt à ce qu'elle soit forte. Au lieu de protester contre un retard supposé, vous devez soutenir nos efforts pour réussir les réformes institutionnelles. Elles sont indispensables à l'élargissement et ne sont nullement un prétexte pour le retarder.

Négocier vraiment, ce n'est pas dresser la liste des points d'accord mais s'attaquer sérieusement aux problèmes. Il est clair, par exemple, que si l'on accueillait tous les candidats sans adaptation, la PAC exploserait. Certains candidats, mais pas tous, auront besoin d'une longue période de transition. Etre membre à part entière, cela signifie une égalité de droits et de devoirs, qui n'est pas réalisable du jour au lendemain. C'est pourquoi il n'est d'autre bonne solution qu'une négociation sans relâche, pendant laquelle vous devez préparer vos opinions publiques aux résultats envisageables : montrer en quoi les espérances sont satisfaites et les inquiétudes apaisées.

Mme Ewa Freyberg (Pologne) - La question de l'élargissement est bien la question majeure.

Si j'ai bien entendu la réponse de M. Védrine, je dois répéter ce qui vient d'être dit : nous sommes impatients. Nos représentants politiques sont unanimes à souhaiter l'intégration et pourtant les choses sont parfois confuses même pour eux ! Cette confusion est accrue par le caractère contradictoire des signaux qui sont envoyés. L'impatience est, pour quelque candidat que ce soit, dans l'ordre des choses. Ne vous en étonnez pas ! L'intégration exige une vraie révolution dans notre société et nos institutions ; des Français doivent être à même de comprendre ce qu'est une révolution !

J'aimerais pouvoir ramener dans mon pays des messages plus optimistes.

Mme Hildegard Puwak (Roumanie) - Je remercie la France de ses efforts pour soutenir nos candidatures. Nous faisons notre possible pour appliquer les recommandations des pays membres. Toutes les forces politiques roumaines veulent agir dans cette direction ; cela garantit, même au-delà des futures élections, la continuité de notre démarche d'adhésion.

Les perspectives d'adhésion qu'on nous ouvre sont pour nous un encouragement à intensifier nos efforts et à consolider nos progrès. Et nous considérons que ces efforts et progrès ne doivent en aucun cas souffrir de la réforme institutionnelle. Celle-ci, nous en sommes persuadés, ne contrecarre nullement l'élargissement : les deux processus se renforceront mutuellement, au contraire, pour aboutir à une Europe forte, efficace et proche des citoyens.

M. Edwin Inkens (Lettonie) - Je ne demanderai jamais de date précise pour l'adhésion de mon pays : cette date ne peut dépendre que de notre propre capacité à faire ce que nous devons ! Cependant, il nous faut être informés du " scénario " de l'élargissement et des critères pour l'adhésion - notamment de l'importance des critères politiques : cela est de l'intérêt des Etats membres de l'Union aussi bien que des pays candidats !

Nous sommes reconnaissants à la présidence française d'avoir demandé à la Commission d'accroître le nombre de représentants officiels travaillant sur cette question de l'élargissement. Nous savons en effet que des négociations menées naguère avec le " deuxième groupe " ont été retardées par manque de personnel et il ne faudrait pas que nous soyons les otages de ce genre de problèmes techniques. Cela étant, il faut clairement dire qui, parmi nous, est en mesure de combler son retard. Notre pays est disposé à négocier sur tous les chapitres - mais la Commission y est-elle prête ? Ne manque-t-elle pas de la volonté politique nécessaire, ou les moyens administratifs ne lui font-ils pas défaut ?

M. Jaroslav Zverina (République tchèque) - Mon pays a fait des progrès notables depuis deux ans, notamment en matière législative, et je pense que nous serons prêts pour l'adhésion au 1er janvier 2003. Tout dépendra alors d'une décision politique de l'Union. Or, est-il sûr qu'après que nous aurons satisfait à tous les critères, l'adhésion s'ouvrira dans un délai raisonnable ? Si les choses tardaient trop, la désillusion risquerait de gagner nos concitoyens et le camp des adversaires de l'adhésion serait renforcé.

Nous nous félicitons de la résolution adoptée le 1er octobre par le Parlement européen appelant l'Union à accueillir de nouveaux membres d'ici 2004, de manière à ce qu'ils puissent participer aux élections européennes prévues pour la même année. Avez-vous le sentiment, Monsieur le ministre, que ce pari pourra être tenu ?

M. Tassos Papadopoulos (Chypre) - Les négociations avec Chypre ont commencé sur tous les chapitres : seize d'entre eux sont déjà fermées et cela devrait assez vite être le cas pour trois ou quatre autres. Pourtant mon pays ne bénéficie d'aucun programme de soutien de type PHARE : on a considéré que le revenu par tête y était trop élevé. En conséquence, nous avons dû financer nos réformes par nos propres moyens, y consacrant à peu près l'équivalent du budget national ! Je comprends la position de la présidence française et j'admets que la CIG doive se consacrer à des réformes structurelles, si l'on veut que l'Union élargie fonctionne convenablement. Mais si cette Conférence n'aboutit pas comme prévu à la fin de cette année et si l'Union n'est pas prête à accueillir de nouveaux membres au 1er janvier 2003, Chypre, dont ce ne sera pas la faute, devra-t-elle supporter le coût de ce nouveau délai ? Ne croyez-vous pas qu'il conviendrait alors d'étudier un plan de soutien pour tous les pays dans le même cas ?

M. Krzysztof Majka (Pologne) - Bien que n'appartenant pas au même parti que Mme Freyberg, je suis pour une fois d'accord avec elle. Il est en effet exact que les pays candidats abordent de façon très émotive la question de l'élargissement. Comment pourrait-il en être autrement, d'ailleurs, sachant les efforts très pénibles imposés à nos concitoyens par les réformes ? Et la foi indéniable de notre opinion, que les sondages traduisent souvent imparfaitement, est de fait contrebalancée par la multiplicité des réponses contradictoires et déroutantes qui nous sont envoyées.

On parle ici d'élargissement maximal, là d'élargissement minimal, on spécule sur les dates possibles... Pour sortir de cette confusion, il importe que cette COSAC, puis le Conseil européen de Nice envoient un message clair, qu'il s'agisse des priorités, du calendrier ou des objectifs. La question de l'élargissement devient par trop technique, ce qui décourage nos concitoyens. Comment comptez-vous restaurer leur enthousiasme, pour nous assurer le soutien dont nous avons tant besoin ?

M. Alain Barrau, Président - Monsieur le ministre va devoir nous quitter afin de se consacrer au dossier du Proche Orient. Je sais que nos amis représentants des Etats membres vont être déçus, mais je proposerai que nous en restions là pour les questions. Après tout, l'essentiel n'était-il pas que les représentants des pays candidats puissent s'exprimer ?

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je suis désolé de ne pouvoir prolonger cet échange, mais je dois en effet me rendre à une réunion avec le Président de la République.

Vos interventions m'ont beaucoup intéressé car elles traduisaient avec force votre volonté d'entrer dans l'Union européenne. Votre impatience même me réjouit car elle démontre que l'Union, confrontée pendant tant d'années à tant de problèmes compliqués, a su les résoudre de manière à devenir attrayante pour beaucoup d'autres Etats.

J'ai dit tout à l'heure avec une franchise qui se voulait amicale et constructive la façon dont nous voyons la question de l'élargissement, mais j'entends bien le message que vous nous adressez. Je crois que le Conseil européen de Nice aboutira à un accord, la réunion de Biarritz ayant clarifié la situation : nous avons bien avancé sur deux sujets ; en revanche, sur les deux autres - l'avenir de la Commission et la question de la pondération -, les positions sont apparues inconciliables. Mais l'on ne peut dire qu'il s'agit de sujets techniques : ils sont éminemment politiques, aussi, car il y va du fonctionnement de l'Union élargie. Régler ces problèmes est donc de l'intérêt de tous, Etats membres comme Etats candidats. C'est pour l'avenir commun que nous négocions ! Et, quelles que soient les difficultés, je suis persuadé que nous parviendrons à un accord. C'est légitimement que chaque pays de l'Union défend ses intérêts - comme vous le faites vous-mêmes dans la négociation préalable à l'élargissement.

Mais, au-delà, c'est l'intérêt général de l'Europe qui devra prévaloir, ce qui suppose des concessions et des compromis. J'éprouve, à ce sujet, un optimisme raisonné, fondé sur la volonté déterminée de respecter les engagements souscrits, volonté que je crois partagée. Dire cela, c'est déjà donner une réponse aux pays candidats qui observent et attendent, intéressés et inquiets. Dire cela, c'est affirmer que nous voulons aboutir, c'est dire, aussi, qu'après le Conseil européen de Nice, l'atmosphère sera plus détendue.

Pourquoi ? Parce qu'après Nice, plus personne ne pourra prétendre comme certains le font sans craindre le ridicule, que les Quinze se seraient lancés dans une réforme institutionnelle pour retarder l'échéance de l'élargissement. Après Nice, l'Union pourra proposer à chaque pays candidat un calendrier d'adhésion, en tenant compte des réformes abouties et de ce qui reste à faire. Le brouillard étant ainsi dissipé, les opinions publiques seront rassurées.

Il faut, j'y insiste, garder son sang-froid par rapport aux multiples déclarations contradictoires qui peuvent être faites. Je sais l'impatience que suscite, dans les pays candidats, la question de l'adhésion, mais j'invite les autorités amies à se concentrer sur l'essentiel, en faisant fi des rumeurs et des on-dit : les candidatures ont été acceptées, des négociations sont ouvertes avec douze pays, l'indispensable réforme institutionnelle de l'Union est engagée, un calendrier est fixé, que nous respectons. C'est aussi simple que cela : une procédure a été définie, et elle est suivie. L'opinion publique des pays considérés doit en être informée.

Nous travaillons, ensemble, à assurer un rapprochement qui aura lieu à une date encore inconnue, mais suffisamment proche pour justifier un double effort : de réforme chez nous, de convergence chez vous. Je l'ai dit : nous savons qu'il s'agit, pour les pays candidats, pour certains surtout, d'un effort considérable, qui demande un grand courage, et j'éprouve un profond respect pour les gouvernements qui conduisent ces politiques exigeantes, parce qu'ils sont conscients que tel est le prix de l'entrée dans l'Union et parce qu'ils savent, aussi, qu'au terme de la négociation, une Union élargie efficace verra le jour.

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