V. LA DÉCENTRALISATION, QUELLE GESTION LOCALE DE L'EAU ET DES SERVICES PUBLICS D'EAU ET D'ASSAINISSEMENT ?

21. Intervention de M. Jacques PELISSARD , député du Jura, président de la commission " Environnement " de l'Association des maires de France (AMF)

La décentralisation est incontestablement l'un des thèmes majeurs des débats relatifs à la politique de l'eau. Elle constitue l'un des fondements de notre culture française, mais elle est également le pivot de la nouvelle directive cadre européenne. Malgré ces ancrages forts, la décentralisation est aujourd'hui soumise à un certain nombre d'inquiétudes.

• Processus d'étatisation de la gestion de l'eau

Il est vrai que la redevance pose aujourd'hui un problème de constitutionnalité. Toutefois, la solution proposée par l'avant-projet de loi sur l'eau ne me paraît absolument pas satisfaisante. Je suis opposé au principe d'étatisation de la fixation de ces redevances. Selon ce principe de fonctionnement, le Parlement se trouverait en position de voter les règles relatives aux assiettes et au recouvrement et les agences n'auraient plus qu'à fixer les taux dans une fourchette déterminée. Les programmes pluriannuels, leur durée, les plafonds des recettes, les montants maximaux des dépenses et les objectifs prioritaires seraient, dans ces conditions, déterminés par le Parlement et non plus par les agences. Ces dispositions risquent de remettre en cause les mécanismes de fonctionnement de celles-ci puisqu'elles ne pourront plus adapter les redevances aux travaux nécessaires. Je souhaite que les instances de bassin puissent encore adapter les taux, les assiettes et les zonages des redevances.

• Risque de recentralisation

L'avant-projet de loi du 15 juin pose trois types de problèmes.

La liberté contractuelle des communes, tout d'abord, est mise à mal. Un rôle trop important est accordé au Haut Conseil de l'Eau, notamment en termes juridictionnels. Cette instance, qui pourrait exiger la renégociation, voire la résiliation, d'un contrat, entraînerait une insécurité juridique manifeste pour les collectivités. Donner un pouvoir quasi-juridictionnel à cette nouvelle structure constitue une remise en cause dangereuse de la décentralisation .

Par ailleurs, les modalités de gestion des services de l'eau seraient modifiées avec l'encadrement de la partie fixe de la facture d'eau. Jusqu'à présent, les coûts fixes supportés par les services ne sont répercutés sur l'usager qu'à hauteur de la moitié. Avec cette modification législative, les coûts fixes ne pourraient plus être répercutés. De plus, seuls les propriétaires de résidences secondaires seraient avantagés par un système de facturation proportionnelle.

Enfin, la généralisation des compteurs d'eau individuels est une disposition problématique. Elle risque en effet de faire basculer sur le service de distribution la charge des impayés. Cette disposition limite, une fois de plus, la liberté des collectivités locales.

22. Intervention de M. Ambroise GUELLEC , ancien ministre, président du Comité de bassin Loire-Bretagne

Le caractère éminemment recentralisateur de l'avant-projet de loi sur l'eau risque de poser de lourds problèmes aux gestionnaires des institutions de bassin et aux collectivités qui assument le service public de l'eau et de l'assainissement.

L'avant-projet de loi sur l'eau affiche deux grands objectifs :

• assurer, tout d'abord, la transparence et la démocratie que les présidents des institutions de bassins et les élus n'auraient apparemment pas réussi à instituer. Toute avancée en ce sens serait positive, même si nous considérons n'avoir en aucune façon démérité.

• réformer le régime des redevances, et notamment soumettre celles-ci au contrôle du Parlement, afin de les rendre conformes à la Constitution. Si des adaptations peuvent effectivement apparaître pertinentes, nous considérons que le dispositif des redevances institué par la loi de 1964 est, pour l'essentiel, satisfaisant en l'état . De surcroît, l'encadrement étroit du fonctionnement des agences de l'eau par le Parlement, prévu dans l'avant-projet de loi, conduirait à dépouiller les comités de bassin de leurs responsabilités. N'ayant jamais été un chaud partisan d'une transformation des agences de l'eau en EPIC, je finirais cependant par m'y rallier, si telle pouvait être l'alternative au projet de texte en cours d'élaboration.

Par ailleurs, je souhaite vous exprimer mon opposition catégorique à la création du Haut Conseil des services d'eau et d'assainissement. Cette institution me paraît correspondre à une mise sous tutelle étroite des collectivités territoriales. Incontestablement, elle met à mal la liberté contractuelle des communes, c'est-à-dire leur possibilité d'exercer leur libre choix .

La mise en place de ce Haut Conseil pose, en outre, un vrai problème de financement. Je précise que le texte ne prévoit pas de solliciter le budget de l'Etat mais d'utiliser les redevances des agences pour assurer le fonctionnement du Haut Conseil, à travers le Fonds National de Solidarité pour l'Eau. Il s'agit, en l'occurrence, d'une confusion des genres difficilement admissible.

Par ailleurs, la tarification sociale risque de soulever d'importantes difficultés lors de sa mise en oeuvre, puisqu'aucune modalité n'a été définie, notamment quant à son financement. Comment assurer le service gratuit à un certain nombre de nos concitoyens ? De plus, si l'objectif initial s'avère louable, il peut entraîner une déresponsabilisation des usagers bénéficiant de la gratuité des services .

En revanche, j'adhère complètement à la rédaction de l'article 14 de l'avant-projet de loi concernant la prise en compte de l'eau et de l'assainissement dans le coefficient d'intégration fiscal des communautés de communes. Prévue dans la loi Chevènement pour ce qui concerne l'assainissement, cette disposition avait été malheureusement supprimée par amendement. Cette mesure nous offre une formidable perspective de construction de l'intercommunalité.

23. Intervention de M. Marceau LONG , président de l'Institut de la gestion déléguée, vice-président honoraire du Conseil d'Etat

Je souhaite évoquer avec vous le cadre juridique dans lequel opèrent les collectivités locales et qui détermine leurs rapports avec les consommateurs. Je rappelle que les lois de décentralisation de 1982 ont accordé aux différentes collectivités locales une grande liberté contractuelle. Cette loi leur permettait de rechercher le type de contrat qui correspondait le mieux à leurs problèmes concrets à la consommation locale d'eau. Cette loi de décentralisation a ainsi donné lieu à une multiplicité de montages contractuels. Ils ont certes été critiqués depuis, cependant ils ont la plupart du temps suscité des réponses ingénieuses et appropriées .

Aujourd'hui, les exigences du consommateur sont plus fortes, les normes européennes plus strictes, elles imposent une hausse des financements requis. Ce besoin de financements supplémentaires a ainsi poussé les collectivités locales à rechercher de nouvelles solutions pour s'acquitter de leur mission. L'intercommunalité est notamment un moyen parmi d'autres d'accroître la dimension des collectivités et de renforcer leur capacité de négociations.

La floraison de ces nouveaux contrats a donné lieu à quelques abus et a engendré des interventions législatives. Cependant, l'appréciation de ces réformes n'a pu être établie sérieusement qu'après quelques années. Nous disposons maintenant de quelques résultats, notamment grâce à l'étude menée par le laboratoire de l'ENGREF en 1988 sur un panel de 582 collectivités locales. En cinq ans , même si le nombre global de contrats renégociés s'est finalement avéré assez faible, de l'ordre de 5 %, le prix payé au délégataire a baissé en moyenne de 9 % et la durée moyenne des contrats a été ramenée de 17 à 11 ans . Le pourcentage de non-reconduction des contrats s'est élevé à 8 %. Bien entendu, le droit de la concurrence n'a pas pour finalité d'engendrer des changements perpétuels, mais de favoriser une saine compétition entre producteurs au bénéfice des consommateurs.

Les lois récentes ont bousculé la répartition traditionnelle des contrats. Aujourd'hui, le critère de la rémunération est la clé de la répartition entre marché public et délégation de service public. On qualifie de délégation, le contrat dans lequel la rémunération du co-contractant est substantiellement assurée par le résultat de l'exploitation. La délégation peut être reconnue comme telle dès lors que l'exploitant supporte une proportion significative du risque .

Il reste encore des incertitudes concernant la qualité de l'eau. Si les raccordements sont réalisés pour la quasi-totalité des usagers de l'eau et si la consommation reste constante, le risque subsiste sur la qualité de l'eau distribuée. Les objectifs de qualité peuvent être mesurés par des critères de performance.

Des indicateurs pourraient constituer des critères d'appréciation chiffrés et précis de la qualité du service fourni. Les résultats obtenus pourraient conditionner une part de la rémunération du délégataire ou du concessionnaire , en donnant lieu à des amendes ou des stimulants sous forme d'intéressement. Ces indicateurs de qualité pourraient servir de base naturelle à une régulation des services d'eau. En effet, je suis favorable à une régulation par le contrat et les indicateurs plutôt qu'à celle d'une autorité institutionnelle. Je tiens ainsi à exprimer des doutes sur la valeur du Haut Conseil tel qu'il prévu par la proposition de loi. La régulation par les contrats pourrait être régie, non par une autorité administrative dite indépendante, mais par une sorte " d'autorité de sages ", qui centraliserait et diffuserait des données qualitatives et quantitatives et pourrait harmoniser les manières d'agir par des conseils et des guides.

24. Intervention de M. Patrick FEVRIER , adjoint au directeur de l'eau au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'environnement

La ministre de l'Aménagement du territoire mène, depuis le printemps 1998, une série de consultations sur le projet de réforme de la politique de l'eau. Ce projet compte quatre objectifs majeurs :

• Engager une réforme des redevances des Agences de l'eau afin de les rendre plus compréhensibles, plus équitables et plus conformes au principe du " pollueur payeur ".

• Clarifier les missions du service public de l'eau et de l'assainissement. Cet objectif implique une meilleure transparence, notamment en matière de facturation. Il vise également à prendre un certain nombre de mesures de régulation du marché de l'eau pour éviter certaines dérives.

• Réaliser la transcription de la directive cadre européenne.

• Proposer un certain nombre d'améliorations sur la gestion décentralisée de l'eau.

La concertation avec les différents partenaires a conduit à faire évoluer le projet et enrichir la réforme. A cet égard, la proposition initiale de donner un pouvoir d'injonction en matière de contrat au Haut Conseil a été retirée. Des discussions sont également en cours pour mieux prendre en compte un certain nombre de charges fixes réelles dans la facture d'eau, notamment pour les communes touristiques.

D'aucuns déclarent que le projet comporterait des dispositions allant à l'encontre des acquis de la décentralisation. Le projet a, au contraire, été bâti pour être en cohérence avec les lois de décentralisation, les principes de notre constitution et les bases de la politique communautaire.

Le projet de réforme, tout d'abord, permettra de consolider les agences de bassin . La directive cadre consacre le district hydrographique et les différents outils d'intervention français : en somme elle reconnaît les acquis des lois décentralisatrices de 1964 et de 1992. De ce fait, la transcription française du texte européen consiste simplement à adapter les acquis de la politique française de gestion par bassin aux exigences de la directive cadre. Ceci implique d'une part d'appliquer aux deux bassins du Nord-Est la notion de districts internationaux et, d'autre part, de renforcer la consultation du public, notamment dans le cadre des SDAGE. Le projet de loi propose également d'inscrire les principaux objectifs de qualité européens dans le champ des SDAGE.

Par ailleurs, l'inconstitutionnalité du système des redevances des agences de l'eau a empêché, depuis vingt-cinq ans environ, toute correction et toute adaptation aux besoins d'aujourd'hui. La réforme vise ainsi à renouveler le contrat social reliant les instances de bassin et les redevables. Ce contrat reposant sur l'existence d'une fiscalité, il est normal que les règles d'assiettes et d'encadrement des redevances soient votées par les Parlementaires élus au suffrage universel . Les instances de bassin conservent l'essentiel de leur rôle actuel : préparer et adopter les programmes pluriannuels d'intervention, décider des conditions d'aide et voter les taux de redevance. Enfin, elles gardent la responsabilité des schémas directeurs. Le projet de loi prévoit ainsi un équilibre entre les prérogatives normales du Parlement et les responsabilités décentralisées des instances de bassin.

D'autre part, le projet de réforme vise également à améliorer la responsabilité des élus locaux dans la gestion de l'eau et à élargir, sur certains sujets, leur pouvoir d'initiative . Je rappelle ainsi que la politique française de l'eau est traditionnellement décentralisée. Elle compte déjà différents niveaux de solidarités (niveau intercommunal, départemental ou encore régional). Sur le plan communal, la réforme va notamment clarifier le cadre contractuel entre le service et l'usager. Elle va permettre de mettre en oeuvre une tarification plus équitable et de mieux appliquer le principe de récupération des coûts. Enfin, elle a pour ambition d'amener les élus locaux à mieux anticiper la dépréciation du patrimoine.

L'expérience du terrain nous a également démontré la nécessité d'ouvrir aux collectivités territoriales un certain nombre de compétences facultatives supplémentaires. Cette disposition a pour but de les aider à mieux exercer leurs responsabilités.

En conclusion, je tiens à rappeler que le projet de loi est encore à l'étude. Il répond à la fois aux impératifs du contrôle démocratique de l'impôt, dans le respect des missions des instances de bassin consacrées par la directive cadre, et au souhait d'aider les élus locaux dans l'exercice de leur responsabilité.

25. Intervention de M. Josy MOINET , président de la Fédération nationale des communes concédantes et régies

J'aimerais, dans un premier temps, vous livrer mon avis concernant le contexte institutionnel français dans lequel ce nouveau texte va être voté. La loi Chevènement conduit à une modification de notre paysage institutionnel et administratif. Par ailleurs, le projet de loi solidarité et renouvellement urbains va bientôt être adopté définitivement. Ce texte, qui favorise notamment l'instauration de l'abonnement individuel à l'eau potable dans les immeubles collectifs, constitue un sujet de préoccupation. Enfin, le projet de loi sur l'eau et la mise en oeuvre des directives européennes apportent quelques éléments nouveaux.

Il me semble que personne ne s'est encore interrogé suffisamment sur la capacité des collectivités locales à appliquer simultanément l'ensemble de ces textes. En effet, la complexité des textes et la multiplicité des contraintes réglementaires ne rendent pas la maîtrise de la gestion de l'eau très aisée.

Notre Fédération estime indispensable la mise en place d'une régulation respectant l'autonomie des collectivités locales et se montre favorable à la création du Haut Conseil. Aujourd'hui, les collectivités locales sont isolées face aux grands opérateurs et aux administrations nationales et européennes. La complexité de cette situation appelle l'intervention d'une instance du type " Haut Conseil ", à condition, bien entendu, qu'on ne confonde pas ce conseil avec une sorte d'autorité de régulation telle que celle mise en place pour les télécommunications ou l'électricité.

Le Haut Conseil pourrait constituer l'interlocuteur unique privilégié de tous les élus impliqués dans la gestion de l'eau. Il pourrait également répondre aux besoins d'informations et d'expertise en matière de gestion des services. Par ailleurs, il pourrait disposer d'indicateurs de performances permettant d'effectuer des comparaisons et de contribuer à une sorte d'auto-régulation. Toutefois, il ne doit pas être doté de pouvoirs juridictionnels et doit conserver comme principal objectif l'accroissement et la mise à disposition d'informations auprès des collectivités locales. Les conflits de compétences entre les différentes instances nationales -Conseil de la Concurrence, tribunaux administratifs- doivent absolument être évités.

D'autre part, il me semble important que la loi sur l'eau ne réglemente pas de façon détaillée les conditions de fonctionnement des services d'eau et d'assainissement, en particulier les modalités de tarification. La pleine responsabilité de cette question doit relever des élus locaux. A cet égard, il est permis de s'interroger sur les raisons pour lesquelles certaines associations de consommateurs réclament un plafonnement de la partie fixe de la facture d'eau.

Enfin, j'estime que la réforme des agences de l'eau est nécessaire. Je pense que la possibilité d'une modification constitutionnelle ne doit pas être envisagée sur un tel sujet. De toute évidence, le projet de loi cherche à simplifier le système de calcul des redevances, mais il reste beaucoup à faire. Force est de constater que les redevances dépendront encore d'estimations forfaitaires difficiles à expliquer aux usagers.

En conclusion, le projet de loi sur l'eau ne saurait, en aucune manière, porter atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales.

26. Intervention de Mme Claude BESSIS, secrétaire de branche agences de l'eau SNE-CFDT

Je tiens à intervenir au nom de l'ensemble des personnels de l'environnement. Il nous semble que traiter le sujet de la gestion locale de l'eau et de l'assainissement n'a de sens que si cette gestion s'inscrit dans une politique publique globale cohérente. Or les politiques publiques de gestion de l'eau sont aujourd'hui inadaptées .

Ainsi, une réforme à la hauteur des enjeux devrait permettre une mise en cohérence de l'ensemble des actions publiques dans le domaine de l'eau. Elle devrait également encourager l'ensemble des services déconcentrés et des établissements publics à mener une gestion globale par bassins versants respectueuse des équilibres naturels au lieu de privilégier une logique d'équipement. Enfin, une réforme d'ampleur permettrait une participation plus équitable de tous les acteurs de l'eau aux efforts de lutte contre la pollution.

Les objectifs sont clairs : la loi doit parvenir à faire de l'eau potable domestique un bien accessible à tous au moindre coût, mais elle doit également réduire l'impact agricole sur la quantité et la qualité des eaux .

Nous avons mené, au sein du SNE-CFDT, une réflexion importante sur l'ensemble de ces sujets et sur l'avant-projet de loi gouvernemental. Ce projet manque d'ambition . Il occulte notamment le rôle de l'Etat dans la politique de l'eau et des milieux aquatiques. Ainsi, une réforme limitée aux agences de l'eau revient à ne traiter qu'une partie subsidiaire de la question. La multiplicité des services de l'Etat compétents dans le secteur de l'eau constitue, en soi, un des facteurs majeurs de blocage . La politique de l'eau ne sera efficace et cohérente que si l'Etat joue son rôle central. La réorganisation des services de l'Etat est aujourd'hui inévitable à tous les niveaux et ceci constitue un préalable .

Par ailleurs, concernant la redevance de production domestique et le prix de l'eau, les propositions de réforme ne garantissent pas la transparence des coûts vis-à-vis de l'usager. La redevance étant acquittée par le service d'assainissement, nul ne sait comment l'usager pourra appréhender à son tour l'efficacité environnementale de la gestion du service et l'application du principe " pollueur payeur ".

Certes, l'application du projet de loi en l'état lèverait quelques ambiguïtés institutionnelles. Toutefois, elle ne permettrait aucune avancée en termes de transparence, de simplicité ou même de démocratie. Je crains que ce texte n'aboutisse qu'à une recentralisation insidieuse de la gestion de l'eau, ignorant les principes de la démocratie locale .

27. Intervention de M. Alain CHOSSON , secrétaire général adjoint de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV)

Je ne souhaite pas exprimer un point de vue catégoriel, mais vous livrer plutôt un certain nombre de considérations relevant de l'intérêt général.

Cadre administratif de gestion de l'eau

Sur le plan du cadre administratif de gestion de l'eau, il faut rechercher la zone géographique la plus pertinente pour organiser une gestion locale de l'eau. Ce périmètre doit également permettre la mise en oeuvre du principe de péréquation ainsi que l'harmonisation des pratiques et des tarifications. Les consommateurs ne comprennent plus aujourd'hui la disparité des tarifs appliqués d'une commune à l'autre, a fortiori dans le cadre de structures intercommunales.

La notion de réalité des coûts me paraît être un autre point fondamental. La CLCV souhaite que les consommateurs puissent disposer de davantage de données concernant la justification économique des coûts annoncés à chaque étape du cycle de l'eau. L'ambiguïté du double-rôle opérateur-régulateur des collectivités locales plaide pour une autorité indépendante de régulation au niveau national.

Par ailleurs, le consommateur est complètement captif dans le cadre des marchés de services publics. Même si la transparence a globalement progressé, nous voyons se développer des monopoles locaux multiservices à la place de monopoles monoservices ou monoénergies . Ces états de fait ont des incidences concrètes sur la transparence de gestion et de tarification. Nous demandons que le nombre de délégation que peut obtenir un groupe industriel au sein d'une même zone géographique soit limité.

L'état général de dégradation de la ressource et des milieux nous préoccupe également fortement. La CLCV a toujours soutenu le principe des agences de l'eau, notamment dans les périodes où elles pouvaient être menacées, mais elle a également attiré leur attention sur la nécessité de la prévention qu'elles n'ont pas suffisamment prise en compte. Malgré toutes les politiques contractuelles, les investissements réalisés et les engagements de bonnes pratiques, les résultats sont peu satisfaisants. L'efficacité des investissements publics en la matière doit être examinée.

• Participation active des consommateurs

Les consommateurs sont satisfaits de constater qu'on souhaite désormais les informer et les consulter davantage. Cependant, il faut rappeler qu'ils sont également très attachés au respect constitutionnel de l'administration territoriale. Bien entendu, les associations de consommateurs ne militent pas pour la recentralisation des processus de décision. Toutefois, elles regrettent que les collectivités territoriales n'aient jamais créé, malgré l'obligation légale de 1992, les commissions consultatives locales. Il est essentiel de créer au niveau local, au plus près des consommateurs, un lieu permanent d'échanges et de confrontations. Ces commissions devraient également être systématiquement consultées pour avis avant que certaines décisions ne soient prises (projets d'investissements, de modification du service et des prix, présentation du rapport annuel du maire). Pour cela, le budget du service de l'eau doit financer le fonctionnement des commissions et le droit à une expertise indépendante pour les associations.

Les associations de consommateurs n'exigent pas une renationalisation de la politique de l'eau. Cependant, elles souhaitent que soient bien distinguées des notions aussi diverses que le respect de la liberté de gestion des communes et la gestion locale d'une part, la pratique du chacun pour soi d'autre part. Dans le secteur marchand, les associations de consommateurs parviennent à négocier avec des entreprises privées des accords-cadres et des contrats-types. Pourquoi, en revanche, ne parviennent-elles pas à de tels accords dans le domaine de l'eau alors qu'il s'agit d'une mission de service public ? La définition d'un certain nombre de clauses types nationales permettrait de garantir et rééquilibrer les droits et obligations de chacun des intervenants et des consommateurs.

La CLCV souhaite que les conditions d'accès à l'eau et que les structures de tarification soient clarifiées. Ces conditions doivent permettre à tous les citoyens d'accéder à l'eau et à l'assainissement sans discrimination et sans devoir passer par des dispositifs de marquage social. Si certains usagers potentiels sont exclus pour cause de revenu, le problème doit être pris en charge par la solidarité nationale, non par la solidarité entre consommateurs.

Modalités de facturation de l'eau : partie fixe/variable

Un certain nombre d'enquêtes annuelles engagées sur le terrain, portant sur environ 15 millions d'usagers, permet d'observer tous les types de prix de l'eau. Quelle que soit la taille de la commune, qu'elle soit grande ou petite, touristique ou non, que la ressource soit éloignée ou de proximité, que des investissements aient été engagés ou non, il existe à la fois des communes qui ont choisi de conserver une partie fixe et d'autres qui y ont renoncé. Je précise que les communes qui ont choisi de ne pas établir une partie fixe ne sont pas plus mal gérées que les autres. Le choix d'instaurer une part fixe est uniquement déterminée par volonté politique. Ce ne sont donc pas les raisons économiques qui justifient le maintien de la partie fixe des factures . Les consommateurs seront donc certainement très sensibles à ce que le projet de loi supprime celle-ci de la facture .

28. Intervention de M. Daniel CAILLE , président du Pôle Eau de Vivendi, président du Syndicat professionnel des entreprises de services d'eau et d'assainissement

L'avant-projet de loi a déjà été profondément modifié et il est destiné à évoluer encore beaucoup. Personne ne conteste la nécessité d'une loi, ne serait-ce que pour les redevances et les programmes des agences de bassin. Par conséquent, nous avons tout intérêt à élaborer des propositions constructives. Puisque la directive européenne doit être retranscrite dans le projet de loi français, il est nécessaire de l'intégrer plus beaucoup fortement au coeur du texte et qu'il constitue le titre premier de cette loi. Il serait bon que la future loi ait la même force et la même clarté que celles de 1964 et 1992.

Le projet pourra ainsi mieux répondre aux préoccupations des Français. Il devra notamment remédier à un certain retard des investissements mais aussi rassurer les consommateurs quant à la qualité de l'eau, notamment en ce qui concerne les pollutions diffuses.

En outre, je souhaiterais formuler deux observations concernant la gestion locale.

• Tout d'abord, je précise que mon avis est plutôt partagé sur les missions envisagées du Haut Conseil. Il est clair que celui-ci devra prendre garde à ne pas s'ingérer dans la libre administration des communes, à travers notamment un pouvoir d'expertise alors que la collectivité locale peut aujourd'hui l'exercer directement. En outre, il ne faut pas non plus que les compétences de ce Conseil chevauchent celles d'autres autorités de contrôle. Enfin, personnellement, il me semble indispensable que ce Haut Conseil soit doté d'une compétence sur la qualité des eaux. Je ne vois pas pourquoi son rôle devrait être limité à la gestion des coûts et des indicateurs de performance des services.

• Par ailleurs, quelques mesures spécifiques méritent d'être précisées. Les propositions concernant la définition de la part fixe/variable de la facture d'eau ainsi que la notion d'abonnement individuel des locataires de logements collectifs posent un certain nombre de problèmes. Il me semble que la future loi n'a pas pour mission de descendre à ce niveau de détail. Elle doit, en priorité, s'attaquer à la réforme des institutions de bassin et retranscrire en droit français le contenu de la directive cadre . Les questions spécifiques pourront être traitées ultérieurement.

Pour conclure, je tiens à souligner que le Haut Conseil pourrait être un vrai espace de parole qui est nécessaire au métier de l'eau. Mais nous sommes aujourd'hui très critiques sur certains points. Il faut donc participer à l'évolution de ce texte afin de faire en sorte que cette loi soit l'équivalent de celle de 1992 et, si possible, du même niveau que celle de 1964.

M. Jean-François ROBERT , Maire de Viabon - La suppression de la part fixe de la facture me paraît extrêmement dangereuse. Comment fixer le prix de l'eau sur un territoire où 50 % des logements sont des résidences secondaires ?

M. Patrick FEVRIER - Je rappelle que le principe en matière de tarification de l'eau a été fixé en 1992. Le prix de l'eau est, depuis cette date, calculé en fonction de la consommation. En outre, cette loi de 1992 prévoit les conditions de fixation de la part fixe, en tenant compte notamment des communes soumises à des fortes fluctuations de population saisonnière. La future loi a pour objectif de mieux définir cette part fixe, en intégrant, bien entendu, un certain nombre de charges réelles. De toute évidence, il ne serait pas normal que les communes touristiques fassent peser l'essentiel du prix de l'eau sur leur population permanente.

M. Alain CHOSSON - Le code des communes autorise le budget général à abonder le service de l'eau pour les communes dont la population n'excède pas 3 500 habitants. Ce seuil pourrait être revu à la hausse pour les petites communes touristiques afin de soutenir les investissements correspondant aux surdimensionnements liés à l'activité touristique qui génère des revenus, tout comme les résidents secondaires contribuent pleinement à la fiscalité locale tout en n'utilisant que partiellement les équipements permanents.

M. Daniel CAILLE - La part fixe de la facture d'eau est encore trop variable. Elle devrait désormais représenter 20 à 25 % de la facture globale de l'eau. Je crois que nous ne devons pas nous illusionner, la suppression de la part fixe entraînera une augmentation du prix de l'eau. Or les petits consommateurs ne sont pas les plus défavorisés. Mais, les mécanismes d'aide à la personne existent déjà - je précise qu'il ne s'agit pas de la gratuité de l'eau - il n'est donc pas nécessaire d'envisager des abonnements ou des tarifications complexes.

M. Emmanuel ADLER , Directeur ACONSULT - Je souhaiterais revenir sur la question de l'intercommunalité. Sous la pression des nouvelles réglementations en matière d'eau et d'assainissement, les investissements requis vont être de plus en plus élevés. La future loi sur l'eau prendra-t-elle en compte la nécessité d'investir sur des échelles territoriales plus étendues ?

M. Patrick FEVRIER - L'intercommunalité fonctionne relativement bien en matière d'assainissement. En revanche, elle est a priori insuffisante en matière de gestion des services d'eau potable. Le grand nombre de captages rend l'opération d'intégration intercommunale plus coûteuse et difficile . Le ministère de l'environnement plaide pour que le coefficient d'intégration fiscal intègre à la fois les termes relatifs à l'eau potable et à l'assainissement. Cette proposition ne fait pas l'unanimité et se trouve actuellement sujette à débats.

M. Yves CORTES - La part fixe de la facture d'eau recouvre essentiellement les amortissements des investissements qui ont été réalisés. Or, dans les secteurs ruraux, un certain nombre d'abonnés bénéficient, en parallèle, de forages privés. Sollicitant peu le réseau public quand leurs forages produisent suffisamment d'eau, ces personnes participent peu aux amortissements, alors que leur propre raccordement a nécessité des investissements. Dans de tels cas, le maintien de la part fixe trouve tout son intérêt.

M. Hugues GEISER , Conseil régional d'Alsace, Président de l'APRENA - Pourquoi ne peut-on pas appliquer ce qui existe pour l'air au secteur de l'eau ? Il devrait exister une structure d'échanges, d'information et de propositions. Quels sont les moyens de collecte des données sur l'eau ?

M. Patrick FEVRIER - Un certain nombre d'instances ont la responsabilité de fournir des données sur l'eau. L'Etat considère que la production d'informations constitue une de ses missions . Il s'agit de l'un des principaux objets du Fonds national de solidarité sur l'eau. Il est notamment nécessaire au niveau national de rendre compte à l'Union européenne de l'application des directives communautaires. Bien entendu, ce rapport est permis par la production nationale d'un certain nombre de données. Par ailleurs, il est également de la responsabilité des agences de l'eau de produire également un certain nombre de données sur l'eau concernant leur bassin hydrographique. Enfin, tous les niveaux de collectivités peuvent fournir des données afin de répondre à des besoins locaux. Malgré ces quelques éléments, il est clair que nous devons encore faire des efforts pour améliorer la collecte et la diffusion de ces données.

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