SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA JOURNÉE

29. Intervention de M. Gérard SAUMADE , député de l'Hérault, président du groupe d'études sur l'eau à l'Assemblée nationale

La problématique de l'eau est aujourd'hui une des questions majeures de notre société. Elle engendre également l'un de ses paradoxes les plus puissants. Il y a encore quelques années, l'eau et l'air étaient des biens gratuits. Puis, l'avènement de notre civilisation technique les a transformés en de véritables biens marchands. Désormais, l'eau est devenue un bien " rare ", c'est-à-dire une denrée économiquement coûteuse .

Ce changement de dimension a été entièrement porté par notre société contemporaine.

Malgré sa grande richesse, cette société vit aujourd'hui la difficulté de devoir gérer et apprécier la valeur de ses ressources en eau, pourtant considérée depuis toujours comme un élément gratuit et sans valeur.

Il me semble important de reconnaître que les élus locaux ont eu à gérer presque seuls cette inversion de situation. Les communes, les collectivités locales et les départements ont dû investir de façon à ce que l'eau potable soit distribuée sur tout le territoire. Il est, bien entendu, regrettable que la création en 1945 d'Electricité de France n'ait pas été accompagnée de la création concomitante d'une entité Eau de France. Je rappelle en effet que la création d'EDF a permis l'électrification de tout le territoire en appliquant partout le même prix du Kilowatt. EDF a ainsi démontré les vertus de la République en répartissant, avec homogénéité, le bien collectif sur l'ensemble de la Nation... Il est donc regrettable que l'Etat n'ait pas accordé cette même chance à la distribution nationale de l'eau. Pourquoi l'entité Eau de France n'a-t-elle jamais été créée ? L'Etat a , sans aucun doute, beaucoup craint cette problématique et a préféré laisser les collectivités locales gérer seules les ressources nationales en eau. Bien entendu, cette gestion locale a entraîné des inégalités de traitement considérables sur l'ensemble du territoire .

La répartition de l'eau est donc à la fois un problème d'ordre technique et juridique, mais il pose également des questions sur le plan politique. C'est dire que nous abordons tous cette question en conservant en mémoire nos principes et éventuellement nos préjugés. Le colloque de ce jour nous a ainsi permis d'en débattre. Je tiens donc à remercier Jacques Oudin pour l'organisation d'une telle manifestation et pour la qualité de ses invités.

Comment présenter la synthèse des débats ? Il me semble que l'on peut distinguer deux catégories d'observations. Les interventions de ce jour nous ont permis en effet de dégager quelques éléments de consensus, mais également de mettre en lumière des aspects plus polémiques.

Quelques éléments de consensus...

Je crois au préalable que, de façon très consensuelle, les intervenants souhaitent que l'avant-projet de loi ne soit pas encore soumis au vote du Parlement . Tous s'accordent pour reconnaître que ce projet a évolué depuis ses débuts, mais tous espèrent également qu'il évoluera encore. Il serait extrêmement dangereux que, sur une question de cette ampleur, les parlementaires et le gouvernement ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un certain nombre d'éléments centraux . Les acteurs de notre vie politique ne doivent pas consacrer la scission séparant les parties urbaines et rurales de notre pays : la République doit rester le bien de tous.

Sur quels éléments les intervenants sont-ils parvenus à trouver un accord ?

• L'eau, tout d'abord, est considérée comme un patrimoine national. Sa gestion peut être déléguée aux collectivités locales, aux Agences de Bassin ou encore à des entreprises privées, par voie de délégation. Toutefois, il est clair pour tous que l'eau doit rester la propriété collective de la Nation .

• Par ailleurs, il semble important à tous les intervenants d'assurer la cohérence entre la loi nationale et les directives européennes, en particulier la directive cadre adoptée en septembre. Au-delà des textes, l'eau peut ainsi servir de ciment à la construction européenne. Le véritable européen n'est-il pas en effet celui qui permet la coordination entre les Nations ? A ce titre, il me semble justement que l'on pourrait amorcer, sur la thématique de l'eau, l'organisation des relations entre le patrimoine national et celui d'une autre nation. Nous envisageons par exemple, au sein de ma région, le transfert d'une partie de l'eau du Rhône vers la Catalogne espagnole. En somme, une Nation qui accorde à une autre Nation européenne une partie de son propre patrimoine contribue très symboliquement à la construction européenne.

• D'autre part, il me semble important de signaler que tous les intervenants s'accordent sur l'application du principe " pollueur payeur " . Certes, les différents pollueurs doivent être distingués. Toutefois, si cette pollution est effectivement d'origine agricole dans certaines régions, elle est, dans beaucoup d'autres, d'origine purement urbaine. L'application du principe et la répartition de la taxation doivent donc être réfléchies.

• Les intervenants ont également relevé le principe selon lequel " l'eau doit payer l'eau " . Il me paraît évident que l'eau ne doit pas être seule à payer pour les politiques qui lui sont consacrées. La Nation doit également concéder un effort considérable, a fortiori si l'on considère l'ampleur des investissements nécessaires .

• Enfin, tous les intervenants réclament une protection forte de la qualité de l'eau . La multiplication actuelle des captages individuels est un phénomène dangereux. Il devient impossible, dans de telles conditions, de protéger l'eau efficacement. Certes, le coût de l'eau peut sembler considérable. Pourtant, il est tout à fait indispensable que le prix de cette eau soit déterminé par une part fixe importante . Elle correspond à la contribution de l'ensemble des citoyens et garantit notre principe de solidarité sociale.

...Mais des divergences encore fortes

Deux problématiques spécifiques sont pourtant soumises à controverse.

La question de l'agriculture, tout d'abord, engendre des difficultés considérables, en particulier en matière d'irrigation . Ce procédé étant indispensable à l'agriculture moderne, a fortiori dans les pays de soleil, il est injuste de le taxer trop considérablement . En effet, les agriculteurs ne devraient pas payer l'eau au même prix que les consommateurs. C'est un problème économique fondamental .

• La conception de l'organisation de la gestion est un second point de débat. Je constate avec plaisir que tous les intervenants ont plaidé aujourd'hui la cause de la décentralisation. La fixation des redevances par le Parlement ne me paraît pas dangereuse. Elle pourrait même avoir un effet positif si elle était maîtrisée par le Parlement dans une perspective d'aménagement du territoire.

En somme, nous devons tous souhaiter que la fixation des prix par le Parlement favorise une meilleure péréquation territoriale. Nous devons remédier au plus vite à une situation qui fait que les régions les plus pauvres sont encore celles qui paient l'eau le plus cher .

Enfin, il me semble que nous devons tous accepter de fournir un effort citoyen en faveur de cette loi. La France n'est pas composée de communautés mais bien d'un ensemble de citoyens... Espérons qu'ensemble nous parviendrons à faire de la loi sur l'eau un élément de démocratie au coeur de notre République.

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